15 décembre 2005

Les derniers fastes...

Avez-vous déjà entendu parler de ce milliardaire excentrique comme on en trouve dans les albums de Tintin, Charles de Bereistegui. Sud-américain d'origine basque, grand esthète et mécène, fou de grandeur et de beauté, qui mourut dans les années 70 ? Il acheta juste après la guerre le Palais Labia, ce somptueux bâtiment situé près de l'église San Geremia et se mirant au bord du canal de Cannareggio. Ce bâtiment, aujourd'hui propriété de la RAI, qui abrite les plus monumentales fresques de Tiepolo, montrant la gloire et le triomphe de Cléopâtre. En septembre 1951, il donna dans ce palais à peine restauré et remeublé la plus gigantesque fête jamais donnée au XXème siècle à Venise. Le monde entier y participa : milliardaires, stars du cinéma, artistes célèbres, écrivains, politiques, rois, princes et émirs, tous se précipitèrent en gondole vers les ors et les lumières du palazzo. 


Je poursuis mes recherches iconographiques et je vous présenterai cette soirée mémorable que j'ai parfois l'impression d'avoir vécu ( je n'étais pas né !) tant la comtesse Marcello et une de ses amies, dont j'ai oublié le nom, me la décrivit en détails, un jour où je prenais le thé chez elle, rio terra degli assassini, dans sa merveilleuse maison remplie de souvenirs et de témoignages d'histoire (avec un grand H). 

Je publierai sur ce blog le résultat de mes recherches iconographiques et je fais appel à tous ceux qui auraient des pistes : photos, souvenirs, magazines ayant relaté l'évènement en Italie, à Paris, en Angleterre ou aux États-Unis.

Coups d'œil

Scène d'hiver sur les Zattere, 
envoyé par Cécile sur le site de Gérard, "lapanse.com"

Passegiando...

"Ragazzi per la strada"
12/12/2005.

posted by lorenzo at 13:17

Les yeux morts mais l'esprit vif.

Il y a 800 ans cette année, mourait à Constantinople le 39e doge de Venise, le Noble Enrico Dandolo, presque centenaire, le vainqueur de l'Empire byzantin.

Tombeau du Doge à Saint-Sophie.

La tradition familiale établit que nos ancêtres seraient arrivés à sa suite en Turquie et qu'après la mort du vieux doge, ils se seraient définitivement installés à Galata où ils firent souche, jusqu'à l'expulsion par Mustapha Kemal des occidentaux, dans les années 1920. Marchands et militaires ? Où est la part de la légende et celle de la vérité ?
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La vie du vieux potentat est passionnante. Aveugle, il sut, avec un art très abouti de la diplomatie et un sens commercial avéré, détourner la quatrième croisade de son objectif pour s'emparer de Byzance et devenir ainsi, au nom de Venise, le maître incontesté de la Méditerranée. Venise eut ainsi le choix - et la tentation- de prendre la couronne impériale et d'en ceindre le front de son doge. Avisés, les vieux sages du Conseil ont préféré demeurer marchands plutôt que devenir soldats. Ils renoncèrent vite à cet Empire d'Orient qui les aurait inexorablement entraîné avec lui dans sa chute. Ce choix judicieux, bien qu'il puisse sembler modeste et manquer de panache, a permis à Venise de demeurer forte, prospère et puissante pendant les 500 années qui suivirent... 
Mais l'histoire - certainement améliorée par la propagande de l'époque et un goût marqué pour le merveilleux - du doge est incroyable. Succédant le 1er janvier 1192 à Sebastiano Zani qui venait d'abdiquer, N.H. Enrico Dandolo serait né vers 1105, Au moment de son élection, il bénéficiait d'une grande réputation, liée certes à son âge (plus de 85 ans !), mais surtout à ses talents de négociateur et de diplomate. Grand marchand, stratège politique et habile parleur, il fut envoyé par la République en 1171 auprès de l'empereur Manuel Comnène à Constantinople, pour réclamer des vaisseaux et des vénitiens emprisonnés dans les geôles byzantines. On dit que l'empereur, vexé du discours du plénipotentiaire fit placer devant l'ambassadeur des bassins enflammés qui lui brûlèrent les yeux et le rendirent à peu près aveugle. Il n'aurait conservé la vue qu'à sa capacité connue pour verser des larmes facilement. Revenu à Venise il resta très apprécié, Peu de temps après son élection, lors d'une fameuse bataille navale, il reprit la ville de Pola en Istrie aux Pisans qui s'en étaient emparés par surprise. 

