18 février 2006

Comme un souvenir qui me revient en mémoire

En retrouvant, parmi les vieux papiers de ma malle aux souvenirs, une invitation vieille de 24 ans, j'ai eu un brusque flash-back, inattendu, et les détails d'une journée très particulière me sont revenus avec une incroyable précision...
 
Le Centro Tedesco (Centre culturel allemand) de Venise donnait une réception au palazzo Barbarigo della Terrazza, à l'occasion d'une conférence sur l'architecture et la restauration de Venise. Je m'y étais rendu avec Luisa, cette jeune espagnole magnifique dont j'étais doucement en train de tomber amoureux. Cette joie enfantine qui me prit lorsque je me préparais pour la soirée. Luisa qui logeait chez Biasin et que j'avais connu un jour où j'étais de garde à l'hôtel. elle arrivait de Malaga, avec son sac à dos. Plus que tout, ce dont je me souviens, c'est sa voix, sa douce voix avec ce petit accent espagnol, tellement délicieux dans la bouche des femmes de ce pays. Ce soir là, en nouant ma cravate, j'avais envie de pleurer tant cette atmosphère heureuse, cette plénitude que grâce à Luisa je ressentais depuis quelques jours, remontait de loin... Il y avait eu la maladie de mon père puis sa mort, le départ de la vieille grande maison où mon adolescence s'était sentie tellement en sécurité. Il m'avait fallu affronter le monde, les difficultés, les problèmes d'argent. Puis vint la maladie de ma mère... J'avais envie de prendre tous nos ennuis à bras le corps et je voulais tout résoudre. J'avais aussi envie de fuir, de suivre ma voie, cet appel qui m'a poussé durant cinq longues années à tout quitter pour écrire. A Venise. Luisa m'aidait sans s'en rendre compte à renouer avec mon passé, mon milieu, mes goûts. Avant elle, Anna et Annette, mes deux amies allemandes rencontrées au cours d'italien de la Dante Alighieri à l'Arsenal, avaient secoué ma paresse. Elles me conduisaient à l'église vaudoise, le dimanche entendre le sermon. Elles me poussaient dans les musées et me firent pénétrer dans cette délicieuse Casa Gradella où Annette, la petite nièce de Reynaldo Hähn, habitait.
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J'attendais Luisa. Je me sentais fort, j'étais beau, tout propre, bien habillé. Je m'étais défait avec peine de cette odeur terrible, si caractéristique de la misère qui me collait à la peau lorsque j'allais faire le ménage des chambres réquisitionnées dans les pensions et les petits hotels par la Commune, pour loger les "sfrattati", ces vieillards sans famille mis dehors par les propriétaires préférant des appartements vides à des loyers trop bas et bloqués. Elle sonna. J'allais la chercher. Dans la rue étroite, cette silhouette si distinguée faisait un contraste tel au milieu de la grisaille du quartier, que les gens se retournaient. Aucune affectation dans sa tenue. Elle était mince. Elle portait une jupe écossaise en taffetas et une veste jaune. En repensant à elle ce soir, j'entends la chanson de Chet baker "the wind", la trompette évoque le sourire de ma belle espagnole. Le xylophone, le piano, puis le saxo et les cordes posent le décor de ce moment où mon destin aurait pu basculer. Il faisait presque nuit je crois. La calle de l'Aseo était comme un trait de lumière entre les deux falaises des immeubles du ghetto. Luisa était debout devant moi, me souriant. Immobile. J'ai eu envie de la prendre dans mes bras et de ne plus jamais la quitter. Prendre sa main, l'embrasser. Je pensais pleurer. elle ne comprit pas mon visage crispé, mon hésitation. Elle aussi ne savait plus très bien. Elle repartait le lendemain pour Rome. Je n'ai pas su... Il y avait si longtemps.
Palazzo Barbarigo. Après la conférence, le cocktail, sur la terrase, la plus belle de tout Venise, donnant sur le grand canal. La nuit était pleine d'étoiles comme il se doit. Un ciel d'encre couvert de petits points lumineux au-dessus de nous...Un bassin au milieu. Partout de jolies femmes élégantes, charmantes, couvertes de bijoux scintillant comme les étoiles du ciel... De beaux jeunes hommes bien vêtus aux antiques manières. Je titubais un peu. Était-ce le champagne, mon attirance pour Luisa où toute cette ambiance qui me manquait tellement au-dessous de nous, le Grand canal avec ses bateaux qui glissaient doucement ? Et la lune et les étoiles. Notre petit groupe resta un long moment assis près de la balustrade. Il y avait-là Giusi Gradella, qui a tant de classe et un charme fou, son mari magistrat, Anna ravie (elle avait participé à l'organisation de la fête) et Annette Hähn, joyeuse. 


Après je ne me souviens que d'une chose... La chanson de Nat King Cole entendue ou rêvée ? "unforgettable" et Luisa marchant vers moi, dans le chuintement du taffetas de sa jupe... Unforgettable... Sa veste jaune, courte, (comme celle de Julie Andrews dans la "Mélodie du bonheur") mettait en valeur ses hanches rondes et fines. Je crois qu'elle portait aussi des collants et des chaussures jaunes. Elle arriva en me tendant la main. Nous nous sommes promenés dans les salons ainsi, nous tenant par la main.  
Elle partait le lendemain pour Rome. Elle attendait un mot, un geste. En vain. Nous étions sortis ensemble ces derniers jours bien sur, mais rien qui put présager cette tension, ce désir devenu tellement fort... En regardant le carton, je me souviens encore de notre conversation. Presque une dispute. Elle s'entêtait à résumer Veronèse en une sorte d'hédoniste voluptueux et lui préférait Giorgione qu'elle décrivait comme un contemplatif effrayé par la beauté. J'ai su bien plus tard qu'elle avait raison. Son regard sur l'art était incisif, naturel, spontané. Qu'il s'agisse du Greco, de De Chirico, Velasquez ou Bellini, elle allait droit à l'essentiel. 
Ce fut pareil à son retour. Elle vint me rejoindre dans ma petite chambre et me laissa exprimer mon désir jusqu’où la décence et la morale de notre éducation le permirent. Elle m'aimait. Je crois que moi aussi je l'aimais. J'avais tellement peur de ce sentiment depuis une rupture que je portais en moi comme une plaie inguérissable.
Il y avait eu depuis ce cataclysme plusieurs aventures. Marie de L., blessure récente encore béante et qui me faisait trembler. Y penser des années après me fait toujours tressaillir. Je brûlais d'amour pour cette belle fille qui n'avait pas vingt ans. Mais le destin m'avait fait déjà croiser les pas de celle qui allait devenir ma femme six ans plus tard... Au moment de me déclarer, un dimanche après-midi, dans le salon de cette vieille maison de campagne où un ami nous avait convié. L'atmosphère était électrique. Marie attendait. Il fallait que je me décide.  La journée passait. La maison était remplie de bruits. Puis soudain le silence, tout le monde avait disparu. Nous étions seuls, elle et moi... J'avais déjà rencontré celle qui deviendra ma femme. J'hésitais. Je ne dis rien que des banalités sur le jardin, les amis qui nous recevaient... Marie épousa l'année d'après un garçon bien tranquille, notre aîné de dix ans... Voilà ce que j'avais en mémoire quand j'accompagnais Luisa à la gare. Nous avons échangé quelques lettres que j'ai retrouvé au fond de ma malle... 

