01 septembre 2011

Un joli casone avec un jardin fleuri sur la lagune...



Il y a, au beau milieu de la lagune des endroits que j'aime énormément. Loin des circuits parcourus par les touristes, peu de vénitiens connaissent ces rivages couverts d'herbes drues et où la terre nourrie par des siècles d'alluvions gorgés de minéraux porte souvent des fleurs magnifiques et de beaux arbres aux troncs solides et tordus comme des ceps de vigne. Des vignes justement y poussent. De vieux cépages oubliés dont les branches ornent les murs des rares maisons qui se dressent encore dans ces lieux éloignés et presque abandonnés. De belles treilles gorgées de fruit quand au mois d'août les orages viennent violemment les arroser. L'isola di Santa Cristina est une propriété viticole qui produit un excellent et raffiné vin rouge organique à base de merlot et de cabernet comme à Bordeaux. Comme Santa Cristina, les restes de l''île San Felice est un vestige de l'archipel d'Ammiana. Appelée aujourd'hui en souvenir des salines qui y fuirent installées, elle est particulièrement lugubre le sois, quand le vent souffle et fait siffler les hautes herbes. A l'époque romaine, ces terres étaient au-dessus du niveau de la mer et on y a retrouvé maints vestiges de l'époque, des traces de villas, de monuments et de chaussées. On peut passer des heures dans cette partie de la lagune et n'entendre que le cri des canards qui s'envolent ou les grenouilles qui chantent. Plus au sud, et près des deltas, la campagne se fait plus verte et bien davantage fournie. Enfant, je rêvais de m'y installer, avec des chiens, une barque, des filets et un fusil.
L'un de mes paradis où je m'inventais mille vies trépidantes à la Robinson se nomme Piove di Sacco. Située au milieu des terres, sur l'antique route de Padoue, la commune possédait encore dans les années 70, plusieurs de ces vieilles fermes à l'architecture si originale appelées casone. Deux seulement existent encore. Elles ont hélas été terriblement rénovées et leurs jardins tirés au cordeau, nettoyés, replantés et on les visite comme une réserve d'indigènes. Cela aura au moins permis de les conserver. Celle dont j'étais fou amoureux à l'époque de mes quinze ans date de la fin du XVIIIe siècle. 
Elle est restée dans son jus jusque dans les années 90 où suite à un incendie, elle a été restaurée et reprise par un organisme officiel qui organise des visites. L'énorme rosier grimpant a disparu mais la toiture en pointe caractéristique de cet habitat lagunaire a été reconstitué et le torchis rouge refait. On a changé les vieux volets de bois et l'intérieur est tout neuf désormais mais l'ensemble a toujours fière allure. Quand j'y pénétrais la première fois en 1969 ou 70, il régnait dans la salle commune une odeur très particulière que je n'ai retrouvé qu'une fois ou deux depuis, en Normandie ou dans les Landes. Un mélange d'odeur de cendre et de cuir, de lard grillé et de foin avec des relents de lilas et de terre... C'est du moins ce que mon cerveau parvient à traduire de cette senteur étrange et attirante que j'ai gardé en mémoire. Le feu crépitait dans la vieille cheminée de briques. C'était à la fois comme la chaumière de la reine à Versailles ou celle des sept nains. De quoi stimuler l'imagination d'une jeune garçon rêveur et amoureux de la nature. J'ai retrouvé une photo de la maison avant l'incendie. Dans le jardin, le vieux banc fait de bois et de pierre, est toujours en place.
Dans un lieu semblable, poser un jour mes livres et quelques meubles. Remplir le bûcher de belles billes de bois bien sec, garnir le cellier de jambons et de fromages, de vins et de confitures, et là, oublier le monde... Des vers de Boileau que je disais souvent adolescent me reviennent en mémoire : 
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui ;
Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique.
[...]
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde !
 
L'autre de mes lectures favorites de l'époque s'accordait aussi très bien à ces lieux idylliques. Il s'agit de l'Ami Fritz des auteurs alsaciens Herkmann-Chatrian, un de mes livres préférés. le passage suivant que je connaissais par cœur résume parfaitement la vie que le garçon que j'étais alors considérait comme le summum de la félicité.
" Tu te lèveras le matin, entre sept et huit heures, et la vieille Katel t’apportera ton déjeuner, que tu choisiras toi-même, selon ton goût. Ensuite tu pourras aller, soit au Casino lire le journal, soit faire un tour aux champs, pour te mettre en appétit. À midi, tu reviendras dîner ; après le dîner, tu vérifieras tes comptes, tu recevras tes rentes, tu feras tes marchés. Le soir, après souper, tu iras à la brasserie du Grand-Cerf, faire quelques parties de youker ou de rami avec les premiers venus. Tu fumeras des pipes, tu videras des chopes, et tu seras l’homme le plus heureux du monde. 
Tâche d’avoir toujours la tête froide, le ventre libre et les pieds chauds : c’est le précepte de la sagesse. Et surtout, évite ces trois choses : de devenir trop gras, de prendre des actions industrielles et de te marier. Avec cela, Kobus, j’ose te prédire que tu deviendras vieux comme Mathusalem ; ceux qui te suivront diront : “C’était un homme d’esprit, un homme de bon sens, un joyeux compère !” Que peux-tu désirer de plus, quand le roi Salomon déclare lui-même que l’accident qui frappe l’homme, et celui qui frappe la bête sont un seul et même accident ; que la mort de l’un est la même mort que celle de l’autre, et qu’ils ont tous deux le même souffle !... Puisqu’il en est ainsi, pensa Kobus, tâchons au moins de profiter de notre souffle, pendant qu’il nous est permis de souffler [...]"

1 commentaire :


Anonyme a dit…
vous me faites rêver ! Que cette campagne doit être jolie si on se laisse bercer par votre description. Merci pour le plaisir que vous me procurez depuis que j'ai découvert votre tramezzinimag ! Vous me mettez l'eau à la bouche chaque jour.
Alice

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