08 décembre 2006

L'anatra selvatica, délice des doges


Je vous parlais il y a quelques semaines d’un restaurant clandestin (le mot est tout de même un peu fort) où Caroline Delahaie et son compagnon Gérard, les charmants hôtes de la Ca’Bragadin, du temps où la belle demeure proche de San Giovanni e Paolo abritait leur maison d’hôtes pour la joie des Happy few qui pouvaient y trouver une chambre libre. 
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Un soir, je ne sais plus à quelle occasion, Caroline nous convia, avec tout un groupe de français dans un bar situé calle Carminati, à San Lio. Une petite salle avec un comptoir ordinaire. deux ou trois clients. Un décor très courant. Et au fond, une salle à manger avec une quinzaine de couverts. Rien d'officiel. Juste des repas servis sur commande pour des amis du patron et des connaissances... Le repas servi ce soir là était entièrement à base de canard sauvage. Un régal. Certaines des recettes sont connues d'autres inédites. Il y eut notamment des lasagnes de canard, une volaille farcie, une salade avec des abats et des grillons. Les animaux avaient été chassés sur la lagune, comme autrefois (vous savez le tableau fameux qui serait une partie de cette peinture de Carpaccio traditionnellement appelé "les courtisanes") ou celle ci-dessus de Longhi. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner les deux recettes que j'aime bien refaire pour mes amis les plus gourmands. A arroser avec un délicieux Soave pour les inconditionnels du blanc italien ou, plus dans le goût français, avec un Barolo voire un de ces fantastiques Barbaresco que produit la famille Batasiolo dans le Piémont. Le Cabernet de Villa Canestrari, typiquement vénitien est un délice aussi, surtout avec le farci. Alors, mettons-nous d'accord : le soave pour commencer avec les antipasti et la salade de grillons, le barbaresco ou le Barolo pour les lasagnes et le Cabernet pour accompagner le canard farci et le fromage. Il faudra un verre de grappa en attendant le dessert et ce sera un vrai festin ! 
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Lasagnes au canard
Pour la farce, rien de plus simple : prenez du blanc de canard, du foie et autres abats que vous hacherez ensemble avec de l'ail, du romarin, de la sauge (fraîche), du sel et du poivre, du vin blanc, pour former un hachis assez grossier en veillant à ce qu'il ne reste rien de dur sous la dent, ni bout d'os ni nerfs ou peau trop dure. Enfin, pour raffiner le tout, je conseille de mettre une belle tranche de foie gras frais ou cuit. Si vous pouvez mettre la main sur des truffes la farce n'en sera que meilleure (truffes blanches ou noires, la polémique fera toujours rage des deux côtés des Alpes). 

A cela il faut ajouter un bouillon. Pour ce faire : faire blondir de l'ail et un oignon dans une cocotte avec un fond d'huile d'olive. ajouter un litre d'eau dans laquelle vous mettrez un navet, deux ou trois carottes, des pommes de terre, un poireau, des feuilles de chou et la carcasse et les restes de votre canard, un peu de laurier et autres herbes selon votre goût. 

A Venise, la cuisinière que j'espionnais pendant mes années étudiantes ajoutait un morceau de lard ou de jambon pour corser le goût. Pendant que ce bouillon cuit tranquillement et parfume peu à peu votre cuisine d'un fumet tel que le plus renfrogné des inconditionnels de Mc Do se convertirait en un clin d’œil, il vous faut préparer la pâte. Le mieux étant de faire soi-même les lasagnes. Sinon, on en trouve de déjà faites. Bien évidemment la pâte fraîche n'a rien à voir avec les feuilles de pâte sèches. 

Quand le bouillon est prêt, récupérer-en une louche ou deux que vous passerez au chinois. Mélanger à la farce qui doit rester assez consistante. Si vous avez eu la main lourde, pas d'inquiétude : il suffit d'ajouter du pain rassis réduit en morceaux. Laissez reposer. Faites cuire les lasagnes très rapidement (Toujours al dente la pasta ! sinon vous obtenez des nouilles ou pire de la colle pour papier-peint !), les égoutter sur un linge. 

