27 octobre 2007

La nuit sans musique

Il faisait très froid cette année-là. Un terrible brouillard s'était emparé de la lagune et semblait vouloir noyer de ses effluves la ville entière. La nuit tombait vite et cette humidité qui enveloppait tout, dégorgeant des murs sales, remontant du pavé des ruelles rendait tout sombre et sale. Élisabeth ne voyait de sa fenêtre que le gris du ciel et quelques masses informes se mouvant sur le canal de la Giudecca. Le Palais était en permanence éclairé. Mais l'épouvantable odeur des lampes à pétrole et des becs de gaz l'incommodait. Elle se souvenait de son arrivée à Venise. Le cortège joyeux sur le grand canal. Certes il ne faisait pas aussi chaud qu'en été, mais cette journée d'avril avait été particulièrement délicieuse. La maison était remplie de fleurs et leur parfum embaumait. Tout était joyeux, dedans, dehors, le ciel, la lumière, les gens. Quelle différence avec le temps de ces dernières semaines. Tout semblait définitivement gris. Elle regrettait dans ces moments la douce chaleur de la maison familiale, le salon jaune, les rideaux rouges de sa chambre, les palmiers sous les fenêtres et la mer toujours bleue avec au loin Ischia. Le gris lui semblait seulement approprié pour un manteau ou une toque en renard. Il avait envahi sa vie et oppressait son cœur depuis que l'hiver était tombé sur Venise. Les rumeurs de guerre rendaient encore plus éprouvante cette torpeur glacée. Léopold n'apparaissait presque pas. Il partait tôt le matin et ne revenait que le soir, assez tard. Il était distant, préoccupé. Rien à voir avec le jeune officier fringant et affable qu'elle avait rencontré à Naples. Il ne parlait même plus en italien sauf aux domestiques. Il était toujours en uniforme comme sur un champs de bataille mais Venise n'était qu'une pauvre ville trop paisible que soixante années d'occupation avait définitivement asservie...


(à suivre)

23 octobre 2007

Le patio du Palais Clary

par Bruno Zupan, artiste slovène contemporain naturalisé américain.

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1 commentaire:

Choubine a dit…
Que c'est beau.

La fille du consul en son joli palais

Avant que l'inanité des décisions bureaucratiques de Bruxelles ne nous pousse à la suppression de nos nombreux consulats et autres légations diplomatiques implantées depuis toujours dans les villes d'Europe, la République française occupait pour son administration le magnifique et imposant palais Clari sur les Zattere.
 
Appelé aussi palais Priuli-Bon ou Michiel, cette vaste demeure est depuis longtemps la propriété des princes Clari qui du temps du Consulat s'étaient réservés le dernier étage de l'immeuble. La Princesse Clari fut dit-on la maîtresse de Mussolini. Le palais date vraisemblablement des premières années du XVIIe siècle. Récemment restauré, il retrouve peu à peu sa splendeur passée. Inutile de préciser que du temps de la France, il n'y avait pas de budget pour opérer une restauration de l'ampleur de celle qui vient d'être réalisée. Mais il était plein de charme et j'y ai bon nombre de très heureux souvenirs. 
Le consul de mes années vénitiennes s'appelait Christian Calvy. Il vivait là avec sa femme Nicole et leur fille Agnès. Ancien consul de France à Chicago, ancien Premier Secrétaire à Ankara, des ennuis de santé et la chasse aux sorcières de l'administration Mauroy après 1981 l'avaient amené à ce poste. C'était avant la chute du mur de Berlin et ce consulat gardait encore une certaien importance stratégique. Sa circonscription consulaire comprenait Trieste, Vérone et Padoue. Parfois les dépêches continuaient de rejoindre Paris en code, informant le monde libre des mouvements suspects des supposées puissantes forces soviétiques. Son adjoint, le Vice-consul, Dillemann était un diplomate dans toutes la tradition du Quai d'Orsay, célibataire, mondain, raffiné et cultivé. Il habitait un magnifique appartement en haut du Palais Sagredo, sur le Grand Canal. Au-dessus du Consulat ou était-ce à côté, l'Alliance française avait ses locaux. Elle était tenue avec une poigne de fer par Lucienne Couvreux-Rouché, qui laissa à sa mort une énorme bibliothèque remplie notamment d'éditions originales de la plupart des romans à succès des cinquante dernières années le plus souvent dédicacés. 
C'est le hasard qui me permit de rentre au Palais Clari et d'en devenir un habitué. Mais peut-être l'ai-je déjà raconté. J'étais jeune, étudiant, désargenté et seul. L'hiver est terrible à Venise quand on est mal logé. Je passais des heures le soir au bar des Do Draghi, dit aussi le baretto, juste en face du campanile de Santa Margherita. A l'époque c'était le seul bar moderne. Tous les étudiants du quartier le fréquentaient. Les propriétaires étaient sympathiques. il y faisait chaud et j'y avais un crédit. Un soir dans la petite salle du fond nous étions cinq ou six. J'étais assis sur la banquette, dévorant le magnifique texte "L'erreur de Narcisse" de Louis Lavelle que j'avais déniché à la Querini Stampalia. A côté de moi, un petit groupe de poivrots sympathiques faisaient des paris idiots. A l'autre bout de la banquette, il y avait une jeune fille, brune, pas très grande, assez jolie qui lisait Françoise Sagan. En français. 

Elle venait elle aussi assez souvent dans ce bar. Nous ne nous étions jamais adressé la parole. Le pari des poivrots tomba sur nous : "une coupe de champagne si je parviens à les faire se rencontre ce soir" clama l'un des buveurs. Il réussit. Nous avons fait connaissance. Quand vint l'heure de rentrer, je lui proposais de la raccompagner. Elle m'avait dit ne pas habiter très loin. Nous avons bavardé de choses et d'autres. Puis, arrivés devant l'énorme porte du Palais Clari avec son marteau géant, elle m'a dit embarrassée "je suis arrivée". Elle a ouvert la porte (je crois qu'il y avait un portier à l'époque qu'il suffisait de sonner). Devant la beauté décatie du cortile, mon envie d'en voir plus était grande. La jeune fille me fit rentrer. Nous nous sommes promenés dans le petit jardin au bord du canal, puis nous sommes montés sur l'une des terrasses qui surplombent l'entrée d'eau. C'est là que le hasard a encore jailli dans ma vie. 