Et puis un matin, elle est revenue. C'était l'été, j'étais parti me promener avec Agnès, la fille du consul. Ma logeuse croyant bien faire expliqua à Luisa que j'étais sorti avec ma fiancée... Je n'ai plus jamais revu Luisa. Je ne sais même pas ce qu'elle est devenue. Est-elle retournée à Venise avec un mari, des enfants... Aime-t-elle toujours autant s'asseoir comme elle le faisait, rejetant sa tête en arrière pour contempler le ciel et les étoiles, laissant ses beaux cheveux flotter dans l'air dans un geste si pur, si parfait ? Là c'est "change partners" de Bing Crosby qui me vient à l'esprit... Comme si le couple que nous formions dansait et tournoyait sur la terrasse du palais Barbarigo, sous un ciel étoilé, par une nuit de pleine lune, il y a plus de vingt ans... Peut-être après tout n'était-ce qu'un rêve ?

posted by lorenzo at 12:50

05 février 2006

Venise, ô ma jolie




par Léon-Paul Fargue

[...] Le marbre rose flotte sur le silence. Chute lente comme une neige dans un cristal, silence épanoui de la fleur, silence vertical du vase, chaque chose a son silence. Un pigeon qui passe partage l'instant, une gondole qui glisse au plafond. Murmure d'une immensité, le temps fuit de tous les côtés. Le jour jette sa dernière rose aux échos. Mille coupes de Thulé se noient au fil des eaux. Nuages des préhistoires, l'eau teinte des monstres de la fable, sur le frai rouge du couchant les gondoles frottent leur ventre noir. Et qui presse ces éponges de clarté goutte à goutte en stalactites nacrées ? Sur les marches du palais les pas de sang d'un crépuscule égorgé de colombes que flagellent des violons... Debout, à son balcon, la Princesse tire les rênes du couchant et retient l'agonie du soir [...]
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Extrait d'un très beau texte dédié à la Princesse de Polignac, la magnifique Winnaretta Singer qui possèdait un charmant palais à san Gregorio et acheta ensuite le fameux palais Contarini, aujourd'hui propriété du Duc Decazes, descendant des Polignac. La Princesse, musicienne (pianiste et organiste de talent) contribua toute sa vie à la vie artistique parisienne et aida de nombreux artistes. Avec son mari, elle fit énormément pour la création contemporaine. Le poète Léon-Paul Fargue fut un des artistes qui bénéficia du soutien et de l'amitié de la Princesse. Je vous reparlerai de ce palais et de ses propriétaires. C'est là, au dernier étage, que vit depuis quelques années mon ami Roger de Montebello qui a choisi de s'installer à Venise pour peindre.
 

posted by lorenzo at 21:09

04 février 2006

Ça glisse à San Polo.

 
Dans quelques jours à l'emplacement de la patinoire se déroulera le Carnaval des Enfants. bals, concours de masques, goûters, maquillages et jeux pour les petits. A vos photos, vous qui aurez la chance d'être sur place dans quelques jours. Pour ma part, je n'y serai que quelques jours en mars. Puis viendront les vacances de Pâques et nous retrouverons la maison et le jardin de Dorsoduro pour quelques jours de complet bonheur. En attendant, bon carnaval à tous mes lecteurs qui se préparent à vivre ces moments fous et uniques. Attention, il fera froid et il y aura foule. Préparez-vous à des embouteillages monstres aux abords de San Marco et du Rialto. Les policiers règlent la circulation des piétons comme avec les automobiles chez nous ! Mais tout se passe en général dans la bonne humeur !

posted by lorenzo at 20:59

03 février 2006

Il était une fois de belles jeunes filles...

Quand nous étions enfants, ma grand-mère, vénitienne, nous racontait une histoire que nous adorions et qui, avec les détails ajoutés par la narratrice, nous faisait longuement rêver. Tout un monde disparu depuis mille ans réapparaissait devant nos yeux. Venise aimait aussi beaucoup cette histoire puisqu'elle resta pendant près de quatre cents ans très populaire. Fête joyeuse qui occupait toute la population, de l'ouvrier de l'Arsenal au Doge lui-même. On la commémorait le 2 février, le jour de la chandeleur pour nous. Depuis deux ans, Bruno Tosi, historien, grand ordonnateur de fêtes et de manifestations à Venise, a remis au goût du jour cette antique procession, pendant le Carnaval. Mais de quoi s'agissait-il ?

Une légende dit que, en 943, sous le règne du doge Pietro Candiano, l'antique usage vénitien de célébrer tous les mariages à la fois le même jour de l'année était encore en vigueur. Les futures épouses défilaient en un somptueux cortège naval depuis l'Arsenal, le long du canal "des vierges" pour rejoindre leurs maris qui les attendaient, avec tous les invités, à l'église San Nicolo du Lido.

Un jour, des pirates venant des ports de Dalmatie, repérèrent que ces belles glissaient sur la lagune ce jour là vêtues de somptueuses robes de brocart et de soie, portant sur elle des bijoux de grande valeur et amenant à la noce des coffres peints et sculptés dans lesquels étaient rangés les dots et les trousseaux. Bref un véritable trésor flottant qui appâtait ces demi-sauvages avides d'or et de d'argent, mais aussi de chair fraiche... Un jour donc, ils passèrent à l'action et s'emparèrent des vierges et de leurs bagages. Ils s'enfuirent le plus rapidement possible craignant tout de même les représailles de la marine vénitienne pourtant accaparée par la cérémonie au Lido. Quand les jeunes hommes apprirent le rapt de leurs belles, une foule enragée prit la mer et poursuivit les dalmates dans les chenaux de la lagune. Les pirates, chargés de tout cet or et du troupeau des belles promises, avançaient lentement. Ils furent bientôt rattrapés et massacrés jusqu'au dernier. Les jeunes filles évanouies pour la plupart furent réveillées, rafraîchies, rassurées, consolées et les noces purent avoir lieu, triomphalement.

