17 janvier 2006

La flamme olympique arrive à Venise sous la neige

"La flamme olympique est arrivée aujourd'hui à Venise, où elle restera jusqu'à demain. Elle poursuivra ensuite son périple via Trieste. Le relais de la flamme des Jeux Olympiques de 2006 à Turin en est à son 39e jour. Les Jeux débuteront pour leur part dans 24 jours. Aujourd'hui, la flamme olympique s'est offert une promenade en gondole sur le Grand Canal. Ce soir, Venise laissera éclater sa passion pour les Jeux au cours d'une fête organisée place Saint-Marc. Et pour figurer parmi les relayeurs dans cette ville de canaux baignée par les eaux de l'Adriatique, quel meilleur choix que Federica Pellegrini, médaillée d'argent dans le 200m nage libre aux Jeux Olympiques de 2004 à Athènes! Ce sont 10.001 relayeurs qui porteront la flamme jusqu’à Turin, où elle arrivera le 10 février 2006".
(communiqué de presse).

Aujourd'hui, 39e jour des pérégrinations du flambeau olympique, après Vicence et Padoue, c'est au tour de Venise d'accueillir avec les honneurs ce symbole millénaire d'une tentative souvent galvaudée d'amitié et de paix universelles. Arrivée par la Brenta, passant le long des villas palladiennes qui borde cette rivière, la flamme portée par Alex Zanardi, pilote automobile (handicapé depuis 2001 des suites d'un accident).

Le cortège de treize barques historiques utilisées pour les grandes cérémonies et de gondoles, défilant le long du Grand Canal, est passé sous le pont du Rialto, où une foule de curieux et les enfants des écoles voisines l'ont applaudi. La neige qui tombait avec intensité rendait la cérémonie d'accueil dans la Sérénissime encore plus somptueuse et magique. la Flamme a reçu un accueil incroyable, certainement grâce aux athlètes que se sont relayés pour la porter pendant la journée parmi lesquels Manuela Levorato, cycliste médaillée olympique, Dorina Vaccaroni, championne, d'escrime médaillée elle aussi, Francesco De Piccoli, médaille d'or de boxe aux Jeux de Rome 1960. 


Et puis le comique Fabrizio Fontana, l’acteur vénitien Lino Toffolo et les deux derniers porteurs de la flamme de la journée, les cousins Igor et Rudi Vignotto, plusieurs fois vainqueurs de la régate historique de Venise, qui ont conduit la flamme sacrée jusqu'au site de la cérémonie nocturne qui a eu lieu, comme il se doit, Place Saint Marc.

Demain, la flamme olympique partira pour Trieste et parcourra le Frioul. Parmi les villes qu'elle traversera, citons Udine, San Donà di Piave et Portogruaro. Elle arrivera vers 19 heures 30 dans la métropole la plus orientale de la Péninsule, dans cette grande ville où la Borà, vent terrible, peut atteindre les 150 km/h, portée par le dernier des tédophores italiens, la championne de ski sur herbe, Cristina Mauri, jusqu'au plus bel écrin possible pour l'ultime cérémonie italienne avant Turin : la Piazza Unità d’Italia.

En tout, plus de 175 porteurs se seront relayés ; une liste à la Prévert, comme Tania Romano, championne mondiale de patinage à roulettes, Valentina Turisini, médaillée de tir aux pigeons aux Jeux d'Athènes en 2004, et Riccardo Dei Rossi, deux fois champion du monde d'aviron et médaillé à Sidney en 2000, le champion de ski de fond Giorgio Di Centa et son homologue féminine, Gabriella Paruzzi (médaillée olympique à Salt Lake City). 

La flamme ira ensuite en Slovénie, puis en Autriche avant d'entrer en Savoie et de rejoindre Turin où elle sera accueillie par le Président de la République italienne et par SAR le Prince de Savoie, émérite athlète amateur, héritier de la Couronne d'Italie, entourés de nombreuses personnalités pour qui le symbole olympique est un signe qu'existe dans ce pays une alternative au néo-fascisme rampant imposé par Berlusconi et sa clique. Mais cela n'engage que moi...

