15 janvier 2016

Uchronie : Et si les vénitiens avaient pris Constantinople en 1453 ?

La revue en ligne NONFICTION proposait récemment à ces lecteurs le premier volet d'une Chronique Uchronique consacrée à Venise : Que ce serait-il passé si les Vénitiens, et non pas les Ottomans, s'étaient emparés de la capitale de l'empire byzantin en 1453 ? Voici cet essai que nous avons trouvé fort intéressant.

Un coup de vent : voilà tout ce qui aurait suffi pour que les Ottomans ne prennent pas Constantinople le 29 mai 1453, mettant fin à l’Empire romain d’Orient. Pas le grand vent du large, non, mais de simples vents étésiens, ces vents estivaux du nord que connaissent bien les marins italiens, catalans ou grecs qui sillonnent la Méditerranée.

Nous sommes le 15 mai 1453, dans l’ouest de la mer Égée, à six cent kilomètres de Constantinople assiégée, et la flotte vénitienne se prépare à défendre la ville en danger. Expérimentée et rapide, elle serait capables d’atteindre Constantinople en quelques jours. Parmi les rangs ottomans, le bruit court même qu’elle aurait déjà atteint Chio. Mais Jacopo Loredan, le capitaine général, ne veut pas prendre la responsabilité sur lui : il sait qu’il aura des comptes à rendre au Sénat à son retour, et il attend des ordres.

Car la capitale byzantine a été prise d’assaut par les Turcs ottomans, avec à leur tête le jeune sultan Mehmed II, avide de conquête. Une fois encore, l’empereur byzantin s’est tourné vers l’Occident pour demander une aide militaire que tous les princes lui promettent mais que personne ne veut financer. Il faut dire que c’est la troisième fois en cinquante ans que les Ottomans sont sous les murs de la ville. On a fini par s’habituer à recevoir les appels à l’aide de ces Grecs à demi-hérétiques, à grand peine réconciliés au catholicisme à Florence en 1452. Et puis personne ne se sent directement concerné par ces problèmes orientaux quand l’Europe elle-même est en pleine ébullition. Personne sauf peut-être ceux qui commercent en Orient, au premier rang desquels Venise, la République maritime, qui a même orchestré une première prise de Constantinople en 1204, avant de la perdre en 1261. Alors Venise a envoyé sa flotte, mais avant de s’engager seule dans le combat, elle attend des nouvelles.

Imaginons que les nouvelles soient parvenues à Venise, et que la flotte soit venue au secours de Constantinople. Peu s’en faut, car le 3 mai les défenseurs de la ville désespérés ont lancé un ultime appel au secours. Voyant que les Ottomans avaient pris pied sur la Corne d’Or, et se rappelant peut-être que c’est par là que les envahisseurs occidentaux avaient conquis la ville en 1204, ils ont envoyé en éclaireur un brigantin vénitien maquillé en navire ottoman. Sa mission : savoir si la flotte vénitienne que l’on attend depuis le début du printemps arrivait enfin. En effet, si la ville risque de tomber, c’est avant tout par manque d’hommes et de vivres : à peine y a-t-il assez de défenseurs pour occuper toute la longueur des murs assiégés. Mais les murs, eux, résistent solidement, à condition d’être réparés entre deux assauts.

Le navire réussit à franchir les lignes ennemies, il s’échappe de la ville, descend le Bosphore jusqu’à Gallipoli, arrive en Mer Egée et ne voit personne. Ses marins décident courageusement de retourner dans la ville assiégée. Et là l’histoire change. La fameuse bourrasque venue du nord bloque les Dardanelles : ils arrivent à court de vivres, décident finalement de ne plus lutter contre les vents, et rejoignent Négrepont, en Eubée, une place forte vénitienne où ils seront en sécurité. Ils arrivent probablement vers le 15 mai, et rencontrent donc la flotte de Loredan. Ils peuvent lui transmettre deux nouvelles importantes.
 

La première, c’est que la ville ne tiendra pas : les défenseurs sont à bout, la ville tombera, c’est une question de jours. La seconde, c’est que la communauté des marchands vénitiens bouclés dans Constantinople au début du siège s’est fermement impliquée dans la défense. Ils ont voté et choisi de rester jusqu’au bout aux côtés des Grecs, se sont fait attribuer des points stratégiques et les clés de plusieurs portes. Leur baïle est sorti de son simple rôle de consul à la tête des Vénitiens : il est désormais installé dans la demeure de l’empereur, le palais des Blachernes, au sud de la Corne d’Or, car c’est un des points les plus chauds de la bataille. Enfin, les armes vénitiennes ont été stockées dans l’arsenal impérial, ce qui rend complexe toute tentative de fuite. Tandis qu’au Nord de la Corne d’Or, à Pera, les Génois, éternels rivaux des Vénitiens, étaient habilement restés neutres, ce qui leur assurait une meilleure position dans de possibles traités à venir avec un sultan ottoman maître de Constantinople.

