01 février 2012

Le dialecte vénitien. Exemples

Ne devrait-on pas parler plutôt de la langue vénitienne . Après tout le vénitien fut la langue officielle de l'administration de la République. Si le français et l'italien succédèrent au latin comme moyen de communication avec les autres peuples, le vénitien s'imposa comme la langue de la communauté vénitienne, du doge au plus humble apprenti de l'arsenal, tous la parlaient. Ils la parlent encore. Je n'aurai pas la prétention de vouloir l'enseigner aux lecteurs de TraMezZiniMag, cependant en donner quelques notions va dans le sens de notre réflexion amorcée avec vous depuis le billet sur les "néo-vénitiens". Et puis parce que je travaille depuis quelques mois à l'élaboration d'un dictionnaire - un lexique - vénitien-français qui n'existait pas alors que l'équivalent anglais a vu le jour depuis longtemps déjà, autant "prendre la température"...

Le dialecte trouve son origine on ne sait où. Des linguistes émérites ont trouvé des racines communes avec le basque et plus loin avec certaines langues parlées du côté de l'Hindus. Rien de celte contrairement à d'autres langues régionales d'Italie. Mais n'étant pas linguiste ni philologue, je ne saurai m'aventurer dans un domaine hautement technique qui ennuierait mes lecteurs. Ceux qui sont souvent à Venise ne peuvent que s'être rendus compte de la différence d'accent entre le parler vénitien et l'italien "normal". C'est un accent que l'on attrape vite et qui fait qu'on repère partout l'origine vénitienne de celui qui parle avec. On peut le trouver grossier, voire vulgaire. Il m'est arrivé d'entendre des parisiens dire la même chose du basque ou de l'occitan. Mais laissons aussi ces considérations de peu d'intérêt. Abordons quelques bribes de vocabulaire. ce qu'on apprend souvent en premier quand on commence l'apprentissage d'une langue au milieu de ceux qui la parlent, ce sont les expressions populaires, triviales. Les "gros mots" comme disaient nos grands-mères. En voilà quelques uns avec, dans la mesure du possible leur phonétique. J'ai en projet cette année d'enregistrer des vénitiens à qui je demanderai de prononcer les mots usuels du dialecte et quelques expressions courantes. De quoi s'exprimer face aux autochtones et de leur montrer l'intérêt que l'on prend à leur culture et le respect qui nous fait souvent défaut quand on se contente de s'exprimer en français ou en anglais, avec force gestes pour tenter de se faire comprendre de l'habitant. Vieux réflexes de colons impérialistes ?

Le premier mot, nerf de toutes les guerres et liant de bon nombre de relations entre les personnes, est le mot "argent". En vénitien, il se dit "Schei" ( prononcer skeye). On devine une parenté avec le mot écu. Le terme a survécu jusqu'à nos jours, en dépit du passage à la Lire puis à l'Euro. 

Ti ga schei ?
: tu as des sous. Expression souvent employée pour exprimer la surprise. par exemple quand on est avec quelqu'un qui n'a pas l'habitude de sortir son portefeuille le premier et résiste à la tentation d'inviter ses commensaux. Par extension, le mot employé au singulier (il devient alors "scheo") sert à indiquer quelque chose de petite dimension ou une faible longueur. (Un sou, c'est petit dans tous les sens du terme !)

"Spòsteło de vinti sche"i " : déplace-le de vingt centimètres.

Le terme est d'usage courant avec une connotation triviale, presque vulgaire. La vieille comtesse du palazzo voisin ne l'emploiera pas quand elle fait ses courses. tout au plus le mot lui échappera quand elle recevra sa facture d'électricité ou devra payer les gages de sa vieille servante. Il est souvent sur les lèvres des gondoliers et des boutiquiers. Il serait utile d'apprendre son équivalent en chinois d'ailleurs. Mais on va encore m'accuser de mauvais esprit !

En revanche, l'arrivée de la monnaie unique a pratiquement fait disparaître le vocable "franco" qu'on utilisait pour la lire et par extension pour désigner une certaine quantité d'argent. 