Dans un plat à gratin que vous aurez légèrement huilé, déposer sur tout le fond une première couche de lasagne. Déposez une couche de farce que vous saupoudrerez de parmesan fraîchement râpé. Puis seconde couche de pasta et ainsi de suite pour finir par une dernière épaisseur de lasagnes que vous napperez de fromage. Moi j'y rajoute une petite crème de ma création : un peu de fromage blanc ou de yaourt turc (du vrai) mélangé avec du beurre fondu (très peu), du parmesan et un hachis de sauge, romarin et basilic, persil, ail et foie gras fondu dans cette sauce. le parmesan dominant en quantité les autres ingrédients. Cette crème assez épaisse va se répandre sur la surface du plat à la cuisson et fournira une croûte dorée à point et au goût très fin.

Mettez tout cela au four en surveillant (selon l'odeur qui doit être amplement attirante et la couleur du gratin d'un doré orangé sans virer au marron). Saupoudrez avec le parmesan restant et servez aussitôt.  . 
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Canard Farci dit Anatra col pien.
Trouvez un beau canard gras. Pour la farce il faut un bon morceau de saucisson à l'ail, un peu de foie gras, un bol de chair à saucisse, 1 œuf, des tranches de lard, de l'ail, du romarin, de la sauge fraîche, du persil, du basilic, du thym, du laurier, de la noix muscade, des raisins secs, des pignons frais ou des cerneaux de noix, du pain rassis, du parmesan, un grand verre de vin blanc sec, un peu de lait frais ou du fromage blanc, du sel et du poivre.
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Le mieux est de faire désosser le canard. Conservez les abats. Hachez les avec la chair à saucisse et le saucisson à l'ail, les herbes, les pignons et les noix. Ajoutez le pain trempé dans le lait ou le fromage blanc, l’œuf entier, le parmesan, salez, poivrez. Mouillez avec le vin blanc. Certains mettent de la grappa mais je trouve le goût trop fort. On peut aussi mettre du cognac ou de l'armagnac à la place du vin. Pour éviter que la pâte ne sèche n'hésitez pas à mettre une noix de beurre ou un peu d'huile d'olive. Bien cuit le canard lâche son gras et ne sèche pas, ajouter de la graisse est la plupart du temps inutiles mais cela dépend du four, de la taille de l'animal et de vos goûts. La farce doit être de la consistance d'un pâté avant cuisson mais ne doit surtout pas avoir un aspect trop sec. 

Remplissez la bête avec la farce en lui redonnant sa forme en la cousant. entourez le canard avec les bardes de lard. Ficelez le tout comme un rôti en ayant soin de mettre ça et là des feuilles de sauge. Arrosez avec un mélange de bouillon et de vin blanc et y mettre au four. 

Pendant la cuisson veillez à arroser souvent avec le jus qui doit être assez important. Sinon (four trop chaud par exemple) ajoutez le même mélange de bouillon de canard et de vin blanc. 

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3 commentaires: (Archivés par Google) 

Stéphanie a dit… 
Caroline et Gérard ce ne sont pas ces français ultra sympathiques qui organisaient chez eux de merveilleuses fêtes et qui recevaient souvent des gens du Ballet de Marseille ? J'ai entendu dire qu'ils avaient été délogés par des horribles demi-mondains prétentieux qui ont fait de leur maison plein de charme un loft baroque plein de soieries coûteuses et aux murs blanchis façon revue de déco ? Que sont ils devenus les aimables hôtes de Bragadin ? 
09 décembre, 2006  

Lorenzo a dit… 
Oui il s'agit bien d'eux.  
11 décembre, 2006  

Laurent a dit… 
Bonjour, il y a 10 ans j'avais passé une semaine dans le palais de Bragadin chez Caroline et Gérard à l'occasion d'un stage de théâtre inoubliable. J'aimerais séjourner à Venise entre le 31/12 et le 5/01/09, mais j'apprends par votre blog que les propriétaires ont changé... Savez vous s'ils sont toujours à Venise et comment les contacter ? Peut-être pourriez vous me conseiller un hébergement offrant pour 2 personnes, des conditions similaires ? En espérant ne pas trop abuser de votre temps. Merci.
 27 décembre, 2008

07 décembre 2006

Riflessi...