Depuis cet évènement terrible à la fin très heureuse, Venise prit l'habitude d'organiser un défilé des plus jolies jeunes filles de la ville en souvenir. L'histoire des vierges servit à justifier aussi la grande cérémonie des noces de Venise avec la Mer, puisque Venise avait vaincu tous les autres peuples sur la mer grâce à la mer elle-même...

Ce défilé dura des années puis peu à peu la signification en fut oubliée. Les jeunes filles ne voulurent plus défiler car les jeunes gens prirent l'habitude de leur jeter à la place des pétales de roses et des sucreries des origines, des pierres et des détritus, par dérision. La manifestation devint une mascarade. Un doge décida de les remplacer par des marionnettes géantes, vêtues de superbes robes et au visage gracile semblable à celui des jolies vénitiennes d'alors. Cette procession continua encore quelques années puis tomba totalement en désuétude. Sans savoir pourquoi, la mascarade avait encore davantage dégénéré puisque le cortège était accueilli par des jets de pierre et de détritus comme une nouvelle tradition dont personne ne savait plus l'explication.

C'est cette manifestation que Bruno Tosi a remis au goût du jour depuis quelques années. C'est peut-être pour cela que Miss Univers (à moins que ce ne soit Miss Italie ou Miss Europe, je ne sais plus très bien...) viendra présider certaines des manifestations de ce carnaval 2006.

posted by lorenzo at 09:28

02 février 2006

Il drago e il leone", quand la Chine s'invite au Carnaval 2006

Carnaval approche ! Que sera le cru 2006 ? A en croire les polémiques soulevées ces derniers jours par les journaux vénitiens, il devrait être placé sous le signe des restrictions budgétaires. 

En effet, le célèbre scénographe Pier Luigi Pizzi, (qui inaugura l'Opéra Bastille avec une magnifique mise en scène des "Troyens" de Berlioz), avait été pressenti pour mettre en place une scénographie somptueuse à Venise comme à Mestre. Jugé "irréalisable", comme l'a expliqué aux journalistes le maire Cacciari, "tant du point de vue économique que par ses choix techniques", son splendide programme a été abandonné, assez cavalièrement si on en croit les journaux. Mais le Carnaval sera, malgré tout, beau et joyeux ; c'est du moins ce qu'affirment les autorités qui viennent de présenter le détail des manifestations de cette année. "Sono venuti a mancare alcuni sponsor e abbiamo dovuto tagliare" (des sponsors nous ont lâché et nous avons dû faire des coupes sombres dans le programme) expliquait le commissaire de la manifestation, Dario Ventimiglia

Mais l'organisation du Carnaval, qui attire chaque année, depuis sa renaissance il y a vingt ans, des centaines de milliers de visiteurs du monde entier, demeure une très grosse machine. A titre d'exemple, 350 autorisations vont être distribuées pour permettre aux artistes des rues de se produire librement et 550 stands de maquillage seront installés partout dans la ville, et ce du 18 au 28 février. Une discothèque géante ouvrira ses portes le temps des festivités, à la gare maritime de S.Basilio (Terminal Passeggeri), pour permettre au Carnaval des Jeunes de se poursuivre tard le soir sans que les décibels ne dérangent la population du centre historique. Pour le Carnaval des enfants, le Campo San Polo sera équipé de deux grandes structures de toile de 54 m² qui permettront aux petits de s'amuser et de danser à l'abri des intempéries, toujours possibles à cette période de l'année. Parmi les manifestations organisées, mon ami Bruno Tosi présentera la reconstitution de la célèbre "Festa delle Marie" (la fête des Maries) dont je vous reparlerai en détail demain, puisque c'est le 2 février que cette fête avait lieu sur la Place Saint Marc. Il y aura des bals populaires, des défiles, des spectacles de rue... Le programme est en ligne sur les différents sites officiels de la ville.

Mais le plus intéressant et le plus élaboré culturellement, demeure le programme de la Section Théâtre de la Biennale de Venise. C'est elle qui a choisi le thème 2006 : "Il drago e il leone" (le dragon et le lion). De quoi inspirer de bien jolis costumes et faire rêver ! Le Carnaval du Théâtre aura donc lieu du 23 au 28 février, sur une thématique volontairement didactique "d'initiation (de vulgarisation ?) et de recherche" comme l'explique Maurizio Scaparro, directeur de la Biennale qui en est l'instigateur. Complètement dédiée à la Chine, cette manifestation permettra d'assister dans chacune des scènes de la ville, à des spectacles inédits. La Fenice, le Malibran, le Goldoni comme l'Ateneo Veneto et des scènes provisoires installées un peu partout dans la ville, avec notamment une utilisation très scénographique de l'espace fascinant de l'Arsenal récemment libéré par l'armée. 

A l'Arsenal donc, les enfants seront invités à un parcours dans la "Chine non interdite" (cina non proibita) en compagnie d'un groupe d'enfants d'une école élémentaire de la Communauté chinoise de Florence ! Au Teatro Piccolo Arsenale, on pourra voir "Du Cataï à Paris, Angelica à la cour du roi Charles" de Mimmo Cuticchio, création sur le thème du dragon et du lion. Le Teatreuropa présentera en français et en première mondiale "Marco Polo" avec Guillaume Depardieu, dans une mise en scène de Orlando Forioso et une musique de Bruno Coulais ( "Les Choristes", vous vous souvenez). En même temps, au Théâtre Malibran, on pourra assister à "Shangai Tango", la dernière création de la ballerine-chorégraphe chinoise, (ancien colonel de l'armée populaire), Jin Xing. Au Goldoni mais aussi à l'Arsenal (dans l'Atrio Fonderie), sera ouvert un laboratoire  sur le maquillage traditionnel chinois, ouvert au public du matin au soir, où touristes et vénitiens pourront tenter l'expérience extraordinaire de pénétrer dans les lieux en européen et d'en sortir en chinois... La Corderie de l'Arsenal abritera des extraits de "Peony Pavillion", échantillon luxuriant d'une culture millénaire. La célèbre pièce en un acte de Eduardo Sik , "Sik l'artifice magique", interprété par Silvio Orlando sera donnée au Goldoni. On pourra aussi se régaler avec les "Chinoiseries" du célèbre cirque italien Arcipelago Circo Teatro, synthèse de spectacle populaire et d'acrobaties, selon la tradition millénaire chinoise.

