18 octobre 2007

La Vierge à sa fenêtre

Sept heures sur le campo...

Découvert sur choux de Siam, le blog d'une fidèle lectrice de Québec, redoutable linguiste et sympathique vénitienne de cœur, ce poème d'automne.
  Sept heures sur le campo sombre et désolé
C’est l’automne; quelques lumières s’interrogent
Et puis se taisent; l’étranger en longue toge
Effleure une ombre sur les pierres effacées

S’appelle-t-il présent, avenir ou passé
L’espace indéfini que sa mémoire abroge
Ses pas sur les pavés conjurent d’anciens doges
Fantômes indistincts de gloires inondées

Ils vont comme des souffles traversant la brume
Où dorment des jardins d’aurores évanouies
Sous les soleils d’étain des vaines amertumes

Dans le silence aveugle chemine l’oubli
Et cette angoisse noire que verse la pluie
Enveloppe en chantant Venise dans son lit

Line Gingras

Du cosmopolitisme comme règle de vie

[...]"Les plaisirs de l'Ailleurs, dans leur nécessaire diversité, sont encore le meilleur antidote contre les excès de l'intolérance intellectuelle ou esthétique [...] Ouvrir aux amoureux de l'écriture, et le plus largement qu'il se pourra, un espace fraternel qui ignore les limites". C'est ainsi que concluait Jean-Pierre Sicre, le fondateur des Éditions Phébus, dans sa présentation du premier numéro de sa magnifique revue Caravanes. Cela pourrait être le lei-motiv de TraMeZziniMag
 
C'est en tout cas l'idée qui a présidé à sa naissance et que je garde en tête quand j'écris. Le voyage, c'est bien entendu d'autres horizons à travers le vaste monde que ma chère Venise. Mais comme Xavier de Maistre avait sa chambre dont l'exploration le rendit célèbre, j'ai Venise et c'est pour moi aussi vaste que l'immensité de l'univers. Qu'il s'agisse des chefs d’œuvres de l'art et de l'architecture ou de ces endroits oubliés des guides et qu'on nomme la Venise mineure, tout m'est délice dans cette ville unique, matricielle, plantée au milieu de l'histoire des hommes et du monde moderne tout en étant indéniablement et définitivement extérieure à tout le reste. N'est-ce pas prodigieux d'être ainsi à l'épicentre du désir touristique universel et à la fois éloigné de tout ce qui constitue la cité moderne. Venise, l'unique milieu urbain qui soit à la fois contre-nature et totalement dans la nature... 
 
"Un bon feu, des livres, des plumes ; que de ressources contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation, ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage." écrivait Xavier de Maistre en parlant du délice qu'il trouvait à s'étendre sur son vieux fauteuil. Mon quotidien vénitien ressemble un peu à cette description du farniente pourtant bien rempli de rêveries et de réflexions. Ce n'est pas de paresse dont il s'agit, bien au contraire. Plutôt d'un dilettantisme, prémisse du bonheur. 
 
Ce bonheur paisible qu'on ressent quand on se promène sans but précis, sans savoir où l'on est, dans les quartiers méconnus de Venise. Les odeurs, les couleurs et les sons que l'on croise y sont autant d'éléments constructifs d'une paix intérieure. Je ne connais pas de souci ni de peine qu'une journée ensoleillée d'hiver passée à errer dans les rues de Venise ne puisse soulager.

17 octobre 2007

17 octobre 1797, la trahison de Bonaparte

Je ne veux pas avoir l'air de m'acharner ni d'appuyer là où ça fait mal, pour nous vénitiens de sang ou de cœur, mais nous sommes aujourd'hui le 17 octobre. Il y a cent dix ans, les autrichiens et les français signaient le fameux traité dit de Campo-Formio (en fait Campo-Formido) où rien de fut jamais signé, mais dont la situation géographique à mi-chemin entre les territoires occupés par les français et ceux aux mains des autrichiens, était l'unique concession de Buonaparte aux usages diplomatiques. 
 
En fait c'est à Passariano, près de Venise, dans la somptueuse résidence d'été du ci-devant doge Ludovico Manin (qui devait y mourir cinq plus tard) que cet accord inique fut paraphé par l'envoyé de l'empereur François II et par Buonaparte. Et ce traité le fut contre l'avis de tous et en opposition totale aux ordres du Directoire et de Talleyrand, alors ministre des affaires étrangères de la République française. Le corse le savait et c'est pour cela qu'il pressa son interlocuteur autrichien d'accepter ses propositions avant même de recevoir l'accord de son maître, au mépris de toutes les règles et usages. 
 
Je vous invite à lire l'excellent livre "Napoléon et Venise" écrit par Amable de Fournoux paru il y a quelques années aux Éditions de Fallois. Notamment l'explication que l'auteur donne sur les raisons de la trahison du futur empereur des français qui en eut toute sa vie un certain remords et entacha jusqu'à nos jours sa légende, suscitant à Venise et ailleurs, une haine contre sa personne et sa famille, jamais éteinte et encore très virulente à ce jour.
 
Ludovico Manin, le dernier doge.

16 octobre 2007

C'est pure folie mais jolie tradition...

Il faisait si chaud l'été dernier. Un caldo africano. La tentation était grande pour ces enfants. Plonger du pont des Capuzzine et se rafraîchir dans l'eau du rio de San Girolamo, devant chez eux. Récemment nettoyé, débarrassé de sa vase et de sa puanteur, il semblait bien attirant. Autrefois (et jusque dans les années 80), les enfants avaient l'habitude de plonger ainsi des ponts de Venise et de nager sans l'au des canaux. C'était toujours un joli spectacle de voir ces petits barboter et sauter en craint, riant, sous le regard amusé des anciens qui eux aussi, au même âge, s'étaient adonnés aux mêmes loisirs.

Cependant, et sans vouloir jouer le rabat-joie de service, les analyses faites récemment des eaux de Venise, même dans les canaux curetés et restaurés montrent leur haut degré de pollution : plomb, zinc, hydrocarbures, mercure, arsenic et pesticides en tous genres... Un vrai bouillon de culture explosif !
 
