09 mars 2020

Soupe aux lentilles et promenades aléatoires : le blog de Nicoletta Fornaro

Copyright © Naturally Epicurean | Nicoletta Fornaro - 2020
Vous connaissez certainement le blog de Nicoletta l'épicurienne qui écrit et montre depuis Venise de bien belles choses, des photos magnifiques et donne des recettes gourmandes que Tramezzinimag ne peut pas ne pas recommander avec enthousiasme. Les propos de son plus récent article mériteraient d'être primés dans un concours à inventer - ou ré-inventer - qui récompenserait les billets les mieux écrits, les plus vrais et profonds, les idées les plus mesurées et l'esprit le plus positif. 

Nicoletta Fornaro est vénitienne, du Lido plus précisément où elle est née d'une mère irlandaise et d'un père vénitien.  Après de nombreux voyages, mariée à un vénitien, elle vit à Venise. Elle est aujourd'hui photographe free-lance et la gourmande collabore aussi à des ateliers de cuisine.Des mots qui construisent et guérissent valent mieux que ceux qui inquiètent ou démolissent. Notre époque est reine pour la démesure et l'emportement, la colère méchante et l'expression totale de tout ce qui grouille en nous de sombre et pestilentiel. Nicoletta évoque les réseaux sociaux et l'inanité des milliers de noms qu'on collationne dans la rubrique de nos "Amis". Combien, dans la vraie vie, le sont vraiment ? Bien souvent, nous rechignons à poser la question. (sa biographie ICI).

Mais revenons à ce blog magnifique et roboratif et à ce qui motive notre chronique du jour. La période que nous vivons aujourd'hui, ce temps que l'on peut qualifier de difficile tellement nous nous sommes habitués - en Occident du moins - à la facilité et à la paix, à une routine que ne sont venus perturber jusqu'à présent que quelques actes, certes atroces et sauvages, pour nous rappeler à la réalité de la nature humaine ; de la nature tout court, qui est par essence bien plus violente que paisible. 

Cette situation de confinement, inédite dans notre monde protégé, pacifié, organisé, nous porte à l'introspection et "remet les pendules à l'heure". Il ne s'agit pas de laisser le doute pas plus que la rancœur s'installer en nous. Il ne nous faut pas céder à la peur et encore moins à l'angoisse. Ne pas jeter la pierre à d'improbables responsables. Ne pas redonner vie à l'ignoble, avec une nouvelle chasse aux sorcières, des règlements de compte et une justice approximative. Les chinois de Wuhan au milieu de qui s'est répandu le virus, sont avant tout des victimes et leurs morts ont droit à notre compassion, pas à notre vindicte. Gardons notre hargne pour ce que nous avons fait ou laissé faire de ce monde depuis que l'Occident ne connait plus ni la faim, ni le manque, ni les menaces des canons. Ces peuples souverains à qui on refuse le dernier mot, les discours lénifiants des gouvernements, ceux-là même à qui nous avons confié le soin de conduire nos pays sur un chemin de liberté, d'égalité et de fraternité et qui, sourds aux cris des foules descendues dans la rue, ne savent plus répondre que par la violence policière et des myriades de lois et de règlements imposés... Gardons notre colère contre nous-même, qui consommons, détruisons, avec l'indifférence et l'arrogance des nantis à qui rien ne peut arriver quand la sagesse aurait dû nous rappeler à davantage de mesure et de bon sens.

C'est ce qui émane du billet de Naturally Epicurean (oui, le site de Nicoletta est en anglais, certainement au nom de l'universalité et absolument pas par soumission à la globalisation aveugle prônée depuis des lustres par les ultra-libéraux yankees !). La nécessité d'une introspection collective, l'urgence d'une réflexion tournée vers d'autres paradigme que le progrès, le profit, l'individualisme, l'argent, le travail. L'épidémie enrayée, les confinements levés, les écoles rouvertes et les offices religieux comme les manifestations culturelles et sportives de nouveau autorisés, rien ne sera plus comme avant. D'un point de vue économique bien sûr, car il va falloir ramasser les morceaux, prendre en compte les pertes financières, les manque-à-gagner à tous les niveaux, prendre acte de nos faiblesses et de nos manquements et donc redéfinir quelles sont les vraies priorités. Pour l'individu, pour la société, pour la planète.

Cela n'implique pas de la sueur et du sang, et encore moins des larmes, mais du bon sens et de la détermination pour ne pas refaire les erreurs qui ont été les nôtres. Notre temps sur la terre est trop court pour continuer de courir après des chimères. Nos familles, nos amis, nos voisins c'est la planète entière et c'est au prix d'une véritable solidarité universelle que nous la préserverons comme nous pourrons peut-être préserver l'espèce humaine, bien davantage menacée que la terre. en consommant moins ou mieux, en pendant l'autre avant de penser notre confort personnel, en réapprenant à partager, en redécouvrant la véritable communication, par la parole, par les mots, sur nos places et dans nos rues, dans les écoles et les ateliers, dans les cafés et sur les marchés. Échanger, correspondre, écouter et entendre l'autre. 

L'absence de visiteurs à Venise, le confinement qui fait penser inexorablement à certains films de science-fiction où des forces armées jusque aux dents tiennent les frontières hermétiquement closes, est une aubaine pour les vénitiens. Déjà, la structure de la ville, l'absence de l'automobile, sa taille humaine, les habitudes et les usages locaux rendent l'échange plus facile. Mais c'est aussi l'incroyable et fabuleuse beauté que les vénitiens ont sous les yeux à tout moment et qui leur est rendue par la quarantaine qui est une chance. Gageons que l'introspection qui chemine dans les cœurs et les esprits ne mènera pas au désespoir ni à la hargne, mais bien plus à une remise en question des fausses valeurs que nous avons fait trop facilement nôtres. Le tourisme après le coronavirus ne pourra plus être le même. Tout comme le commerce, la vie culturelle, sociale, politique. Non pas tant parce que les confinés auront été confrontés plus qu'ailleurs à l'idée de la mort, de la maladie, de la finitude, ce que les anglo-saxons appellent "the mortality salience".  

Certains sortiront de  cette expérience transformés. Leur regard sera différent, non pas comme celui de qui a échappé à la mort ou revient d'un épisode extrêmement violent et horrible, mais parce qu'un esprit sain ne peut pas ne pas constater dans le confinement, combien ce que nous pensons être acquis peut vite disparaître, combien nous dépensons inutilement de précieuses énergies simplement pour satisfaire dans l'immédiat des caprices de nantis. Peut-être alors, aurons-nous la chance d'en tirer des leçons et de ne pas refaire les mêmes gestes, ne pas refaire les mêmes erreurs et orienter nos vies davantage vers l'autre et le bien commun. Pour que jaillisse de nouveau la Joie !

Une fois encore, Venise m'apparaît comme un laboratoire, l'exemple de tous les possibles.

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