01 octobre 2006

Eloge de Venise par Moderata Fonte, Erudite et femme de Lettres du XVIe siècle

"La très noble cité de Venise, nul ne l'ignore, se trouve admirablement sise à l'extrémité de la mer Adriatique. Venise n'est entourée d'autres remparts, gardée par d'autres forteresses ni ceinte par d'autres portes que cette même mer qui lui sert aussi de fondation. En se ramifiant et divisant en divers canaux qui passent au travers de ses maisons, cette mer fait office de route et permet de transiter commodément de lieu en lieu, au moyen de petites embarcations. Pour Venise, la mer est une voie publique, une campagne ouverte à travers laquelle vont et viennent toutes sortes de trafics et marchandises de diverses provenances. Elle fournit et procure fot diligemment tout ce qui est nécessaire au ravitaillement et à l'entretien d'une telle patrie. Outre la profusion infinie de poissons qu'elle lui offre de jour en jour, Venise, sans rien produire d'elle-même, est pourvue en très grande abondance de tout ce qui est nécessaire à la vie humaine, de par le concours incessant des bateaux qui arrivent ici avec toutes sortes de provisions opportunes. Cette ville est toutefois très différente des autres - œuvre inédite et merveilleuse, faite de la main de Dieu. 
Pour cette raison comme pour beaucoup d'autres titres d'excellence rares et surnaturels, elle dépasse en noblesse et dignité toutes les autres villes du monde aussi bien antiques que modernes, de sorte qu'on peut à juste titre l'appeler "Métropole de l'univers". La pompe et la grandeur de cette ville sont inestimables, ses richesses sont infinies. La somptuosité de ses édifices, la splendeur de l'habillement, la liberté du mode de vie et l'affabilité des personnes sont rares et prisées à un degré qu'on ne saurait imaginer ni décrire. Mais Venise, chérie et estimée, n'est pas moins crainte qu'aimée. On ne peut qu'être frappé de voir comme tous veulent y habiter, comme toute personne de quelque provenance qu'elle soit, semble ne plus savoir la quitter, dès qu'elle a goûté à sa douceur de vivre. De là vient qu'on y trouve des personnes originaires de tous les pays et, de même que tous les membres et artères de notre corps correspondent avec le coeur, de même toutes les villes et parties du monde correspondent avec Venise. Ici, l'argent court plus qu'en tout autre lieu et c'est une ville libre, à l'instar de la mer qui, sans subir aucune loi, légifère pour les autres. Chose plus remarquable encore et digne d'émerveillement : la paix incroyable et l'équité qui y règnent, malgré une telle diversité de sangs et de coutumes. Cela procède de la prévoyance, de la vigilance et de la valeur de ceux qui la gouvernent. Les esprits les plus choisis dans tous les arts et les professions rivalisent pour vivre ici. Toutes les vertus y triomphent, on y goûte délices et plaisirs. Les vices sont extirpés et les bonnes mœurs fleurissent. Les hommes se signalent par leur vaillance, jugement et courtoisie; les femmes se distinguent par leur beauté, prudence et chasteté. En somme, Dieu à accordé tous les bienfaits qui se puissent désirer à cette ville bénie, craintive de sa divine majesté, fort religieuse et reconnaissante des dons célestes. Et, après Dieu, elle est très dévouée et très obéissante à son prince, lequel, afin que rien ne manque à une république si heureuse et si bien ordonnée, ne sauriat être égalée en bonté, prudence et justice. 
Dans cette ville donc, véritablement divine, résidence de toutes les grâces et excellences surnaturelles, vivaient récemment et vivent encore plusieurs femmes nobles et valeureuses. Issues des familles les plus illustres et réputées, leur âge et leur état différaient, contrairement à leurs origines et mœurs. Distinguées, vertueuses et d'esprit élevé, elles se voyaient souvent et, ayant contracté une amitié pleine d'affection et de discernement, prenaient souvent le temps et trouvaient l'occasion de se rencontrer pour converser en toute simplicité et sans se soucier d'hommes qui pussent les réprimander ou les en empêcher. Elles conversaient de ce qui leur agréait le plus, traitant tantôt de leurs occupations de femmes, tantôt d'honnêtes distractions. et parfois l'une d'entre elles qui aimait la musique, prenant un luth en main ou bien accompagnant sa très belle voix d'une harpe bien accordée, offrait un passe-temps fort agréable à elle-même et à ses compagnes. Une autre qui goûtait la poésie, en récitant quelques vers inédits et gracieux, offrait une manière nouvelle et plaisante de s'attarder à cette compagnie aussi judicieuse qu'avertie".
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Extrait de "Le Mérite des Femmes, écrit par Moderata Fonte en deux journées,
où l'on montre clairement combien elles sont dignes et plus parfaites que les hommes"
Traduction, annotation et postface de Frédérique Verrier,
Ed. Rue d'Ulm Presse de l’École Normale, 2002
posted by lorenzo at 00:03