"Trenta franchi"
correspondaient à trente lires, "na carta da mìłe franchi" désignait un billet de mille lires. Le terme n'avait pas de rapport avec le Franc français mais avec la monnaie autrichienne en vigueur pendant l'occupation et qui portait gravée l'inscription "FRANC." abréviation du nom de l'empereur François-Joseph. Les vieux vénitiens continuent de l'employer mais on l'entend bien moins qu'avant.

6 commentaires:

Anonyme a dit…
Dans ma région (Vicenza, Val d'Astico) on dirait : "gheto schei?)
D'après le dictionnaire lo Zingarelli,les dialectes italiens- ou langues si elles sont écrites comme le vénitien - sont des langues "romanze" issues du latin vulgaire ( le latin étant lui-même une langue indo-européenne).La présence de "g" comme dans "el gaveva..." correspondrait au dialecte régional avec des éléments de "bellunese cittadino"?
Il existe un dictionnaire vénitien/italien fait par Giuseppe Boerio.
Graziella
Lorenzo a dit…
Absolument. Merci de ces précisions. Il existe même un lexique vénitien-anglais mais rien à ce jour en français. Nous y travaillons.

Anne a dit…
http://www.blogger.com/profile/03524487160360572243J'espère que, dans votre ouvrage, on lira aussi des mots d'amour vénitiens...
Anne
Virginie Lou-Nony a dit…
Moi je suis pour une leçon de vénitien par semaine, mots d'amour et gros mots, locutions, proverbes, je prends tout avec bonheur
Aldo a dit…
Pour le plaisir, voici une petite "poésie" que ma grand mère me récitait de temps en temps:

Veneziani gran signori,
Padovani gran dotori,
Visentini magna gati,
Veronesi tuti mati,
Udinesi castelani col cognome de Furlani,
Trevisani pan e tripe,
Rovigoti baco e pipe,
i Cremaschi fa cojoni,
i Bressan tajacantoni,
ghe n'è anca de pì tristi: Bergamaschi brusa cristi.
LaveneXiana a dit…
Le Boerio, acheté par une douce nuit à la Libreria San Geremia du temps où elle existait toujours ( j'adorais cette librairie ouverte jusqu'à minuit.... mais quel dommage qu'elle ait été remplacée par un negozio de plus...fut-il affriolant...) est un petit bonheur avec ce langage si chantant, si particulier, si imagé.Les expressions idiomatiques sont délicieuses.Quant à ce petit poème, je l'ai moi-même découvert dans un ouvrage dédié au venessian...mais à travers sa cuisine."Savoureux également....
La cucina veneta( déniché chez notre bon Luigi Frizzo, amoureux des livres et des chats) dont l'auteur m'échappe....Lorenzo, peut-être pourrez aider ma pauvre mémoire défaillante... mes livres étant amoureusement emballés en vue de leur prochain déménagement à Paris.
Merci de votre aide, cher Lorenzo et bien amicalement,
Agnès

27 janvier 2012

On vit encore à Venise

Il y a avait à Venise dès années 50 aux premières années 80 une foule de jeunes à Venise. Le baby boom de l'après-guerre. Puis le nombre a diminué, les gens ont vieilli et les jeunes qui sont restés ont fait peu d'enfants. Mais il y a des jeunes à Venise et pas que des visiteurs !
Il suffit de passer près d'un collège ou à proximité d'une école quand sonne l'heure de la sortie pour s'en rendre compte. L'université ne désemplit pas. Et quand on les interroge ces jeunes vénitiens on sent bien qu'ils sont conscients du caractère unique et magique de leur ville. Tous parlent le vénitien et tous ont le sourire aux lèvres quand on leur demande s'ils sont heureux d'y vivre. Alors, gageons que tout n'est pas perdu !
Dans les années 50, ci-dessus, comme aujourd'hui :

 
Venise a une vie en dehors du tourisme. Toutes les personnes un peu curieuses de la Sérénissime et qui s'éloignent des grands parcours le savent bien. Au passage, petit quizz : où ont été prises ces deux photos ?

8 commentaires:

Anonyme a dit…
Je viens de découvrir le livre dans ma boite aux lettres. La perspective d'un week-end enchanteur. Merci.
Paul
Robert M a dit…
Je ne sais où sont prises les photos mais celle en noir et blanc évoque bien une Venise qui n'existe plus.
J@M a dit…
La deuxième m'évoque un panneau de danger dans une mine de charbon en Silésie...