Dès lors Loredan réévalue la situation : il ne s’agit plus seulement de porter secours aux Grecs, mais bien à des Vénitiens, et qui plus est des patriciens, dont les familles le soutiendront sûrement au retour de sa mission. De plus, la politique ambigüe de Venise lui semble désormais inutile : à présent que des Vénitiens tiennent tête aux Ottomans depuis le palais des Blachernes, à quoi bon feindre de respecter la paix signée avec Mehmed II ? Dans l’urgence il prépare la flotte, navigue contre les vents qui soufflent la journée, use de la rame, et arrive à Constantinople le 27 mai 1453.  Il traverse les lignes maritimes ennemies, les Vénitiens s’empressent d’ouvrir la chaine qui défendait la Corne d’Or, et les deux groupes font leur jonction. Ils renforcent les remparts, se font attribuer les clés de chaque porte et ramènent l’empereur aux Blachernes sous prétexte de le protéger. L’aventurier génois Giovanni Giustiniani est blessé à la Porte Saint-Romanin, et ses hommes, craignant de rester sans solde, se rallient aux Vénitiens. L’assaut du 28 mai est brisé. Dans le camp ottoman, c’est une victoire politique pour le parti de la paix. Çandarlı Halil Pasa, ancien proche du père de Mehmed II et connu pour ses bons rapports avec les Grecs, rappelle sa méfiance face aux dépenses militaires et aux troubles politiques que génèrent les défaites. Constantinople ne menace pas l’intégrité du territoire ottoman, elle irrigue le commerce dans la région et accueille en son sein des marchands turcs : il faut arrêter cette folie. Le 29 mai au matin, les Ottomans plient bagages.

Mais dans la ville même les rapports de force sont transformés : Loredan refuse de rendre le palais et les portes, sa flotte occupe le port de Prosphorion, à l’ouest de la porte de Perama. Il contrôle les entrées et les sorties, conserve les armes stockées dans l’arsenal, marque son respect envers un Constantin XI tenu sous bonne garde et ménage également la haute aristocratie. Venise réagit rapidement : elle accepte cette conquête imprévue et fait en sorte qu’elle dure : l’Union est abandonnée, la population est libre de rester orthodoxe et personne ne touche aux biens des ecclésiastiques. L’empereur est invité à Venise qu’il ne quittera plus : on l’installe en grandes pompes dans l’île de San Erasmo où lui est construit un palais-prison, dans lequel sont également installés une série d’ouvrages en grec. Cette île deviendra un des hauts lieux de l’Humanisme européen, d’autant plus important qu’aucun afflux d’immigrés grecs ne vient pourvoir les universités européennes en maîtres compétents. Venise est le cœur battant de la Renaissance, et les Florentins s’y rendent pour puiser le savoir à la source.
 

À Constantinople, Venise en profite pour éliminer ses rivaux génois une bonne fois pour toutes : leurs marchands se voient interdire l’entrée dans les murs de Constantinople, leurs bateaux ne peuvent plus naviguer vers la Mer Noire où ils ravitaillaient leurs comptoirs, et leur séjour-même à Péra est soumis à un tribut. La politique de monopole vénitien fait disparaitre les Génois de la Méditerranée orientale. Ils investissent alors très tôt dans les ports atlantiques, dont le développement se trouve accéléré. Ce sont des Génois qui bâtissent les premiers forts de la Côte de l’Or en Guinée, s’aventurent vers le sud, et découvrent le Nouveau Monde en 1481, en cherchant à dépasser par l’ouest le creux de vent extrêmement dangereux qui caractérise le Golfe de Guinée. Principaux banquiers de la couronne de Portugal, ils arrivent à empêcher la formation d’un monopole et sont actifs dans le commerce comme dans la colonisation.

Dans le même temps, Venise devient la première puissance esclavagiste en Méditerranée. L’importation d’esclaves circassiens, tcherkesses, slaves, arméniens et grecs était déjà pratiquée, mais Venise a réussi à s’imposer comme le seul partenaire commercial du Khanat de Crimée. Dès lors, la République maritime organise ses débouchés, institutionnalise ses fournitures au sultanat mamelouk, ravitaille en esclaves la chrétienté, et bientôt trouve dans les premiers comptoirs du Nouveau Monde un inépuisable filon. Le besoin de main d’œuvre augmentant, ce sont près de dix millions d’esclaves qui sont déplacés dans des conditions violentes vers l’Europe et les Amériques. La population actuelle du nouveau continent hérite largement de ces flux d’esclaves, tandis que l’Europe orientale se dépeuple jusqu’au sud de la Russie. Venise bénéficie économiquement de sa position d’intermédiaire jusqu’au premier tiers du XVIe siècle, après quoi le relais est pris par l’Empire ottoman, qui modifie peu les chaînes de commerce déjà installées.