30 septembre 2006

Burano par un beau dimanche d'été


 Posted by Picasa  posted by lorenzo at 00:58

Un matin au marché du Rialto

Il n'y a rien de plus agréable que de se rendre au marché du Rialto, le matin quand il fait beau. 

Il faut prendre le traghetto depuis San Leonardo si vous avez la chance d'avoir le grand canal à traverser. L'animation qui y règne est déjà en soi un régal. Le poppe vous débarque sur le ponton devant les rideaux rouges de la Pescheria. A peine débarqué, vous êtes pris par cette ambiance unique faite d'odeurs, de cris et du mouvement incessant qui saute aux yeux. Gens et animaux, tous semblent affairés. Et la richesse des étals, la variété des couleurs, la beauté des amoncellements de fruits et de légumes. L'ambiance est bon enfant. Un plaisir que chaque voyageur de passage à Venise doit s'offrir comme ceux qui vivent à Venise aiment à le vivre !
























29 septembre 2006

Comme un verre de Venise

Comme un verre de Venise
sait en naissant ce gris
et la clarté indécise
dont il sera épris,

ainsi tes tendres mains
avaient rêvé d'avance
d'être la lente balance
de nos moments trop pleins.
.
Poème de
Rainer Maria Rilke
peinture de Sargent

Comme un verre de Venise




Comme un verre de Venise
sait en naissant ce gris
et la clarté indécise
dont il sera épris,

ainsi tes tendres mains
avaient rêvé d'avance
d'être la lente balance
de nos moments trop pleins.

Poème de Rainer Maria Rilke
Peinture de Sargent

posted by lorenzo at 06:40

27 septembre 2006

Gita scolastica *




Sans rentrer dans le débat très en vogue de l'utilité des voyages-marathons scolaires, j'ai trouvé sur le site d'un collège belge d'innocents clichés qui renforcent au premier regard mon idée du troupeau que l'on trimballe de musée en musée et qui se répand et s'affale dès qu'une pause est autorisée. Certainement de très bons moments pour les amourettes et les plaisanteries adolescentes, mais quel profit intellectuel et esthétique au final ? Personnellement je doute de plus en plus de l'utilité de ces périples lorsqu'ils ne sont pas assortis d'un travail précis - et de longue haleine - leur permettant de déboucher sur une véritable progression nourrie des acquis ou d'un échange linguistique avec des classes équivalents du pays que l'on visite.

Mais, suite à l'intervention - justifiée - d'une fidèle lectrice enseignante, j'ai certainement été trop rapide dans la présentation de mon opinion sur les voyages scolaires. Allez, redisons-le : les voyages forment la jeunesse et tout au long de leur périple entre Vérone, Padoue et Venise, nos chères petites blondes peuvent être touchées par la grâce et se prendre de passion pour l'art, la musique, la gastronomie, la langue ou simplement l'atmosphère des lieux visités. Je pense cependant qu'un échange, avec une période passée seul dans une famille avec un compagnon de leur âge qui les accueille et qu'ils accueilleront à leur tour, est plus profondément pédagogique que ces visites éclair où il est difficile de ne pas survoler les choses vues. Mais je ne suis pas enseignant.