Elle m'avoua être la fille du consul. Nous avons parlé des pays qu'elle avait habité depuis son enfance. Elle venait de Chicago mais avant elle avait séjourné à Ankara. Je lui parlais de mon oncle diplomate qui y occupa un poste pour une organisation internationale. Il est italien, sa femme danoise et je parlais de mes deux cousines. "Tiens" me dit-elle, "maman jouait au bridge avec une danoise dont le mari était représentant de l'ONU et sa fille aînée sortait avec mon frère. Elle faisait du baby-sitting"... 

Nous parlions des mêmes. Cette coïncidence m'ouvrit à deux battants les portes du consulat. J'allais devenir le sigisbée de la fille du consul, son grand frère, son protecteur, son surveillant. Elle fut ma petite sœur, la compagne de mes peines et de mes doutes et l'instigatrice de mon introduction dans la société vénitienne. Dîners, soirées, réceptions, je connus dès lors une vie bien douce au Palais Clari où j'étais souvent convié en dépit de ma misérable garde-robe et de mes poches bien vides.



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5 commentaires:

Danielle (Campiello) a dit…
Quelle belle histoire et si joliment racontée. J'y sens comme une note de nostalgie ...c'est vrai qu'être amené à fréquenter les aîtres de ce palazzo a dû vous laisser d'impérissables souvenirs.
Puis-je vous poser une question? Il y a dans l'église de San Trovaso une chapelle qui est d'ailleurs la pièce maîtresse de l'église : la chapelle Clary , dédiée à **** Elisabetta Alessandrina Clary et un bel autel avec un bas-relief en marbre blanc(1470) représentant des anges est attribué à l'école de DONATELLO ( j'en ai parlé sur les pages que j'ai consacrées à San Trovaso ) Je ne suis pas parvenue à situer cette Elisabeth Clary....
Je serais bien heureuse si vous pouviez me donner des renseignements sur elle. Dès maintenant,un tout grand MERCI
25 octobre, 2007 

Lorenzo a dit…
La princesse Elisabeth Alexandra était la fille du comte de Ficquelmont, diplomate autrichien ami de Metternich qui fut en poste à Naples et joua aussi un rôle important auprès du vice-roi face à Daniele Manin. C'est à Naples qu'elle naquit le 10 novembre 1825. Elle épousa SAS le prince Edmund von Clary und Aldringen, conseiller de l'Empereur dont elle eut quatre enfants. Son unique fille, Edmée se maria à Venise avec un diplomate italien, Charles Felix Nicolis de Robilant. Elisabeth mourut de Phtisie le 14 février 1878. Elle est enterrée au cimetière des étrangers à San Michele.
28 octobre, 2007 

Danielle ( Campiello) a dit…
Merci à vous Lorenzo.d'avoir pris le temps de me répondre et sans doute aussi d'avoir fait quelques recherches.. je tiens bonne note de votre réponse...:-)
28 octobre, 2007

anita a dit…
Vous racontez si élégamment qu'il est aisé de se faire son cinéma ...juste en fermant les yeux après lecture .
( en confidence : dès que mes activités me laissent un moment , je clique ici et là ...et à chaque fois je m'évade avec bonheur ! )
24 janvier, 2008
 
géraud a dit…
Le consulat d'aujourd'hui n'est certes pas aussi beau. Et la place de la république française pas bien grande à Venise.
23 mars, 2008

21 octobre 2007

Les galeries d'Art contemporain à Venise

De nombreuses galeries existent à Venise. Cependant, elels ne proposent pas toutes de la qualité de niveau "international". La plupart du temps centrées sur les artistes italiens, elles s'ouvrent aussi - surtout le temps de la Biennale - à des artistes étrangers. Beaucoup d'art graphique, de la peinture et hélas, comme partout, peu de sculture. Voici quelques lieux que j'aime visiter. La liste n'est pas exhaustive, loin de là. Il s'agit simplement d'un choix parmi toutes les galeries de la ville.
 
En tout premier lieu la galerie Bac Art Studio de mes amis Paolo Baruffaldi et Claudio Bazzichetto. Venise a la part belle avec une revisite de ses traditions. Les artistes de la galerie forment une cohérence appréciable. Ils permettent d'acquérir de jolies petites choses vénitiennes de qualité comme Lalla Malavezzi, David dalla Venezia, Ettore Greco, Ferruccio Bortoluzzi, Gianni Sabbioni, Pino Cimenti, Riva, Antonio Giancaterino. A voir notamment les jolis petits livres d'art de Baruffaldi.
Dorsoduro 862. tél. : 041.5228171
 
Galleria l'Occhio
Calle del Bastion Dorsoduro 181, Venise tel.: 041.5226550
 
Galleria del Leone tenue par un français, Pierre Higonnet, elle est située à la Giudecca, juste en face de l'arrêt du vaporetto (Palanca). On y trouve de tout. Cette année, l'exposition "Constellation" de Nicolas Alquin est particulièrement intéressante.
597 Giudecca, Fondamenta Sant'Eufemia
 
Galleria Contini
Né à Pistoia en 1950 mais vénitien d'adoption, et après avoir terminé ses études en 1969, Stefano Contini se consacra avec passion à l'art: d'abord dans le secteur des publications spécialisées puis dans l'activité de galeriste. Aujourd'hui, il existe trois galeries d'art Contini (Venise, Mestre et Cortina d' Ampezzo), considérées comme un solide point de référence, aussi bien au niveau national qu'international. Artistes: Fabio Aguzzi, Joseph Navarro Vives, Sandro Chia, Fernando Botero, Igor Mitoraj, Anton Zoran Music, Ida Barbarico, Giuseppe Cesetti, Carlo Guarienti, ...
Santo Stefano San Marco 2765 - Venise tel.: 041.5204942 
 