16 janvier 2006

Les Brèves de Tramezzinimag (1) : Notizie di Venezia

Le Gazzettino de ce matin rappelait au bon souvenir de l’administration l’état d’un des ponts emblématiques du quartier San Marco. Il y a un peu plus d’un an que les gondoliers de l’embarcadère voisin de San Zaccaria signalaient à l’administration l’état pitoyable du ponte del vin, situé sur la rive des esclavons, au pied du palais Dandolo, l’actuel Hotel Danieli, à deux pas de Saint Marc.
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Quelque chose a bien été fait pour protéger les splendides chapiteaux endommagées. Un filet tenu par une sorte d’échafaudage prévient la chute des pierres dans l’eau. Aujourd’hui le pont se presente aux touristes tout de crèpe vêtu, en deuil de sa splendeur. Mais à part cela, rien. 
 
La toile peu à peu se désagrège augmentant l’impression de misère du monument... Passage obligé pour qui débarque à Venise entre les jardins de la Biennale et Saint Marc. Et les passagers des navires venus du Tronchetto ou de Punta Sabbioni ne peuvent pas ne pas voir cette triste verrue. Il s’agit pourtant d’un lieu inévitable par où tout le monde passe et qui ne peut être caché aux visiteurs. Gageons que cet article fera bouger les services concernés ! 
 
A propos du ponte del Vin, je cherche depuis des années une photographie de ce pont avec des marchands de bonbons et d'eau parfumée, qui au début du siècle arpentaient les Esclavons pour vendre leur marchandise aux visiteurs et aux passants. C'est un magnifique cliché qui a aussi été éditée n carte postale, aux alentours de 1880. Si un de mes lecteurs sait où trouver un exemplaire, qu'il me le fasse savoir.

Voici pour les italianisants l’intégralité de l’article :

“Anche un ponte è, per la città, un biglietto da visita importante. Purtroppo non è il caso della situazione che si può constatare al Ponte del Vin, ai piedi di Palazzo Dandolo - vicino all'Hotel Danieli - ovvero a pochi passi dall'area marciana.
E' passato un anno da quando i gondolieri dello stazio, adiacente alla fermata del vaporetto di San Zaccaria, hanno detto all'amministrazione che è necessario intervenire. Qualcosa è stato fatto nel senso che "il ponte è stato fasciato" per evitare che i preziosi capitelli si staccassero e precipitassero in acqua, come è accaduto invece l'anno passato al ponte degli Scalzi.
Qualche anno fa Franco Mazzon, gondoliere, insieme a un suo collega, ha consegnato a una vigilessa una colonnina che si era staccata proprio dal Ponte del Vin ma da allora poco è stato fatto. I mesi passano e a oggi il ponte si presenta con crepe, evidentissime, che lentamente si sgretolano e aumentano a dismisura.
La città si presenta agli occhi dei "foresti" con un ponte che in realtà è un passaggio obbligato per chi sbarca dai lancioni negli approdi dislocati in Riva degli Schiavoni, arrivando dal Tronchetto e da Punta Sabbioni e, vuole raggiungere, in una splendida passeggiata, Piazza San Marco.”
posted by lorenzo at 01:54

Giovanni Bellini, la Madonna degli Alberetti

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1487
Huile sur panneau, 74 x 58 cm
Galeries de l'Accademia, Venise

13 janvier 2006

Carnevale di Venezia 2006


Comme je vous l'avais annoncé cette année le Carnaval aura lieu du 17 au 28 février.Le thème sera certainement sur la Chine, l'Orient et le théâtre mais rien n'est encore (à ma connaissance) officiel. je vous tiendrais informé. Plusieurs associations organisent des séjours pendant cette période mais il faut savoir que tout est pratiquement plein, voyages en groupe, voyages associatifs, séjours genre FRAM ou ACIT... 

Si vous voulez être décemment logés, préparez votre voyage de 2007 ! Je suis bien entendu toujours à la disposition de ceux qui voudraient concocter un séjour sur mesure pour 2006 (sauf la période du carnaval déjà complète donc) et pour 2007.