Et les usines polluantes de Marghera, finalement ne semblent pas être seules en cause : le nombre croissant de bateaux à moteurs, les huiles et les carburants qui sont rejetés chaque jour, les eaux sales des maisons pleines de résidus de phosphate et de graisse, les eaux ruisselantes qui drainent les résidus de ferraille des toitures, la corrosion des marbres et des métaux des immeubles sont responsables de cette pollution. Sans compter les déchets des hôpitaux, des imprimeries... La présence quotidienne de 130.000 personnes, résidents et visiteurs a transformé cette eau en élixir empoisonné. Espérons que ces enfants ont pris de bonnes douches en rentrant chez eux !

Et voici comment sera le réseau des vaporetti à compter du 21 janvier prochain

La ligne réservée aux résidents (titulaires de la CartaVenezia ou d'un abonnement résidentiel Imob) est la principale nouveauté de la fameuse "révolution" des transports en commun concoctée par l'ACTV et annoncée officiellement à la Ca'Farsetti vendredi dernier devant les journalistes. Voilà comment sont réorganisées les lignes :
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LINEA 1
Même parcours (Piazzale Roma - Lido), avec un passage toutes les 10 minutes et ouverte aux résidents comme aux touristes. Seuls les appontements de S.Chiara (Piazzale Roma), des Scalzi (Ferrovia) et Banca d'Italia (Rialto) seront modifiés. C'est la préférée des touristes et la plus redoutée des vénitiens, surtout en été.
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LINEA 2
Elle remplacera l'actuelle 82 et la 3/4. Elle aussi pour tous résidents et touristes, elle demeure la ligne rapide. Le trajet S.Zaccaria - Gidecca - piazzale Roma ne change pas mais après ce dernier arrêt s'ajouteront en permanence les arrêts suivants : Ferrovia, S.Marcuola, Rialto (Banca d'Italia), San Tomà, San Samuele, Accademia, San Marco (Vallaresso). En été, toutes les 20 minutes, un bateau poursuivra jusqu'au Lido.
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LINEA 3
Réservée aux seuls résidents, elle effectuera les arrêts suivants : piazzale Roma (Parisi), Ferrovia (S.Lucia), Riva de Biasio, San Marcuola, San Stae, Ca'd'Oro, Rialto Mercato, Rialto (Riva Carbon), San Silvestro, Sant'Angelo, San Tomà, Ca'Rezzonico, accademia, S.Maria del Giglio, Salute, San Marco (giardinetti). Un bateau toutes les 20 minutes en hiver et toutes les 10 minutes en été.
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AUTRES LIGNES
Pour faciliter le transport des résidents qui travaillent à Venise mais vivent au Lido, une liaison Lido-San Zaccaria en vaporetto sera mise en place toute l'année de 7 heures à 9 heures et de 16h15 à 19h45, toutes les 15 minutes en hiver. Et pour ceux qui viennent de la Terra-Ferma, la ligne de motoscafi numéro 41-42 continuera de relier la piazzale Roma à San Zaccaria, de 6h30 à 9 heures et de 16h35 à 19h30, toutes les 20 minutes du printemps à l'automne. Ces deux navettes seront apparemment utilisables aussi par les touristes.

Ca y est , tout change à l'ACTV !

Je vous en avais parlé, l'ACTV l'a fait et dès le 31 janvier ce sera en place : le nouveau réseau des transports maritimes du centre historique a été présenté et tout le monde en parle à Venise, au marché, dans les rues et les messages qui parviennent aux journaux et sur les sites internet tournent tous autour de cette révolution.
Il fallait modifier les choses et chercher des solutions aux nombreux problèmes posés par la croissance du trafic, les dégâts du moto ondoso, les difficultés rencontrées par les vénitiens face à la montée du tourisme, la nécessaire modernisation des bateaux et des abris. A ce sujet, la polémique - parvenue jusque dans les commentaires de TraMeZziniMag - fait rage à Venise : Comment imposer aux vénitiens de passer par l'entrée qui leur sera réservée plutôt que par celle des touristes ? De toute façon, ils passent toujours par la sortie, ce qui est formellement interdit en principe... Comment les décider à attendre la ligne 3 qui sera pour eux uniquement s'ils sont pressés et que passe justement devant eux la ligne 1 ou 2 qu'ils partageront avec les masses de touristes. 

Comment contrôler l'accès aux bateaux qui sera automatisé dans quelques mois ? Un concours a été lancé pour dessiner les nouvelles "fermate". Très modernes, elles seront doubles à Piazzale Roma, à la gare, au Rialto et à San Marco pour que soit effective - sinon efficace - la division entre les résidents et les touristes et simplement aménagées pour permettre ce tri humain... Côté protection du site historique, la polémique là-aussi est engagée : La Ca'd'Oro souffrirait de plus en plus des vibrations provoquées plusieurs dizaines de fois par jour par l'accostage des vaporetti. Les fondations bougent provoquant des milliers de micro-fissures dans les joints des marbres de la façade et certains craignent des éboulements. Les riverains ne souhaitent pas que l'arrêt soit déplacé... 

Sur la Fondamenta delle Guglie, on installe à grand frais (90.000 euros) un nouvel arrêt au moment même où des travaux d'excavation des vieilles canalisations est en cours. Depuis des années des associations alertent la municipalité devant l'état incroyable de vétusté des quais. N'aurait-il pas été judicieux de commencer par la restauration de cette fondamenta comme on l'a fait pour les Zattere plutôt que de dépenser de l'argent pour un nouveau ponton ? 

Une société privée vient de proposer la mise en place d'un réseau de bateaux-mouches, de la taille des vaporetti, dotés de moteurs dont les turbines spéciales diminueraient de 60% les remous responsables de l'effritement des rives et des fondations, qui arpenteraient le Grand Canal pour 16 ou 18 euros, permettant de désengorger le trafic de l'ACTV. Mais cette idée n'a pas plu. "Le Canalazzo n'est pas la Seine" dit-on ici... Pourtant cela pourrait réduire le trafic. D'autres proposent de limiter les livraisons à des heures spécifiques (on attend toujours le fameux terminal de fret qui permettrait de déposer les marchandises acheminées ensuite par de petites embarcations à travers les canaux secondaires et à pied). Ce n'est pas simple et là encore l'unanimité ne semble pas prévaloir entre les différentes parties. A suivre donc.