En effet, dès 1456, l’État ottoman s’est scindé en deux. Le jeune Mehmed II, vaincu sous les murs de Constantinople, a vu sa légitimité largement minée par cette défaite et par les difficultés à réunir la solde de ses troupes. Alors qu’il était en campagne dans le Péloponnèse, une partie des janissaires restés à Edirne entre en rébellion ouverte : ils imposent en la personne de Bayezid Osman un candidat-enfant moins indépendant et moins belliqueux. Mehmed fait immédiatement route vers Edirne, et le parti de Bayezid Osman se replie à l’est des Dardanelles vers la Bithynie. Une chronique grecque contemporaine rédigée par un certain Athanasis Dolapsoglu suggère que l’arrivée au pouvoir de ce rival aurait pu être le résultat d’un complot vénitien. Il est certain qu’un jeune prétendant au trône de ce nom était passé par certaines villes italiennes l’année précédente, mais le lien entre ces deux homonymes reste putatif. Bayezid Osman s’approprie les régions ottomanes à l’est du Bosphore, fondant un sultanat indépendant, soutenu par les Beyliks anatoliens soulagés de voir la puissance de Mehmed II ainsi affaiblie. Cet État est néanmoins de courte durée : dès la fin du XVIe siècle il est incorporé à un immense empire safavide.

Poursuivant les conquêtes entamées par Ismaïl Ier, les souverains safavides ont étendu leur domination sur l’Anatolie morcelée. Associant les souverains locaux à leur pouvoir par une série de mariages et de conversions, ils ont établi un empire chiite qui s’étend de l’actuel Irak jusqu’aux portes de Constantinople. Face à ce nouvel opposant, Venise est incapable d’assurer la sécurité de la ville, qui préfère se donner au sultan ottoman en 1589. Trois revendications universelles se font alors face en Méditerranée : un califat mamelouk, un empereur safavide chiite, et un sultan ottoman sunnite promu héritier de l’Empire romain par l’acquisition pacifique de Constantinople. Ainsi partagée, la dignité califale cesse de représenter un enjeu véritable, et ne fait pas l’objet de réactivation mémorielle au XIXe siècle.

L’Empire ottoman tel qu’il se présente au XVIIe siècle est donc fondamentalement un état balkanique. En réaction aux Safavides, l’ottoman curial qui s’élabore autour de Constantinople, Edirne, Sofia et Budapest élimine tous les termes persans, et s’enrichit d’emprunts au grec et aux langues slaves. La langue de l’administration, des madrasas et des villes est un turc dit "rumi", écrit dans un alphabet grec dont le nombre de voyelles a été réduit. Stable et simplifié, il n’est soumis à aucune ingénierie linguistique au XXe siècle. Plus tôt conquis et colonisé, le nord bénéficie par la suite d’une industrialisation supérieure au reste du pays. Seuls 30 % des 88 millions d’Ottomans résident aujourd’hui dans la moitié nord du pays, d’où de fortes velléités indépendantistes. Quant à Constantinople, elle est devenue une ville frontière, où l’urbanisation se concentre sur la rive occidentale. C’est aujourd’hui l’une des portes de l’Europe, d’où une forte militarisation du détroit.

Pour revenir au vrai :
- Donald Nicol, Byzantium and Venice, a study in diplomatic and cultural relations, Cambridge University Press, 1988.
- Dictionnaire de l’Empire ottoman, François Georgeon, Nicolas Vatin, Gilles Veinstein (dir.), Fayard, 2015.
- Charles Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale, tome 2 Italie, colonies italiennes du Levant, Levant latin, Empire byzantin, Rijksuniversiteit te Gent, 1977.

19 novembre 2015

Valeria Solesin, une vénitienne parmi les victimes de l'attentat de Paris

Elle avait 28 ans et vivait à Paris pour ses recherches à la Sorbonne. Son joli sourire s'est éteint à cause de fous furieux dont la haine aveugle a frappé des centaines d'innocents. Avec son fiancé, la sœur de celui-ci et un ami, ils étaient au Bataclan pour écouter ce groupe américain tant attendu. Cela aurait dû être une belle soirée, joyeuse et détendue. La bêtise d'une poignée de dégénérés paumés et laissés pour compte de la société occidentale, fanatisés par des fous furieux qui n'ont rien compris à la parole de Dieu, ni à son interprétation par leur prophète qui doit pleurer et souffrir depuis le paradis, ce paradis où ils n'iront jamais, contrairement à ce qu'on fait croire à ses pseudo-martyrs. 
 
Nous étions en pensée avec tous les vénitiens rassemblés ce soir sur la Piazza où des milliers de bougies portaient l'émotion d'un peuple spontanément réuni à la mémoire de cette jeune femme brillante, heureuse et sans histoire qui a laissé sa vie l'autre vendredi. Tramezzinimag est de tout cœur avec la famille de Valeria Solesin, son fiancé, ses amis.
 

16 novembre 2015

Coups de Cœur : Partez à Venise avec Lauren Elkin dans "Une année à Venise" par Marion Poidevin

Tramezzinimag est heureux de publier un article paru sur le net. Écrit par Marion Poidevin, la jeune et pétulante rédactrice et chroniqueuse du P'tit blog qui est aussi journaliste sportive sur RTL, espérons que cette présentation d'un roman que nous avons tous bien aimé et qui parait aujourd'hui en poche, aux Presses Pocket, donnera une fois encore à nos lecteurs l'envie de lire ce petit roman délicieux écrit par la non moins délicieuse Lauren Elkin, journaliste new-yorkaise qui vit en France et dont Tramezzinimag a déjà parlé lors de la parution de ce premier roman.