Galleria Tornabuoni fut fondée en 1981 à Florence. Dans chacune des galeries Tornabuoni existentes (Florence - Portofino - Forte dei Marmi - Milano – Venise) une exposition annuelle met en évidence les principaux stades de la carrière artistique d'un artiste italien ou de renom international.
Campo San Maurizio 2663 San Marco, Venise tel.: 041.5231301
 
Galerie Bugno
Artistes permanents: Arman, Bruno Saetti, Alighiero Boetti, Virgilio Guidi, Giuseppe Santomaso, Alberto Burri, Lalla Malavezzi, Livio Seguso, Salvo, Andrei Davis Carrara, Armando Pizzinato, Emilio Vedova...
San Marco 1996/A Venise tel.: 041.5231305
 
Flora Bigai Art Gallery
Fondée en 1988, la galerie est dirigée par Flora Bigai. Elle expose les oeuvres d'artistes nationaux et internationaux tout en prêtant particulière attention aux représentants du Pop Art tels que Tom Wesselmann, Robert Indiana et James Rosenquist.
Artistes permanents: Cingolani, Clemente, Indiana, De Maria, Haring, Hirsh, Marianello, Paladino, Stella, Pignatelli, Rosenquist, Warhol, Wesselmann, ...
Frezzeria, San Marco 1652, Venise tel.: 041.5212208

Galerie il Capricorno
Calle dietro la Chiesa San Marco 1994, Venise tel.: 041.5206920
 
Galerie il Traghetto
San Marco 2543 30124 Venezia tel. 041 5221188
 
Galerie Ravagnan
Fondée en 1967, la Galerie d' art Ravagnan est l'une des plus anciennes et prestigieuses galeries d'art contemporain de Venise. Le propriétaire, Luciano Ravagnan, aujourd'hui épaulé par ses enfants dans l'activité, ne s'est jamais laissé influencé par les courants émergents donnant ainsi la possibilité à de jeunes artistes de s'affirmer dans le cadre national et international.
Artistes: Ludovico de Luigi, Beppe Giuliani, Aron Demetz, Guido Anton Muss, Andrea Vizzini, Primo Formenti, Piero Principi, Giorgio Zennaro.
San Marco 50/A, Venise tel.: 041.5203021
 
Galleria Lo Greco où l'artiste expose son travail. C'est l'ancienne galerie de Giuliano Graziussi où j'ai fait mes armes avec Borai, de Chirico, Cossovel, Basaglia, Murer, Ludovico de Luigi, Ceselli, Matteo lo Greco justement et le maestro Arbit Blatas. Plein d'autres encore. Un lieu qui a compté dans la vie culturelle vénitienne, en face de la Fenice. Le travail de Lo Greco est très intéressant. Ses sculptures de bois ou de bronze comme ses dessins ont de plus en plus le succès que l'artiste mérite.
S. Marco, 199830124 Venezia (VE), Italy+39 041 5212582
 
Galleria PalaGraziussi. Giuliano Graziussi a remonté un espace d'art contemporain qui est aussi un lieu dévolu aux évènements culturels, dans un bâtiment historique où la biennale s'est plusieurs fois installée ces dernières années.
Antico Oratorio San Filippo Neri alla Fava, Castello 5500c, Tél. : 041 523 87 86

La 52e Biennale d'Art Contemporain ferme ses portes dans un mois. En attendant, voici le palmarès 2007 :

Quelques semaines encore et la 52e Biennale de Venise, placée cette année sous la direction de l'américain Robert Storr, et qui a déjà reçu plus de 230.000 visiteurs, ne sera qu'un souvenir. Le palmarès a été présenté vendredi à l'Arsenal. Il est inattendu et reflète bien la personnalité de ce jury international, présidé cette année par Manuel J. Borja-Villel, directeur du Musée d’Art Contemporain de Barcelone. Quatre lions d'or et deux mentions honorables. Le 10 juin dernier, quelques jours après l'ouverture, la Biennale avait déjà célébré le grand photographe malien Malick Sidibé, 71 ans, gloire de Bamako, en lui décernant un prix pour l'ensemble de sa carrière.

Lion d'or du meilleur pavillon national.
C'était le prix le plus attendu. décerné en 2005 à la française Annette Messager, il récompense cette année le pavillon hongrois et son concepteur Andreas Fogarasi. Né en 1977 à Vienne, l'artiste a participé à "Manifesta 4" à Francfort en 2002, et à l'exposition "GNS" au Palais de Tokyo, à Paris en 2003. Invité par Katalin Timar, l’artiste a proposé un projet intitulé, "Kultur und Freizeit", constitué d'une série de projections de documentaires dans des boîtes noires fonctionnelles mettant en lumière l’état actuel des centres culturels à Budapest. L’analyse de ces différents lieux pose en perspective les enjeux commerciaux de la culture nationale qui vont bien au-delà de la capitale hongroise.

Mention d'honneur
Sorte de deuxième prix, elle est allée au pavillon lituanien, pour le travail de Nomeda & Gediminas Urbonas.

Lion d'or attribué à un artiste de moins de 40 ans
Il revient cette année à la Jordanienne Emily Jacir, pour "une pratique artistique qui se concentre sur le thème de l'exil en général et sur la question palestinienne en particulier, sans tomber dans l'exotisme". Née à Amman en 1970, elle vit et travaille entre New York et Ramallah. Attribution qui peut-être qualifiée d'éminemment "politique".

Lion d'or de l'exposition internationale.
Appelé aussi lion d'or du directeur de la Biennale, il consacre un artiste présenté dans cette garnde mostra collective. Il a été attribué à un artiste Argentin, Leon Ferrari, né en 1920.

Lion d'or à un critique ou un historien d'art pour sa contribution à l'art contemporain :
Benjamin Buchloh, historien de l'art internationalement reconnu comme un des plus grands spécialistes de l'art de l'après-guerre. En 2005 c'était Franklin et Florence Rosenblatt, tous deux professeurs d'Art Moderne à Harvard.