(*) :  Voyage scolaire.
posted by lorenzo at 07:37

Gondola, gondola !


posted by lorenzo at 07:36

Blitzkrieg dans l'immobilier vénitien

Quelque chose semblerait bouger du côté des problèmes immobiliers de la Cité des Doges... Après la victoire d'un collectif de jeunes gens qui ont empêché l'expulsion d'un vieux monsieur obligé de quitter son appartement réquisitionné par le propriétaire qui voulait le mettre en vente - fort cher, le Gazzettino s'est fait écho d'un blitzkrieg mené de main de maître par la Municipalité.
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Comme en France, l’État (ou la collectivité territoriale concernée) peut faire valoir son droit de préemption en cas de mise en vente de locaux privés. A une époque où partout dans le monde la philosophie ultra-libérale pousse les collectivités à vendre des bribes de leur parc immobilier, la Ca'Farsetti vient de créer la surprise en préemptant un appartement de 100 m² à San Marco mis en vente pour seulement 100.000 euros (!). Curieuse opération immobilière au départ, qui mêlait des personnalités vénitiennes loin d'être dans le besoin et surtout très liées entre elles. Écoutez plutôt : Le prix fixé, incroyablement bas pour un appartement de 100 m² en parfait état, situé à deux pas de la Piazza, sur la Calle Larga San Lorenzo, (adresse exacte : Castello 5123), avait attiré l'attention de l'assesseur au Patrimoine de la ville, Mara Rumiz, qui a donc payé 100.000 euros ce joli petit logement. Eliano Verardo, administrateur délégué du Consortium Venezia Spiagge, qui gère les luxueuses plages privées de Venise, était le vendeur. L'acquéreur se nomme Guido Sussi, ancien directeur de la Société AMES qui a en charge la gestion de l'approvisionnement des pharmacies et hôpitaux de Venise. Prix dérisoire annoncé, publié et payé par l'acquéreur. Bref que des gens bien au fait du prix de l'immobilier à Venise... Transfert d'argent non déclaré, ? Gros dessous de table ? Récompense pour services rendus ? Personne ne le saura jamais. Toujours est-il qu'une fois le sous-seing signé, la ville est intervenue et a fait valoir son droit de préemption. Trente jours plus tard - difficile performance quand on sait que l'été le fonctionnement administratifs vénitien vit comme partout au ralenti et qu'il fallait absolument réunir le conseil municipal pour entériner l'opération (comme quoi quand on veut on peut) - , l'affaire est bouclée.
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La loi prévoyant que l'acte doit être adressé à la Soprintendenza (administration fiscale de la région), celle-ci a curieusement tout fait pour ralentir l'étude du dossier ce qui aurait pu compromettre l'action de la Municipalité, les délais de contestation étant très courts. Visiblement - et curieusement - l'administration fiscalemettant apparaissait ainsi du côté de l'acquéreur privé... Mais finalement, la ville est l'heureuse propriétaire d'un bel appartement acquis pour un prix vingt fois plus bas que les tarifs en vigueur. Elle va mettre à disposition d'une famille vénitienne qui n'aurait pas eu les moyens d'être aussi bien logée en passant par des agences immobilières.
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Détail curieux : le jour même de la vente, l'appartement à peine acquis par Guido Sussi était déjà revendu à Olvrado Girardello, secrétaire communal d'un parti politique centriste et conseiller administratif de l'ATER, un organisme (officiel) chargé des programmes de constructions résidentielles... Mais ne vous y trompez pas, il n'y a pas de maffia à Venise, juste des gens très bien informés qui comme malheureusement partout ailleurs, aiment l'argent plus que tout et mettent leur intérêt personnel bien avant (à la place ?) celui de la communauté...
posted by lorenzo at 07:16