La Description de San Marco par Michel Butor

La description de San Marco par Michel Butor ..."Ah ! La gondola, gondola ! - Oh ! - Grazie ! - Il faut absolument que je lui rapporte un très joli cadeau de Venise ; pensez-vous qu’un collier comme celui-ci lui ferait plaisir ? Mais oui, c’est lui ! C’est bien lui ! Décidément, on rencontre tout le monde ici ! Garçon ! Garçon ! Cameriere ! Un peu de glace s’il vous plaît ! - Oh ! - Et vous, où êtes-vous logés ? Vous n’avez pas eu trop de difficultés ?"...

Il y avait à Bordeaux une grande librairie aujourd'hui disparue, dans une petite rue du centre. Des coins et des recoins regorgeaient de livres anciens, parfois rares souvent épuisés. J'avais quinze ans, je préférai ces rayons éloignés à ceux du rez-de-chaussée où s'étalaient les nouveautés. Je n'avais pas encore idée combien Venise serait dispensatrice d'un fluide vital qui n'a pas cessé depuis de m'alimenter et me permet de vivre. Or un jour, parmi les livres d'occasion présentés sur une table, je remarquais un ouvrage peu épais, d'un format assez inhabituel, dans la collection blanche de Gallimard. Il était recouvert de ce papier cristal qui enveloppe aujourd'hui encore tous les brochés de ma bibliothèque et que j'ai de plus en plus de mal à me procurer. L'auteur : Michel Butor, le titre : Description de San Marco. Pour ma plus grande joie et aussi pour mon malheur, je l'ouvris... Je fus soudain plongé dans un univers sonore incroyable et les mots très vite firent place à une musique inconnue, faite de tous les sons qui peuvent assaillir le voyageur quand il fait étape place Saint-Marc, un matin d'été, devant la basilique. Cette juxtaposition de bruits, de paroles, de notes musicales, elle transparait incroyablement dans le texte de Butor. La présentation même du livre évoque cette sonorisation du texte et provoque une lecture à deux temps : la description scientifique de la basilique enrichie des commentaires de l'auteur, visiteur esthète et curieux, et le fonds sonore, vivant, parfois trépidant, qui est rendu par un agglomérat de paroles qui s'enchevêtrent et forment un bruit de fonds. 

Le livre refermé, j'avais vraiment l'impression de revenir d'une promenade à Venise. L'été qui suivit, mes parents, en route pour Istanbul, nous y emmenèrent. Ce fut un choc tel que je suis convaincu aujourd'hui d'en avoir été transformé tout entier. Plus rien dans ma vie depuis lors n'a eu le même goût. Toutes les expériences de mon adolescence, les découvertes, les victoires comme les défaites, je les ai ressenti, assimilé, digéré à travers ce prisme-là que le texte de Butor a mis à jour en moi. Délicieux poison instillé par des mots qu'autrefois je savais par cœur... Rien, de ce que j'ai pu lire depuis sur Venise (comme sur San Marco) ne m'a paru aussi vivant, aussi fort, aussi vrai et bouleversant que le beau texte de Michel Butor. N'en déplaise à ceux qui railleront mon lyrisme, je ne serai pas ce que je suis sans ce livre.

J'avais quinze ans à peine et déjà Venise m'assaillait. Ce n'était pas le hasard auquel je ne crois guère. On m'expliqua bientôt que mes ancêtres étaient vénitiens et que ceux de ma race depuis les origines y étaient attachés. Marchands, marins, soldats ? Ils s'installèrent à Constantinople et de vénitiens devinrent italiens au XIXe siècle. Pour les différencier des cousins de Rome ou de Florence, ne lisaient on pas "di Venezia" dans les vieux documents administratifs de la Sublime Porte pour désigner mes descendants directs parmi mes aïeux.
Voilà peut-être un explication rationnelle de cet émoi lorsque pour la première fois, tout rempli encore de cette lecture, je posais le pied sur le sol de Venise, emplissant mes poumons d'un air que chaque fibre de mon corps reconnaissait. J'ai ressenti cela aussi mais avec moins d'acuité à Istanbul comme à Rhodes, à Corfou, à Capri... Partout où les miens ont vécu... Mystère du sang, mystère de la mémoire d'un temps que je n'ai pas connu mais dont je suis pourtant imbibé... De cet ouvrage je ne puis rien dire d'autre. J'ai découvert un texte de Dominique Hasselmann qui en donne une exégèse affinée comme je n'aurai jamais pu en produire. Il met en avant cette description musicale se fondant parmi les mots des pierres et des oeuvres de ce lieu magique. L'ouvrage n'est-il pas dédié à Igor Stravinsky ?