Giuseppe Emiliani présentera lui le jeu scénique "La donna serpente" de Carlo Gozzi, sur les Fondamente Nuove. On peut citer encore "Dialoguer-Interloquer", par le metteur en scène Gao Xingjian, inspiré de textes de l'écrivain contemporain Bai Xianyong, la suite de Enzo Moscato, "Ragazzi di cristallo", en création pour la Biennale. Un Million de lectures proposera un très original "karaoke" à l'initiative de la célèbre Compagnie de la Calza - I Antichi. Cette antique organisation, présente au carnaval depuis plus de 500 ans, invitera les vénitiens et les touristes à la première lecture publique moderne du livre de Marco Polo, "le Million" dans sa totalité. Du jamais vu à ce jour ! 

Enfin, à la Fenice, les 27 et 28 février, un grand gala conclura cette biennale carnavalesque : "De Venise à la Cité Interdite". Les voyages de Marco Polo, mais aussi ceux des grands narrateurs italiens, d'Italo Calvino à Goffredo Parise ou Tiziano Terzani, sont les vrais protagonistes de ce carnaval du théâtre. J'oubliais, il y a aussi une exposition autour du film "Le dernier Empereur" de Bertolucci organisée par Giulia Mafai, à l'Arsenal. Enfin, Canon sponsorise un concours international de photographies du Carnaval. 

Voilà pour les manifestations culturelles. Ensuite, il y a les fêtes plus ou moins privées (selon qu'il faille un carton distribué parcimonieusement à des invités triés sur le volet ou qu'elles soient payantes et donc ouvertes à tous), mais je vous en reparlerai quand j'aurai davantage d'informations... 

Des liens pour en savoir plus : 

http://www.labiennale.org/it/teatro/ 
http://pro.canon.it/fotografavenezia05/c_index.asp 
http://www.carnivalofvenice.com/area.asp?id=4&lang=it 
http://www.iantichi.org/


L'image du jour : Casanova en 1760



Portrait présumé de Giacomo Casanova à 35 ans
attribué à Anton Raphael Mengs, 1760
Collection Bignami, Gênes

01 février 2006

Les gens...

"En allant vers San Marco, pendant le temps du Carnaval..."
par Walter Ahlfeld

30 janvier 2006

Vénitiennement...


"Pourquoi le son des cloches dans le ciel, le bruit d'un pas sur les dalles me font-ils battre le cœur d'une certaine façon ? De quelle prédisposition me vient cet accord avec tout ce qui m'entoure ? De quelque lointaine influence atavique peu-être ?... Mais que savons-nous d'avant nous-mêmes ?"  
Henry de Régnier (in l'Altana ou la Vie vénitienne)

Hugo Pratt enfant sur la Piazza...
Lorsque un matin de 1981 - ou bien était-ce en 82 ? - je pénétrais dans les locaux de la Bevilacqua la Masa, cette fondation culturelle qui a son siège sur la piazza San Marco, pour y rencontrer Hugo Pratt qui avait accepté de répondre à mes questions pourle supplément dominical du journal Sud-Ouest, ce sont ces mots du poète de la Ca'Dario qui sonnaient dans ma tête. Au son des cloches, au bruit des pas sur la place voisine, par la fenêtre entr'ouverte, se mêle aujourd'hui dans mon souvenir la voix chaude du père de Corto Maltese. Son accent vénitien, ses intonations un peu rauques. J'avais enregistré notre entretien. Qu'a donc pu devenir la cassette ? Il ne me reste de cette rencontre que l'article que Pierre Veilletet, alors rédacteur en chef a publié sans en changer un mot. Mon premier article. Et aussi le dessin d'une mouette sous sa dédicace dans le catalogue de l'exposition.


...et quelques années plus tard au même endroit.
Curieusement, ce sont aussi des odeurs que j'associe, plus de vingt ans après, à notre rencontre. Ce parfum si caractéristique qui émane des pierres lorsque la chaleur se fait plus intense dès le printemps. Des senteurs de mousse et d'iode, quelque chose d'indéfinissable. Et puis le parfum des fritelle et polpette que nous avons mangé, derrière Saint Marc, lui et moi, buvant un délicieux vin blanc.

On entend trop souvent parler de mauvaises odeurs lorsqu'on évoque Venise. L'âcre poison de la lagune, cette pourriture qui monte des canaux mal entretenus ou qui sont peut-être les remugles des vies et des siècles passés. Pour ma part, j'ai dans le nez tellement de parfums délicieux. Ceux des matins d'été où le vent amène des odeurs de sable et de sel... L'odeur du pain qui cuit et des pâtisseries traditionnelles dans les ruelles du ghetto à l'aube... Tomates, aubergines, poivrons et oignons qui frémissent dans les pentole sur le fourneau des cuisines le dimanche, quand tout est silencieux encore au dehors... L'odeur du café fraîchement coulé de la machine et qui fume sur le comptoir... La senteur, comme exotique, du bois délavé des pontons à l'automne quand le brouillard s'installe sur la ville... tant d'autres odeurs encore, celle des portes de bronze de la basilique, celle des grandes salles des palais ou des musées, ce mélange de cire et d'huile de lin qui change selon les saisons... Et le parfum des fleurs un peu fanées, dans les vases sur les autels, dans les églises... 

Hugo Pratt en me parlant de sa ville et de son héros, m'avait beaucoup parlé des odeurs. Presque autant que des couleurs. Au détour d'une ruelle, à l'une de mes réflexions, en allant manger nos polpette et boire notre vino soave, il m'avait dit : "senti bene les cose daverro. Viene del tuo sangue veneziano" (tu sens bien les choses vraiment. Cela vient de ton sang vénitien.). Joli compliment.

Simple souvenir d'une rencontre avec un grand monsieur. Le hasard fit que l'été suivant des amies me prêtèrent leur maison de Malamocco. Juste à côté de celle où vivait l'écrivain-bourlingueur. Mais il n'y vint pas pendant tout le temps où je restais dans ce joli petit bourg. Dommage. Peut-être se serait-il souvenu du petit journaliste bordelais qui faisait - bien maladroitement - ses premiers pas en l'interviewant...


