11 avril 2007

Matinales

8h35, ce mercredi matin. Le silence du petit jour se remplit peu à peu de ce qui n'est encore qu'un assemblage de sons disparates et lointains. La voisine déroule le fil sur lequel son linge va sécher et la poulie grince un peu, dans le jardin les oiseaux fêtent le soleil. Dans la rue, un jeune livreur se dépêche "permesso, permesso" lance-t-il aux passants qui discutent devant la vitrine du libraire. Aux sons se mêlent peu à peu des senteurs qui me ravissent : l'odeur du linge propre qui sèche au soleil, la glycine qui commence à faner, le jasmin juste sous ma fenêtre qui sera splendide cette année et, toujours présent, le parfum si particulier, comme un mélange d'herbe et d'eau, de prairie de de sable, qui domine et pourtant se fait à peine perceptible. C'est la singulière odeur de la lagune, à la fois odeur de port et de marée, si particulière aux premières chaleurs et qui demeure pour moi le symbole de la douce vie vénitienne. 

Un jeune merle chante sur la margelle du puits dans la petite cour devant ma chambre. Il va faire chaud. Ce sera bien. Nul mouvement dans la maison. Les enfants dorment encore. Déjà les rayons du soleil éclairent la chambre et font danser la poussière à travers les persiennes. Il faudra les repeindre cet été. Tout à l'heure, nous prendrons le petit déjeuner sur la terrasse. Rien que de très banal, un peu de musique, du thé chaud, des muffins et du pain grillé - un pain de mie que nous avons cuit nous-mêmes !-, la sempiternelle gelée de coings et Nutella pour les gourmands. Pas de projet précis aujourd'hui. Quelques emplettes chez Billa, des fleurs à Sta Margherita. Peut-être une virée en barque mais le moteur a des problèmes. Envie de ne rien faire. Rester ainsi, comme engourdi à s'imprégner des milles sensations, regarder l'eau des canaux qui brille sous le soleil, observer les passants à la terrasse d'un café, errer dans les couloirs du Musée Correr ou dans les salles de la Ca'Rezzonico voisine. Préparer le repas. Un gâteau ou des scones pour le thé. Bouquiner, dessiner, écrire. 

Puis ce soir la passeggiata. Une vie tranquille où le temps passe joyeusement et sans heurt. C'est le miracle de la vie vénitienne. On peut ici s'empoigner, se lancer des bordées d'injures et soudain réconciliés, aller boire un verre à la lumière des lampions d'une petite osteria, comme du temps de Goldoni. L'air de Venise a le pouvoir d'anéantir ce qui est le quotidien de tous les citadins du monde. Ici pas de stress, de hargne, de nervosité. Pas de mollesse non plus comme on en ressent forcément de l'autre côté de la Méditerranée. Les vénitiens sont des ardents. Peuple actif et conquérant, ils sont imbibés de cet air unique aux parfums si particuliers qui apaise et ravit. Il faut séjourner souvent à Venise pour comprendre cela. Le vrai (et merveilleux) poison de Venise, pour reprendre une expression de Maurice Barrès, c'est cela, "la respiration de la magicienne endormie et le vivant soupir de la beauté" disait Henri de Régnier.