Lauren Elkin 
Une année à Venise 
Editions Pocket, 2015.
«Venise, cité sinueuse, est un labyrinthe imprévisible. Et Catherine Parrish, jeune New-Yorkaise angoissée par son mariage imminent, entend bien s'y perdre. Au prétexte d'une thèse en histoire de l'art, la voilà débarquée dans la Sérénissime, goûtant chaque ruelle, chaque canal, chaque campo reculé avec émerveillement. La découverte d'une synagogue secrète et oubliée, ainsi que la rencontre de Marco, gondolier tourmenté, vont l'initier aux arcanes de la ville jaillie de la mer, la forçant à sortir des sentiers touristiques et rebattus. Ainsi que des routes trop balisées de sa propre existence...»

Lorsque Catherine Parrish décide de quitter New York pour quelques mois pour Venise, elle prétend que c'est avant tout pour sa thèse en histoire de l'art. Mais la jeune femme veut également s'éloigner des préparatifs de son mariage qui approche et de toute cette oppression qu'elle ressent. Dans Venise elle se perdra entre la rencontre de Marco, la découverte de la ville et de ses secrets et cette nouvelle vie pour quelques mois... mais finalement pour mieux se retrouver.

Dans Une année à Venise, nous faisons donc la connaissance de cette jeune New-yorkaise à qui tout semble réussir mais au fil des pages on se rend finalement vite compte qu'elle fuit presque sa famille et son fiancé qui préparent leur mariage. On s'attachera donc rapidement à ce personnage, espérant presque finalement qu'elle y reste à Venise car on assistera presque à sa renaissance dans son séjour à Venise, entre ses rencontres, ses recherches et ce nouveau mode de vie qui semble tellement plus lui convenir.
"Je suis allée à Venise car je voulais vivre comme je l’entendais.J’y suis allée car Venise sombrait, comme moi, et que sombrer dans une ville comme New York, où tout le monde ne pense qu’à s’élever, m’était devenu insupportable."
Dans ce roman, on est également entièrement plongé dans Venise et son histoire. Lauren Elkin, apporte au fil des pages bon nombre de références historiques, de descriptions architecturales et de références artistiques. Il faut donc également apprécier avoir parfois de lourds passages pour aussi découvrir tout cela. Et même si cela apporte beaucoup de longueurs au roman, on a l'impression parfois d'être réellement à Venise avec elle.
C'est donc un roman doux et très réaliste que nous offre ici l'auteur, avec un personnage auquel on peut parfois facilement s'identifier et cette quête de soi qui nous est montrée au fil des chapitres. Laissez vous porter par son écriture et partez à Venise le temps d'un roman, vous y découvrirez une ville majestueuse avec une Histoire très riche et des personnages attachants qui vous feront sourire.

Marion Poidevin
Paru le 16/11/2015 dans le Ptitblog, le portail 100% culture.

13 novembre 2015

E arrivato il momento ! :


Il faudrait être enfermé dans des certitudes dépassées, confit dans un engagement spirituel mal compris où les paroles de Dieu sont mal interprétées, pour continuer de refuser ce qui n'est pas qu'un simple effet de mode, pas plus que ce n'est le produit d'une éventuelle décadence de notre civilisation ou le résultat d'un perte des vraies valeurs morales : Le mariage pour tous arrive en Italie. Dans la joie. Car, comme le montre cette vidéo très émouvante, il y a beaucoup de joie à se dire que le mariage de deux êtres au nom de l'amour est un droit universel et que nul ne devrait en être exclu. Gageons que cette avancée sociale et morale ne donnera pas lieu chez nos amis cisalpins aux terribles errements qu'a connu la France quand la loi sur le mariage pour tous est devenue une réalité. Comment ne pas être ému par ces images. Oui, en Italie aussi, le moment est arrivé !



31 août 2015

La nouvelle imbécilité en vogue à Venise : les touristes en vélo !

© Corrado Claut -2017
 
Voici un billet d'humeur qu'il faut lire comme un communiqué de salut Public. Traduit du vénitien, son contenu pourrait prêter à rire si le sujet ne donnait envie de pleurer ! Les âmes sensibles et/ou piquées par le dard de la tolérance ou de la pitié sont priées de s'abstenir : 
 