Dans Situations IV, Jean Paul Sartre parle du Tintoret mais aussi de ses impressions vénitiennes. Un exemple :
"L'eau est trop sage; on ne l'entend pas. Pris d'un soupçon, je me penche : le ciel est tombé dedans. Elle ose à peine remuer et ses millions de fronces bercent confusément la maussade Relique qui fulgure par intermittences." 
(1953)
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06 décembre 2006

Radio notiziaro Venezia News

Dans la catégorie "Non, Venise n’est ni un sanctuaire, ni un musée", je voulais signaler à ceux de mes lecteurs qui entendent l’italien mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à l’utilisation des techniques modernes dans la cité des doges, le spot quotidien d’informations que l’Administration municipale a mis en place.
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Chaque jour du lundi au vendredi, à partir de 13 heures, il est possible depuis plusieurs mois, d’écouter en ligne, les dernières informations concernant la cité des doges : l’avancée du projet Mose, les travaux du Tramway en Terre Ferme qui ont commencé ces jours derniers à Carpenedo, les différents évènements culturels en cours. Le samedi, une émission spéciale "lente d’ingradimento" (littéralement "loupe") propose un approfondissement de certains sujets. L’une des dernières émissions concerne l’anniversaire de l’inondation de 1966.

Signalons au passage que dès la semaine prochaine, le nouveau site internet de la ville de Venise sera opérationnel. Massimo Cacciari en fera la présentation publique mardi 12 décembre.Nous vous en reparlerons.

03 décembre 2006

Vénitienne gourmandise...

Au début du XXe siècle, on trouvait dans les rues de Venise des tas de petits métiers. Parmi les quémandeurs de toute sorte, il y avait les marchands de friandises.
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Biscuits secs, eaux parfumées, sorbets servis au verre... On pouvait ainsi se restaurer comme encore aujourd'hui avec les marchands de glaces ambulants, les stands où on vous propose des quartiers de noix de coco ou du melon. Une friandise particulièrement appréciée qui a malheureusement disparue se vendait partout autour de la piazza jusque dans les années soixante.
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C'était un délice fait de petites brochettes de grains de raisins cuits au sirop et plongés devant le chaland dans un sirop de sucre caramélisé à souhait. Un peu comme les pommes d'amour de nos fêtes foraines. J'ai retrouvé dans les papiers de ma grand mère, cette photo d'un certain Camille André Bourdery dit Cab tenant à la main cette confiserie. Voilà la légende de la photo où ce fameux Cab exprime son goût pour la friandise en question : 

"La vénitienne gourmandise de Cab, fixée mémorablement par une fantaisie amicale... Les bonnes graines de raisin, énormes, dorées, juteuses, cuites à point dans un sirop onctueux, les bonnes graines de raisin enfilées sur une mince baguette, que l'on achète sous les galeries de la piazza..."
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Nous sommes à la fin du XIXe siècle, devant la basilique San Marco. C'est l'automne ou la fin de l'été. Il ne fait plus assez chaud pour porter ces costumes de flanelle blanche qui donnaient l'illusion de la fraîcheur. Notez les gants de peau très clairs et, négligemment tenu sous le bras, le carnet de notes avec le guide. certainement le Baedeker. Notez aussi les facchini qui se reposent au pied de la hampe de bronze en attendant le client. Notre Cab était un poète, dessinateur et humoriste dont je conserve quelques cartes, des croquis dans un livre d'or et plusieurs lettres d'Italie. Je cherche en vain depuis des années à savoir qui il était vraiment et comment notre famille était en relation avec lui. Si par hasard, un de mes lecteurs en savait plus sur lui...

01 décembre 2006

Constance devant la Scuola San Marco



 
copyright Jean - 2005
 
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16.000 euros le m² pour l'ex Pilsen