26 septembre 2006

Quand la nuit envahit la ville

Qui ne s'est jamais promené la nuit sans but précis ne peut prétendre connaître Venise. Il faut sortir marcher, après dîner, en ayant si possible pris du plaisir à la nourriture servie. Que le vin égaie votre esprit. Alors, d'humeur joyeuse ou un brin nostalgique, laissez vous porter par vos pas.
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Allez droit devant, sans hâte et seul. C.S. Lewis, l'auteur de Narnia, disait dans son autobiographie, "Surpris par la joie" combien il est difficile de se promener en compagnie de quelqu'un. Tellement rare sont les compagnons d'errance qui voient instantanément les mêmes choses que nous et s'en émerveille au même moment. Rare celui ou celle qui sait avancer en silence et communiquer dans une même harmonie. Si vous ne pouvez trouver ce parfait complice dans votre entourage, partez seul à la rencontre de la Venise nocturne. Mais prenez garde et prévenez votre monde, vous pourrez peut-être en avoir pour la nuit entière !
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Cette sensation unique, je l'ai ressenti la première fois alors que je n'avais pas quatorze ans. Nous logions avec mes parents au Londra, sur les Schiavoni. Après le dîner, un soir, j'avais eu l'autorisation de sortir seul. J'ai marché vers San Marco puis contournant le palais épiscopal, je suis allé vers San Giovanni e Paolo, puis vers l'arsenal pour revenir par la Fondamenta qui mène à l'hôtel. Deux heures dont j'ai encore en moi la marque. J'ai souvent erré depuis dans les rues la nuit et parfois, sur les canaux quand la barque éclairée d'une simple lanterne, glissait presque au hasard de l'aviron.
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Connaissez-vous Joseph Bodin de Boismortier, ce compositeur français du XVIIIème siècle ? Il a écrit de merveilleuses pièces notamment pour flûte. C'est cette musique là qui illustre le mieux la nuit vénitienne. N'emportez pas avec vous Mälher ni Wagner, sauf si vous êtes de ceux dont l'humeur romantico-romanesque aime à entretenir un secret et délectable désespoir. Peut-être des pièces religieuses de Vivaldi (j'écoutais souvent dans mes périples nocturnes le Gloria et le Magnificat du Prêtre roux) ou des motets de Monteverdi. Mais pour apprécier le silence plein de rumeurs qui caractérise la nuit à Venise, la flûte de Boismortier est parfaite.
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Partez du restaurant, raccompagnez la jeune femme que vous aimez ou vos amis à l'hôtel. rassurez-les en expliquant que tout va bien mais que vous avez envie de prendre un peu l'air en solitaire avant de vous coucher et partez. Vous marcherez au hasard, en suivant les itinéraires que vous avez repéré dans la journée. Rien ne sera pareil. la calle del XXII marzo ou les Mercerie n'ont plus rien à voir quand la nuit est tombée et les rideaux des boutiques baissés. Chaque campo est comme une scène de théâtre abandonnée sous les projecteurs encore allumés.En italien le mot est joli, un palcoscenico.Il sonne comme une gourmandise.