15 octobre 2007

Venise la très aimée

Loin, la nostalgie me consume ; près je ne suis pas guéri.
En l'absence et la présence, la nostalgie.
La rencontrer amène ce que je ne pouvais soupçonner :
Guérir la passion crée une autre passion.
Car rebelle et orgueilleuse,
La beauté de celle que je vois s'accroît lors des rencontres,
Et la passion doit se comparer
Au surcroît de la beauté !
Ibn 'Arabi
in-Le chant de l'ardent désir
traduit de l'arabe par Sami-Ali,
Editions Sindbad

Lieux : La "Piscina" ex-"Cucciolo", ex-"Vapore"

Jusqu’en 1986, j’habitais un petit appartement en colocation au dernier étage de la calle Navarro, entre San Vio et les Zattere. Une grande cuisine avec un énorme fourneau d’autrefois, une salle de bain en commun et trois chambres. La mienne donnait sur la ruelle et j’apercevais derrière les toits de Venise, le campanile penché de Santo Stefano.
 
J’y vivais avec Rosa, ma petite chatte grise et nous partagions l’appartement avec Federico, son propriétaire, étudiant en médecine qui logeait dans une superbe pièce aménagée dans le grenier et Betti une étudiante en littérature. Dès les premiers rayons du soleil, la coutume était de se retrouver sur les Zattere. Nous restions assis pendant des heures sur les marches de l’église des Gesuati, ou (quand nous avions assez d’argent), aux terrasses des cafés qui se trouvent sur cette fondamenta. Il y avait la terrasse de Nico le fameux glacier, mais surtout - c’était ma préférée - celle du Cucciolo. Ponton flottant comme les autres, elle était située en face de la Calcina, l’auberge où John Ruskin avait ses habitudes. L'intérieur se réduisait à une grande cuisine et un petit local doté d'un bar et d'une vitrine pour glaces. Les serveurs nous connaissaient bien. Dès le mois d’avril, la terrasse se remplissait d’étudiants et de lycéens. En ce temps-là, es touristes s'aventuraient rarement de ce côté de Venise. Après avoir visité l’Accademia et fait un tour jusqu’à la pointe de la douane, ils rebroussaient chemin et s'en retournaient bien vite vers San Marco. Nous étions entre nous et c'était bien...

Je me souviens des bandes de jeunes vénitiens, filles et garçons, installés aux tables les plus éloignées du quai et qui se servaient de grands éventails d’aluminium pour bronzer vite et plus intensément dès avril. J’y passais des heures moi aussi, dès que le temps le permettait : nous y déjeunions d’un croque-monsieur avec un birrino. Nous y prenions nos cafés et bien entendu nos gianduiotti, cette extraordinaire coupe glacée faite d’une énorme rasade de crème fouettée avec au milieu un lingot de glace gianduia (ce mélange unique de noisette, d’amandes et de chocolat)… Ce lieu m’inspirait. J’y amenais d’ailleurs ma petite machine à écrire portable, une Remington dans un coffret immaculé et je retapais là mes articles et mes notes, en fumant des Craven A sans filtre…

Le Cucciolo s’était appelé le Vapore bien avant que nous soyons nés, puis la Calcina. C’était à la fin du XIXe et au début du XXe le lieu de rendez-vous des écrivains et des artistes comme Franco Maria Piave, le librettiste de Verdi qui y avait ses habitudes, la poétesse Marie de Régnier l’amie de d’Annunzio, Jean-Louis Vaudoyer (on a une photo des deux amis sur cette terrasse), John Ruskin - qui y rédigea « Pierres de Venise ». 

En 1912, Rainer Maria Rilke - c’était un de nos héros -  écrivit sur une des tables de ce café, sur cette terrasse, une très belle lettre intitulée "Ponte Calcina, Zattere 775 ", adressée à sa Princesse Thurn et Taxis. Le baron Jacques d'Adelsward-Fersen, poète et écrivain qu'un roman de Roger Peyrefitte rendu bien plus sulfureux qu'il ne fut en réalité, y recevait Jean Lorrain en faisant disposer des abats-jours roses sur les lampes pour rendre les femmes plus belles.

Le Cucciolo a laissé la place à la Piscina. Davantage restaurant que café dorénavant. Les serveurs ne sont plus les mêmes, le style plus sophistiqué et les prix plus compliqués. La Piscina parce que, jusqu’à la fin des années cinquante, se trouvait tout à côté un bassin fermé de natation où les vénitiens venaient apprendre à nager.

14 octobre 2007

Plus proche du silence que de la parole

"Il y a un moment dans ces rencontres qui changent notre vie, où l'on est plus proche du silence que de la parole". 
 
Cette belle phrase de Lorand Gaspar qu'il appliquait au désert, je la fais souvent mienne, quand j'ai le bonheur de me retrouver seul dans Venise. La première fois que j'ai réalisé cela, la puissante force du silence qui nous lie aussi intensément qu'une parole ou un acte quand on est, par un de ces miracles de la vie, complètement en phase avec l'endroit où l'on se trouve. En l'occurrence, pour moi c'est le pont, la Fondamenta, le campo où mes pas m'ont porté quand cette sensation soudain me saisit. Rien à dire. Rien à expliquer. On sait, on a compris...

Invité récemment à parler de Venise justement, j'ai confusément senti que pour les autres qui ne vivent pas la même attirance ni la même passion, mon excitation quand j'aborde le sujet peut lasser bien vite et semble à beaucoup comme une ennuyeuse obsession... Il faut avoir fait l'expérience dont parle Lorand Gaspar pour comprendre.
 
Un jour, - je ne vivais pas encore à Venise - je devais repartir pour la France. Les bagages étaient dans le train, les amies qui rentraient avec moi déjà installées dans notre compartiment. Nous étions en avance. Ce fut plus fort que moi, il fallait que je descende du train, que je sorte de la gare, pour revoir une dernière fois Venise. J'avais une vingtaine de minutes devant moi.
 
Je ne suis pas allé bien loin, juste sur le pont des Scalzi, devant la gare. Là, j'ai allumé ma pipe et j'ai contemplé le grand canal sous le coucher du soleil. C'était magnifique. Je n'étais plus moi-même, ni triste ni joyeux. Simplement paisible. Je regardais le trafic encore important en ce début de soirée. Je m'imbibais de tous ces bruits, toutes ces odeurs, cette atmosphère. Pourtant j'avais la sensation de ne rien entendre, de ne rien sentir. J'étais moi-même Venise, et le grand canal, et l'air que je respirais. Une forme d'extase me suis-je dit après. 
 