Derrière San Marco, il y a le bassin Orseolo, très connu des touristes puisque c'est là, au pied de l'hotel Cavaletto-Bonvechiatti que se trouve le "garage des gondoles" comme disait mon fils quand il était petit. Un lieu très passant où a l'angle de la calle del Salvadego, le bâtiment Pilsen a été mis en vente par adjudication à la demande de la Commune et a trouvé preneur hier.
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Les prix se sont envolés puisque l'entreprise qui l'a emporté a payé 16.000 euros par m² acquis ! 2.480.000 euros pour un local de 155 m² sur deux niveaux ! Espace très convoité depuis que la décision du conseil municipal de vendre aux enchères ce bâtiment a été rendue publique. Ce qui fut le restaurant d'entreprise des Assurances Generali deviendra un restaurant de luxe. Affaire à suivre. En espérant que les nouveaux propriétaires ne répercutent pas dans de trop grandes proportions leur mise de départ sur les prix des mets qui seront servis!
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C'est aujourd'hui l'ouverture du Xe salon des Biens et des Activités Culturelles de Venise organisé par VeneziaFiere dont le directeur est le très inventif Maurizio Cecconi, longtemps élu communiste de la ville et qui est aussi administrateur délégué de Villagio Globale, une société privée qui a organisée de grandes manifestations culturelles comme la belle exposition "Les Gonzague à Mantoue". Dix mille mètres carrés dévolus aux activités culturelles dans le grand hall du terminal de l'aéroport Marco Polo. Gageons que les exposants parleront de ce nouveau partenaire qui promet d'animer l'antichambre de la Piazza San Marco.
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Mais surtout les conversations porteront sur la révolution, insoupçonnée du public et des touristes, qui est en train de transformer tout le paysage commercial et touristique du quartier phare de la Venise touristique : dans quelques mois les locaux aménagés par Scarpa (l'architecte de la Querini Stampalia) pour Olivetti vont retourner sur le marché, Hermès a aménagé un gigantesque temple du luxe, d'autres marques haut de gamme s'implantent. Le musée de l'érotisme dont je vous avais parlé vient de fermer ses portes faute de visiteurs (quand on dit que la fesse ne fait plus recette !) et un loyer bien trop lourd. on parle à la place d'un grand magasin ou d'un hôtel de luxe... Plein d'innovations en vue. En revanche, il n'y a plus dans la proximité de San Marco, quartier dont l'habitat permanent reste dense, que deux boulangers, quelques marchands de fruits et trois épiceries...
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J'ai connu l'époque ou à côté d'un joaillier célèbre, se mêlaient marchand de tabacs, droguiste, épicier, antiquaires, coiffeur et bouchers. C'était rudement sympathique et le quartier vivait vraiment. Aujourd'hui, il faut courir au Rialto pour acheter du poisson et du persil ; trouver du bon pain vous fait prendre le traghetto pour aller du côté de Sti Apostoli ou jusqu'à Sta Margarita... C'est pas des plus pratiques. Mais on objectera à ces récriminations que les temps changent et que rien n'obligeait après tout le boucher ou l'épicier de vendre ou de se transformer en marchands de masques fabriqués en Corée ou de verreries yougoslaves ! Mais on va encore me traiter de rabat-joie...

30 novembre 2006

Le sommeil du juste

 
Et tant pis pour ceux que je gêne, moi je suis bien et puis je suis chez moi ; Gatto genetico nato a Venezia pour vous servir!
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29 novembre 2006

Quand les enfants jouaient sur les places et dans les rues

 
Il y avait autrefois à Venise une population gouailleuse et changeante dont les cris enchantaient l'oreille des passants. Assemblés autour des puits, sous le porche des cortiles, jaillissant des sottoporteghi pour s'abriter sous les arbres des campi lors d'interminables parties de cache-cache ou de colin paillard, tout un peuple de petits lutins, de gentils gnomes règnait sur la Ville. 
 
Les enfants! Il y avait des enfants partout et le silence du jour soudain, vers seize heures explosait en un feu d'artifice de cris joyeux et le bruit des taloches se répandait sur les pavés. La rue, puisque sans danger ici, étaient leur royaume, merveilleux terrain de jeu pour des parties sans cesse renouvelées qui inspirèrent peintres, poètes et cinéastes. Combien d'images nous reviennent ainsi des joyeuses cavalcades des petits vénitiens d'autrefois. Dans les années 80, lorsque je vivais ici mes douces années d'étudiant, il y en avait encore beaucoup partout. 
 
Maintenant on a parfois l'impression que la municiplaité en exhibe quelques uns, toujours les mêmes, pour donner à la ville un semblant de vie. Ils sont tous devenus vieux, ou bien ils sont morts ou en exil. Il reste heureusement des écoles et les places se remplissent à l'heur e du goûter de ces joyeuses troupes qui s'ébattent sous le regard attendri de leurs mères qui papotent sur les bancs. Mais combien en restera-t-il demain ?