Lorenzo a dit…
J@M, j'aime ton humour ! Apparemment un bug. Je revois ma copie.

la girafe a les yeux noirs a dit…
je tente deux réponses: la 1ère me fait penser aux "quais" du Mercato - il campo della pescheria nel fondo- et la 2ème me rappelle un café au bord du canal face à l'église aux frari - il caffè dei frari- au plaisir de votre blog

Lorenzo a dit…
Effectivement la photo en noir et blanc a été prise devant les Fabbriche Nuove, juste avant l'Erberia, avec en face la Ca'Mangili-Valmarana où habitait l'ambassadeur Joseph Smith grâce à qui la famille royale d'Angleterre possède la plus belle collection privée de Canaletto.
Quant aux jeunes sybarites, ils sont accoudés au comptoir du Senso Unico, un pub installé à l'angle du ponte del Formager e de la calle della chiesa, à San Vio, tout près de la Guggenheim. Un endroit que j'aime beaucoup.
Micha Venaille a dit…
Je vous écris rapidement pour vous dire que j'ai reçu votre livre... à mon retour de Venise, quelle merveille en janvier, trois semaines de brume et de silence.Je n'ai eu que quelques moments pour le parcourir (le mot ne va pas avec le charme du livre) et je sais déjà qu'il me tarde de le lire en entier.

Lorenzo a dit…
Pour ma part, je viens de découvrir "C'est à dire" chez mon libraire. Je n'avais lu que "Le sultan d’Istanbul".

26 janvier 2012

Ma Venise au quotidien. Et en plus, il fait beau


Quand reviendra le printemps et que la brise se fera douce et parfumée sur la lagune, quand des eaux monteront ces parfums uniques qui nous portent à la joie, nous irons vers les îles tranquilles que gardent les oiseaux. Après le pique-nique, l'un de nous avec sa flûte ou sa guitare entonnera un chant paisible qui résonnera parmi les ajoncs et se répandra sur les eaux calmes. Une sieste peut-être puis le dédale des chenaux parmi les herbes hautes. le silence de nouveau et cette lumière, cette lumière unique. Quand reviendra le printemps.

24 janvier 2012

Venise ne veut plus des navires géants


Le récent naufrage du Costa Concordia à deux cent mètres des côtes italiennes donne un éclairage nouveau à la polémique concernant l'invasion des maxinavi comme disent les vénitiens qui débarquent chaque jour des milliers de touristes et représentent un danger certain pour les eaux lagunaires déjà bien malades, mais aussi pour l'air qu'on y respire et pour la tranquillité de ses habitants.
Savez-vous qu'un seul de ces bateaux (mais qu'ont-ils donc d'un bateau ces mastodontes ?) rejette avec ses fumées noires et nauséabondes, autant de CO² que 12.000 moteurs de voiture ? Savez-vous qu'un jour d'été 2011, ces navires ont déversé 35.000 personnes en une journée sur la ville, soit l'équivalent de la moitié de la population résidente. Si on ajoute à cette masse, les touristes pendulaires, qui arrivent par train ou par bus des environs et ne restent que la journée, les touristes logés dans les hôtels et pensions du centre historique, on atteint le chiffre de 100.000 personnes, voire plus certains jours... Davantage que l'ensemble des vénitiens résidents !

Et lorsque, par un hasard malheureux, le personnel de l'ACTV décide de faire grève, cela donne une foule agglutinée dans les rues qui ne peut ni avancer ni reculer. C'est ainsi qu'aux heures de pointe, l'affluence est telle que des rues sont bouchées de la même manière que les rocades aux abords des villes à certaines heures... Même sans grève des transports, 90.000 personnes passent en moyenne chaque jour entre San Marco et San Zaccaria, 15.000 entre la Strada Nova et le Rialto, autant entre San polo et le Rialto... Pendant ce temps, les vénitiens ont du mal à se rendre à leur travail, les enfants à l'école, les ménagères au marché...

Dans les quartiers ultra fréquentés par cette masse de touristes, il est devenu impossible de se loger, on ne trouve plus un seul commerce de proximité et les rares résidents qui ont pu rester ont l'impression d'être devenus comme des indiens dans une réserve.
Beaucoup d'entre nous, tout à leur amour pour la Sérénissime, son charme, ses trésors, son atmosphère, refusent de voir ce cancer qui se propage et détruit inexorablement toute vie véritable, mais pourtant le mal est là, omniprésent et s'accroit.