«De nombreuses personnes s'en plaignent sur les réseaux sociaux et depuis quelques jours, nous sommes plusieurs à avoir constaté ce nouvel abus de la part de touristes ignares, les "barbares" : de plus en plus souvent des abrutis mal léchés pour la plupart se rendent dans le centre historique à bicyclette. cela pourrait être amusant si ces messieurs, certainement furieux d'être limités dans leurs coups de mollets par les trop nombreux ponts agressent presque à chaque fois les vénitiens venus poliment leur signaler qu'on ne peut circuler en vélo à Venise. Dernière réponse signalée sur Facebook par un monsieur effaré qui s'était approché d'un groupe de cyclistes occupés à se désaltérer à une fontaine sur le campo Santa Maria Formosa : "C'est marqué où ?" et de poursuivre leur excursion en vélo... Ce n'est écrit nulle part, non, pauvre imbécile. Juste dans la tête des visiteurs qui ont du bon sens, regardent autour d'eux et savent que la moindre des corrections est de respecter les usages des lieux que l'on visite. Certainement pas dans le cerveau de ce pauvre imbécile qui aurait mieux fait de rester dans sa banlieue à regarder le Tour de France ou d'Italie. 
Faudra-t-il mettre partout à l'entrée de la ville "interdit aux vélos et à tous les engins à deux, trois ou quatre roues ?". Et pourquoi pas un panneau "interdit aux imbéciles et autres malotrus" (cela diminuerait au moins de 90% le nombre de visiteurs annuels)... Faut-il poster des policiers et des vigiles partout ? faut-il armer les policiers municipaux comme le souhaite le nouveau maire pour être sur que, sous la menace de leur arme, ils fassent obtempérer les touristes qui viennent laver le derrière de leur chérubin sur la Piazza ou pissent dans les corbeilles disposées le long des Schiavoni, mettre en garde à vue tous ceux qui bivouaquent sur les ponts et autour de San Marco comme une armée de Huns avant la bataille, et qui laissent la plupart du temps derrière eux papiers gras et canettes, fusiller sur le champs ceux qui se mettent quasiment à poils et sont rarement les plus agréables à regarder ? Et en plus cette espèce très répandue a tendance désormais à mordre et à agresser les fonctionnaires qui tentent héroïquement de faire respecter la loi et les convenances.
Est-ce encore politiquement correct que de se plaindre de tous ces abrutis qui ne voient rien de Venise et feraient mieux de la regarder à la télévision. Ils la souilleraient moins. De loin, ce seront toujours des imbéciles, mais à distance, leur bêtise et leur mauvaise éducation ne pourront pas nous nuire ! Et si on leur offrait une gondole en plastique qui s'illumine (elle ferait drôlement jolie sur la télé avec le napperon en dentelle au point de Burano en nylon véritable), un masque de rhodoïd couvert de pampilles et de plumes affriolantes (ils adorent ça se travestir, les imbéciles) et un urinoir en verre de Murano ( du garanti 100% chinois) pour les consoler de ne plus être autorisés à se rendre dans la cité des doges ? Ils auront toujours la possibilité de s'offrir une croisière Costa en Low Cost, des fois qu'un (ou plusieurs...) de ces mastodontes rencontre un iceberg, de gros contingents d'imbéciles iraient voir les poissons de près, pour le plus grand bonheur de Venise ! On peut rêver, non ? Et rire de toute cette bêtise qui envahit la Sérénissime ! Cela aide à ne pas pleurer de rage...»


© Corrado Claut - 2016

Billet de Corrado Claut et commentaires sur Facebook, en date du 30/08/2015 en cliquant :  ICI

16 commentaires:

Anonyme a dit…

manquait plus que ça. moi qui déjà ne peut plus supporter ces cyclistes dans ma ville. je les appelle les "cyclosterroristes". pitié, pitié pas à Venise !
Anna


Line a dit…

Bien dit. Il y a des coups de pieds au c** qui se perdent.

daniela per gli amici giunela a dit…

Buttare in Canale loro ed i loro velocipedi.

Marie-France D. a dit…

En insultant ces mal-éduqués on ne règle rien ...Il vaudrait mieux les informer, leur expliquer, les ouvrir à une meilleure connaissance de cette sublime ville, à son histoire. Le mépris, le dénigrement, l'élitisme n'ont jamais fait disparaitre l'ignorance et la grossièreté, sauf à les remplacer...

Lorenzo a dit…

Marie-France, je suis bien d'accord avec vous - mais avec Daniela et Line aussi en fait, mais je n'ai pu m'empêcher de trouver une certaine satisfaction, primaire certes, à traduire ces lignes d'humeur féroce écrites par un vénitien pur jus. Ces lignes un peu outrées - j'ai pris la liberté d'édulcorer légèrement les propos de mon vieil ami - disent le ras-le-bol des vénitiens, de toutes conditions et de tous âges et de ceux qui aiment trop Venise pour la laisser entre les mains de ces iconoclastes incultes. Des insultes ? Non des vérités que malheureusement ceux qui sont visés n'entendent pas ou ne comprendraient pas. La barbarie sous toutes ses formes est bien en marche. Aucun désespoir dans mes propos. Un simple constat qui s'impose jour après jour et la certitude que nous n'allons pas vraiment vers des jours heureux et des temps meilleurs. En tout cas, pas à Venise qui n'est pourtant pas encore Palmyre...

Marie-France D. a dit…

Tout de même, "constat" désespéré ... Moi aussi je voudrais que Venise ait été préservée de cette " mondialisation" de l'irrespect, de la vulgarité, de l'œil aveugle devant la beauté ,mais comment aurait elle pu l'être , par quel miracle ? Les "monstres" marins peuvent y pénétrer, le touriste lambda aussi .Il y a droit lui aussi, et malheureusement ses droits occultent ses devoirs. Alors ? : "tri" (c'est d'actualité ...) des touristes méritants, cultivés, propres, respectueux de la ville et de ses habitants et les autres, les "vandales", les "barbares", les incultes , les indignes . Je n'arrive pas à me considérer comme seule (avec tous les amoureux fervents de Venise) habilitée à venir La voir, L'aimer ,je préfère en parler avec les "béotiens" et leur ouvrir les yeux... Simple point de vue.