27 novembre 2006

Chez Bobo Ferruzzi

A deux pas des Zattere, sur un campiello retiré, le peintre Bobbo Ferruzzi a aménagé il y a une trentaine d'années un ancien entrepôt pour en faire sa maison-atelier. De l'extérieur, le bâtiment tout en longueur ressemble à une grange, avec ça et là des vestiges du glorieux passé de la Sérénissime enchâssés comme des pierres précieuses. Un pied de vigne noueux surplombe la porte Renaissance. 
Quand on pénètre chez le maître de maison, voilà ce que l'on voit. Un univers tout en couleurs à l'image de sa peinture. Une cheminée sur la droite, des assiettes anciennes aux murs, une belle vierge en bois polychrome, partout de beaux objets d'art de toujours grande qualité, des fleurs, des fruits et un accueil chaleureux.
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Les fauteuils profonds et confortables à souhait sont recouverts d'une simple toile que le maître a peint de ces tons vigoureux dont il a le secret et qui habillent aussi ses tableaux. De chaque côté de la porte d'entrée sont d'ailleurs les placards ou le peintre range les toiles qu'il réalise. certaines sont très anciennes (il y en a de la période scandinave, sud-américaine, parisienne, londonienne...) et d'autres très récentes. Lorsque je dirigeais la galerie, j'adorais venir choisir avec lui dans ses réserves les peintures à mettre en vente.
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Bobo Ferruzzi est un vedutiste avant tout, et comme ses glorieux prédécesseurs, il entasse souvent une dizaine de tableaux reprenant la même vue, le même angle qu'il reproduit jusqu'à ce qu'il parvienne à traduire ce que ses sens voient et ressentent. La toile alors (c'est souvent un panneau de bois qu'il encadre lui-même) aura droit aux cimaises de sa galerie. A l'époque où je travaillais pour lui, cette galerie occupait un local sublime donnant sur la fondamenta qui mène au musée Guggenheim. Occupé tout d'abord en partage avec Bacci-Baïk, un autre vénitien aujourd'hui disparu (Denise sa femme et leur fils perpétuent le souvenir de ce peintre en vendant à quelques mètres de là ses lithographies).
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La grande salle du fond où j'avais mon bureau, donne sur les jardins du palais Venier dei Leoni. C'est aujourd'hui la boutique du musée. L'actuelle galerie Ferruzzi, tenue par son fils Roberto Ferruzzi junior (qui est aussi antiquaire et bibliophile à ses heures), est en face, à l'emplacement d'un bar où nous prenions le café en surveillant l'entrée de la galerie. Ce bar, je m'en souviens, utilisait pour sa petite terrasse le long du quai, des tables en fonte et en marbre qui provenaient du premier café Florian. Chaque fois que je m'y accoudais je pensais à Casanova, Rousseau ou Goldoni...
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La femme de Bobo, la charmante Hélène et sa fille, Nora sont les créatrices de Norelène, une petite et florissante entreprise artisanale qui fabrique, à la main (dans la galerie au-dessus du salon de la maison) de somptueux tissus de soie ou de velours peints et frappés selon la technique ancienne des vénitiens reprise par Fortuny. De grandes tentures de chez Norelène habillent les murs et les lits de la maison. Un chat dort sur le canapé. Atmosphère unique et délicieuse.
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Il y avait autrefois chez Bobo et Hélène, un vieux domestique extraordinaire dont j'ai oublié le prénom. Était-ce Antonio ou Alberto ? Fin cuisinier, il faisait tout dans la maison, allait couper et ranger le bois pour la cheminée, faisait les courses au marché, ou accompagnait Bobo en bateau sur la lagune, il rangeait faisait le ménage et prenait ses repas à table avec la famille comme un vieil ami de la famille. Antique usage que cette proximité faite d'affection, de respect et de familiarité qui mit à l'abri ce pauvre homme sans famille ni ressource.
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il était célèbre dans tout le quartier presqu'autant qu'Eugenio dit Eugenio delle Zattere troubadour incapable de bien chanter. De sa voix cassée, il égrenait des chansons que personne ne voulait entendre mais qui faisait partie du paysage du quartier (je vous en reparlerai).

Venise comme un défi


"A Venise, le silence se voit, c'est le défi taciturne de l'Autre Rive. Brusquement, tout le cortège marin se noie, l'eau est comme les songes, elle n'a pas de suite dans les idées : voilà qu'elle s'aplatit et que je me penche au-dessus d'une grosse touffe de torpeur : on dirait qu'elle jalouse la rigidité cadavérique des palais qui la bordent."

Jean Paul Sartre
"Venise de ma fenêtre" in Situations IV,
1964, Éditions Gallimard

Germaine Richier chez Peggy Guggenheim


Première grande rétrospective (les critiques italiens parlent volontiers d’exposition anthologique) de la grande sculptrice française, Germaine Richier que l’on redécouvre enfin et qui est aujourd’hui considérée (enfin) avec Alberto Giacometti et Marino Marini, comme l’un de plus grands protagonistes de l’Avant-garde artistique de l’après-guerre.
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C’est la plus grande manifestation qui lui ait jamais été consacrée depuis l’exposition de 1996 à la Fondation Maeght de Saint Paul de Vence. C’est Luca Massimi Barbero qui a choisi les œuvres qui sont présentées au Palais Venier dei Leoni
 
Plus d’une soixantaine de sculptures en bronze, dont la Montagne - dont un autre des 11 exemplaires avait été exposé à Venise au Palais Grassi en 1960 dans le cadre de l'exposition « Dalla natura all'arte »-, des petits plâtres, des dessins et des lithographies, sont présentées au public jusqu’au deux février prochain, privilégiant une lecture chronologique et analytique du cheminement artistique de cette grande dame. 
 