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Commentaires  (blog original) :
 
Anonymous said...
dommage que tu n'aies jamais pu le faire venir à Bordeaux ! Je me souviens de ton article pour Sud Ouest !
Manuel


24 février, 2006

27 janvier 2006

Joyeux Anniversaire, Wolfi !




Il a 250 ans aujourd'hui et sa musique est toujours aussi jeune. 
 
Etait-il ce personnage fou, hirsute et iconoclaste, que nous dépeignait Forman dans son film"Amadeus", ou encore tel qu'il apparait d'après ses lettres, celles, délurées et presque obscènes à sa cousine, ou les nombreux compte-rendus, filialement corrects, envoyés à son père ? Je pensais ce matin à ce que purent dirent Leopold Mozart et sa femme devant le berceau de ce petit enfant fragile et tout rose... Auraient-ils pu imaginer qu'il deviendrait l'un des plus grands musiciens que la terre ait porté? Bien entendu, on ne saura jamais qui il fut vraiment. Tous les opus collationnés par Köchel sont-ils de lui ? Qu'aurait-il produit s'il avait vécu plus longtemps ? Aurait-il fini comme Da Ponte pionnier à New York, épicier ou patron d'une pizzeria. 

Ces propos peu respectueux n'entachent en rien l'admiration et le goût que j'ai pour sa musique. Presque trop moderne pour mon oreille habituée aux résonances baroques ou plus anciennes encore. Certaines de ses créations ont rythmé tellement de moments de ma vie, ici en France comme à Venise, certainement comme des millions d'individus de par le monde et depuis plus de deux cents ans : l'Andante du concerto n°21 pour clavier, l'air de la Reine de la nuit de la Flûte enchantée, l'aria si pur des Vêpres... Mais qui cela intéresse-t-il ? Nous avons tous nos madeleines et il est bien difficile d'en faire sentir la saveur dans un simple billet...

Mozart a séjourné à Venise avec son père pendant pratiquement deux mois, au début de l'année 1771. Il avait quinze ans. Une stèle apposée sur la façade du palazzo Basadonna sur le ponte di Barcaroli (Joli titre pour ce bel endroit qui logea un déjà grand musicien, les barcaroli étant le nom de la corporation des gondoliers qui a donné le joli mot de barcarole pour désigner ces chansons légères comme celles que chantaient autrefois les gondoliers...). C'est Mozart lui-même qui donne l'adresse dans une de ses lettres "...Venezia/Allogiato Rio San Fantin al Ponte di Barcaroli/in casa Cavalleti" (Venise, hébergé sur le canal San Fantin, pont Barcaroli/dans la maison Cavalletti). 


Le problème est que, en dépit de toutes les recherches, il n'y avait pas de pensione ou d'alloggi ni de famille Cavaletti à Venise. En revanche, une ca'Faletti existe bien. Située sur le même rio di San Fantin et portant le numéro 1823, on y accède par la calle qui prolonge le ponte di Barcaroli et que tout le monde connait, la Frezzeria, quelques mètres à peine après le pont sur la gauche. La stèle est placée sur la façade du palazzo Basadonna, son entrée est à proprement parler sur le pont. un petit renfoncement de la plateforme du pont permet d'entrer dans l'immeuble (n° 1850). D'où la confusion des années durant. 

Une recherche plus approfondie dans les registres de police des Archives d’État a permis d'établir avec précision chez qui exactement séjournèrent les Mozart père et fils. Ce n'est pas loin de l'immeuble où est posée la stèle. La Ca'Faletti occupait le palazzo Molin del Cuoridoro dont une partie, sauf erreur, fut longtemps l'hôtel Victoria où séjourna Goethe en 1786. Ce Faletti, était un assez triste personnage, aristocrate dévoyé et cynique qui aurait pu servir de modèle à Mozart quand il composa Don Juan. Périodiquement désargenté, il avait confié une partie de sa demeure à une famille de logeurs. Nous reviendrons sur le sujet.

autoportrait par Lucian Freud, 2003




26 janvier 2006

Connaissez vous Lucian Freud ?


 Connaissez-vous Lucian Freud ? Petit fils du célèbre psychanalyste, né en 1922, naturalisé anglais en 1933 et dernier rand peintre anglais vivant. Le Musée Correr l'a exposé dans une grande rétrospective qui a attiré des visiteurs du monde entier. Il aurait pu être présenté au pavillon anglais à la place de Bacon, puisque lui au moins, toujours vivant et créateur, répond bien à la définition d'artiste contemporain. Figure emblématique de l'art figuratif contemporain, il a été célébré dans les belles salles du Musée de la Piazza San Marco, pendant une bonne partie de l'année 2005. A la Biennale justement il avait été reçu... en 1954 en même temps que ses compatriotes, Francis Bacon et Ben Nicholson. Cette belle exposition présentait à la fois une synthèse de son travail de manière chronologique et d'un échantillonnage de ses thèmes préférés, car il n'y a pas que le portrait dans son œuvre, bien que ce soit par les portraits qu'il est le mieux connu.

Mais ce qui était encore plus intéressant dans cette "rétrospective", c'est la preuve physique de la culture allemande dans l’œuvre de cet anglais d'éducation et de vie, ce qui l'éloigne bien entendu de Bacon. Freud exprime sa germanité jusque dans ses exagérations, ses désordres et ses errements. Dans son regard tout simplement. La manière si particulière qu'il a de traiter la lumière, le rattache ainsi aux canons de la Neu Schlickelt (la nouvelle objectivité) version tudesque du "réalisme magique". Enfin à la vue de ces corps allongés, aux formes parfois distendues jusqu'à la douleur, on ne peut que sentir la filiation à Egon Schiele.

Les 90 œuvres exposées (dont 15 eaux-fortes) montraient ainsi les fameux portraits, mais aussi des motifs floraux, des scènes de la banlieue de Londres, avec des vues d'intérieur comme "large interior at Paddington" de 1968... Mais, comme le fait remarquer Lidia Panzeri, critique d'art de la revue Giornale d'Arte, ce qui domine son oeuvre demeure la figure humaine. A commencer par "the girl with roses", portrait de l'ex-femme du peintre, Kitty Epstein, qui avait été exposé ,à la Biennale en 1954. Il faut citer ensuite les différentes versions dans les années 70 des portraits très marqués de tristesse de sa mère restée veuve."Freud se colle au personnage, le figeant quasiment par sa fureur introspective jusqu'à en dénicher la nature la plus intime, sans aucune inhibition. Il ne s'arrête pas plus à la désagrégation d'un corps féminin vieilli et défait qu'à la présentation en gros plan des parties génitales masculines comme dans le "David and Eli" de 2003."