Pour ce qui est des grands navires, le naufrage du Concordia a été utile. Le maire dénonce depuis longtemps les dangers des grands navires pour Venise, de nombreuses associations ont vu le jour et sont très actives. jusqu'à un ministre qui vient de déclarer la guerre aux navires géants et veut les interdire dans les endroits fragiles. Venise et sa lagune sont un endroit fragile.

En parallèle à ce phénomène absurde, d'autres problèmes pointent à l'horizon. Le nouveau plan d'occupation des sols qui permettrait la création d'une ville nouvelle sur la terre ferme avec des buildings à l'américaine, une ligne de train à grande vitesse dont le tracé devrait exproprier bon nombre de paysans, et la scandaleuse Sublagunare, métro souterrain qui relierait Venise et Murano à la Terre ferme. Sont à l'étude aussi de nouveaux aménagements qui permettraient de délester les sites les plus visités qui arrivent maintenant à saturation. Ce qui voudrait dire autant de monde sur ces sites et de plus en plus dans des endroits encore aujourd'hui protégés parce que peu connus des touristes et donc protégés...



Bref, cancer, gangrène... Les temps modernes, le consumérisme et l'appât du gain, sont en train de tuer Venise et personne à ce jour ne possède de solution sure et efficace. Un ticket d'entrée ? C'est assurer la transformation de la ville en Veniceland, parc d'attraction pour gogos du monde entier. Quotas ? C'est assez injuste et comment les mettre en place ? Par pays d'origine ? Par âge, niveau social, montant des revenus, niveau d'étude ?

Personnellement, je pencherai pour la création à quelques kilomètres d'une copie de la cité des doges, avec des restaurants, des cafés, des gondoles et des musées où les gens pourraient se divertir, découvrir les monuments et l'histoire de la Sérénissime, tout en mangeant des glaces, en se dorant au soleil, voire en se baignant. Les vénitiens reprendraient leur ville et les palais, les églises, les musées seraient ouverts aux touristes dans des limites précises par jour et par lieux. Ce n'est pas la panacée, mais cela permettrait de sauver ce qui peut l'être. Venise, patrimoine universel, pourrait déployer ce qu'elle est déjà, un laboratoire de recherches et d'innovations. Des chercheurs du monde entier pourraient venir y travailler. on y installerait des centres de formation aux métiers d'art, à la restauration, à la communication, la gestion urbaine. elle deviendrait un centre culturel de haut niveau où culture classique, histoire et technologies de demain se côtoieraient pour mieux faire avancer l'humanité. Il n'est pas interdit de rêver. Sans être pessimiste, on ne prend hélas pas ce chemin...






9 commentaires:


Evelyne a dit…
Merci beaucoup mon livre est bien arrivé.
Anonyme a dit…
En somme construire une Venise-Grotte de Lascaux, je dois dire que l'idée est originale :-))) Oui Lorenzo vous cauchemardez, il faut vous réveiller, Venise est loin d'espérer un avenir radieux... Je comprends votre souffrance et je la partage, mais sans être pessimiste, Venise est à vendre... Cordialement.

Lorenzo a dit…
Mais qui parle de souffrance ? Je ne fais que constater. Quant à une Venise artificielle reproduisant les principaux lieux visités, il y a longtemps que l'on y a pensé. Cela parait absurde mais à Lascaux, cela a permis de sauver l'original... Pas plus que pour le reste de notre monde - et de notre civilisation - on ne peut s'attendre à un avenir radieux du moins si on ne fait rien et si on arrête de secouer les consciences. "Venise, autrefois peuple de marchands, aujourd'hui peuple de boutiquiers" ce n'est pas de moi, mais de Barrès... Bien sur que Venise est à vendre. Comme tout d'ailleurs. Mais que faut-il faire ? Se taire et regarder notre univers sombrer ? Je préfère donner à voir la réalité, expliquer ce qui se passe, donner mon avis aussi parfois. Sinon à quoi servirait ce blog ? Une dernière chose : soyez gentil, même en gardant votre incognito, choisissez un pseudonyme ou un prénom lambda, mais ne restez pas "anonyme", c'est agaçant (attention, je ne veux pas dire que vous êtes agaçant(e)!)de ne pas savoir à qui s'adresser ! Je ne vais tout de même pas vous appeler du nom de votre adresse IP ! De plus plusieurs personnes laissent des commentaires avec la même signature... Je sais que les "Anonymous" sont à la mode, mais c'est dans un autre registre ce me semble... Il n'y a qu'une toute petite manipulation à faire pour s'inscrire. Merci d'avance