10 janvier 2006

Jeux d'hiver sur la Piazza


Giorgio Giacobi, palle di neve a San Marco, 1954
Il neigeait souvent et beaucoup à Venise l'hiver jusque dans les années 60. En cinq ans de vie vénitienne, j'ai connu trois hivers très rigoureux où la neige recouvrit tout pendant une bonne semaine. Rien à voir cependant avec les froids quasi-sibériens racontés par les chroniques de l'ancien temps ou ces frimas que Bellotto ou Guardi ont montré dans certains de leurs tableaux. celui par exemple où l'on voit des tas de gens en train de glisser et patiner sur la lagune entre les Fondamente Nuove et le cimetière de San Michele. 

La lagune était entièrement prise par les glaces et il fallait briser l'épaisse couche dans laquelle les bateaux étaient pris si on voulait tenter d'avancer sur les canaux à l'intérieur de la ville. Souvent un épais brouillard comme encore de nos jours s'emparait de la ville la rendant encore plus magique et mystérieuse. Autrefois, il y avait le Codega. C'était le nom des lanternes et de ceux qui les portaient. Les rues n'étant pas éclairées, on louait les services de porteurs de lanternes qui vous guidaient de chez vous au théâtre, à l'église ou vers la Piazza, vous évitant de tomber à l'eau ou de faire de mauvaises rencontres. Parfois, certains de ces faquins étaient payés pour vous égarer ou vous mener dans un coin coupe-gorge où effectivement vous l'aviez tranchée...
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Il fallu attendre 1732 pour que 835 réverbères, "i ferrai", soient installés. Ce qui mit fin à la corporation des porteurs de lanterne. Avant de sombrer dans l'oubli, ils essayèrent de résister, notamment en sabotant ces réverbères publics. En 1796, il y avait 1954 réverbères. Ils furent électrifiés longtemps après l'unification de l'Italie, en 1887 seulement.
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Mais revenons à la neige et au brouillard. En février 1981, ma mère était venue pour le Carnaval. Elle logeait au Concordia, le seul hôtel qui a des fenêtres sur la Piazza. Il neigeait dru. La Piazza était blanche et les masques vêtus de noir qui déambulaient renforçaient cette impression magique. Soudain le brouillard s'est mis à tomber. Il devait être 18 heures ou 19 heures. Il faisait très froid. Je l'avais accompagné jusqu'à sa chambre en attendant le dîner. La vue de sa fenêtre était superbe. 

Soudain tout s'est éteint. Les lampes de la chambre, les réverbères, la place, les vitrines, les boutiques. Une panne générale sur toute la ville. C'était une sensation extraordinaire. Le blanc de la neige, la brume qui répandait dans l'air comme des reflets de l'eau, la lune qui essayait de percer de ses rayons cette couche cotonneuse et le silence. Un silence incroyablement plein. Après la stupeur des premiers moments, on commença à voir des lampes-torche, des faisceaux de lumière ça et là dans le vide immense de la nuit, vers le Palais des Doges et la Marciana. Je ne sais plus combien de temps cela a duré. Nous sommes sortis, évidemment. Les gens étaient dans les rues, certains commerçants fermaient en hâte leur magasin. On entendait de loin en loin des cloches et les cornes de brume. Des injures aussi, de gens qui se bousculaient ou glissaient. 

Beaucoup de rires et de chuchotements aussi comme dans une gigantesque partie de cache-cache. C'est je crois le meilleur souvenir de son séjour qu'avait gardé ma mère. Le lendemain, la neige avait commencé de fondre. Il n'y avait plus de brouillard. L'électricité était revenue. La magie restait et le souvenir d'un rêve comme on en a souvent à Venise. Le carnaval commençait après ce somptueux préambule improvisé.

08 janvier 2006

"Io non voglio più" leur dit Napoléon...