Soudain un homme pressé avec une valise m'a bousculé, me ramenant en un instant dans la réalité. J'ai couru moi aussi vers la gare. Le train avait quitté Santa Lucia depuis quelques minutes. Je le voyais encore au bout du quai... J'ai su ce soir là que Venise avait changé ma vie. Elle me faisait signe de rester... Un an après, je m'y installais.

13 octobre 2007

Voga in sandalo

Écoutez et regardez, vous aurez presque comme en vrai la sensation extraordinaire qui nous étreint lorsque on se promène en barque sur la lagune (ici un sandolo sur la lagune nord un après-midi d'été). Vidéo réalisée par Salottobuono, groupe d'étudiants en architecture de Venise.

12 octobre 2007

Venise est jeune, vivante, animée : la tribu de Rio Marin



Des amis vénitiens, étudiants, se moquaient un soir de cette vision Thomas Mannienne de la Venise des vénitiens. Bien sûr après 23 heures, les groupes de jeunes qui rient un peu fort font du tapage nocturne et une pièce échappée de votre poche sur la piazza à 2 heures du matin va réveiller tout le quartier. Bien sûr la ville se vide peu à peu et les plus de 70 ans sont en majorité. Mais il y a l'Université. Il y a les jeunes qui étudient et travaillent à Venise et ceux-là cultivent ce merveilleux paradoxe - surtout s'ils sont totalement vénitiens - d'être complètement imbriqués dans la ville et son histoire, parfaitement adaptés à sa physionomie particulière et en même temps à la pointe du modernisme, branchés sur le web 2e génération, dynamiques et créatifs. En voilà pour exemple le blog Rio Marin.



Rio Marin, c'est un appartement situé en plein centro storico, à Santa Croce, occupé par un groupe de jeunes, étudiants ou actifs, et leur chat, un magnifique matou roux, prénommé Merlot, cousin de notre Mitsou. Ils ont décidé il y a un an de faire un blog, 

"perché ormai lo fanno tutti, per iniziare l’ennesimo dei progetti che non porteremo mai a termine, per avere un piccolo posto in più dove riporre un po’ delle cose che ci vengono in mente."
[Parce que tout le monde le fait, pour lancer les tas de projets qui n'aboutiront jamais, pour avoir un petit endroit de plus où entreposer des trucs qui nous viennent à l'esprit.]
Et vivant eux - les chanceux - à Venise pratiquement toute l'année, ils ne parlent pas que de Venise, mais quand ils racontent leurs aventures quotidiennes, c'est un peu de l'air de la Sérénissime qui nous vient aux narines. Pour un peu, on entendrait presque le chat Merlot ronronner, ce qu'il fait parait-il quasiment en permanence, signe d'harmonie et de paix intérieure. Évidemment avec un balcon garni des plus beaux et énormes pieds de basilic de toute la ville (deux variétés différentes, l'une ordinaire aux grandes feuilles, et l'autre provenant de la côte ligure, avec des feuilles tirant un peu sur le violet), des parties de ballon endiablées et une bonne pitance, on se sent le roi des chats. Mitsou a un concurrent !


Promenade à Venise



Trouvé dans mon courrier...

Connaissez-vous Francesco Guccini ?

Chanteur italien, chantre de la Beat Generation italienne, originaire de Modène, il a écrit de nombreuses chansons souvent engagées dans la tradition des années 70. En 1981, sa chanson "Venezia", triste et mélancolique, fut un grand succès. Ecrite avec son ami Alloisio, elle parut dans le disque "Metropolis" qu'on trouve en CD. En voici les paroles (je n'ai pas encore pris le temps des les traduire) : 


Venezia che muore, Venezia appoggiata sul mare,
la dolce ossessione degli ultimi suoi giorni tristi, Venezia, la vende ai turisti,
che cercano in mezzo alla gente l' Europa o l' Oriente,
che guardano alzarsi alla sera il fumo - o la rabbia - di Porto Marghera...

Stefania era bella, Stefania non stava mai male,
è morta di parto gridando in un letto sudato d' un grande ospedale;
aveva vent' anni, un marito, e l' anello nel dito:
mi han detto confusi i parenti che quasi il respiro inciampava nei denti...

Venezia è un' albergo, San Marco è senz' altro anche il nome di una pizzeria,
la gondola costa, la gondola è solo un bel giro di giostra.
Stefania d' estate giocava con me nelle vuote domeniche d' ozio.
Mia madre parlava, sua madre vendeva Venezia in negozio.

Venezia è anche un sogno, di quelli che puoi comperare,
però non ti puoi risvegliare con l' acqua alla gola, e un dolore a livello del mare:
il Doge ha cambiato di casa e per mille finestre
c'è solo il vagito di un bimbo che è nato, c'è solo la sirena di Mestre...

Stefania affondando, Stefania ha lasciato qualcosa:
Novella Duemila e una rosa sul suo comodino, Stefania ha lasciato un bambino.
Non so se ai parenti gli ha fatto davvero del male vederla morire ammazzata,
morire da sola, in un grande ospedale...

Venezia è un imbroglio che riempie la testa soltanto di fatalità:
del resto del mondo non sai più una sega, Venezia è la gente che se ne frega!
Stefania è un bambino, comprare o smerciare Venezia sarà il suo destino:
può darsi che un giorno saremo contenti di esserne solo lontani parenti...

11 octobre 2007

Tramezzinimag va prendre quelques semaines de vacances

Souvent autrefois, je me demandais comment on pouvait encore avoir la prétention d'écrire sur Venise. Tellement de grands écrivains avaient su parler de la ville, celle d'hier et celle qu'ils voyaient. Tellement de choses, de sensations, d'impressions ont été ainsi merveilleusement décrites. Comment oser encore ajouter mon verbiage. Avec internet chacun devient expert, spécialiste, gourou aussi parfois. Il se trouve toujours un public pour apprécier cet à peu près qui convient bien au monde d'aujourd'hui. Plus de 80.000 personnes sont venus régulièrement lire TraMeZziniMag en deux ans.
 