Lorenzo a dit…
Merci Evelyne pour avoir pris la peine de cette confirmation. Logiquement tous les souscripteurs doivent l'avoir reçu à ce jour. Un record dans les délais, digne des postes italiennes des années 80 (1680 he veux dire bien entendu !)

FRANCOIS a dit…
L'UNESCO veut que le gouvernement italien interdise la circulation de ces mastotondes à Venise et dans ses abords !!! Espérons que l'UNESCO soit persuassif !!! et que l'interdiction soit très rapide!!!

Lorenzo a dit…
Le maire a pris position contre aussi. Il ne s'agit pas d'interdire à ces bateaux d'inscrire Venise dans leurs escales mais de ne plus passer par le bassin de San Marco et le canal de la Giudecca. Une escale plus éloignée limiterait forcément le nombre de passagers débarqués chaque jour, ce qui serait une bonne chose.

Anonyme a dit…
Oui, mais si ceux qui viennent visiter Venise (98 % ?) prennent les vaporetti, est-ce que ce sera vraiment un progrès ? Soazig
Anonyme a dit…
il faudrait penser à fermer l'aéroport Marco Polo, et aussi dynamiter le pont de la liberté comme ceci plus ou très peu de touristes et donc adieu tout le monde, à tous les commerçants de Venise et autres car tout le monde à Venise ( quasi 100% ) vivent du tourisme.Plus de travail donc ce n'est plus 59000 résidents mais une poignée peut-être.... Les gains, l'argent, les taxes, les impôts obtenus font vivre et entretiennent Venise Le pire est d'entendre les gens qui vivent du tourisme se plaindre de ces derniers, pitoyable...
Cannaregio24 a dit…
Une pétition est en ligne pour la sauvegarde de Venise, des Vénitiens et de sa lagune. Elle a pour but de restreindre la circulation des bâteaux de croisière de fort tonnage dans la lagune; ce qui nuit à ce fragile équilibre, et de protéger ses habitants de la pollution : Pétition Populaire - Hors de la lagune les navires incompatibles - Petizioni Online - Raccolta Firme Afin de protéger la Sérénissime, n'hésitez pas à la signer. N'oublions pas que Venise est appartient au patrimoine mondial de l'UNESCO. Nous avons tous notre mot à dire...!  
08 mai, 2012

20 janvier 2012

Les nouveaux vénitiens : un moyen de sauver Venise ?

Les vrais vénitiens, ceux qui sont nés de père en fils dans Venise, vivant et habitant le plus souvent dans les lieux mêmes où les pères de leurs pères sont venus au monde, ceux-là hélas se font de plus en plus rares. Triste constat dont Tramezzinimag s'est souvent fait l'écho. Mais, face à cette hémorragie - dont nous ignorons tous si elle pourra être enrayée et par quels moyens - apparait un phénomène qu'il faut peut-être finalement considérer sérieusement et d'un oeil bienveillant : l'arrivée et l'installation de "nouveaux vénitiens", des vénitiens de coeur autant que les fils légitimes de la Sérénissime. C'est pour eux que Tramezzinimag existe et ils en sont le plus souvent de fidèles lecteurs, voire pour certains, de précieux contributeurs.
 