Georges Jules Victor Clairin, les troupes françaises à Venise
"Ce ne fut pas notre armée qui traversa réellement la mer, ce fut le siècle; il enjamba la lagune, et vint s'installer dans le fauteuil des doges, avec Napoléon pour commissaire"... Cette belle phrase de Chateaubriand résume et explique en quelques mots la chute de Venise. "Io non voglio più" dit Napoléon aux ambassadeurs de la Sérénissime, venus entamer des pourparlers. Venise était pourtant un exemple de démocratie (toute relative certes) mais elle aurait pu survivre aux tempêtes que fit naître la révolution française... Elle n'était déjà plus que l'ombre d'elle même. Mais quelle ombre rayonnante.


Que serait-elle devenue si Napoléon l'avait laissée autonome avec ses antiques lois et sa marine ? Elle aurait était bien utile comme en 1797 où elle repoussa les turcs redevenus prétentieusement agressifs et ambitieux pour les marches de l'Europe (comme les russes, cela leur reprend parfois mais toujours à leurs dépens). 
- Elle serait restée cette même cité touristique qu'elle était déjà depuis presque deux cents ans. 
- Elle serait redevenue la banque de l'Europe, le refuge des émigrés, des aventuriers et des banqueroutiers. 
- Une certaine tolérance aurait permis à ses éditeurs de publier des ouvrages interdits ailleurs. 
- L’Autriche se serait parfois rapprochée d'elle, d'autres fois, menaçante, elle lui aurait tourné le dos. 
- A défaut d'armée terrestre, sa marine et surtout son or, auraient servi indifféremment le camp des monarchies ou celui de la jeune République française... 
- Peut-être que le doge Manin aurait eu un successeur et peut-être aussi que le "corno" aujourd'hui encore serait porté dans une petite république où les traditions ne seraient pas qu'une comédie pour touristes... 

Mais ne rêvons pas. Venise n'est plus un État, c'est une simple ville, presque une bourgade qui a du mal à continuer à vivre avec les hordes de visiteurs, l'invasion dangereuse de ces navires gigantesques, chaque année plus nombreux, et cet immobilisme obligé et consenti qui la maintient dans le passé pour le ravissement de ses touristes. Partout ailleurs les villes ont un "quartier historique", à Venise on parlerait plutôt du "quartier moderne" avec Mestre la laide et moderne. C'est là son dilemme. Être une vraie ville capable d'offrir à ses habitants tous les services qu'on attend d'un espace urbain ou rester figée dans un passé conservé, pour le plaisir des visiteurs ? Hélas, les touristes d'aujourd'hui et l'âpreté au gain facile des vénitiens "autrefois peuple de marchands, aujourd'hui peuple de boutiquiers" semble vouloir acheminer inexorablement la Sérénissime vers la disneylandisation d'un des plus beaux lieux urbains du monde. Prions pour que cela ne soit pas !