Si l’histoire de Venise est représentative de cet extraordinaire métissage commercial et culturel, la Biennale s'avère depuis de nombreuses années l’espace mental privilégié pour confronter des propositions les plus innovantes. Mieux que Basel ou Paris. En dépit de la floraison d'évènements à vocation purement commerciale partout dans Venise à l'occasion de cette grande manifestation (tous les grands marchands internationaux sont là de juin à novembre !), la Biennale est un évènement artistique de grande portée pour la création contemporaine. Dépêchez vous d’y aller, l'exposition ferme ses portes le 21 novembre.

20 octobre 2007

De mémoire de chat on a beaucoup aimé naviguer pour la gloire de la Sérénissime

Sous le regard bienveillant de leur noble cousin ailé gardien des Évangiles, les chats de Venise sont les fiers descendants de félins marins, experts indispensables aux navires d'autrefois quand la Sérénissime dominait les mers. Les hommes s'occupaient de faire avancer les bateaux, les soldats les défendaient des attaques des pirates ou des infidèles, eux guerroyaient contres rats et souris. Ils éloignaient la peste et sauvaient les cargaisons. Ils portaient bonheur aussi. C'est pourquoi on les vénère à Venise où vous trouverez peu de gens pour faire la grimace quand on leur parle des chats qu'ils préfèrent le plus souvent aux chiens, depuis toujours. Quant aux chats, descendants de ces glorieux mercenaires, ils attendent toujours de pouvoir repartir sur les flots espérant renouveler les exploits d'autrefois...

COUPS DE CŒUR N°19

Requiem vénitien
Vincent Engel
Livre de poche
Ce n'est pas un livre récent mais comme il est rangé sur mes étagères consacrées à Venise non loin de l'ouvrage de Liliana Magrini dont je cherchais une citation l'autre jour, je trouvais important de le signaler. je sais que bon nombre de mes lecteurs le connaissent (clin d’œil à la bibliographie du Campiello qui est une des plus documentées et commentées). Situé à l'époque du soulèvement avorté de Daniele Manin - filleul et homonyme du dernier doge - c'est un texte qui démarre lentement mais qu'il est impossible de quitter. Bien écrit, c'est un des meilleurs romans "vénitiens" de ces dernières années.
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Venise.net
Thierry Maugenest
Liana Levi PocheUn roman policier déjà ancien mais qui mérite d'être signalé. Très fin, intelligent et bien écrit, par un bon connaisseur de Venise, une énigme abracadabrante qui fait se télescoper les siècles et les gens. Tellement captivant qu'on n'a pas envie de le lâcher avant d'avoir fini la dernière page. Le genre de livre qu'on a envie de relire. L'auteur a vécu plusieurs années à Venise et maîtrise bien l'atmosphère et le caractère de la Sérénissime.
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Prosecco d'Arcane ValdobbiadeneFrizzante V.F.Q.P.R.D.
Cantine Umberto Bortolotti
Via Arcane, 631049 Valdobbiadene , Treviso
tel. (+39) 0423 97 56 68, fax. (+39) 0423 97 55 26
Quand vient le moment de l'ombra, le prosecco est le bienvenu. Ce vin naturellement pétillant (j'aime la dénomination italienne "frizzante") peut être atrocement mauvais - il y en a peu mais cela existe - ou merveilleusement bon. C'est le cas de celui-ci produit par la famille Bortolotti de Valdobiadenne, appellation contrôlée. Une couleur d'une jaune pâle, élégant en bouche, presque doux, il se marie parfaitement avec la cuisine légère d'aujourd'hui, avec des ciccheti ou seul en vin à boire frappé avec les amis.
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Trattoria Antiche Carampane
San Polo, 1911,
Tél. : 041-5240165
http://www.antichecarampane.com/
Depuis toujours, le meilleur frito misto de tout Venise. L'accueil est chaleureux, la clientèle éminemment vénitienne et les prix pas trop douloureux. La maison ne sert ni Lasagne (au grand dépit de mes enfants), ni pizza. Pas de menu touristique non plus. Le patron explique bien que ce n'est pas par ségrégation mais parce qu'il ne sait pas faire autre chose que la cuisine vénitienne de Venise. Pas celle réinventée par de talentueux jeunes chefs de New-York. Du classique donc et du bon. Les desserts sont tous faits maison.
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Enoteca Ai Artisti
Fondamenta della Toletta, Dorsoduro 1169/A
Tél. & Fax : 041 5238944

Ce local génial qui est un peu notre annexe (nous habitons à exactement trente pas de là !) a été ouvert il y a quelques années par un couple génial, Vincenzo Buonfiglio et Francesca Ciancio. Aux traditionnels cichetti (les tapas vénitiens) s'ajoutent des plats simples prétextes à la dégustation de délicieux vins blancs et rouges de toutes les régions d'Italie. c'est simple et raffiné à la fois. L'hiver tout le monde s'entasse à l'intérieur mais dès qu'il fait beau, les tables le long du canal de la Toletta sont bien agréables, à mi-chemin entre l'Accademia et la Ca'Rezzonico. Si vous avez de la chance vous tomberez un jour de dégustation de fromages ou de salaisons. Un vrai plaisir à chaque visite.