Au fil de leurs séjours, par leur aptitude à pénétrer l'âme de la ville, par leur sensibilité qu'exacerbe sa lumière et ses parfums, ses silences et ses bruits, ils se font peu à peu, autant vénitiens que ceux qui les ont précédés. Ils vivent non plus en touristes à l'extérieur de la vie vénitienne, mais s'y impliquent. Ces nouveaux arrivants se fondent dans l'atmosphère particulière de cette vie, dans ces lieux uniques que le voyageur pressé qui s'y rend au milieu de la masse de ses semblables ne peut absolument pas pénétrer en vérité. Que le lecteur ne voit pas dans ces lignes un quelconque jugement de valeur, une énième diatribe anti-touristes ! Mais n'est-ce pas notre lot à tous lorsque nous nous nous retrouvons au milieu d'un monde dont on sent bien qu'il palpite ardemment. Même avec la meilleure volonté du monde, ce qu'il nous laisse entrevoir n'est qu'un aspect superficiel et outré de sa réalité. Pressés, orientés, dirigés par les impératifs économiques et le temps mesuré, nous ne faisons que frôler un univers dont nous avons instinctivement le sentiment qu'il est bien plus riche que ce qu'on nous donne à voir... C'est le lot des vingts millions de visiteurs qui passent chaque année entre la Piazzale Roma et San Marco.
.
Dans cette foule, chaque jour quelques âmes sensibles, ou disponibles, se laissent prendre toutes entières par Venise et ne peuvent plus concevoir d'exister en dehors d'elle. Il y en a de toutes catégories, des poètes ou des scientifiques, des gens simples comme des savants. Nul besoin d'être milliardaire pour y trouver un point de chute. Posséder un bon petit pécule facilite les choses, mais n'est pas la condition sine qua non. Il est vrai que parmi les vénitiens d'adoption, il y a beaucoup d'acteurs, de musiciens célèbres, d'écrivains ou de capitaines d'industrie. C'est vrai aussi qu'il est moins facile d'y installer son activité professionnelle ou d'y vivre sa retraite d'instituteur ou de bibliothécaire. Mais on peut penser que l'évolution des mœurs, l'aptitude à travailler chez soi, les nouvelles normes permettant à chacun de pratiquer son métier n'importe où dans l'espace européen. Il n'est pas réservé aux milliardaires de s'installer à Venise, que ce soit toute l'année ou quelques semaines, voire quelques mois par an. Les loyers sont au diapason de ce qui se pratique à Paris, à Madrid ou à Londres. Acheter est déjà plus compliqué, mais avec de la patience et de l'entregent, tout est possible. C'est bien plus difficile qu'il y a dix, quinze ou trente ans mais je suis convaincu que cela peut changer, sauf catastrophe générale.

Des néo-vénitiens donc qui ne se contentent plus de débarquer du train de nuit à Santa Lucia, d'utiliser un taxi pour amener leurs bagages signés des meilleurs maroquiniers parisiens dans les hôtels chics, à la Giudecca, sur le Grand Canal ou aux Chiavoni, passant du bar de l'hôtel aux salles bondées du Florian, du Quadri ou de Lavena. depuis quelques années, ils louent des appartements et, dès leur arrivée, vont au Rialto faire leur marché. Ils se retrouvent sur un campo pour leur premier cappuccino dans les bars où ils ont leurs habitudes et parfois un compte. Ils papotent avec leurs voisins et déambulent dans leur quartier, hors des circuits touristiques. Parfois même, à leur tour, ils vont chercher à la gare ou à l'aéroport des amis qui viennent à Venise pour la fois. Ils cuisinent des plats vénitiens, boivent du spritz ou du prosecco en grignotant des cichetti. Bref, ils vivent en "bons vénitiens" comme le recommandait expressément Henri de Régnier.

Certains lecteurs objecteront que ces Happy few ne sont pas des chômeurs longue durée ni des titulaires du RSA. Certes. Mais là n'est pas notre discours. Ce qui m'importe ici, c'est de souligner, au regard des commentaires et débats suscités par la réduction dramatique de la population autochtone de Venise, que l'arrivée de ces amoureux de Venise peut s'avérer une des solutions au problème de sa sauvegarde. Par ce mot, il faut entendre non seulement la restauration et la protection des trésors architecturaux et artistiques que contient le centre historique, mais aussi la défense d'une vraie vie quotidienne en dehors du tourisme industriel qui ne peut pas être jugulé et qui, ayant d'une certaine manière son utilité, doit être organisé, réglementé pour la satisfaction de tous.