Un cheminement particulièrement torturé et réfléchi pour aboutir à ces chefs-d’œuvre que l’on peut admirer sur la terrasse du Musée Picasso du vieil Antibes.
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Avec Augusto Mürer en Italie, Germaine Richier a progressé vers une représentation figurative complètement débarrassée de toute fioriture. Les corps qu’elle nous présente sont toujours dans la nudité de leur âme, de leur joie ou de leur peine. Comme chez Murer, ils ne trichent pas et la force que donne la matière – en l’occurrence le bronze - fait surgir mille sensations extraordinaires où l’âme et le corps fusionnent pour rayonner tels des dieux bienveillants. Depuis Camille Claudel, il n’y avait pas eu de femme sculpteur de cette ampleur. 
 

Collection Peggy Guggenheim
Jusqu'au 5 février 2007
infos : ICI
 
 
 
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26 novembre 2006

Scrap book

 

Un dimanche comme les autres à Venise

Par un doux dimanche d'automne, vers midi, quand Venise se prépare à une belle journée de farniente...
 
J'aime beaucoup me promener l'automne, mais aussi l'été ou au début du printemps, après avoir entendu la messe à l'église San Giorgio, le long du petit port de plaisance qui fait face au Palais des Doges. Il y a là des peintres, des marins, quelques touristes. Le vent y est plus doux qu'ailleurs et souvent, les senteurs du beau jardin de la Fondation Cini se mêlent aux odeurs de la mer que la brise envoie du Lido. Après, quand toutes les cloches de la ville se mettent à sonner le milieu du jour, le bruit que fait le vaporetto qui vient prendre les paroissiens et les visiteurs nous ramène vers l'embarcadère. Le bateau nous déposera sur les Zattere. Nous irons acheter une tarte aux amandes chez Vianello. La boîte de carton blanc et le ruban doré font partie de notre imagerie vénitienne. Une impression de paix et de bonheur ineffable. Rien que de très banal. Comme l'air du Non Nobis Domine, ce motet que j'écoute très souvent dans ce bel enregistrement des chansons de Shakespeare interprétées par le Deller Consort. Nos pas nous porteront, tranquillement, vers la maison. La nappe blanche, le rayon de soleil au milieu sur le grand plat de fruits brillants. C'est aussi dans mon esprit la belle musique pleine de sérénité et de simplicité des concerti pour violoncelle de Vivaldi dans l'interprétation complètement extrovertie de Wispelwey. Un dimanche comme les autres à Venise. Et Dieu que cette tarte aux amandes est bonne...

25 novembre 2006

Nous vivons une époque moderne

 
Vous ai-je parlé déjà du label Venise déposé par une société de communication italienne et dessiné par Philippe Starck ? Il est ici malicieusement détourné par un site vénitien, pour illustrer un triste sujet. De plus en plus des (vrais ou faux) mendiants se rassemblent à Venise. Venus de l'autre côté de l'Adriatique, très souvent gitans, ils s'installent sur les ponts, à l'entrée des églises et des musées, sur la Piazza... Du temps de la Sérénissime, on en voyait peu. La loi était sévère devant la mendicité et la République avait mis en place un système d'aide sociale très sophistiqué qui ne laissait personne sur le pavé. Il en est bien différemment aujourd'hui...Posted by Picasa

24 novembre 2006

TraMeZziniMag Tabloïd...

Je ne sais pas vous, mais moi j'ai un faible depuis toujours pour Meryl Streep. Son physique, son jeu, sa voix. Et maintenant savoir qu'elle aussi se laisse prendre au merveilleux piège que Venise tend depuis toujours à ceux qui savent percevoir en elle autre chose qu'un musée à ciel ouvert ou un réserve de drôles d'indiens vivant d'une drôle de manière et hors du temps des autres.
 