Ce manque total de pitié, il le montre aussi dans ses autoportraits comme celui où il s'est représenté entièrement nu à l'exception des chaussures, brandissant sa palette et son pinceau "Painter Working Reflection" de 1993, déjà exposé au palais Grassi en 95 dans le cadre le l'exposition "Identità ed Alterità" organisée par Jean Clair. Un thème sur lequel il revient dans ses œuvres les plus récentes comme "the painter is Surprised by a naked admirer". L'artiste, cette fois-ci habillé, une admiratrice nue, accrochée littéralement à sa jambe. C'est la jeune et très jolie Alexandra Williams-Wynn, fille de Sir Watkin, le riche mécène gallois,  très liée au peintre
à l'époque du tableau.

23 janvier 2006

Images du quotidien

Amicalement dédié à ce très aimable lecteur bordelais 
 virulent et inconnu  qui déverse ses aigres rancœurs
  qui signe «Ich Bin Nieman», ô combien spirituel...
 

Puisque certains lecteurs n'apprécient pas mes souvenirs vénitiens et mes commentaires, sur des lieux ou des moment jugés trop mondains, faisant l'amalgame facile entre la "jet set" des tabloïds (certains en seraient flattés, pas moi) et notre vie vénitienne, simple, normale, ordinaire - sans qualité particulière, voici quelques photos glanées sur le net qui traduisent bien Venise au quotidien. Loin des clichés et des idées convenues...
 
Pourquoi après tout devrait-on cacher son amour pour cette ville ? Parce qu'il s'agit de Venise et que des milliers l'ont fait - certes bien mieux que nous - avant nous ? Pourquoi dénigrer cet univers si particulier où nous nous sentons bien, sous prétexte qu'il est envahi par des millions de visiteurs chaque année, lieu-commun de notre époque revenue de tout ? 
 
Les fatigués stressés de la vie, les overbookés, les speedés bourrés de nicotine, de Xanax et de télé-poubelle, passez donc votre chemin. Et que personne ne se formalise.
 
Sur TraMezZiniMag, on prend le temps de vivre, au rythme vénitien. E' cosi. Un'ombra, d'appétissants tramezzini deux chiaccherate... Le vol d'un pigeon, le bruit d'une barque qui glisse sur l'eau d'un canal, les cloches qui répondent à la Marangona et appellent à fêter le jour nouveau... On savoure ici chaque instant de sérénité, loin des trépidations d'un monde devenu fou, triste et inculte.
 
Heureusement qu'il y a encore de véritables amoureux du temps qui passe, adeptes du bonheur paisible... Car à Venise encore, cela reste possible. Et ça n'a rien à voir avec ces néo-cultures qui fleurissent un peu partout dans notre monde finissant et dont on nous rabat les oreilles. 
 
Quand je suis à Venise, sirotant un délicieux macchiato sur le campo Santa Margherita, en regardant mes enfants jouer avec d'autres, avec cette lumière unique, cette douceur de l'air et cette paix, cette poésie du temps qui passe, j'envoie au diable les enfants damnés du New Age ou du No Future, pour qui rien ne trouve grâce que, jetés en vrac, la dérision, la laideur, le bruit, la nuit, le noir. Toute la désespérance de ces enfants gâtés d'un monde pourrissant.

Drôle tout de même que la ville qualifiée longtemps, et parfois encore de décadente par certains esprits malades qui s'en régalaient, apparait aujourd'hui comme l'idée d'une cité idéale où on trouve un bonheur et une paix qu'aucun autre lieu urbain ne peut jamais donner dans sa totalité. Ceux que la Sérénissime ennuie, qu'ils passent donc leur chemin !





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4 Commentaires:
 
Anonymous said...

Moi j'aime bien votre blog, il est bien écrit, agréable à lire, belles photos. des infos intéressantes je l'ai recommandé à plein d'amies. Continuez.

23 janvier, 2006
 
lorenzo said...

Merci.

24 janvier, 2006
 
Cotton Gérard said...

Encore un soutien à votre site .
Il vient d'Orléans .
Il adore bien sûr " l'île magique " de là-bas et aussi les rencontres , mondanités , cocktails et autres démarches formidablement intéressantes .
Goûteuses .
Comme s'il était devenu extravagant d'aimer ... la vie .
Vivent les bulles du champagne et du prosecco réunis !
Et avec quelle façon vous arrivez à les faire cohabiter !
Certains n'aiment pas les mondanités ! Mais quelle horreur , ces certains : on s'en fiche nous , notre madeleine c'est bien d'une certaine façon l'île magique et sa désinvolture élégante de se défier du Temps .
Retrouvé .
Quel talent que le vôtre !
J'suis un fan !
Que garderais-je donc de cet endroit si particulier quand tout s'effondrera ?
Garder pour moi et par moi .
Des couleurs donc .
De l'antique , de l'indigo , de l'inexcusable , la mer .
Turquoise .
De l'avenir .
J'insiste donc ; quel talent et quelles superbes promenades je fais en votre compagnie .
Pour l'occasion , alors merci à vous !

24 janvier, 2006
 
lorenzo said...

Ne soyons pas pessimiste, Venise ne sombrera pas. Ou alors nous sombrerons tous, notre époque a les moyens de préserver les lieux et les monuments du monde comme jamais avant nous aucune civilisation n'avait pu le faire. Il ne tient qu'à nous...

30 janvier, 2006

COUPS DE CŒUR N°2

Antoine et Marie, deux parisiens rencontrés récemment par le biais de ce blog, m'ont demandé d'autres adresses de restaurants. Je vous livre ici quelques lieux que j'aime bien et où on mange bien. Ils sortent de l'ordinaire vénitien qui fait de beaucoup trop de restaurants et trop souvent hélas des adeptes du "menu turistico", finalement toujours frais mais de moins en moins inventif et s'éloignant de plus en plus de la vraie cuisine vénitienne déjà sacrément ébranlée depuis la première guerre mondiale (cf. l'excellent ouvrage d'Alvise Zorzi "la cuisine des doges" dont j'ai déjà parlé).