Et puis, ce ne sont pas tous des privilégiés arrogants aux moyens illimités. Le plus souvent, à ma connaissance, ce sont des gens qui arrivés à un moment de leur vie professionnelle et personnelle où on peut se permettre de souffler, où les enfants sont partis vivre leur propre vie, où un capital s'avère disponible. Certains achètent une villa au Pays basque, sur le bassin d'Arcachon, dans le midi, en Bretagne ou ailleurs. Eux, les amoureux de Venise, investissent sur la lagune. Une nuit de train, quelques heures de voiture ou deux heurs d'avion et on retrouve ce qui peut être vite considéré comme un paradis. D'autres sont à la retraite et viennent depuis toujours, plusieurs fois l'année, dans la même pensione ou le même Bed & Breakfast. Ce sont souvent des femmes, mais pas seulement. Artistes dans l'âme, elles s'adonnent à la peinture ou à l'écriture et Venise à chaque fois les regonfle d'énergie. Les plus chanceux de ces Fous de Venise disposent d'un petit appartement, souvent un piano terra realzato pour éviter les inconvénients de l'acqua alta. 35 ou 45 m² à Castello, à Cannaregio ou à la Giudecca, cela leur parle mieux qu'un studio aux Arcs ou un mobilhome près du lac de Biscarosse et on les comprend. D'autres enfin ont pu installer leur activité professionnelle à Venise. Il y a des commerçants (la plupart sont à Venise depuis plusieurs dizaines d'années), des agents immobiliers, des guides, des galeristes, mais aussi des enseignants, qui viennent s'ajouter aux écrivains, aux peintres, aux musiciens... La qualité de la vie sur la lagune, ce rythme paisible imposé par l'eau qui nous entoure, le charme indubitable des lieux, mais aussi la sécurité qui y règne, vont attirer des gens plus jeunes dont le métier pour s'exercer n'a besoin que du téléphone et de l'informatique. Déjà certains vénitiens d'adoption continuent leur activité professionnelle française depuis leur appartement à Venise. N'est-ce pas un exemple à suivre quand cela est possible ? L'Europe ne permet-elle pas ce choix ?

Faisons alors un rêve. Gageons que peu à peu de plus en plus d'amoureux véritables de Venise franchissent le pas (et le pont de la Liberté) pour s'installer dans le centre historique et y déployer leur savoir faire, développant ou reprenant des activités qui leur permettront de vivre et maintiendront en vie la ville. Pourquoi pas un cordonnier, un tailleur, un ébéniste ou un luthier ? Pourquoi pas non plus des dentistes, des architectes (il y en a) et d'autres traducteurs, chercheurs, ingénieurs, enseignants ?

Mais pour que ces néo-vénitiens ne soient pas considérés comme une colonie avec tout ce que cela comporte de connotations négatives, ils devront s'intégrer. Et pour se faire accepter, il faut s'adapter aux usages et aux traditions. Les anglais ont un proverbe qui est valable partout et que j'ai enseigné très tôt à mes enfants et que je dis à tous ceux qui viennent avec moi visiter Venise : "When in Rome, do as the romans do" (Quand vous êtes à Rome faites comme font les romains"). C'est le B.A.BA du bon touriste, mais cela doit être aussi la règle de base de tous ceux qui veulent s'installer dans une communauté qui n'est pas celle où ils ont grandi. Cela procède du respect mais aussi de la nécessité. Sauf à vouloir rester reclus, on ne peut vivre nulle part sans se mêler aux autres et à Venise, qui reste une île, il nous faut nous adapter au mode de vie des vénitiens. C'est aussi le moyen de les aider à défendre et perpétuer leurs usages et leurs traditions. Cela ne veut pas dire que celui qui s'installera à Venise doit abandonner ce qu'il est et oublier ses usages et ses traditions à lui. Au contraire : N'est-ce pas un enrichissement mutuel incroyable ?

Aux usages de base, comme la manière de se comporter dans les ruelles étroites ou aux comptoirs des bacari, comment faire sa passeggiata, se tenir dans la gondole du traghetto ou en vaporetto, s'ajoutent les usages plus typiques : vogare et parlare. Nous aborderons ces deux sujets dans les prochains billets de Tramezzinimag. En attendant, vos témoignages, vos idées ou vos simples commentaires sont les bienvenus, que vous soyez de ces nouveaux vénitiens ou pas.