Crema Fritta
Ce n'est pas un dessert léger mais c'est tellement bon. Le froid venant, les enfants en raffolent et je crois pouvoir affirmer que c'est le dolce le plus typique de la tradition culinaire vénitienne. Facile à faire en plus. Peu d'endroits aujourd'hui en proposent encore sauf peut-être des magasins de pâtes fraîches. Dans certaines familles, on ne la fait pas frire mais seulement cuite et recouverte de sucre semoule. Il existe de nombreuses variantes. Voici celle que j'utilise.
Pour réaliser ce merveilleux dessert il vous faut : 1 litre de lait, 8 œufs, 200 gr de sucre semoule, 200 gr de farine, 1 citron, 1 bâton de vanille, 100 gr de beurre et du sel.
Faire réchauffer le lait et pendant ce temps, mélanger dans une terrine les jaunes et le sucre. Diluer la farine dans un peu de lait chaud et ajouter l'appareil obtenu dans la terrine. Saler, mettre le bâton de vanille fendu en deux dans le sens de la longueur, le zeste de citron râpé et tout le lait restant. Bien mélanger. Mettre l'appareil sur le feu et laisser cuire 10 minutes sans arrêter de remuer. On évite ainsi les grumeaux. Enlever la gousse de vanille et transvaser la crème sur une plaque ou un moule. Étaler pour que la crème fasse environ 4 cm d'épaisseur. Laisser refroidir et tailler en carrés ou en losanges. Passer les morceaux obtenus dans le blanc d’œuf battu puis dans de la chapelure et faire frire dans du beurre. Servir chaud.

19 octobre 2007

Venise en octobre

Ah quel joli moment que cette journée vénitienne. Le ciel est sans nuage, le soleil luit et une douce fraîcheur depuis ce matin transforme la lumière et l'air qu'on respire ici. Les gens ont l'air heureux. Rien à voir avec cette apparence maussade qu'ont tous les passants dans les rues de Venise quand la pluie s'installe. Pierres et corps sont alors comme imbibés de cette humidité qui semble ne vouloir jamais disparaître. Sous le soleil d'aujourd'hui, si rien ne ressemble plus aux paysages de l'été, voire des débuts timides de l'automne, il règne une atmosphère difficilement descriptible. Une sensation de bien-être, mais comme passagère, temporaire. 
 
Le vent frais se faufile dans les ruelles sombres et il a fallu attendre midi et le tintement joyeux des cloches de Zanipolo pour que frère soleil réchauffe les pierres. Les chats qui avaient disparu retrouvent la margelle des puits, les rebords de fenêtre mais on les sent attentifs, ils savent bien eux que tout ce bien-être n'est qu'éphémère. Demain, la Bora soufflera et le froid s'immiscera partout. Le silence se fera plus lourd et la joie d'entrer dans les derniers lieux qui semblent habités dans cette ville endormie, ces bacari chaleureux, sera la même que celle que doivent ressentir les explorateurs du grand nord quand ils retrouvent leurs abris après une longue expédition.

L'intérieur vénitien, Liliana Magrini nous guide...

Je viens de retrouver la citation, elle conclut une belle réflexion sur la manière dont on a pu concevoir la topographie de Venise au fil des temps et des besoins : 
"Étrangement, dans ces rues, on n'a jamais le sentiment d'être "dehors" : elles sont elles-mêmes l'intérieur vénitien." (*)
Si vous ne connaissez pas le livre de Liliana Magrini, je vous invite à le découvrir. C'est un pur bijou, un guide amoureux, authentique celui-là, écrit par une vénitienne dans ces années de Dolce vita où on a l'impression que la vie justement douce et apaisée après les sombres années de guerre ne se conçoit pour nous qu'en noir et blanc comme ces films italiens dont je raffole... La dame traduisait des ouvrages pour Gallimard. Elle fut très proche de Camus qui relut son Carnet Vénitien. Elle connut aussi Jean Grenier et Louis Guilloux, le grand poète breton. Elle a  aussi publié la Vestale, un roman paru en 1953,  toujours chez Gallimard, qui connut un certain succès.

Pour illustrer ces propos, ce cliché Afi de ma collection qui montre un instant de pause lors du tournage du film Canal Grande de Andrea Robilant avec Maria Denis (1943). Vous aurez reconnu le ponton du traghetto de S.Tomà à moins qu'il s'agisse de celui de Sta Maria del Giglio. je ne me souviens jamais et quand j'y passe j'oublie toujours de vérifier... Vous imaginez l'âge qu'aurait le chat aujourd’hui...

(*) : Liliana Magrini, Carnet vénitien. Éditions Gallimard, 1956.

Venise est une vaste demeure

C'est Liliana Magrini je crois qui dans son merveilleux "Carnet vénitien", (Gallimard, collection blanche, 1956) souligne qu'une des particularités de Venise, c'est que même dehors, dans les rues et sur les places, on ne sent pas vraiment à l'extérieur. C'est comme si nous arpentions les salles et les corridors d'une immense demeure. N'avez-vous jamais ressenti cela ? 

18 octobre 2007

La Vierge à sa fenêtre

Sept heures sur le campo...

Découvert sur choux de Siam, le blog d'une fidèle lectrice de Québec, redoutable linguiste et sympathique vénitienne de cœur, ce poème d'automne.
  Sept heures sur le campo sombre et désolé
C’est l’automne; quelques lumières s’interrogent
Et puis se taisent; l’étranger en longue toge
Effleure une ombre sur les pierres effacées

S’appelle-t-il présent, avenir ou passé
L’espace indéfini que sa mémoire abroge
Ses pas sur les pavés conjurent d’anciens doges
Fantômes indistincts de gloires inondées

Ils vont comme des souffles traversant la brume
Où dorment des jardins d’aurores évanouies
Sous les soleils d’étain des vaines amertumes

Dans le silence aveugle chemine l’oubli
Et cette angoisse noire que verse la pluie
Enveloppe en chantant Venise dans son lit

Line Gingras

Du cosmopolitisme comme règle de vie

[...]"Les plaisirs de l'Ailleurs, dans leur nécessaire diversité, sont encore le meilleur antidote contre les excès de l'intolérance intellectuelle ou esthétique [...] Ouvrir aux amoureux de l'écriture, et le plus largement qu'il se pourra, un espace fraternel qui ignore les limites". C'est ainsi que concluait Jean-Pierre Sicre, le fondateur des Éditions Phébus, dans sa présentation du premier numéro de sa magnifique revue Caravanes. Cela pourrait être le lei-motiv de TraMeZziniMag
 
C'est en tout cas l'idée qui a présidé à sa naissance et que je garde en tête quand j'écris. Le voyage, c'est bien entendu d'autres horizons à travers le vaste monde que ma chère Venise. Mais comme Xavier de Maistre avait sa chambre dont l'exploration le rendit célèbre, j'ai Venise et c'est pour moi aussi vaste que l'immensité de l'univers. Qu'il s'agisse des chefs d’œuvres de l'art et de l'architecture ou de ces endroits oubliés des guides et qu'on nomme la Venise mineure, tout m'est délice dans cette ville unique, matricielle, plantée au milieu de l'histoire des hommes et du monde moderne tout en étant indéniablement et définitivement extérieure à tout le reste. N'est-ce pas prodigieux d'être ainsi à l'épicentre du désir touristique universel et à la fois éloigné de tout ce qui constitue la cité moderne. Venise, l'unique milieu urbain qui soit à la fois contre-nature et totalement dans la nature... 
 