La fin de sa vie est intimement liée à l'histoire de la quatrième croisade qu'il sut faire détourner de sa mission originelle - la délivrance des lieux saints - depuis Zara, pour s'emparer de Byzance et s'emparer ainsi de l'ensemble de la Méditerranée et des revenus extraordinaires que cette main-mise signifiait. le chroniqueur Villehardouin, dans son célèbre ouvrage sur Venise conquérante, parle du Dandolo qu'il avait personnellement connu. Le doge mourut sans revoir Venise et fut enterré avec grande pompe dans la basilique Sainte Sophie où ses restes reposèrent jusqu'au XVIe siècle. Les archives conservent beaucoup de documents commerciaux mais aussi administratifs écrits ou signés par lui ou qui concernent sa famille, ses réseaux et son activité commerciale personnelle. Je vous en reparlerai. 

12 décembre 2005

Venise : Coffre-fort ou poubelle de l'Humanité ?

par Giulio Macchi
responsable des Regards comparés sur Venise
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Chaque bon musulman doit aller au moins une fois à la Mecque dans sa vie. Chaque habitant de la planète rêve de débarquer à Venise. Qu'y a-t-il derrière ce mirage lagunaire ? Il y a Venise toute entière: celle des voyages solitaires d'intellectuels venus du monde entier, celle des couples d'amoureux, celle des troupeaux de touristes agglutinés derrière leur appareil photo… 
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Chacun cherche quelque chose dans cette ville dont les pierres sont chargées de mémoire. L'artiste espère rencontrer le Titien au coin d'une ruelle. Le musicien est persuadé que Vivaldi ne joue que pour lui. Le touriste fera des photos-cartes postales semblables à celles qu'il portait dans sa tête avant de s'embarquer pour le grand voyage. Derrière ces démarches, il y a, cachée, la recherche de soi dans un contexte différent du contexte quotidien. . Chacun se hasarde à interpréter les signes infinis d'une très ancienne mémoire enfermée dans un espace urbain relativement restreint. Cette petite ville est semblable à de grandes archives vivantes où n'importe qui peut pénétrer dans les lacis d'un immense labyrinthe s'ouvrant sur d'innombrables campi pleins de lumière et de surprises. .

Si l'on s'arrête dans un grand bâtiment proche des Frari, on se retrouve plongé dans d'autres archives, des archives "papier" parmi les plus riches d'Italie : les Archives d’État où des historiens et des scientifiques de toutes disciplines peaufinent leurs recherches sur l'histoire de cette ville ou sur le reste du monde, car la petite Venise avait ses ambassadeurs diligents qui transcrivaient, en bon vénitien ou en codes secrets, ce qui se passait dans les pays voisins ou les contées lointaines. 
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D'autres archives manquent pourtant à Venise, des archives que les autorités locales devraient constituer : ces archives audiovisuelles qui assembleraient l'infinie richesse d'une iconographie constituée de films, d'émissions de télévisions, de reportages photographiques … Tant d'interprétations diverses, dans des registres si variés, de capteurs d'images qui "découvrent", "déchiffrent", "raillent" la ville. De Luchino Visconti, avec Senso et Mort à Venise, jusqu'à l'hyperbole 007 From Russia with Love.
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Cette Iconothèque aiderait certainement à mieux saisir le rapport entre la ville et ses visiteurs modernes. L'accumulation d'Histoire et d'histoires, qui se déroulent légères devant les murs anciens des palais et des églises, contraste avec le manque de signes relatifs à notre époque. On a refusé les projets architecturaux de Le Corbusier, de Louis Khan, de Frank Lloyd Wright. Que restera-t-il pour témoigner de la créativité moderne ? Certainement pas les palais entièrement vidés et transformés en élégantes surfaces de vente des grandes marques à la mode, certainement pas non plus les petites boutiques d'artisans transformées en magasins de souvenirs. Le danger que Venise devienne une grande Fontaine de Trévi, où chacun viendrait jeter une pièce de monnaie pour réaliser ses vœux secrets, menace la ville. Il faut s'en défendre.

Venise en noir et blanc

à suivre...

Passegiando... ragazzi per la strada.


04 décembre 2005

Aqua alta record à Venise : 1,32 mètre !

Un triste record samedi à Venise avec une montée des eaux de 132 cm du jamais vu depuis longtemps surtout à Murano qui pendant plusieurs heures a été envahie par des eaux boueuses et pestilentielles dues aux remontées d'égout certainement liées aux travaux de curetage des canaux actuellement en cours. Des milliers de touristes surpris par les eaux, les pontons de vaporetto accessible en montant, toute la vie commerciale de la cité paralysée sous un ciel très menaçant et par un vent soufflant avec force. 

Bilan : une polémique entre le président de la Région, le Signor Basan, de la Liga Veneta et le maire-philosophe de Venise, Massimo Cacciari dont les journaux se sont fait écho, le premier mettant en cause l'inanité présumée des élus municipaux quant aux solutions prônées pour sauver Venise de cette menace permanente et la campagne pour l'abandon du projet pharaonique "Mose" dont on est presque sur aujourd'hui qu'il ne permettra pas de préserver Venise des inondations mais seulement de trois ou quatre grandes marées annuelles. L'idée se fait de plus en plus présente d'un long chantier de rehaussement de la ville avec les risques que cela peut présenter mais qui permettrait à terme de supprimer les risques d'effondrement et de pollution des fondations des immeubles de la cité des doges.