Un garçon de café balaie une terrasse et range les chaises, plus loin un vigile vérifie que tout est en ordre sur son chemin. Un chien errant renifle poubelles et réverbères. Des petits groupes vous croisent. certains discutent sur un pas de porte. Parfois des rires ou les bribes de conversation descendent vers vous d'une fenêtre ouverte. Le boulanger met son pain au four et une odeur délicieuse vous chatouille les narines. Des marches, un pont, le bruissement de l'eau contre un bateau amarré et toujours le martèlement de vos pas sur les dalles des rues. Un autre campo, puis un autre encore, un sottoportego un peu sombre qui vous fait frissonner trente secondes, de longues ruelles prises entre de hauts murs qui semblent être le corridor silencieux et humide d'une maison abandonnée, puis une église, un puits, des marches encore qui s'ouvrent sur une grande salle déserte : le campo du théâtre. Une treille, le péristyle de la Fenice, avec quelques buveurs invétérés, assis sur l'escalier. Leurs voix qui résonnent et vous suivent longtemps après que vous ayez quitté le campo... Soudain un cul de sac. "Aqua, aqua" vous aurait crié une vieille femme du haut de son balcon. Là, le silence amplifie votre surprise. Personne. Peut-être un chat effrayé qui vous toisera avant de se glisser entre les grilles d'un magazzino.
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L'air se fera plus vif, la nuit sera bien avancée. Soudain par une trouée entre deux immeubles, vous apercevrez des bateaux au loin qui laisseront une trace blanche comme argentée sur l'eau de la lagune. A l'horiszon, la masse noire du cimetière San Michele et les lumières éclairant les chenaux qui mènent à Mazzorbo ou à Torcello : les Fondamente Nuove désertes s"offrent à vous. Vous resterez là un long moment. Si vous fumez la pipe, je recommande le pont qui fait face au Palais qu'habitait la mère de Casanova, ce pont où il fut arrêté en revenant de chez le Comte Bragadin, son protecteur. Face à la lagune, battu par les courant d'air du Nord, c'est un endroit magique. Paisible aussi. Derrière vous, l'hôpital et le campo Zanipolo avec la fière statue du Colleone... Je pourrais décrire ainsi des dizaines et des dizaines de lieux merveilleux à toute heure du jour mais particulièrement fascinants en pleine nuit, car ils sont alors à vous qui les contemplez dans le silence et la confidentialité de la nuit.
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Un autre bonheur - un des miens en tout cas - c'est le brouillard, l'incroyable brouillard qui les soirs d'hiver se répand parfois sur la ville. Il transforme tout et se frayer un chemin, même sur les lieux habituels connus par coeur, devient presque impossible. Parfois même votre seul mouvement crée une sorte de tunnel qui demeure ainsi ouvert jusqu'à ce que vous repassiez au même endroit. J'ai le souvenir d'un matin à Cannaregio, près du Ghetto. J'allais chercher des croissants et le journal. Entre la porte de l'immeuble où j'habitais et le kiosque, voisin de la boulangerie, il y avait deux cent mètres à peine. Un mur de coton semblait avoir été dressé devant moi et à chaque pas, m'enfonçant dans cette matière impalpable, je creusais comme un passage. Et à ma grande surprise, sur le chemin du retour, cette ouverture était toujours là, se refermant peu à peu derrière moi... Sensation très particulière je vous l'assure. Brodsky en a bien mieux parlé que moi dans un de ses livres. Je chercherais la page.  Bonne promenade.


posted by lorenzo at 22:28

25 septembre 2006

Palais et ses Fantômes à vendre

Lord Byron y vécut, il étire son orgueilleuse façade parmi les plus belles constructions du Grand Canal : le Palais Mocenigo est à vendre, Mesdames, Messieurs.
 