"Un bon feu, des livres, des plumes ; que de ressources contre l’ennui ! Et quel plaisir encore d’oublier ses livres et ses plumes pour tisonner son feu, en se livrant à quelque douce méditation, ou en arrangeant quelques rimes pour égayer ses amis ! Les heures glissent alors sur vous, et tombent en silence dans l’éternité, sans vous faire sentir leur triste passage." écrivait Xavier de Maistre en parlant du délice qu'il trouvait à s'étendre sur son vieux fauteuil. Mon quotidien vénitien ressemble un peu à cette description du farniente pourtant bien rempli de rêveries et de réflexions. Ce n'est pas de paresse dont il s'agit, bien au contraire. Plutôt d'un dilettantisme, prémisse du bonheur. 
 
Ce bonheur paisible qu'on ressent quand on se promène sans but précis, sans savoir où l'on est, dans les quartiers méconnus de Venise. Les odeurs, les couleurs et les sons que l'on croise y sont autant d'éléments constructifs d'une paix intérieure. Je ne connais pas de souci ni de peine qu'une journée ensoleillée d'hiver passée à errer dans les rues de Venise ne puisse soulager.

17 octobre 2007

17 octobre 1797, la trahison de Bonaparte

Je ne veux pas avoir l'air de m'acharner ni d'appuyer là où ça fait mal, pour nous vénitiens de sang ou de cœur, mais nous sommes aujourd'hui le 17 octobre. Il y a cent dix ans, les autrichiens et les français signaient le fameux traité dit de Campo-Formio (en fait Campo-Formido) où rien de fut jamais signé, mais dont la situation géographique à mi-chemin entre les territoires occupés par les français et ceux aux mains des autrichiens, était l'unique concession de Buonaparte aux usages diplomatiques. 
 
En fait c'est à Passariano, près de Venise, dans la somptueuse résidence d'été du ci-devant doge Ludovico Manin (qui devait y mourir cinq plus tard) que cet accord inique fut paraphé par l'envoyé de l'empereur François II et par Buonaparte. Et ce traité le fut contre l'avis de tous et en opposition totale aux ordres du Directoire et de Talleyrand, alors ministre des affaires étrangères de la République française. Le corse le savait et c'est pour cela qu'il pressa son interlocuteur autrichien d'accepter ses propositions avant même de recevoir l'accord de son maître, au mépris de toutes les règles et usages. 
 
Je vous invite à lire l'excellent livre "Napoléon et Venise" écrit par Amable de Fournoux paru il y a quelques années aux Éditions de Fallois. Notamment l'explication que l'auteur donne sur les raisons de la trahison du futur empereur des français qui en eut toute sa vie un certain remords et entacha jusqu'à nos jours sa légende, suscitant à Venise et ailleurs, une haine contre sa personne et sa famille, jamais éteinte et encore très virulente à ce jour.
 
Ludovico Manin, le dernier doge.

16 octobre 2007

C'est pure folie mais jolie tradition...

Il faisait si chaud l'été dernier. Un caldo africano. La tentation était grande pour ces enfants. Plonger du pont des Capuzzine et se rafraîchir dans l'eau du rio de San Girolamo, devant chez eux. Récemment nettoyé, débarrassé de sa vase et de sa puanteur, il semblait bien attirant. Autrefois (et jusque dans les années 80), les enfants avaient l'habitude de plonger ainsi des ponts de Venise et de nager sans l'au des canaux. C'était toujours un joli spectacle de voir ces petits barboter et sauter en craint, riant, sous le regard amusé des anciens qui eux aussi, au même âge, s'étaient adonnés aux mêmes loisirs.

Cependant, et sans vouloir jouer le rabat-joie de service, les analyses faites récemment des eaux de Venise, même dans les canaux curetés et restaurés montrent leur haut degré de pollution : plomb, zinc, hydrocarbures, mercure, arsenic et pesticides en tous genres... Un vrai bouillon de culture explosif !
 
Et les usines polluantes de Marghera, finalement ne semblent pas être seules en cause : le nombre croissant de bateaux à moteurs, les huiles et les carburants qui sont rejetés chaque jour, les eaux sales des maisons pleines de résidus de phosphate et de graisse, les eaux ruisselantes qui drainent les résidus de ferraille des toitures, la corrosion des marbres et des métaux des immeubles sont responsables de cette pollution. Sans compter les déchets des hôpitaux, des imprimeries... La présence quotidienne de 130.000 personnes, résidents et visiteurs a transformé cette eau en élixir empoisonné. Espérons que ces enfants ont pris de bonnes douches en rentrant chez eux !