Silvano a dit…

"Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait" (Michel Audiard).
"En" vélo ?! Pas vous !
La colère, sans doute.

manouche a dit…

Bientôt les pédalos et les jet-skis !

Silvano a dit…

Lorenzo, êtes vous au courant de l'arrivée à Venise des jeunes romains du collectif "Cinema America Occupato" ? Lycéens et étudiants, ils ont projeté un film sur la façade de marbre rose (si !!!) de l'hôtel Santa Chiara, atteinte inacceptable à l'intégrité de la Sérénissime.
Titre du film projeté (avant intervention des hôteliers, puis de la police) : "Main basse sur la ville" !

Silvano a dit…

http://video.repubblica.it/dossier/venezia-72/il-cinema-america-sbarca-a-venezia-la-proiezione-e-pirata/210789/209937

liliforcole a dit…

Voici qui illustre l'expression bien connue "avoir un petit vélo dans la tête"...

Anonyme a dit…

"Peuple qui Pue, Pollue et me réPugne"... (célèbre sketch de Les Inconnus)

fred Douille a dit…

D'un autre côté si on ne leur explique pas...

Virginie M. / Ma tasse de thé a dit…

Lorenzo, J'ai découvert votre blog il y a peu de temps et en suis ravie. Ravie de vous lire (quel bonheur d'intelligence, d'érudition, de finesse - et cette attention que vous portez aux petits riens qui font tout le sel d'un quotidien que nous devons à tout prix vivre de la plus belle manière qui soit) et ravie de savoir qu'il me reste tant de vos anciens articles à découvrir. J'en déguste chaque jour quelques uns, je les savoure comme on le fait avec une bonne tasse de thé, un très bon vin. Ils me transportent à Venise, me font découvrir des trésors cachés, me permettent d’attendre et de préparer mon prochain séjour dans la ville que je préfère au monde !

Anonyme a dit…

hou hou Lorenzo, où êtes vous?

Lorenzo a dit…

Pardonnez ce silence, chers lecteurs, de nombreuses occupations et le dépit de n'avoir pu me rendre à Venise en septembre comme prévu. Non, plus sérieusement, j'ai eu de longues journées très occupées mais, promis, je m'attelle de nouveau à ce Tramezzinimag qui a fêté ses dix ans cette année. Merci pour votre fidélité.

26 août 2015

L'âme des autres

  «Il y a des personnes qui sont dans le monde comme l'âme des autres.» Cette belle maxime de Leibnitz nous rappelle combien ces flammes errantes que sont les belles âmes peuvent à tout moment mettre le feu en nous et préservent l'humain de sombrer dans le désespoir ou la barbarie. Les cyniques n'aiment pas les belles âmes. Est-ce de cela qu'est mort Mario Stefani, le poète vénitien déjà cité par Tramezzinimag il y a quelques semaines et sur lequel nous reviendrons souvent dans les prochaines semaines ?


Mi canta ancora nel cuore
la bella favola di Venezia
la bella elegia che non ha occhi per piangere

via via da questa città dove l'acqua cresce
città che muori mia Venezia
le sirene annunciano come un bombardamento
angosce e morte

Elle chante encore dans mon cœur
La jolie fable de Venise
La belle élégie qui ne peut verser une larme
Partir loin de cette ville où l'eau ne fait que monter
Ma cité qui meure Toi Venise 
Les sirènes qui retentissent comme pour un bombardement
Angoisse et mort
 
Remplis de désillusions et de regrets, ces vers font l'éloge d'une cité moribonde, vouée à disparaître, celle chantée par Diego Valeri et Aldo Palazzeschi, celle de De Pisis et peinte par Bobo Ferruzzi, «la jolie fable de Venise»... 
 
Triste souvenir pour Mario Stefani dont le cœur est encore tout nourri aux images d'antan. L'acqua alta fait bien plus que submerger les endroits les plus bas de la ville, elle inonde de désespoir cet inconditionnel de Venise qui a grandi en elle et la voit peu à peu se déliter. Comme l'explique Flavio Cogo, dans son excellent ouvrage, Mario stefani e Venezia. Cronache di un grande amore, (non encore traduit en français) publié en 2013, les grandes eaux sont pour le poète le symbole palpable de la mort, qui s'opposant à ce qu'il y a de vital et de naturel dans le flux et le reflux de la marée, pareil au sang qui court dans nos veines. Ce phénomène devenu réellement préoccupant tant il se répète de plus en plus et dans des proportions parfois alarmantes - depuis la fameuse inondation de 1966, est associé dans les vers du poète de San Giacomo dell'Orio, au chant lugubre des sirènes qui rappelle les bombardements.  

 
Cela pourra en surprendre certains, mais derrière d'image rieuse du carnaval et des cortèges aquatiques avec un doge de pacotille pour fasciner le public, il y a dans le cœur de certains vénitiens, beaucoup d'amertume et de chagrin. Chacun l'exprime d'une manière différente, en italien ou en dialecte mais c'est toujours, véritablement la même souffrance. Depuis plus de trente ans, poètes et écrivains, peintres et musiciens, natifs de Venise ou vénitiens d'adoption crient leur désarroi. Les prédictions les plus sombres répondent aux chants de requiem, les invocations désespérées pour qu'un miracle surgisse et sauve la Sérénissime des menaces de la nature des exactions de l'homme mais aussi la sauve d'elle-même, de ce qu'elle est devenue et des dangers nouveaux qui se font jour. 

