06 mai 2009

Une dernière promenade. Journal (extraits)

6 mai 1981
Revenir de Venise est à chaque fois plus difficile. La certitude que ma vie n'est que là, qu'ailleurs tout est simulation, faux-semblants et perte d'énergie. Ne penser qu'au retour.
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7 mai 1981
C'est aujourd'hui. Irrémédiablement. Mes bagages attendent dans l'entrée. Il faut y aller. Regarder une dernière fois l'animation sur le grand canal du haut du pont des Scalzi en attendant l'heure de mon train. Voir Federico repartir avec la barque bleue. Son salut de la main, le vaporetto qui le croise et le cache à ma vue.
[...] Point de tristesse en fait puisque je sais que je reviendrai bientôt mais une immense lassitude. Pourquoi doit-on toujours partir, aller ailleurs, laisser ce qu'on a commencé et ne jamais rien finir vraiment ? Pour quelle raison pressante laisse-t-on ce qui nous rend heureux et nous apporte la plénitude ? La hantise du tombeau qui importune, pour paraphraser Patrice de la Tour du Pin ?
[...] Pourquoi ne pas s'installer sur un banc un jour, sous le soleil du matin, devant la porte d'une modeste demeure et ne plus jamais en bouger. N'avoir d'horizon que les façades des maisons de l'autre côté du campo et le campanile se détachant sous un ciel éclatant ?
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(dans le train) L'homme se déplace sans cesse, emportant avec lui à chaque voyage davantage de regrets et ne parvenant jamais à s'éloigner de lui-même... Le bonheur ne consiste-t-il pas finalement dans Ithaque ? "Si peu console"...
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(Écrit en écoutant Recuerdos de la Alhambra de Tarrega par John Williams)

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7 commentaires:

Anne a dit…
Vous avez écrit un très beau texte, mais Venise est en vous et vous l'emportez dans votre cœur jusqu'à votre retour vers elle.
Anonyme a dit…
Si "partir c'esr mourir un peu", combien de fois suis-je morte de tous ces départs ?
Mais quel bonheur de revenir ! de re-découvrir chaque fois, à la descente du train, ce pincement au coeur qui vous fait dire "me voici de retour chez moi".
Les larmes d'émotions me viennent aux yeux en l'écrivant.
Bonheur de partager cette émotion.
Merci à Lorenzo et à tous les amoureux de la sublime Reine des Mers. Gabriella
Vichka a dit…
Partir quand même et revenir, bien sûr.... On ne peut pas quitter la beauté quand elle   s’appelle   "Venise" et Lorenzo, vous la portez en vous, c'est indéniable! Je suis d'accord avec Anne. A bientôt
Michelaise a dit…
Et combien de fois êtes-vous revenu Lorenzo ? Et combien de fois y reviendrez-vous encore ? C'est ainsi la passion !
FRANCOIS a dit…
C'est toujours une énorme émotion lorsqu'on quitte VENISE...on a le sentiment de laisser sa bien-aimée...on souffre de la solitude soudain,la nostalgie nous envahit et on n'a plus qu'une envie revenir au plus vite car on ne peut pas rester sans elle même si loin d'elle on l'ait toujours au fond de son ëtre,on a besoin d'elle en vrai pour vivre en vrai....VENISE ne signifie-t-il pas littéralemnt "reviens".......
"Les Idées Heureuses" a dit…
L’homme est chagrin…Toutes ces émotions à contenir.
Regret de l’ultime journée, si ensoleillée, si souriante…
Ventre qui se crispe, pincement cruel dû au futur éloignement; les volets sans doute bien fermés, la porte est tirée, verrouillée, aucune raison, aucun oubli pour faire marche arrière, se réinstaller comme à l’arrivée, il y a bien plus d’un mois …
Mais il faut y aller.
A chaque départ, c’est plus terrible, cela ne va pas le quitter de si tôt : les dentelles de pierres aux couleurs passées se reflètent une dernière fois dans sa vision qui se veut claire pour ne pas s’embuer de la pluie du chagrin, elles se pâment avec volupté dans ces entrelacs de mirages colorés, froissés par le balancement des gondoles amarrées ici et là, le souffle léger venu de la mer ou des îles voisines ; l’eau tranquille, elle, ne connait pas les regrets, elle n’est là que pour bercer l’âme des poètes.
Le son des cloches, soprani en puissance, ne réveillera plus ses pensées, à midi ou en fin de journée.
Le brouhaha du Grand Canal ne le fera plus s’échapper vers les quartiers calmes et silencieux, où, à son propre rythme, chaque pas le dirige vers une destination hasardeuse, réinventant ainsi une nouvelle fois un parcours oublié… sotoportego, calle, campo, puits ne seront plus qu’image floue, la sensation froide de la pierre disparaissant de la mémoire du toucher…
Lecteur assidu, que ne feras-tu pour adoucir sa peine du moment, lui qui t’a donné tant et tant par les mots écrits, les images partagées, les impressions retrouvées, quel cadeau peux-tu lui offrir pour qu’il retrouve son élan, et n’ait plus de peine au cœur ?
Lui faire savoir que cette émotion du départ, nous la connaissons, et nous la partageons, nous tous amoureux de Venezia, notre bien aimée, lui dire que la vie est ainsi faite de séparations, d’éloignement, moyens inventés par l’humain pour affirmer volonté et désir du retour ; qu’un jour ou l’autre, avec certitude, nous nous y croiserons sans doute, sans nous reconnaitre, peu importe…
Anonyme a dit…
Ces quelques passages de carnets oubliés, ont des accents de Chateaubriand. Tout simplement, magnifiques! Merci!

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