ALLA ZUCCA
S.Croce, 1762
ponte del megio, entre San Giacomo dell'Orio et San Stae
tel.: 041-5241570. Fermé le dimanche
Située près du pittoresque campo san Giacomo dell'Orio, à l'angle d'un pont et d'un canal, tout près du Palais Mocenigo et de San Stae, à deux pas de l'arrêt du vaporetto, cette trattoria est née il y a vingt cinq ans. Autrefois repère d'étudiants, on pouvait y dîner de risotto à la citrouille ou aux champignons, de pizzas garnies de légumes frais, et boir un agréable vin de pays. Les temps ont changé, les clients ont vieilli et les propriétaires ont passé la main. Le décor demeure assez rustique, la clientèle faite pour l'essentiel de voisins et de gondoliers. Si on y mange toujours aussi bien, les prix sont un peu plus élevés mais restent très raisonnables. L'ambiance y est restée très chaleureuse. C'est aussi fermé le dimanche comme trop de bons endroits.
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ANTICA TRATTORIA BANDIERETTE
Castello 6671, Barbaria delle Tole
Tel./fax 041 522 06 19. Fermé lundi soir et mardi.
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Quans nous logions chez la rayonnante Caroline Delahaie à la Ca'Bragadin, le maître de maison, Gérard, nous avait recommandé une trattoria voisine, située sur la Barbaria delle Tole, cette rue très animée au nom pittoresque dont l'origine vient des anciennes scieries qui y étaient installées autrefois. Il y avait sur la Fondamenta Nuove, et tout le long des bords de lagune des chantiers navals. L'endroit où est aujourd'hui, parmi de nombreux magasins le restaurant dont nous parlons, était autrefois le lieu d'arrivée des nombreuses régates organisées par la République. Les vainqueurs recevaient - c'est encore comme cela aujourd'hui - des bannières de tissus aux couleurs des quartiers ou des corportions. D'où le nom de la trattoria. Mais dans le quartier, les vénitiens continuent de l'appeler "da Tiraca" (en dialecte vénitien le mot "Tiraca" veut dire "bretelle"), simplement parce que l'ancien propriétaire était célèbre pour ses nombreuses et originales bretelles.
Lieu accueillant, où l'on continue de préparer des plats typiques essentiellement à base de poissons. Des préparations simples mais toujours à base de produits très frais et de qualité. C'est du "comme à la maison" et après y avoir goûté, plus personne n'en doute, je vousl'assure. C'est pour ça que dans la salle on entend surtour parler vénitiene t que le dimanche c'est rempli de familles qui viennent passer un agréable moment "casalinga". C'est à deux pas de Zanipolo (SS. Giovanni e Paolo). Vous y serez bien accueillis et vous ne regretterez pas votre soirée ! 
Au passage, je signale la pâtisserie RosaSalva, aux pieds de la statue du Colleone. Dès les premiers rayons de soleil du printemps, la terrasse est très agréable. Le café y est bon et vous pourrez choisir pour l'accompagner les délicieuses patisseries à base d'amande de la maison (essayez donc la "torta di Mandorla", tarte sablée garnie d'une pâte faite d'amandes hachées, de noisettes et recouvert de sucre glace, un délice vraiment). Les tramezzini sont très bons, ainsi que les croque-monsieurs ("toast" en italien). Le bar voisin est aussi très agréable. Une bonne étape après la visite de la basilique et avant d'entamer une longue promenade sur les quais du Nord, face à San Michele.
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Avez vous déjà goûté les BAICOLI ,
ces fameux biscuits très secs que les marins emportaient avec eux ?Plusieurs pâtissiers en fabriquent encore mais les plus célèbres sont ceux de Colussi. Le pâtissier Marchini en propose aussi et les expédie dans le monde entier. Un ami médecin, le docteur de Vanni, me disait toujours que c'est le seul biscuit manufacturé au monde sans un seul produit chimique artificiel, naturellement sec avec 10 grammes de matière grasse pour 100 grammes de biscuit, autant de protéines et le reste en carbo-hydrates. ce qui donne un délice de 440 calories pour 100 grammes. Voilà ce qui explique le goût des marins pour ce biscuit coupe-faim et léger en même temps. En plus la boite est jolie. les affiches publicitaires de Colussi datant des années 30 se vendent une fortune. Parfois, on trouve de vieux modèles de boîtes chez les brocanteurs de Venise. J'en ai trouvé une illustrée de marquises et de masques datant des années 1940, un jour sur un mercatino d'antiquités à Rome, pour trois sous. La prochaine fois que vous allez à Venise, goûtez-les. On en trouve parait-il à Paris mais je ne sais pas encore où.
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posted by lorenzo at 15:41

19 janvier 2006

Berlusconi, vous en pensez quoi vous ?

Je sors d'une séance de cinéma édifiante. En V.O., je viens de voir "Viva Zapatero" de Sabina Guzzanti. Issue de la nomenklatura (son père est sénateur de centre-droit), cette jeune comédienne est féroce et possède au plus haut degré l'art de la satire et sa dent est dure. Virée parce qu'elle aurait insulté le Président du Conseil en disant trop haut des vérités trop vraies, elle a surpris tout le monde lors de la projection hors sélection officielle de son documentaire à la Mostra de Venise, avec la secrète approbation des organisateurs du festival. Médusée l'Italie a acclamé ce film. Quand je vous dis qu'en dépit de tout, la démocratie est joyeuse et que tous les espoirs sont permis ! En tout cas ne perdons pas de vue ce qui se passe de l'autre côté des Alpes. En général c'est un laboratoire expérimental qui s'étend ensuite comme tâche d'huile en Europe... Faisons mentir la tradition, ne mettons pas sur le trône un émule du Cavaliere ! Juste à titre informatif, voici un texte d'Ignacio Ramonet, du Monde Diplomatique, daté de 2002. Tout y était dit.

Berlusconi Par Ignacio Ramonet


Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008 publia en février 2002 dans les colonnes du mensuel, cet article sur Silvio Berlusconi. Au moment où cet affairiste habile et manipulateur s'est emparé de nouveau du pouvoir et fait main basse sur l'économie, les finances et les médias de son pays, TraMeZziniMag qui défend la constitution italienne, la liberté du peuple italien et une vision de la société largement en phase avec celle du Monde Diplomatique a sollicité la faveur de pouvoir publier cet excellente analyse. Quand les loups - ou bien sont-ce des rats - s'emparent du pouvoir politique, la démocratie est en danger et avec elle les acquis sociaux, le droit et la liberté d'expression, l'égalité et la fraternité menacées.
 