Enfin pas tout le palais, juste le piano nobile, celui-là même qu'occupait l'écrivain anglais lorsqu'il habitait Venise. Le prix n'a pas été communiqué mais on peut imaginer que 750 m² en façade sur le grand canal avec une entrée monumentale ouvrant sur un beau jardin clos de murs, vendu avec tout son mobilier, ses miroirs, ses tableaux, ses lustres et ses tapis, n'en fauit pas une résidence secondaire à la portée de toutes les bourses... Construit en 1579 pour la famille d'Alvise Mocenigo, il devient en 1929 la propriété de la famille Foscari. La comtesse douairière occupait l'étage mis en vente, ses enfants le reste du palais.
 "Quand les Athéniens voyaient passer sur les places publiques un jeune garçon chargé de beauté et de sublimes dons, ils craignaient pour lui la jalousie des dieux.
Leur sagesse mythique savait que l'homme ne doit pas avoir un front trop resplendissant et que le destin aime à frapper ce qui s'élève trop vite et fleurit avec trop de magnificence..."
Joseph Kessel
C'est là que j'ai connu N.H. Jacopo Foscari, alors élève à la Domus Cavanis, le collège huppé de Dorsoduro aujourd"hui transformé en hôtel de luxe (le collège existe encore mais il a déménagé dans des locaux plus exigus et moins prestigieux de l'autre côté du rio Terrà). Il avait besoin d'un répétiteur de français. Je fus celui-là. Jacopo était un beau garçon, brillant bien qu'un peu paresseux. Un tantinet snob, ce qu'il faut pour plaire aux vieilles dames et juste assez pour ne pas être fat. 
Il apprenait vite mais son esprit s'évadait souvent. Normal à dix huit ans : les filles, les fêtes, le sport, la musique occupaient ses pensées. Il portait un nom rendu célèbre par Lord Byron justement et par un opéra de Giuseppe Verdi. Ce beau jeune homme plein de promesses s'est tué un soir d'hiver en voiture sur la route de Castelfranco Veneto. Il revenait d'une fête avec son meilleur ami, fils du Comte Marcello. Il pleuvait beaucoup, il était très tard, il roulait trop vite. La voiture a percuté un arbre. Ils sont morts brûlés vifs. 
Je me souviens du jour qui suivit l'accident. Les gens partout ne parlaient que de ça. Il y avait une pleine page dans le Gazzettino consacrée aux témoignages des amis et des relations de la famille Foscari. A San Luca, lieu de rassemblement des jeunes vénitiens de l'âge de Jacopo, l'atmosphère était incroyablement lourde. Au lieu du charmant babillage que l'on entend d'habitude dès qu'on approche du campo, c'était un silence de plomb, entrecoupé de chuchotement et parfois même de sanglots, qui assaillait le passant. La ville entière était en état de choc. Il y eut foule aux obsèques à Santo Stefano. Ce jeune prince de dix huit ans était vraiment très aimé. C'était en 1984. 
En revoyant les photos du Palais, je me souviens des cours que je lui avais donné, de nos discussions, du thé servi dans la sala rossa chez sa grand-mère, des promenades en barque. J'entends encore son rire et je revois ce visage très pur encore, celui d'un enfant. 
"... Un visage net, fin, un charme timide, réticent et, dans tous les gestes, cet élan contenu, cette noblesse un peu rigide qu'ont, seuls, les hommes très jeunes et très beaux" (Joseph Kessel)
Mystère insondable du destin qui choisit ses proies et ôte parfois la vie à des êtres qui semblaient pourtant faits pour vivre toujours. 
Mais ce qui est mystérieux aussi, c'est cette "anecdote" que j'ai souvent raconté et qui me fait toujours un peu frissonner. Lecteur, par avance, je vous prie d'excuser ma maladresse : Je ne sais comment raconter cette mystérieuse aventure dont rien n'est inventé... 
La veille de l'accident, j'avais vu Jacopo, nous avions prévu de réviser une partie du programme, en prévision d'une composition. C'était un jeudi soir. Il voulait que j'aille avec lui et ses parents à la campagne pour pouvoir travailler et en même temps jouer au tennis si le temps s'améliorait. Je ne voulais pas quitter Venise car j'attendais des nouvelles de France où ma mère venait de subir une lourde opération. J'avais donc renoncé à partir avec lui. Nous ne nous sommes pas revus. Un peu vexé, il avait changé son programme et choisit au dernier moment de se rendre à cette fameuse soirée qui lui coûta la vie. 
Le soir, après avoir écrit deux ou trois lettres et rangé mon appartement - je vivais depuis peu sur la Fondamenta delle Capucine, à San Alvise - , je m'étais mis au lit avec un verre de lait et un bon livre. Je m'endormis vite. Vers deux heures du matin, je me réveillais en sursaut. Je crus que mon chat venait de sauter sur le lit. Il dormait paisiblement sur un fauteuil. J'étais en sueur. Une angoisse terrible m'étreignait. Une image bizarre m'obsédait qui avait jailli de mon rêve : je voyais des flammes, des arbres, la pluie et au milieu de ces hautes flammes, de ces branches tordues, de cette pluie très dense, le visage de Jacopo, effaré et qui me semblait hurler, m'apparut distinctement. 
Ce n'est que le lendemain, en voulant raconter mon rêve à Agnès Calvy, la fille du consul, que celle-ci m'apprit la triste nouvelle ! Ainsi, il m'était apparu au moment même où l'accident se déroulait ! Etrange apparition que ce visage très réel perçu dans le noir de ma chambre comme éclairé par un feu de cheminée. Illusion, cauchemar mal interprété, vision extra-lucide ? Une vieille vénitienne à qui j'en parlais me dit calmement : "...à Venise, tout est possible. L'eau des canaux transporte bien des secrets et bien des images. On est tous un peu voyants ici... Il est simplement venu vous dire au-revoir"... Une légende vénitienne de plus dont le souvenir me trouble encore. 
posted by lorenzo at 23:15

