13 juin 2012

C'est officiel : le Traghetto à 2 euros en janvier prochain !

Le traghetto est le plus ancien moyen de franchissement du Grand Canal. Du temps où seul le pont du Rialto relayait les deux rives, l'usage de la gondolina da parada permettait de traverser l'artère principale de la Cité des Doges. Aujourd'hui encore chaque jour les passeurs effectuent des centaines de voyages chaque jour. Il suffisait autrefois d'un simple appel depuis l'autre rive, et une barque venait vous chercher. Le cri de "Pope" retentissait et l'embarcation glissait sur les eaux pour vous faire franchir les eaux qu'encombraient déjà de nombreux navires de toutes les tailles, galères et gondoles, barges amenant fruits et légumes, ballots de tissus précieux, épices d'orient et barriques, sacs de farine et bois de chauffage. Le trafic n'est plus tout à fait le même, mais le service existe toujours et c'est un élément fondamental non seulement du paysage urbain, mais du fonctionnement de la cité. Aujourd'hui, cet usage millénaire s'apprête à être révolutionné par les impératifs économiques ou plutôt par la dictature du profit véhiculée par cette idéologie ultra-libérale qui gangrène nos sociétés et oblige les administrations à rogner sur ses missions fondamentales.
En effet, il a été décidé en haut lieu de doter prochainement les pontons de ces traghetti des mêmes bornes Imob qui permettent le contrôle des titres de transport aux arrêts de vaporetti et d'autobus. On pourrait sourire de ce carambolage entre un transport en commun venu de la nuit des temps et la technique sophistiquée inventée par l'homme moderne. Hélas l'affaire est grave et elle a deux facettes qui sont loin de réjouir les vénitiens et qui ne devraient pas non plus plaire aux touristes. Aujourd'hui, pour traverser le Canalazzo et faire cette brève mais superbe traversée d'un boulevard unique au monde, il faut débourser 50 centimes (ce fut longtemps 200 lire ou un jeton de téléphone - ce qui avait la même valeur). Ugo Bergamo, Adjoint chargé de la Mobilité et du Trafic lagunaire, l'a annoncé dans une conférence de presse : l'administration a décidé qu'il faudra désormais 70 centimes. 40% d'augmentation ! Pour les touristes et tous ceux qui ne disposent pas d'une carte Imob, ce sera... 2 euros ! Cette augmentation qui interviendra à partir du 1er janvier 2013, ne vient pas d'une demande des gondoliers, mais leur Consorzio qui gère ce service dit da parada va devoir assumer seul la charge de ce service, suite au désengagement de la municipalité qui ne versera bientôt plus les 600.000 euros annuels qui servaient au fonctionnement de ce service, ouvrant la route à une sorte de privatisation, puisque se constitue une société de gestion des traghetti heureusement entre les mains des seuls gondoliers.

L'ultra-libéralisme n'a honte de rien ! Depuis des mois, en réponse à la rumeur, les pouvoirs publics - et les gondoliers eux-mêmes - clamaient haut et fort que le tarif pour les vénitiens ne serait pas augmenté d'un centime ! Seuls les touristes seraient ponctionnés... Il a été annoncé aussi que les recettes des emplacements publicitaires sur les pontons seraient partagées entre les caisses de la ville et celles de  l'organisation qui veille à l'entretien et à la conservation des gondoles.
Autre volet de l'affaire qui attire les foudres des vénitiens : il faudra faire valider sa carte avant que de monter sur l'embarcation. Sans carte ce sera le prix fort. On peut comprendre la démarche dans une logique de rationalisation des transports urbains dans un univers aussi particulier que le centro storico mais ces bornes de validation sont un peu ce que la diabolique carte Monéo est à nos porte-monnaies : un outils de pistage, de contrôle de nos mouvements. Car les données enregistrées sont conservées par le services. On sait ainsi quels sont les horaires et les habitudes de déplacement des titulaires de la carte. Sous prétexte de statistiques utiles au maintien et à l'amélioration de la qualité des services proposés, on sert Big Brother sans que personne ne s'en rende vraiment compte. Les vénitiens l'ont bien compris qui se révoltent contre ce flicage qui correspond bien à la dureté et à la rigueur d'esprit de l'actuel président du Conseil, l'économiste Monti et de cette Europe technocrate qui semble n'avoir toujours rien compris et s'entête sur les chemins de la croissance à outrance pour créer l'illusion de richesses et nous enferme dans un matérialisme suicidaire. Des plaintes ont été déposées par des associations de vénitiens. On attend la suite.

La rogne qui est relayée par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête depuis la conférence de presse semble ne pas devoir servir à grand chose. Hors la Tesserà Imob, point de salut pour votre portefeuille, et les amis vénitiens résidents que j'ai interrogé sont assez désabusés. Pareille à la trombe d'eau qui s'est abattue l'autre jour comme une tornade de Floride sur le Nord Est de Venise, la nouvelle vient s'ajouter à tous les motifs de désenchantement qui gagnent les habitants de la Sérénissime. Les vénitiens sont bouche bée à l'idée de devoir montrer leur carte IMOB pour pouvoir monter sur le traghetto s'ils ne veulent pas être contraints de payer 2 euros comme les touristes ! Comme l'écrit Alberto Toso Fei sur sa page Facebook : " Finalement, on a compris à quoi sert la carte IMOB... à monter sur le traghetto !" Décidément, nous vivons une époque moderne comme disait Philippe Meyer chaque matin sur les ondes de France Inter !

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