.Le Gazzettino annonçait en première page son récent séjour, en famille. Elle est descendue quelques jours incognito au Monaco & Grand Canal qui possède une des plus jolies vues sur le Canalezzo et le Bassin de Saint Marc. Le secret avait été bien gardé, la réservation faite avec un nom d'emprunt, l'arrivée tellement discrète que le personnel et les clients présents eurent du mal à cacher leur surprise...
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Son mari, le sculpteur Don Gummer l'accompagnait avec leurs trois enfants. Le journal dit qu'elle a passé beaucoup de temps à se détendre mais aussi qu'elle a sacrifié à l'inévitable tradition du shopping dans les boutiques des Mercerie... Je revois la prestation de l'actrice dans ce film qui n'a pris ce me semble aucune ride "Out of Africa" où elle incarnait l'écrivain Karen Blixen aux côtés de Robert Redford.
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Rien à voir avec Venise, en dépit de ses visites répétées à la Guggenheim, mais connaissez vous les sculptures monumentales de ce monsieur (le mari) ? Certaines sont exposées dans des musées américains et plusieurs pièces sont des commandes publiques qui trônent sur des campus (dans l'Ohio notamment) ou sur des places publiques. Son travail est intéressant. Toujours gigantesque, toujours en métal et toujours très géométrique. Cela me rappelle le travail de Nathalie Lamire-Fabre, aujourd'hui galeriste à Bordeaux mais aussi celui de Chillida le basque et de Sirvent le catalan qu'elle me fit découvrir et acheter quand leurs œuvres, dessins et gravures restaient abordables. En voici quelques vues.

La vita e bella a Venezia

 
Sans commentaire
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23 novembre 2006

Moment de paradis ce soir à Bordeaux


La jeune association des Musiciens du Chapeau Rouge que j'ai la joie de conseiller et que j'espère bien amener bientôt à Venise, née de la rencontre d'un jeune claveciniste élève du Conservatoire de Bordeaux et d'amateurs passionnés de musique baroque, recevait pour son deuxième concert, le claveciniste Olivier Baumont, dans le charmant (et un peu décati) foyer rouge du Grand Théatre. Un moment de paradis. un de ces moments rares où le public et l'artiste sont dans une fusion totale.En parfaite harmonie.
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Elève d'Huguette Dreyfus et de Kenneth Gilbert, aujourd'hui professeur au Conservatoire National de Paris, Olivier Baumont est à quarante cinq ans, l'un des plus grands clavecinistes actuels. Grand pédagogue - tous ceux qui sont passés par sa classe en témoignent, souvent invité dans les meilleurs festivals un peu partout dans le monde, il était l'hôte ce soir de cette jeune association. Un public hélas clairsemé ( il y avait plusieurs concerts aujourd'hui à Bordeaux) à l'occasion de sa venue au C.N.R. où il animera demain et samedi, une Classe de Maître, autour d'un somptueux clavecin français, copie flambant neuve d'un instrument anonyme de 1667 conservé à Boston et que vient de réaliser Guillaume Rebinguet-Sudre, facteur de clavecin bordelais. Un programme de musique française des XVIIe et XVIIIe siècle, en parfaite adéquation avec l'instrument, les lieux et le goût du public qui s'était déplacé malgré la pluie.
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Peu de monde certes mais des gens passionnés, attentifs. Atmosphère joyeuse loin de toute compassion, dans ce vaste hall de notre bel opéra. Le grand escalier, le salon de droite : le foyer rouge (ainsi dénommé car situé du côté du Cours du Chapeau Rouge, magnifique rue devenue depuis peu une sorte de mall tout à fait dans l'esprit des Intendants qui ont fait la magnificence de notre ville sous Louis XV et Louis XVI.
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Avec un peu de retard, l'artiste a fait son entrée. Il a salué, et très à l'aise, le sourire aux lèvres, nous a présenté son programme. Ses explications, simples, limpides mais profondes et très documentées permirent aux plus jeunes de rentrer très vite dans ces pièces parfois un peu inattendues : Chambonnières, grand mélodiste, raffiné et profond, peu joué et pratiquement pas enregistré, avec cette merveilleuse chaconne qui sera rejouée au deuxième rappel, Louis Couperin, le plus bref de cette dynastie de musiciens, mais l'un des plus inventifs. Après l'entracte, d'Anglebert avec notamment l'allemande et la courante du vieux Gautier, puis Rameau avec la suite en la mineur de 1706 avec cette Vénitienne qui donne envie de chanter et de danser !
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Programme très cohérent donc où le public s'est installé, recueilli et à l'aise. Etait-ce le lieu, le nombre de participants, mais il émanait de ce salon, pendant toute la durée du concert, et même à l'entracte, une atmosphère de connivence, de passion tranquille que le jeu d'Olivier Baumont a peu à peu transcendé, déclenchant après la dernière note du menuet de Rameau, une salve d'applaudissements. Cet enthousiasme ne se démentit pas après le bis, une pièce de Jacques Duphy, mort à Paris le lendemain de la prise de la Bastille.
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Dans un entretien, Olivier Baumont disait que pour qu'un concert soit réussi il fallait "la réunion de trois éléments : un répertoire, un interprète, le public. Il est réussi quand s’opère une vraie adéquation, quand l’interprète est parvenu à convaincre, à émouvoir le public par le répertoire. Je dirais qu’il faut que chacun, dans le binôme interprète/public, fasse un chemin au cours du concert : pour l’interprète, celui d’amener le public à une qualité d’émotion particulière ; pour le public celui d’une certaine concentration pour parvenir à cette émotion vécue comme un dialogue. Je trouve que le concert est plus une rencontre qu’une prestation soliste sur scène face aux gens. Penser cela m’ôte le trac ; J’aime aussi l’idée qu’un concert offre l’occasion d’inviter des amis et de se parler entre nous pendant une heure". C'est bien cela qu'il nous a été donné de vivre ce soir.
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Pour finir et parce que je cherche toujours le lien avec Venise, Olivier Baumont est l'auteur du très beau Vivaldi de la collection Gallimard Jeunesse, livre image avec CD !
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Comme Gustav Leonhardt qui dit qu’il existe deux belles façons de transmettre la musique : le concert et l’enseignement, notre illustre invité donnera samedi un master class et une conférence sur la musique française. Guillaume Rebinguet présentera quant à lui son clavecin. Conférences et master-class à l'Atelier du CNR. de 10 à 18 heures. Entrée Libre.