Mais j'ai l'impression ce soir, en parcourant toutes ces pages virtuelles d'être un imposteur. Non pas que j'ai menti ou dit des insanités. Non, j'ai toujours écrit en vérité, avec mon cœur et mon âme. Cependant, je suis fatigué de ce combat quotidien contre la médiocrité de mes idées. J'en suis réduit à chercher en permanence ce qui pourra attirer l'attention du lecteur, lui apporter de la nouveauté, lui faire découvrir quelque chose. Il n'y a plus guère de spontanéité et de simplicité dans mes pages. Les aficionados de Venise prennent apparemment du plaisir à ses promenades virtuelles et j'en suis flatté, mais je me suis éloigné de l'esprit de départ, de ce qui avait motivé la création de ce blog. Car TraMeZziniMag n'est pas un site, c'est un blog. Une sorte de journal, un exutoire où je soigne la douleur de mon exil et les péripéties parfois difficiles de mon existence présente. Un moyen aussi de garder vivantes toutes les aventures de ma jeunesse vénitienne. 
 
Et puis je vois tellement de passionnés, tellement de gens sympathiques dont l'amour pour Venise se traduit dans des sites magnifiques. A les parcourir, je me rends compte que ma passion, ma connaissance de la ville, l'amour que j'ai pour elle qui est comme l'amour qu'un homme peut porter à une femme, est aussi partagé par des milliers d'autres personnes et que je ne transmets finalement que de l'à peu près, du superficiel. Du virtuel.Certes un ressenti authentique, de très riches souvenirs, mais de l'à peu près tout de même...

Non pas que je regrette de n'avoir pas Venise pour moi seul. Mais je ne me sens pas toujours à la hauteur. Mon amour est solitaire. Personnel. Avec mes enfants, avec un nombre très réduit d'amis aussi, je parviens parfois à le vivre puisqu'ils partagent naturellement cette passion. Pas avec les autres. Et puis arrive forcément un moment où j'empiète sur la plate-bande de l'autre justement. A maintes reprises déjà, cherchant une image pour illustrer un texte, j'ai emprunté un cliché à des sites amis. Personne ne m'en veut vraiment, mais ce pillage dérange. Pour ma part, je n'aime pas photographier Venise - cela m'a toujours gêné comme si je violais son identité profonde - mais j'ai besoin d'illustrer mes textes... 

Bizarrerie supplémentaire : je suis terriblement jaloux des lieux où j'aime aller dans Venise et pourtant j'en ai dévoilé quelques-uns au fil des pages. En parcourant tous ces blogs, tous ces sites, j'ai retrouvé les mêmes endroits, les mêmes passions, les mêmes émotions. J'ai pris conscience que Venise ne m'appartient en rien, pas plus qu'elle ne vous appartient. Et pourtant je la voudrais toute à moi. En fait, je n'arrive plus à accepter d'avoir à partager. 

C'est pourquoi ce soir j'ai pris la décision d'arrêter pendant quelques temps la parution du blog. C'est une décision terriblement difficile car depuis des mois, ma vie tourne autour de ce blog, en fonction de ce blog. Je me lève la nuit pour rechercher une citation, je laisse de côté mes travaux et mes obligations professionnelles. Je vis constamment avec Venise en tête et délaisse tout le reste... Je veux garder ma Venise authentique pour moi, et ne plus m'angoisser de savoir comment donner sans me défaire, comment exprimer tout ce que je ressens sans copier ni plagier. Et puis, je veux aussi continuer de vivre normalement, sans elle. Je n'ai pas envie de devenir fou ni monomaniaque. 

Merci de m'avoir lu avec autant de fidélité et d'indulgence et à bientôt !

Petits itinéraires choisis pour un séjour entre amis (II)

Et si nous nous promenions ce soir dans Venise. Oh ! rien de bien précis, pas de but avoué si ce n'est le désir de retrouver cette atmosphère unique qui saisit le promeneur. Enfonçons-nous dans le ville comme on se fond dans un rêve, suivons au hasard un itinéraire qui s'impose devant nous. Allons donc au gré de notre rêverie, sur un des arias de l'Oratorio de Caldarà dont je vous parlais hier. 

La stazione. Les marches descendues, le premier contact absorbé par nos sens, mettons-nous en route. Non pas par la Lista di Spagna, mais par cette petite ruelle sur la gauche. Elle va nous mener dans un dédale de courettes et de venelles vers le fonds de Cannaregio, à la limite du monde moderne que représentent les alentours de la gare et les anciens bâtiments de l'Enel et de la Venise éternelle, celle du temps des doges : les abattoirs, les vieux palais décatis. Après maints détours, nous traverserons ce jardin public inconnu des touristes. Peu de monde, quelques vieillards, des enfants, des chats au milieu d'un parc arboré de presque un hectare, entre l'église des Scalzi et la Lista di Spagna. Un passage pour éviter cette rue grouillante qu'empruntent presque tous les touristes qui remontent vers le Rialto en passant par le campo San Geremia où se dresse le Palazzo Labia et le ponte dei Guglie. 

En sortant du jardin du palais Savorgnan, on arrive au bout du canal des Tre archi après être passé par un quartier neuf rempli de jardins très fleuris. C'est par là qu'autrefois on pénétrait en bateau dans Venise. De ruelle en ruelle, on débouche sur le parvis de San Giobbe, toujours vide et tranquille. 

Peut-être, si l'église est encore ouverte pourra-t-on voir cette jolie peinture de Gerolamo Savoldo représentant la crèche. Il y aussi ce monument très baroque de Claude Perrault à la mémoire de l'Ambassadeur du roi Louis XIV, Renaud Le Voyer de Paulmy d'Argenson, qui mourut à Venise, en 1651. Il faut savoir que l'Ambassade de France était située non loin de là, sur la Fondamenta de Cannaregio, somptueusement aménagée dans le Palais Surian-Bellotto où logèrent Montaigne et l'insupportable Jean-Jacques Rousseau qui ne comprit rien aux vénitiens ni à Venise. La pala de San Giobbe par Giovanni Bellini est une merveille. On la voit désormais, hélas, à l'Accademia.