24 septembre 2006


TraMeZziniMag 
 s'enrichit d'un Livre d'Or !
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Merci d'y jeter un coup d’œil et de l'aider à se remplir par vos commentaires, vos signatures. Merci d'y laisser aussi l'adresse de vos sites et blogs sur le thème de Venise !
Pour cela, il vous suffit de cliquer sur le lien indiqué en bas, au-dessus du compteur.
 
 
 
 
 
 
 
posted by lorenzo at 22:15

Mort d'un éditeur, fin d'une époque

Nous avons tous été très tristes d'apprendre cet été la disparition du libraire éditeur Luciano Filippi, passionné de l'histoire et des traditions vénitiennes dont la librairie de Castello, repère magique, sorte de grotte aux merveilles, fut pour moi pendant mes années d'étude un refuge, une école et un morceau de paradis.
Il savait faire passer sa passion et son amour pour la ville. les textes qu'il publiait, ses recherches, son fonds d'une richesse incroyable, tout contribua à propager chez les jeunes vénitiens et chez bon nombre d'étrangers, une meilleure connaissance de l'histoire et des traditions de la Sérénissime. Tous les aspects de Venise lui étaient familiers et il s'intéressait à tout ce qui touchait la ville et ses habitants. 
Le temps semblait s'arrêtait lorsqu'on poussait la porte de sa librairie. Parmi les éditions originales, les gravures et les éditions modernes, les romans, les recueils de poésie, les albums de photographies, tout sur le thème de Venise, dans un magistral désordre, on dénichait toujours le livre qui était là pour nous. Dans ce fouillis indescriptible, Filippi se mouvait avec aisance et retrouvait toujours tout, ne vendant jamais un ouvrage sans l'avoir commenté, expliqué, comparé et surtout sans avoir jaugé la capacité de l'acheteur potentiel à comprendre où à apprécier son contenu. Il paraissait revêche au premier abord, ruminant toujours comme bon nombre de vénitiens. Il faisait un peu peur parfois. En fait cet homme était presque sourd et de cette surdité surgissaient parfois des incompréhensions qui tenaient du délire surréaliste. Un peu comme Tryphon Tournesol avec le Capitaine Haddock (mais je ne voudrais pas qu'on pense que je manque de respect pour ce grand monsieur qui a tant fait pour Venise !). Il finissait toujours par s'ouvrir - s'éclairer même - et sa conversation devenait un régal, mieux : un privilège. Il transmettait ainsi des bribes du patrimoine intellectuel de la Cité des Doges. C'était un passeur de mémoire. J'ai davantage appris avec lui sur l'histoire des arts à venise et l'évolution de la peinture qu'en plusieurs années de cours à l'Université du côté de San Sebastiano... 
J'ai entendu dire que déjà des promoteurs s'intéressent au local de la calle del Paradiso. Cette librairie est un monument fondamental de l'identité vénitienne. Il faut la défendre et la préserver. Il n'avait pas que des amis parmi les politicards (comme il disait souvent) et les membres de l'intelligentsia officielle. Le Gazzettino n'a pas manqué de le rappeler, sous-entendant qu'il sera difficile de lutter contre les culs-de-plomb qui ne verront dans ce magnifique magasin qu'un local d'une superficie intéressante, bien placé sur le chemin des touristes... 
Il reste peu de vénitiens. Nous devons les aider à se battre pour préserver leur culture, leur patrimoine contre la spéculation et le lucre. Après la Fenice et le Palais Grassi, d'autres monuments vont tomber dans le domaine privé sous le signe de la rentabilité et du profit. Seules les activités traditionnelles (l’édition n'en est-elle pas une depuis toujours) et typiques sont les derniers dépositaires de l'identité culturelle de Venise. 
De plus en plus de vénitiens se battent pour ne pas laisser disparaître cette identité. Face à Walt Disney et aux financiers républicains de Las Vegas, ce ne sera pas chose facile. Nous devons les aider à défendre Venise, comme ce grand monsieur par son travail éditorial n'a jamais cessé de le faire ! Écrivez un mail à la librairie pour les soutenir afin de prolonger le travail de Luciano Filippi : filippieditore@flashnet.it