04 janvier 2006

03 janvier 2006

Libreria Venexiana

Je voulais recommander ici deux ouvrages parus chez un éditeur indépendant, les Editions "La Bibliothèque", (distributeur : les Belles Lettres), dans une collection élégante au titre alléchant "les écrivains voyageurs" : "Récits vénitiens" de Henry de Regnier et le fameux "Venise" de Jean Lorrain. Deux textes introuvables que tous les amoureux de Venise se devraient d'avoir lu.
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Henri de Régnier, Récits vénitiens
préface de Gérard-Julien Salvy
Ed. La Bibliothèque
Écrivain fin de siècle, admiré de Proust, romancier, poète, essayiste, vénitien de coeur, auteur de Chroniques vénitiennes, Henri de Régnier n'a écrit que ces fictions sur la cité des Doges. L’ouvrage est formé d’une longue nouvelle, "L’Entrevue", qui faisait partie d’un ensemble intitulé "Histoires incertaines" (Mercure de France, 1919), et d’une courte nouvelle, "Le Café Quadri". Ces textes ont certainement été écrits par Régnier au Palais Dario où il fut souvent reçu et qu'il a décrit dans "l'Altana ou la vie vénitienne".
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Né en 1864 et mort en 1936, vénitien de cœur, Henri de Régnier, admiré de Proust, fut romancier, poète, essayiste. Ami des frères Goncourt, de Remy de Gourmont qui fit de lui cette description : "Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins, dallés comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques, cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon, seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux: les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses dernières œuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi finis : oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or, et lac mort, jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse qui va devenir nocturne"...
Voici un court extrait de la prose de notre vénitien de cœur : "À Venise, on est difficilement malheureux et facilement heureux. Je ne faisais rien de particulier, je ne travaillais pas, je n’allais ni dans les musées ni dans les églises, et mon temps passait délicieusement. J’errais à travers les rues, je visitais les antiquaires, je fumais des Virginia. [...] D’année en année, j’y ai accumulé tant de souvenirs ! Souvenirs tristes, souvenirs très doux... Décidément, je suis atteint de folie vénitienne. [...] Il semble que d’ici, dans la sorte de bien-être égoïste, paresseux et triste où l’on vit, l’on supporterait mieux qu’ailleurs l’oubli, l’ingratitude, l’injustice. Venise est une sorte de labyrinthe, où les chagrins ont plus de peine à vous trouver. Tout ne vous y arrive qu’en reflets, en échos. Chaque journée est un peu comme une fin de vie. [...] Plus je la connais, plus Venise contente mon goût pour le silence, la couleur, la lumière."
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Jean Lorrain, Venise
Préface d’Éric Walbecq
Editions La Bibliothèque

"La plus grande émotion de ma vie" , écrit Jean Lorrain à sa mère en découvrant Venise. Texte rare où retentit cet accord unique entre Venise, ses palais, ses lagunes et cette écriture fin de siècle dite décadente.
Saint-Marc précieux, gorgé comme une phrase de Huysmans ou de Lorrain. C’est la même orfèvrerie...
Jamais auparavant Jean Lorrain n’avait écrit aussi longuement sur une ville. Venise est LA Ville, "Ma Ville" comme il le dit régulièrement à ses correspondants dans ses différentes lettres. Son enthousiasme n’est nullement feint, il est le reflet d’un dernier amour pour une ville, comme Paris fut pour lui au milieu des années 1880 un nouvel espoir. Venise marque donc une apothéose dans sa vie.
Mais peu de gens aujourd'hui lisent le sulfureux Jean Lorrain, né en 1855 et mort dans les bras de sa mère en 1906. Ethéromane, homosexuel, snob décadent, le Paul Duval (son vrai nom) de Fécamps devint un des rois de la vie parisienne fin de siècle. Rémy de Gourmont disait de lui : "...L'auteur de tant de chroniques a été très prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'épuiser, et l'arbuste a gardé assez de sève pour fleurir avec persévérance : ce sont alors des poèmes, des contes, de petites pages où l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple, - du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. Né dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cessé d'aimer son pays natal et d'y faire de fréquents voyages. S'il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde "de l'obole, de la natte et de la cuvette", dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, ..., s'il a chanté (à mi-voix) ce qu'il appelle modestement "des amours bizarres", ce fut au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l'art pur; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation. Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un écrivain purement sensuel et qui ne s'intéresserait qu'à des cas de psychologie spéciale. C'est un esprit très varié, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le mystérieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il évoque le passé ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale ; elle est même si singulière qu'on est surpris jusqu'à l'irritation par l'imprévu, quelquefois un peu brusque, qui nous est imposé. Il est, même quand il n'est que cela, le rare chroniqueur dont on peut toujours lire la prose, même trop rapide, avec la certitude d'y trouver du nouveau. Il aime le nouveau, en art, comme dans la vie, et jamais il ne recula devant l'aveu de ses goûts littéraires, les plus hardis, les plus scandaleux pour l'ignorance ou pour la jalousie. A tous ces mérites qui font de M. Lorrain un des écrivains les plus particuliers d'aujourd'hui, il faut joindre celui de poète".
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Repris seulement en 1921 dans un volume de voyages publié à un tirage limité, ce texte fut originellement publié dans la Revue illustrée en deux livraisons en 1905. L’ouvrage, dans une typographie et un papier soignés, comporte trois gravureS.