Stefani était radical, d'autres artistes sont ou ont été communistes, socialistes, chrétiens engagés ; quelques uns, plus rares sont proches de l'ex-MSI, néo-fasciste aujourd'hui représenté par sa frange la plus droitière regroupée dans la Ligue du Nord. Quelque soit leur sensibilité politique, tous ont en commun l'amour de leur patrie, la volonté de faire changer les choses pour que Venise survive ; pour qu'elle se développe face aux enjeux modernes. On ne construit pas des maisons ni des routes avec des poèmes, ils ne créent pas des emplois ni ne contribuent à augmenter la population pas plus qu'à la rajeunir (2) mais par leurs mots, les poètes contribuent à faire prendre conscience de l'extrême gravité d'une situation qui devient chaque jour, de moins en moins supportable. 

On sourira sûrement à ces cris d'amour lancés de partout par les Fous de Venise, qu'ils soient sur place ou exilés loin d'elle ; et après ? Est-ce que la mort annoncée de la ville intéresse vraiment notre époque qui ne se conçoit plus qu'en termes de globalisation, de mondialisation ? Che se ne frega (1) de ces quelques milliers de pauvres vénitiens obligés de quitter la maison de leurs pères pour s'entasser dans des logements sociaux du côté de Marghera ? Une espèce de parc d'attraction qui risque de sombrer sous la mer ? Un scoop unique qui ferait (fera ?) de superbes images pour les journaux télévisés, quelques secondes d'émotion habilement amenées par la voix de circonstance du présentateur, un plateau d'experts peut-être, la une des journaux pendant deux ou trois jours, puis la planète se remettra à tourner. 
 
Les tour-opérateurs, les croisiéristes (combien ces nouveaux mots sont laids) referont leurs programmes : on viendra sur les lieux avec des bateaux à fond transparent, voir en sous-marin pour admirer - photographier - les vestiges de la cité enfouie. Une mine d'or finalement. Sur la terra ferma ou peut-être sur une île épargnée par les flots, on visitera la réserve où vivront quelques centaines de vénitiens, avec leur drôle de dialecte, leur verroterie et leurs superstitions. Plusieurs fois par jour, des gros bateaux débarqueront des flots de touristes amusés qui se prendront en photo avec les indigènes à l'aide de leurs perches à selfie... C'est peut-être l'intuition de ce cauchemar qui désespéra Mario Stefani au point de se pendre dans sa maison, au-dessus de la trattoria al Ponte, tout près de la Zucca, à San Giacomo dall'Orio (2)... 

«La solitude, ce n'est pas être seul, c'est aimer les autres inutilement» (Mario Stefani)
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Notes :

(1)  : Qui s'en soucie
(2) : Selon les derniers chiffres publiés par l'Anagrafe de Venise (État Civil), il y a désormais 9,3 personnes de plus de 60 ans pour 1 jeune de moins de 20 ans
(3) : Comment se fait l'histoire... Stefani habitait dans le même immeuble qu'un célèbre universitaire vénitien, Padoan, situé juste à côté du pont et non pas dans le palais sur la façade duquel on a apposé la plaque commémorative inaugurée par le maire-philosophe Cacciari. Un des copropriétaires de l'immeuble où vivait le poète (au-dessus de la trattoria del Ponte) ayant refusé son autorisation en dépit de nombreuses tractations. Il a donc fallu trouver un autre endroit. C'est pour cela que la plaque ne mentionne pas l'immeuble.


24 août 2015

I Corrieri Veneti et le peintre Pordenone

 

Vasari qui n'a pas écrit que des vérités, raconte que ce tableau de Pordenone qui orne l'autel de la Confrérie des Corrieri veneti à San Zuane fut en réalité une commande de plusieurs familles patriciennes comme pour forcer Le Titien, absent de Venise en dépit des commandes qui lui auraient été faites et qui restaient en chantier, à reprendre le collier... En vérité, le tableau a bien été réalisé en 1535 suite à la commande de la Confrérie dont les membres souhaitaient que la chapelle soir ornée d'un retable consacré à leur saints patrons, Sainte CatherineSaint Sébastien et Saint Roch. Cette commande nous permet d'admirer cette manière particulière du peintre, la complexité des poses choisies, un peu ampoulées et convenues qui sont la marque de cet artiste et répondent bien aux goûts de l'époque.