LIBRERIA EDITRICE FILIPPI 

Castello 5284, Casselaria, 
Campo Santa Maria Formosa
30124 - Venezia
posted by lorenzo at 20:26

Ah, les bistrots de Venise !

Bars et bacari, enoteca, osterie et birrerie et autres cafés, sont légion dans le centre historique comme un peu partout en Italie. Lieu de rencontres pour le voisinage, paradis du mélange des classes et des générations, on y va au moins une fois par jour quand on vit à Venise. On s'y rend le matin pour le macchiato accompagné d’un croissant à la crème, pour lire le journal et entendre les nouvelles de la ville, en fin de matinée pour l’apéritif, après le repas, souvent pris sur le pouce devant le comptoir où trônent des cichetti, des piles de tramezzini et de crostini, c’est le temps du café avec ou sans grappa, puis le verre du soir… On boit beaucoup à Venise, par ennui peut-être, par tradition aussi. On dirait que certains sont si désespérés de voir ce que devient leur monde que l’alcool consommé au-delà de toute mesure et en compagnie d’autres désespérés est le dernier rempart pour ne pas sombrer ! Mais c'est avant tout un geste social, un moment de convivialité joyeuse, de communication et d'échanges. Spritz et prosecco, birra et grappa, Bellini dans les meilleurs endroits, autant de boissons de circonstances, qui - cela est bizarre ! - ont bien meilleur goût quand on les savoure à plusieurs. Consommées avec modération, ces agréables boissons procurent un plaisir certain et favorisent la vie sociale comme partout ailleurs. En voici l'illustration.



 



 



 












posted by lorenzo at 15:45

Derrière les murs écrasés de soleil.(1)




L’idée aujourd’hui est de promener mes lecteurs chez les vénitiens, les vrais et ceux d’adoption. 

Je voudrais vous montrer les lieux où ils vivent et en profiter pour regarder avec vous la beauté de ces intérieurs tous différents mais tous marqués par un petit quelque chose qui les rend souvent très semblables. Serait-ce le goût très répandu des mélanges, la lumière qui pénètre les maisons à travers les verres dépolis des fenêtres anciennes ou simplement notre amour pour ces maisons que d’un simple regard, presque volé, nous nous mettons aussitôt à partager avec leurs propriétaires. 

Après tout la beauté de Venise et tout ce qui la compose font partie d’un patrimoine commun. Ces images sont donc un peu à vous comme à moi. "Bienvenu chez vous !" comme disait naguère une de mes charmantes hôtesses vénitiennes..
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posted by lorenzo at 13:58