22 novembre 2006

Les amis de San Alvise









Il y a non loin du ghetto, un club d'escrime , l'association Costantino Reyer, animé par un groupe de passionnés et dont le trésorier, amateur de bon niveau, est un monsieur que je connais bien, puisque c'est le fils aîné de Matilde Grinziato Biasin, la fondatrice de l'Alloggi Biasin où je logeais la première fois à Venise. C'est elle qui me fournit mon premier travail et me logea. Leonardo a lui aussi une auberge sur la lista di Spagna. Federico , lui est le propriétaire du Cantiere Soccol, près de San Girolamo. Les garçons - et les filles - du club d'escrime sont heureux. Ils raflent souvent coupes et médailles.

21 novembre 2006

21 novembre : Fête de la Madone de la Salute

C’est aujourd’hui la fête de la Salute. Sûrement la manifestation vénitienne la moins touristique et la plus authentique qui se célèbre encore ici.
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Plus de 400 ans après, elle suscite toujours un réel sentiment religieux mais aussi une volonté d’appartenance chez les vénitiens de tout âge et de tout milieu. Une vraie fête populaire très suivie. Cette festivité, comme celle du Redentore, commémore la terrible épidémie de peste qui pendant entre 1630 et 1631 décima une grande partie de la population, laissant la République anéantie.
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Vous vous souvenez sans doute que le Doge implorant l'intercession de la Vierge afin d'arrêter l'épidémie, fit le vœu de construire une basilique à sa gloire . C'est ainsi que fut construite la magnifique basilique de la Salute. Et c'est suite à ce vœu qu’aujourd’hui encore, la population de Venise défilera tout au long de la journée, comme elle le fait depuis cinq siècles.
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Les pèlerins se rendront à la basilique, à la suite du Patriarche de Venise, le Cardinal Angelo Scola et du sindaco Massimo Cacciari, avec l’ensemble des corps constitués, les représentants du corps diplomatique, les commandants des armées, en passant par le pont flottant dressé sur des barges et qui traverse le grand canal. Ils vont tous rendre hommage à la Madone et allumer un cierge pour qu’elle protège leur santé et celle des leurs. Partout sur le chemin, des marchands de bougies se mêlent aux vendeurs de bonbons, de beignets et de marrons grillés. Pour la joie des enfants qui apprécient particulièrement la fête de la Salute.
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Cette animation très particulière vaut la peine d'être vue. Les familles sont là du plus vieux au plus jeune, des groupes d'écoliers avec leurs maîtresses, les cierges à la main, des adolescents passent dans leurs vêtements branchés. Quelques étrangers ébahis se retrouvent au milieu de religieuses. Les gondoliers y vont aussi. Tous avec leurs cierges. Venise toute entière passera aujourd'hui par la Salute...