De l'autre côté du canal (qui était le seul accès à Venise autrefois), avant le pont des Guglie, se trouve le ghetto. L'Alloggi Biasin a été mon premier logement d'étudiant. j'y tenais la réception en même temps qu'un gros garçon colombien et Gabriele Toniolo de Mogliano-Veneto, devenu un très bon ami et qui n'a jamais changé de métier puisqu'il est maintenant le gérant de l'Albergo Mignon, à Santi Apostoli. Mais toutes ces réminiscences de ma jeunesse, ça creuse. Une pâtisserie encore ouverte nous fournira quelques sucreries pour reprendre de l'énergie. 


Campo del ghetto, le pont de fer, la fondamenta de San Alvise, fondamenta delle Capucine. J'ai vécu là un an, (au 2993 Fondamenta Coletti précisément), dans un sympathique petit appartement entièrement couvert de lambris qui lui donnait un air de chalet de montagne. Les fenêtres donnaient sur le terrain de l'association sportive du quartier. J'y vivais avec un amour de petite chatte grise aux yeux verts qui se nommait Rosa. Mon plus proche voisin était un vieux pêcheur à la retraite qui passait ses journées sur une chaise sur la fondamenta. Il m'invitait parfois à partager son repas. Ses spaghettis aux clovisses et aux moules fraîches étaient un régal... Quel merveilleux quartier. Une Venise paisible et populaire se montre par ici. Tout est tranquille, serein. 


Remontons vers la Misericordia et le Casino des Esprits. Nous ferons un détour puisque le temps est beau : Madonna dell'Orto, Campo dell'Abazzia. Devant nous le grand bassin et au fond la lagune. L'air ici est toujours plus frais. La nuit plus sombre. Le casino des Esprits et son jardin restauré laissent à chaque fois une impression un peu sinistre. Est-ce les légendes que l'on raconte sur cette maison ou simplement la position géographique de ces lieux : on débouche ici sur le plein nord de la lagune et les vents s'engouffrent par la Sacca, soudain plus froids, plus vifs qu'ailleurs où l'espace étant plus restreint entre les immeubles, l'air parait plus chaud. C'est presque l'heure de dîner. Un apéritif dans ce petit bar chaleureux près du Campiello Priuli, calle de l'Ocà où le patron et le serveur écoutent un match à la radio en essuyant les verres pendant qu'une vieille dame écosse des haricots assise à une table. Vino bianco ou prosecco ? L'Osteria se remplit. Il y a toujours du monde le soir al Bomba. C'est bon, le vin est tiré directement des fûts. Saucisses et polenta, friture de poissons, légumes grillés, jambon. Un festin de roi. Avec un peu de chances, nous assisterons à un récital de vieilles chansons de gondoliers... 

Il fait complètement nuit quand nous ressortons. Peu de monde sur notre chemin, des jeunes gens qui se bousculent en riant, un vieux monsieur très élégant qui promène son petit chien. Nous voilà déjà du côté du campo Santa Maria Formosa. Le Café de l'horloge (un autre des lieux mythiques de ma jeunesse vénitienne) est en train de fermer. Un petit groupe bavarde bruyamment pendant que le serveur lave à grande eau le dallage. Au-dessus de nous les fenêtres du vainqueur de la bataille de Lépante qui décida du sort de l'Europe dont Venise fut garant, grâce à l'ingénieuse victoire de cet amiral patricien. Au fond le palais Ruzzini-Priuli, longtemps abandonné devenu un hôtel de luxe à la décoration intérieure très fashion. Sa façade (Renaissance tardive) a été repeinte en blanc. 

J'avais eu la chance de pouvoir y pénétrer il y a plus de vingt ans.  J'ai encore le souvenir de cette odeur incroyable qui semblait venir du lointain passé de la ville. Des tentures de soie brûlée par le soleil pendaient devant les hautes fenêtres aux volets entrouverts. Des plafonds peints à fresque s'écaillaient, de grands lustres de bronze brillaient dans des salles aux murs garnis de tableaux géants. Et puis ce silence mêlé à cette odeur persistante, une sorte de mélange de naphtaline, de poussière, d'humidité, de bois de santal et de cuir, de regrets aussi. Pendant tout la visite (il devait être cinq ou six heures du soir et nous étions en octobre) j'ai eu la sensation d'être observé, guetté, suivi. C'est idiot mais j'ai toujours pensé que ce palais était hanté... J'ai su depuis que le sang des Ruzzini coule dans mes veines...

Les photos sont de Jas et Jeanine (le Campiello) que je remercie vivement d'avoir bien voulu tolérer cet emprunt amical.

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 6 Commentaires : 

venise86 a dit… 
Tu me mets au supplice... Cette Venise là que j'aime, si loin des visites organisées et baclées... Merci encore Lorenzo.. 
11 octobre, 2007 

 Jean-Claude a dit… 
Toujours fidèle à votre blog, évidemment, je viens vous soumettre cette vidéo pour évaluation/correction/amélioration : http://jc-courbon.com/JacopoDeBarbari.htm 
Il s'agit de la carte de Jacopo de Barbari que je récupère et recompose depuis http://www.tridente.it/venetie/map/map.htm. 
La première vidéo est sur Cannaregio, je souhaiterai faire tous les sestieri en suite (c'est un boulot de fou...) Avant de la mettre sur DailyMotion, mon compte YouTube ayant été supprimé parce que j'avais utilisé quelque part la chanson "Rum and Coca Cola" des Andrews Sisters !!! (voir http://iconesetclash.blogspot.com/2008/09/la-compote-de-rhubarbe-faon-jean-pierre.html ). 
Pas de mail pour vous écrire, je mets donc un commentaire à ce billet sur Cannaregio ! Merci d'avance de vos commentaires. Éventuellement de vos encouragements à continuer ! Amitiés.
JCC (jccourbon@gmail.com)
27 octobre, 2008 

ladivinecomedie a dit…
Quelle suite magnifique hors des sentiers battus et rebattus ! Dans l'église de San Giobbe je me souviens dans la Chapelle du magnifique plafond en faience vernissé aux couleurs surprenantes représentant les quatre évangélistes. Et non loin de là, de mon repas pantagruélique à la Trattoria dalla Marisa. 
31 décembre, 2009 