Et voici comment sera le réseau des vaporetti à compter du 21 janvier prochain

La ligne réservée aux résidents (titulaires de la CartaVenezia ou d'un abonnement résidentiel Imob) est la principale nouveauté de la fameuse "révolution" des transports en commun concoctée par l'ACTV et annoncée officiellement à la Ca'Farsetti vendredi dernier devant les journalistes. Voilà comment sont réorganisées les lignes :
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LINEA 1
Même parcours (Piazzale Roma - Lido), avec un passage toutes les 10 minutes et ouverte aux résidents comme aux touristes. Seuls les appontements de S.Chiara (Piazzale Roma), des Scalzi (Ferrovia) et Banca d'Italia (Rialto) seront modifiés. C'est la préférée des touristes et la plus redoutée des vénitiens, surtout en été.
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LINEA 2
Elle remplacera l'actuelle 82 et la 3/4. Elle aussi pour tous résidents et touristes, elle demeure la ligne rapide. Le trajet S.Zaccaria - Gidecca - piazzale Roma ne change pas mais après ce dernier arrêt s'ajouteront en permanence les arrêts suivants : Ferrovia, S.Marcuola, Rialto (Banca d'Italia), San Tomà, San Samuele, Accademia, San Marco (Vallaresso). En été, toutes les 20 minutes, un bateau poursuivra jusqu'au Lido.
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LINEA 3
Réservée aux seuls résidents, elle effectuera les arrêts suivants : piazzale Roma (Parisi), Ferrovia (S.Lucia), Riva de Biasio, San Marcuola, San Stae, Ca'd'Oro, Rialto Mercato, Rialto (Riva Carbon), San Silvestro, Sant'Angelo, San Tomà, Ca'Rezzonico, accademia, S.Maria del Giglio, Salute, San Marco (giardinetti). Un bateau toutes les 20 minutes en hiver et toutes les 10 minutes en été.
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AUTRES LIGNES
Pour faciliter le transport des résidents qui travaillent à Venise mais vivent au Lido, une liaison Lido-San Zaccaria en vaporetto sera mise en place toute l'année de 7 heures à 9 heures et de 16h15 à 19h45, toutes les 15 minutes en hiver. Et pour ceux qui viennent de la Terra-Ferma, la ligne de motoscafi numéro 41-42 continuera de relier la piazzale Roma à San Zaccaria, de 6h30 à 9 heures et de 16h35 à 19h30, toutes les 20 minutes du printemps à l'automne. Ces deux navettes seront apparemment utilisables aussi par les touristes.

Ca y est , tout change à l'ACTV !

Je vous en avais parlé, l'ACTV l'a fait et dès le 31 janvier ce sera en place : le nouveau réseau des transports maritimes du centre historique a été présenté et tout le monde en parle à Venise, au marché, dans les rues et les messages qui parviennent aux journaux et sur les sites internet tournent tous autour de cette révolution.
Il fallait modifier les choses et chercher des solutions aux nombreux problèmes posés par la croissance du trafic, les dégâts du moto ondoso, les difficultés rencontrées par les vénitiens face à la montée du tourisme, la nécessaire modernisation des bateaux et des abris. A ce sujet, la polémique - parvenue jusque dans les commentaires de TraMeZziniMag - fait rage à Venise : Comment imposer aux vénitiens de passer par l'entrée qui leur sera réservée plutôt que par celle des touristes ? De toute façon, ils passent toujours par la sortie, ce qui est formellement interdit en principe... Comment les décider à attendre la ligne 3 qui sera pour eux uniquement s'ils sont pressés et que passe justement devant eux la ligne 1 ou 2 qu'ils partageront avec les masses de touristes. 

Comment contrôler l'accès aux bateaux qui sera automatisé dans quelques mois ? Un concours a été lancé pour dessiner les nouvelles "fermate". Très modernes, elles seront doubles à Piazzale Roma, à la gare, au Rialto et à San Marco pour que soit effective - sinon efficace - la division entre les résidents et les touristes et simplement aménagées pour permettre ce tri humain... Côté protection du site historique, la polémique là-aussi est engagée : La Ca'd'Oro souffrirait de plus en plus des vibrations provoquées plusieurs dizaines de fois par jour par l'accostage des vaporetti. Les fondations bougent provoquant des milliers de micro-fissures dans les joints des marbres de la façade et certains craignent des éboulements. Les riverains ne souhaitent pas que l'arrêt soit déplacé... 

Sur la Fondamenta delle Guglie, on installe à grand frais (90.000 euros) un nouvel arrêt au moment même où des travaux d'excavation des vieilles canalisations est en cours. Depuis des années des associations alertent la municipalité devant l'état incroyable de vétusté des quais. N'aurait-il pas été judicieux de commencer par la restauration de cette fondamenta comme on l'a fait pour les Zattere plutôt que de dépenser de l'argent pour un nouveau ponton ? 

Une société privée vient de proposer la mise en place d'un réseau de bateaux-mouches, de la taille des vaporetti, dotés de moteurs dont les turbines spéciales diminueraient de 60% les remous responsables de l'effritement des rives et des fondations, qui arpenteraient le Grand Canal pour 16 ou 18 euros, permettant de désengorger le trafic de l'ACTV. Mais cette idée n'a pas plu. "Le Canalazzo n'est pas la Seine" dit-on ici... Pourtant cela pourrait réduire le trafic. D'autres proposent de limiter les livraisons à des heures spécifiques (on attend toujours le fameux terminal de fret qui permettrait de déposer les marchandises acheminées ensuite par de petites embarcations à travers les canaux secondaires et à pied). Ce n'est pas simple et là encore l'unanimité ne semble pas prévaloir entre les différentes parties. A suivre donc.

15 octobre 2007

Venise la très aimée

Loin, la nostalgie me consume ; près je ne suis pas guéri.
En l'absence et la présence, la nostalgie.
La rencontrer amène ce que je ne pouvais soupçonner :
Guérir la passion crée une autre passion.
Car rebelle et orgueilleuse,
La beauté de celle que je vois s'accroît lors des rencontres,
Et la passion doit se comparer
Au surcroît de la beauté !
Ibn 'Arabi
in-Le chant de l'ardent désir
traduit de l'arabe par Sami-Ali,
Editions Sindbad

Lieux : La "Piscina" ex-"Cucciolo", ex-"Vapore"

Jusqu’en 1986, j’habitais un petit appartement en colocation au dernier étage de la calle Navarro, entre San Vio et les Zattere. Une grande cuisine avec un énorme fourneau d’autrefois, une salle de bain en commun et trois chambres. La mienne donnait sur la ruelle et j’apercevais derrière les toits de Venise, le campanile penché de Santo Stefano.
 