"Il y avait du soleil et soudain du brouillard. Une marée record de plus de 132 cm au-dessus du niveau zéro maréographique, et une ville qui a du vivre sous l'eau pendant quelques heures dans des conditions assez précaires." commentait le quotidien Il Gazzettino de ce dimanche : "Scènes d'urgence ordinaire, surtout vers 11 heures du matin hier avec une pointe rarement enregistrée. Pour résumer la matinée d'hier, deux images parlantes : les pontons de l'ACTV à la verticale tellement le grand canal était haut et les conteneurs d'ordure remplis de bottes en plastique transparents que l'on vend à un rythme incessant aux touristes sur la place Saint Marc. Pourtant annoncée à temps, la marée haute a trouvé des centaines de touristes non préparés à l'évènement, pataugeant dans des eaux saumâtres à la couleur effrayante..."  


Les caractéristiques de l'aqua alta de samedi : de 10 h. 55 jusqu'à 11 h. 20 le coefficient est resté à 132. Il reflux s'est fait assez lentement à cause du vent du sud et au volume d'eau ayant pénétré dans le golfe. Les vents de sud ont soufflé sur toute l'Adriatique : on a enregistré 135 centimètres à Burano et 141 centimètre à Caorle. La municipalité, par l'intermédiaire du Centre des Prévisions et de Signalisation des Marées, a adressé les premiers messages d'alerte à 6 h. 56, tandis que les sirènes et les haut-parleurs de la Piazzale Roma ont été activés à 7 h. 08. Même chose pour les panneaux lumineux d'information. "Un'alta marea di 132 centimetri - afferma una nota di Ca'Farsetti - comporta l'allagamento di una superficie di circa il 70 per cento della città con una media di 50 centimetri in piazza San Marco". Sur la place et dans les zones touristiques limitrophes, de nombreux touristes n'ont pas hésiter a se promener dans les rues inondées et sur les ponts en dépit de quelques pigeons morts qui flottaient parfois et d'une eau à la couleur peu rassurante.  

"I veneziani - a dit Cacciari - sanno che c'e l'acqua alta e sanno anche che il Mose non salverà Venezia dall'acqua alta, ma solo da due o tre acque alte l'anno" ("les vénitiens savent que c'est une marée haute et ils savent aussi que le Mose ne préservera pas Venise des inondations que deux ou trois fois l'année") en réponse à la polémique lancée hier par le président de la Région. Les critiques fusent en effet depuis quelques semaines sur l'incertitude qui caractérise les recherches faites depuis des années pour la mise au point du projet Mose qui semble aujourd'hui ne plus être aussi fiable qu'on a bien voulu le laisser croire dans les milieux gouvernementaux. Les spécialistes semblent de plus en plus pencher pour une autre solution, moins coûteuse bien que plus longue mais en tout cas moins hasardeuse. Comme cela a déjà été fait pour quelques zones urbaines, comme les alentours de Saint Marc, il s'agirait de rehausser la base de la cité évitant ainsi que les eaux hautes ne viennent altérer les fondations et perturber le fonctionnement quotidien de la ville. L'autre problème qui vient à peine de trouver sa solution était l'envasement des canaux urbains. 


Depuis plus de cinquante ans les municipalités successives avaient abandonné le curetage des canaux, autrefois réalisé à la charge des riverains chaque année. Dans certaines zones, on a ainsi enlevé plus de 150 cm de vase et de détritus. De même dans la lagune, certains chenaux sont embourbés et ne mesurent plus que 30 à 40 cm de profondeur au lieu des 2 mètres d'avant. A l'inverse le chenal qui permet aux navires de gros tonnages (notamment cargos et pétroliers) de pénétrer dans le bassin de Saint Marc et de rejoindre, par le canal de la Giudecca, le port industriel de Marghera, a été tellement approfondi, qu'il a totalement modifié l'écosystème lagunaire en certains endroits. C'est une vision globale de la lagune qui est maintenant envisagée à juste titre par les scientifiques qui cherchent à renouer, autant que faire se peut, avec les traditions vénitiennes imposées pendant plus de mille ans par la nature. Ignorer ceux que les anciens vénitiens connaissaient a été une grande erreur, due à la prétention des modernes qui ont trop longtemps cru - et croient encore pour certains - que seule leur science peut apporter des solutions et oublient l'expérience du passé. Mais je ne suis ni océanologue, ni ingénieur des Eaux. Je crois simplement que si les hommes ont agi pendant des siècles d'une certaine manière et que leurs actes permettaient la sauvegarde et le maintien d'un système de vie, c'est que cette manière était bonne et que rien ne peut en justifier l'abandon.