Thierry a dit… 
Oui...comme dit si bien Venise86...un supplice (de ne pas y être) mais un supplice divin...Quel style! 
31 décembre, 2009 

Anonyme a dit… 
René de Voyer de Paulmy d'Argenson (1596-1651). 
M.17 
31 décembre, 2009 

Lorenzo a dit… Argenson a été l'un de nos meilleurs ambassadeurs à Venise. Fort apprécié des vénitiens, ce qui était plutôt rare. Ah! la trattoria da Marisa ! Accueil sympathique, ambiance géniale et nourriture de qualité (on mange ce que le cuisinier a décidé de préparer et c'est toujours bon). Une des meilleures adresses de Canareggio, au 352b de la Fondamenta San Giobbe. A la bonne saison, on peut déjeuner dehors au bord de l'eau. Une adresse à préserver ! 
01 janvier, 2010

Il y a 210 ans, le dernier soupir de la République...(*)

Il est plus convenable de fêter les naissances, les victoires et les créations que les défaites et les disparitions. Pourtant, il est important de se souvenir que l’année 2007 correspond au deux cent dixième anniversaire de la disparition de la République qui n'était en rien inexorable et demeure du seul fait de l'outrancière manipulation, inventée pour servir sa seule ambition, d'un petit général corse de 27 ans qui se prenait déjà pour César.

En effet, il y a deux cent dix ans, le 18 octobre de l’an de dis-grâce 1797, à Passariano, dans la somptueuse villa de la famille Manin, Buonaparte qui était incapable d'aligner deux mots sans faire une faute d'orthographe, signait le terrible traité de Campo-Formido qui tira un trait rageur sur les mille ans d'indépendance de Venise. Ayant effrontément dupé l'univers entier, après avoir manipulé, falsifié et déformé la situation, contre toutes les traditions diplomatiques et militaires, l'aventurier corse avait assujetti un Etat neutre, auparavant allié traditionnel de la France, pour servir son ambition.

Quelques mois auparavant, le 12 mai exactement, sans y être forcé, Ludovico Manin, l’ultime doge rendait le corno ducal à son chambellan avec ces paroles prononcées ou inventées : "rangez cela, je crois que je n’en aurai plus besoin dorénavant" et le gouvernement de la Sérénissime s’effondrait, laissant la place à une municipalité révolutionnaire bien embarrassée du lourd héritage qu'il lui fallait dorénavant assumer.

Trop d’orgueil certainement et ce qui aurait pu être sauvé ne l’a pas été. Rappelez vous les propositions de Buonaparte qui n’osait pas envisager, au début de la campagne d’Italie du moins, l’anéantissement de la République, certes détestée (le petit général taciturne était corse donc gênois avec tout ce que cela sous-entend de haine pour Venise). Il voulait aide et garanties (autre chose que Venise de tout temps dispensa avec parcimonie et beaucoup d’arrières-pensées). 

L’idée d’une alliance avec la jeune République française parut odieuse au Gouvernement. L’aristocratisme régnant à la cour du doge, la dégénérescence de la pensée politique et du patriotisme étriqué des patriciens, davantage préoccupés de la protection de leurs immenses fortunes, les rumeurs aussi depuis la mort du roi Louis XVI (qui pourtant n’était pas très aimé des vénitiens – la marine française s'imposait de plus en plus dans le monde et le roi très chrétien se méfiait de cette République de marchands qui prétendait dicter au sud ses règles, sur les mers et les royaumes soumis tout comme l’Angleterre le faisait au nord, et puis surtout la faiblesse et la chute du monarque), tout éloignait les vénitiens de la France de 1797. Cela contribuait à justifier l’attitude de recul offensé des vénitiens qui prirent tout cela de très haut. De trop haut…

Avec des "si", on peut tout envisager. Mais pourtant. Si la propagande de la République de Saint Marc avait continué sur la lancée des siècles passés, si l’idée de République avait été mise en avant et si, aux premiers temps de la propagation des idées révolutionnaires (celles du Jeu de paume et de la Fête de la Fédération) de nombreuses fois exprimées dans des ouvrages imprimés et édités à Venise depuis les années 70 et que les loges maçonniques vénitiennes étudiaient, défendaient et se chargeaient de répandre en Europe, l’histoire de Venise aurait été certainement différente.

Un aïeul qui vécut l’entrée des troupes autrichiennes après le traité de Campo-Formio, écrivit dans une lettre qui est parvenue jusqu’à nous cette phrase que je mis des années à comprendre : "Aujourd’hui, en pénétrant sur la Piazza, les autrichiens se sont vengés du sort fait à la reine Marie-Antoinette". Que voulait-il exprimer par là ? Venise n’avait aucune part dans l’assassinat de la jeune reine de France, née princesse autrichienne. Mais c’était la politique étriquée du Gouvernement qui, si elle avait été plus réfléchie et davantage ouverte sur l’avenir – mais ce genre de politique n’est le fait que d’exceptionnels hommes d’Etat, race hélas disparue depuis longtemps de la Sérénissime au moment de ces évènements – eut pu changer la face de l’Europe et les suites de la Révolution française. Si le Doge avait mis en place les réformes pourtant pressenties par les politologues et les constitutionnalistes de l’époque (un simple retour en fait au système des origines, amélioré et plus élaboré), si la République avait su anticiper et se mettre à l’écoute des idées nouvelles qui depuis une trentaine d’année se répandaient dans toute l’Europe, au lieu de s’enfermer dans une frilosité de "fin de race", on peut imaginer que la République durerait encore et fêterait son deuxième millénaire comme San Marino ou le Luxembourg. Et Buonaparte aurait été traduit devant une Haute-Cour et aurait fini sur une potence, évitant à l'Europe ce bain de sang qui portera en germe tous les conflits des temps modernes.

Il existe un ouvrage rarissime, jamais réédité depuis sa parution au XVIIIe siècle, qui présentait un tableau comparatif très approfondi entre les différents régimes et constitutions en place dans les pays du monde : Angleterre, France, Autriche, Pologne, Espagne, Suisse, Russie, et le régime en vigueur dans la République de Saint Marc. Si la Constitution n’y était pas réunie dans un texte fondamental comme les temps modernes nous y ont habitué, elle était bien réelle, faite d’un conglomérat de règles et d’évidences devenues des lois, on se rend compte à la lecture de cet ouvrage, combien le Gouvernement de Venise était moderne et porteur de paix intérieure. D’harmonie sociale. A Venise, on ne s’est pas contenté d’inventer la comptabilité analytique, le capitalisme et les règles du commerce international, on a réellement bâti l’idée moderne de l’État.