J’y vivais avec Rosa, ma petite chatte grise et nous partagions l’appartement avec Federico, son propriétaire, étudiant en médecine qui logeait dans une superbe pièce aménagée dans le grenier et Betti une étudiante en littérature. Dès les premiers rayons du soleil, la coutume était de se retrouver sur les Zattere. Nous restions assis pendant des heures sur les marches de l’église des Gesuati, ou (quand nous avions assez d’argent), aux terrasses des cafés qui se trouvent sur cette fondamenta. Il y avait la terrasse de Nico le fameux glacier, mais surtout - c’était ma préférée - celle du Cucciolo. Ponton flottant comme les autres, elle était située en face de la Calcina, l’auberge où John Ruskin avait ses habitudes. L'intérieur se réduisait à une grande cuisine et un petit local doté d'un bar et d'une vitrine pour glaces. Les serveurs nous connaissaient bien. Dès le mois d’avril, la terrasse se remplissait d’étudiants et de lycéens. En ce temps-là, es touristes s'aventuraient rarement de ce côté de Venise. Après avoir visité l’Accademia et fait un tour jusqu’à la pointe de la douane, ils rebroussaient chemin et s'en retournaient bien vite vers San Marco. Nous étions entre nous et c'était bien...

Je me souviens des bandes de jeunes vénitiens, filles et garçons, installés aux tables les plus éloignées du quai et qui se servaient de grands éventails d’aluminium pour bronzer vite et plus intensément dès avril. J’y passais des heures moi aussi, dès que le temps le permettait : nous y déjeunions d’un croque-monsieur avec un birrino. Nous y prenions nos cafés et bien entendu nos gianduiotti, cette extraordinaire coupe glacée faite d’une énorme rasade de crème fouettée avec au milieu un lingot de glace gianduia (ce mélange unique de noisette, d’amandes et de chocolat)… Ce lieu m’inspirait. J’y amenais d’ailleurs ma petite machine à écrire portable, une Remington dans un coffret immaculé et je retapais là mes articles et mes notes, en fumant des Craven A sans filtre…

Le Cucciolo s’était appelé le Vapore bien avant que nous soyons nés, puis la Calcina. C’était à la fin du XIXe et au début du XXe le lieu de rendez-vous des écrivains et des artistes comme Franco Maria Piave, le librettiste de Verdi qui y avait ses habitudes, la poétesse Marie de Régnier l’amie de d’Annunzio, Jean-Louis Vaudoyer (on a une photo des deux amis sur cette terrasse), John Ruskin - qui y rédigea « Pierres de Venise ». 

En 1912, Rainer Maria Rilke - c’était un de nos héros -  écrivit sur une des tables de ce café, sur cette terrasse, une très belle lettre intitulée "Ponte Calcina, Zattere 775 ", adressée à sa Princesse Thurn et Taxis. Le baron Jacques d'Adelsward-Fersen, poète et écrivain qu'un roman de Roger Peyrefitte rendu bien plus sulfureux qu'il ne fut en réalité, y recevait Jean Lorrain en faisant disposer des abats-jours roses sur les lampes pour rendre les femmes plus belles.

Le Cucciolo a laissé la place à la Piscina. Davantage restaurant que café dorénavant. Les serveurs ne sont plus les mêmes, le style plus sophistiqué et les prix plus compliqués. La Piscina parce que, jusqu’à la fin des années cinquante, se trouvait tout à côté un bassin fermé de natation où les vénitiens venaient apprendre à nager.

14 octobre 2007

Plus proche du silence que de la parole

"Il y a un moment dans ces rencontres qui changent notre vie, où l'on est plus proche du silence que de la parole". 
 
Cette belle phrase de Lorand Gaspar qu'il appliquait au désert, je la fais souvent mienne, quand j'ai le bonheur de me retrouver seul dans Venise. La première fois que j'ai réalisé cela, la puissante force du silence qui nous lie aussi intensément qu'une parole ou un acte quand on est, par un de ces miracles de la vie, complètement en phase avec l'endroit où l'on se trouve. En l'occurrence, pour moi c'est le pont, la Fondamenta, le campo où mes pas m'ont porté quand cette sensation soudain me saisit. Rien à dire. Rien à expliquer. On sait, on a compris...

Invité récemment à parler de Venise justement, j'ai confusément senti que pour les autres qui ne vivent pas la même attirance ni la même passion, mon excitation quand j'aborde le sujet peut lasser bien vite et semble à beaucoup comme une ennuyeuse obsession... Il faut avoir fait l'expérience dont parle Lorand Gaspar pour comprendre.
 
Un jour, - je ne vivais pas encore à Venise - je devais repartir pour la France. Les bagages étaient dans le train, les amies qui rentraient avec moi déjà installées dans notre compartiment. Nous étions en avance. Ce fut plus fort que moi, il fallait que je descende du train, que je sorte de la gare, pour revoir une dernière fois Venise. J'avais une vingtaine de minutes devant moi.
 
Je ne suis pas allé bien loin, juste sur le pont des Scalzi, devant la gare. Là, j'ai allumé ma pipe et j'ai contemplé le grand canal sous le coucher du soleil. C'était magnifique. Je n'étais plus moi-même, ni triste ni joyeux. Simplement paisible. Je regardais le trafic encore important en ce début de soirée. Je m'imbibais de tous ces bruits, toutes ces odeurs, cette atmosphère. Pourtant j'avais la sensation de ne rien entendre, de ne rien sentir. J'étais moi-même Venise, et le grand canal, et l'air que je respirais. Une forme d'extase me suis-je dit après. 
 
Soudain un homme pressé avec une valise m'a bousculé, me ramenant en un instant dans la réalité. J'ai couru moi aussi vers la gare. Le train avait quitté Santa Lucia depuis quelques minutes. Je le voyais encore au bout du quai... J'ai su ce soir là que Venise avait changé ma vie. Elle me faisait signe de rester... Un an après, je m'y installais.