16 juillet 2006

D'une lagune à l'autre...

Je reviens du Bassin d'Arcachon - retour toujours difficile vers la ville étouffante de moiteur, polluée et sale - après deux semaines de farniente, baignades, sorties en bateau et longues siestes à l'ombre du grand pin rescapé de la tempête de 1999. Le retour dans un Bordeaux caniculaire infesté de touristes rendus hagards par la chaleur, est toujours pénible.
 
A température égale, je suis toujours impressionné par la différence entre l'air pur et roboratif du Moulleau et des Abatilles (la ville d'été d'Arcachon) et l'atmosphère pesante et puante de Bordeaux. Dans la grande ville, pas un souffle d'air, même à l'ombre des grands arbres du Jardin Public. Heureusement, la maison est fraîche mais nous nous traînons depuis hier et la joie n'est plus la même. Tout mouvement devient difficile et on dort mal. Bordeaux atteint en ces jours un seuil de pollution difficilement supportable. Comme parfois  à Venise en Août, lorsque l'Ostro ou le Garbin, variantes locales du scirocco, amènent un air brûlant et que l'air devient étouffant. On prend alors le bateau pour les plages du Lido. Le calvaire se poursuit le long de la grande avenue qui mène aux plages. Mais, lorsque, débarrassés de nos vêtements, nous plongeons dans la mer, quel bonheur... 
Mais tout ce verbiage pour souligner des ressemblances entre la Lagune vénitienne et le Bassin d'Arcachon. En me promenant l'autre soir près de l'Ile aux oiseaux, la lumière qui semblait jaillir de l'eau éclairait les cabanes tchanquées et leur ressemblance avec les constructions lacustres de la lagune de Grado ou de Torcello me parut évidente. Le parfum du soir sur la plage est le même que celui qui embaume la promenade des murazzi et, dernier élément de comparaison, les étals des poissonniers sont aussi riches - les espadons en moins - que nos étals de la pescheria du Rialto... Les arcachonnais ont la pinasse qui joue le même rôle que les péottes de l'Adriatique... 
Des amis vénitiens qui ont séjourné quelques jours au Cap-Ferret l'an dernier, s'ils ont été affolés par la prétention et la vanité des petits bourgeois qui s'entassent sur les 44 hectares, avec leurs codes vestimentaires, leurs habitudes et leurs poses de nouveaux-riches, ont ressenti cette proximité. Cela m'a fait très plaisir. Finalement, à défaut de pouvoir chaque fin de semaine m'envoler vers la Sérénissime, les joies simples de notre vieille villa au bord de la plage, le bruit des vagues, les poissons du marché qu'on fait griller avec de la polenta, les promenades en barque quand la nuit tombe - il fallait voir le soir du 14 juillet ces dizaines d'embarcations qui voguaient toutes éclairées vers le port pour le feu d'artifice comme à Venise pour la nuit du Redentore - tout cela nous aide à patienter jusqu'au retour d'exil ! Et puis cette sérénité des gens là-bas, avec la même chose dans le regard qu'à Burano ou à Chioggia... Mais ce "paragone" mériterait une approche beaucoup plus scientifique. 
Tenez, laissez-moi vous donner un autre exemple : il y a une rue de la ville d'Automne que nous prenons pour aller vers le centre d'Arcachon (que des générations de promoteurs avides et sans aucun goût défigurent depuis cinquante ans) : la rue Thomas Illyricus. C'est le nom d'un moine qui aurait échoué il y a bien longtemps sur une plage entre le Moulleau et Arcachon, après une tempête. Seul survivant, on raconte qu'il fut sauvé du naufrage par une statue de la vierge amenée dans ses bagages... La sculpture passe depuis pour miraculeuse. On peut toujours la voir dans une très ancienne chapelle décorée de fresques et dorée à souhait. Plusieurs fois détruite par le feu, l'oratoire a toujours été reconstruit et la statue jamais détruite. Dde nombreux ex-votos manifestent la dévotion des marins d'ici et de leurs familles, comme dans les iles de Venise. 

Tous les dimanches après la messe, la tradition veut qu'on se recueille un instant - le temps d'un Ave Maria - devant l'autel de la vierge miraculeuse. Un lieu de paix à deux pas de la mer. Même l'odeur qu'on y respire, (ce mélange d'huile de lin, de cire et d'encens, d'air marin et de vieux bois) rappelle l'odeur qui embaume les église de Venise... 

Ce moine Thomas n'était-il pas parti de l'Adriatique ? On sait que de nombreux navires vénitiens s'aventurèrent sur la côte atlantique et les registres des Archives de l’État, près des Frari, renferment des listes de bateaux perdus corps et biens au large du golfe de Gascogne, quelques liaisons épisodiques avec Bordeaux, Bayonne ou La Rochelle... De quoi laisser s'envoler l'imagination...
posted by lorenzo at 19:30

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