Mais le vénitien ne savait envisager les choses qu’à travers un seul prisme, déformant et finalement mortifère : l’argent. Seul le rapport qu’un acte, une action, une décision pouvait procurer en espèces sonnantes et trébuchantes motivait les décisions et les orientations. Voilà une des raisons de la haine portée à Venise.

Et puis la lucidité et la franchise - caractéristique qui peut sembler peu vénitienne – de la Sérénissime face au Pape et à la Chrétienté. Dignes successeurs du monde païen, chrétiens fidèles et croyants authentiques, les vénitiens prônaient depuis toujours cette séparation entre la volonté politique du successeur de Pierre en tant qu’exercice d’un pouvoir temporel aux objectifs matériels politiques et financiers, la pratique intime, personnelle et confidentielle de la foi et des règles prônées par les Textes saints. Ne sont-ce pas les idées de la Révolution, la première, celle qui respectait le bien et la piété. Venise se mettant au service de ces idées, c’était éviter que les extrêmes ne s’emparent du pouvoir intellectuel en Europe et imposent ce carcan terrible que fut la Terreur et qu’on retrouvera quelques centaines d’années plus tard avec l’infâme dictature soviétique sur la Sainte Russie puis sur l’Europe exsangue ? Et la République de Saint Marc ne présentait-elle pas ces mêmes défauts qui se retrouvent de nos jours dans ce colosse aux pieds d’argile que sont les États-Unis d’Amérique ?

Mais l’Uchronie a ses limites. La réalité simplement. Les hommes choisissent toujours, le plus souvent inconsciemment, la fin, la chute plutôt que la rédemption. Il y a toujours davantage de facilité à se laisser aller plutôt qu’à réagir. Quand l’Empire romain a cédé devant les Barbares, quand Venise a cédé devant Buonaparte et son armée de va-nus-pieds, les causes comme les effets furent les mêmes. Arrêtons-la les comparaisons. Elles risqueraient de n’être point flatteuses pour notre époque et notre humanité moderne…

Il existe à la Marciana, ou bien est-ce aux Archives d’État, plusieurs textes, rapports et notices datées de 1780 à 1792 qui anticipaient les problèmes à venir, en envisageant des réformes, des bouleversements et des propositions et projets d'innovations qui, en changeant peu les mécanismes et les rouages, eurent permis de conserver l’essentiel. Vous savez cette phrase de Lampedusa, dans le Guépard :
 "il fallait que quelque chose change pour que nous puissions vivre comme avant"…
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(*)-  Titre revu, préférable à celui édité ce matin "Buonaparte s'apprêtait à assassiner Venise" et qui souleva quelques objections. Mais le débat mériterait d'être prolongé. Malheureusement ce n'est ici ni le lieu ni l'objectif. Peut-être sur un forum ?

09 octobre 2007

Passion en vénitien pourrait se dire "vogare"...

A Venise, les jeunes enfants apprennent à voguer comme ailleurs on s'initie au vélo et pour beaucoup de jeunes vénitiens, c'est vite une passion.

08 octobre 2007

Et si on reparlait des gondoliers ?


Non, celui-ci n'en est pas un qui serait trop fatigué d'avoir mené à travers la ville des japonais insatiables ou qui aurait un peu abusé de ce délicieux Soave qu'il servent au bar d'à côté... En dépit du canotier et du polo rayé, cet homme n'est pas un gondolier. C'est l'un des derniers "facchini" dont la fonction était d'aider les gondoles à accoster et qui surveillaient les barques et les bagages.
 
Ils ne se déplaçaient jamais sans leur crochet qui permettent de retenir le bateau près de la rive en attendant qu'il finisse d'accoster. On dit que ce qont parfois d'anciens gondoliers. Ils rendent des menus services, portent les bagages ou font des courses. Ils sont en général plutôt jeunes. mais celui-ci a bien vieilli et bien nourri, il mérite un peu de repos.
Nos amis gondoliers commencent leur période de vacances en ce début d'automne. La plupart d'entre eux partent en général entre novembre et février aux Bermudes ou aux Seychelles. Pour un repos bien mérité et souvent très cher. Car c'est une profession qui ne crie pas famine. Au prix des balades en gondole cela se comprend. Les plus jeunes ou les moins fortunés restent et continuent d'assurer leur romantique business dont je plaisante mais qui est très réglementé. Une réglementation qui date d'ailleurs de fort longtemps : la taille et la couleur des gondoles, la tenue réglementaire selon les occasions, la manière de conduire sa barque (au propre comme au figuré), tout est inscrit depuis le temps de la Sérénissime et peu de choses ont changée si ce n'est que peu sont encore à la solde de particuliers. Indépendants ils ont une autonomie limitée par l'appartenance - obligatoire - au syndicat (confrérie disons plutôt pour rester dans la tradition vénitienne) des gondoliers. Caisses communes, astreintes, ils doivent se plier au règlement sous peine d'être mis à pied ou de voir leur gondole mise sous séquestre. C'est qu'on ne plaisante pas avec la loi chez les gondoliers. Mais le conseil de discipline n'intervient que très rarement. La plupart du temps ces hommes s'entendent à merveille, plaisantent, chahutent comme de vrais collégiens et partagent tous, sans exception, un amour profond pour Venise et pour la lagune.
 

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3 commentaires:


Anonyme a dit…
Connaîtriez-vous des ouvrages sur les gondoliers : histoire, règles de vie... Ouvrages fiables et détaillés en italien ou en français. Merci
Lorenzo a dit…
Il y en a des dizaines. surtout en italien. Si vous voulez une bibliographie à peu près exhaustive, rendez-vous sur le chapitre consacré aux ouvrages sur le site officiel de la coopérative des gondoliers : http://www.gondolavenezia.it/biblioen.asp
Anonyme a dit…
merci mille fois. la toile est si vaste que je m'y perds plus souvent que dans les calli de Venise. Je vous tiendrai au courant de mes investigations.