De toutes les formes de « persuasion clandestine »,
la plus implacable est celle qui est exercée
tout simplement par l’
ordre des choses.
- Pierre Bourdieu.
En Italie, l’ordre des choses a persuadé de manière invisible une majorité d’électeurs que le temps des partis traditionnels était terminé. Cette conviction s’est enracinée dans un constat : le système politique connaît, depuis les années 1980, une dégénérescence accélérée. Certains parlent de « gangrène » et de « putréfaction ». La corruption s’est généralisée et a pris des proportions hallucinantes. Le système de pots-de-vin a coûté au pays plus de 75 milliards d’euros... Le financement occulte des partis a favorisé un fabuleux enrichissement personnel des principaux dirigeants politiques, en particulier des socialistes et des démocrates-chrétiens. « Quiconque avait des yeux pour voir, a pu affirmer Indro Montanelli, se rendait compte combien le niveau de vie des hauts responsables contrastait avec leurs déclarations de revenus (1). »

Dès 1992, une avalanche d’affaires sont révélées par l’opération « Mani pulite » (Mains propres) et le juge Antonio Di Pietro. L’ancien président du conseil et chef des socialistes, Bettino Craxi, accusé de s’être enrichi illégalement, démissionne dans le plus grand désordre, conspué par une foule hargneuse qui tente même de le lyncher... A son tour, M. Giulio Andreotti, lui aussi ancien président du conseil et principal dirigeant de la Démocratie chrétienne est inculpé, traîné dans la fange, accusé de « collusion avec la Mafia », de « complicité d’assassinat »...

La chute de ces deux géants fait tanguer l’ensemble du système politique, qui voit en l’espace de quelques mois des centaines de députés, de sénateurs et d’anciens ministres voués aux gémonies, frappés par les scandales, poursuivis par les juges et vilipendés par les médias... Accusée de malversations de toutes sortes, la classe politique au pouvoir se retrouve décapitée, désavouée par l’opinion publique, et sombre dans le discrédit. « Le vide est tel, la panique si forte, écrit Eric Joszef, que certains craignent ouvertement un coup d’Etat (2).  »

Au milieu de ce grand naufrage, ce n’est pas par un coup d’Etat, mais par le recours à une sorte d’hypnose télévisuelle collective, que M. Silvio Berlusconi, allié déjà aux postfascistes d’Alliance nationale et aux xénophobes de la Ligue du Nord, remporte une première fois les élections et devient président du conseil de mai à décembre 1994. Cette expérience du pouvoir sera un échec. Mais il n’a pas découragé M. Berlusconi, accusé lui-même d’affairisme, de combines louches et de tripotages, qui, pour redevenir chef du gouvernement en mai 2001, a pu compter sur ses nombreux atouts.

Quels atouts ? En premier lieu ceux que lui offre son immense fortune, la quatorzième du monde et la première d’Italie (3). Une fortune bâtie à partir de rien, grâce à la protection, au départ, de son ami socialiste Bettino Craxi. A coups de manigances, il réussit d’abord dans l’immobilier, puis dans la grande distribution et les supermarchés, ensuite dans les assurances et la publicité, et enfin dans le cinéma et la télévision. Il devient, avec le groupe Bertelsmann, Rupert Murdoch, Leo Kirsch et Jean-Marie Messier, l’un des empereurs des médias en Europe.

M. Berlusconi va mettre à profit sa richesse fabuleuse et la formidable puissance que lui confèrent, en matière de violence symbolique (4), ses chaînes de télévision pour démontrer, à l’heure de la mondialisation, une équation simple : quand on possède le pouvoir économique et le pouvoir médiatique, le pouvoir politique s’acquiert presque automatiquement (5). Et même triomphalement puisque son parti, Forza Italia, a obtenu le 13 mai 2001 environ 30 % des voix aux élections législatives, devenant ainsi la première formation politique d’Italie...

Démagogue et populiste, M. Berlusconi ne s’embarrasse pas de scrupules. En matière d’alliés, il n’a pas hésité à pactiser avec l’ex-fasciste Gianfranco Fini et le raciste Umberto Bossi. Ces trois hommes constituent le triumvirat le plus grotesque et le plus nauséeux d’Europe. Au point que, dès avant ces élections, un hebdomadaire britannique, rappelant les accusations portées par la justice italienne contre M. Berlusconi, estimait qu’un tel dirigeant n’était « pas digne de gouverner l’Italie », car il constituait « un danger pour la démocratie » et une « menace pour l’Etat de droit (6) ».

Ces sombres prédictions se sont révélées justes. Après le pitoyable effondrement des partis traditionnels, la société italienne, si cultivée, assiste assez impassible (seul le monde du cinéma est entré en résistance) à l’actuelle dégradation d’un système politique de plus en plus confus, extravagant, ridicule et dangereux. Avec la gouaille d’un bonimenteur de foire et grâce à son monopole de la télévision, M. Berlusconi met en place ce que Darío Fo qualifie de « nouveau fascisme (7) ». Toute la question est de savoir dans quelle mesure ce modèle italien si préoccupant risque de s’étendre demain à d’autres pays d’Europe...

© Ignacio Ramonet
Février 2002.
Avec l'aimable autorisation du Monde Diplomatique.

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Notes

(1) Cité par Eric Joszef, Main basse sur l’Italie. La résistible ascension de Silvio Berlusconi, Grasset, Paris, 2001, p. 37.
(2) Ibid, p. 41.
(3) La revue américaine Forbes estime la fortune de M. Berlusconi à 14,5 milliards d’euros.
(4) « La violence symbolique est cette forme de violence qui s’exerce sur un agent social avec sa complicité. » Pierre Bourdieu (avec Loïc J. D. Wacquant), in Réponses, Seuil, Paris, 1992, p. 142.
(5) Démonstration également faite par M. Michael Bloomberg, milliardaire américain, propriétaire de la chaîne planétaire d’informations économiques en continu Bloomberg TV, qui a dépensé plus de 77,5 millions d’euros pour sa campagne électorale et a pu ainsi réaliser son rêve de devenir, depuis le 1er décembre 2001, maire de New York...
(6) The Economist, Londres, 28 avril 2001.
(7) Darío Fo, « Le nouveau fascisme est arrivé », Le Monde, 11 janvier 2002.