23 août 2015

I Corrieri Veneti, où quand Venise inventa la poste



"La lettre que j'ai envoyé à mon oncle installé depuis quelques mois à Rome a mis tellement peu de temps à lui parvenir que sa réponse, arrivée en trois jours, a vraiment surpris tout le monde. C'était un peu comme l'avoir croisé sur le campo s'en allant vaquer à ses nobles fonctions de magistrat exécuteur contre le blasphème avec Angelo Legrenzi, son secrétaire et recevoir de sa bouche les réponses à mes questions. Notre service de courrier est le plus efficace du monde et démontre, s'il en était besoin, la grandeur de notre administration et la sagesse du Sénat. Je suis fier d'être fils de la Sérénissime et aussi vrai que Christ est notre roi tout-puissant pour l'éternité, Venise est ma patrie chérie". Ainsi s'exprimait (la traduction est moderne et trahit sans doute un peu l'esprit de son auteur) dans ses mémoires, jamais achevées ni publiées, N.H. Carlo Agostino Ruzzini, futur Procurator de Saint-Marc, fils de Carlo Ruzzini, lui-même procurateur puis brillant diplomate, et futur doge. Le seul que la famille ait donné à la République. 
Carlo Ruzzini procurateur, ambassadeur puis doge de Venise
Carlo Agostino écrivit pendant de longues années à son oncle (sa mère et sa tante étaient sœurs), qui était aussi son parrain. Ces lettres ont fait l'objet d'une publication au début du XIXe siècle. Comme le père de Carlo Agostino, N.H. Alvise Pisani fut membre de cette magistrature née de la Sainte Inquisition (dont l'objectif était de maintenir Venise dans le respect de la Sainte Religion et de prévenir tous les égarements qui pourraient asservir l'esprit des populations dixit le Frère Tommaso Maria Gennari, inquisiteur). puis deviendra doge quelques années après son séjour à Rome, succédant à son beau-frère mort en 1735.
I Corrieri Veneti, dits di Roma, une institution aussi célèbre que les postes des futurs princes Tour et Taxis, famille qui inventa la poste moderne avec un système efficace d'estafettes protégés au fur et à mesure de l'amélioration des routes par des conventions internationales qui n'avaient rien à envier à nos traités modernes. Le prince possédait d'ailleurs un palais à Venise dont le fondaco servait de dépôt postal. Déjà, sous la Rome impériale, le courrier était acheminé d'une manière incroyablement rapide et il fallut l'arrivée des barbares pour que cette organisation s'interrompe, comme furent interrompus les aménagements et l'entretien des routes et des relais. C'est à Venise que s'établit la première administration postale des temps modernes, en 1160 exactement. 
Les Archives de la République possèdent de nombreux agréments, contrats et traités qui permirent le déploiement du système d'acheminement des correspondances dÉtat à État aussi rapidement que les moyens de locomotion le permettaient. A la fin du XVe siècle, la régularité et les délais furent règlementés afin de proposer un service performant et concurrentiel. Il ne faut jamais oublier pour comprendre Venise de comparer l'esprit de ses élites à celui des anglais de la City au XIXe siècle ou des financiers de New York à notre époque. La rapidité des échanges favorise le commerce. C'est ainsi que s'érigea en 1489, une corporation professionnelle avec sa mariegola et sa scuola qui perdura jusqu'à l'invasion française et le saccage des institutions de la République par le corse. Lors de la fondation de la scuola, le métier était exercé par quarante personnes et la charge était héréditaire. 
Ces courriers acheminaient le courrier dans des lieux aussi éloignés que Bruges, Londres, Gênes, Barcelone et valence. La liste des destinations desservies est impressionnante. On la trouve dans un ouvrage de Marin Sanudo comme dans le Coronelli, ce fameux guide des étrangers à Venise, publié pour la première fois au milieu du XVIIe siècle, qui en cite près de 150 à travers l'Europe.
Installée tout d'abord dans la contrada San Cassiano au Rialto, où étaient aussi les bureaux postaux de Portogruaro, (ceux des différentes nations étaient regroupés Riva del Carbon), elle fut déplacée près de San Moïse, Corte Barozzi en 1775, quand le Sénat décida, pour des raisons financières - la crise économique faisait rage - de nationaliser le Courrier. Le bâtiment, transformé en résidence-hôtel, existe encore. En 1541, une délégation de marchands vénitiens vint se plaindre de la lenteur du courrier. Il fallait vingt jours pour qu'une lettre parvienne à Rome... Il fut ainsi décidé d'instaurer un acheminement hebdomadaire, avec garantie de délais. Le prix fut établi selon le poids. Les missives concernant les services diplomatiques et la correspondance avec le Saint-Siège étaient en Franchise et pouvaient bénéficier d'une expédition plus rapide. L'invention de la valise diplomatique en quelque sorte... Les jours de levée furent établis et publiés, et le courrier délivré à heures régulières certains jours de la semaine selon la provenance dans les bureaux postaux. Une livraison à domicile pouvait être effectuée à Venise moyennant un supplément. 

La Scuola, peu connue, disposait d'une chapelle dans l'église San Giovanni elemosinario, surnommée San Zuanepar les vénitiens, église peu connue située au Rialto, et qui était une des églises dogales depuis les temps les plus reculés. L'autel de cette chapelle est ornée d'un retable de Pordenone, représentant la sainte patronne de Corrieri, Sainte Catherine entourée par Saint Sébastien et Saint Roch qu'on peut toujours voir à sa place d'origine, après restauration de l'église qui eut à subir bien des vicissitudes.
Curiosité retrouvée dans les archives de cette famille Ruzzini dont le nom n'est plus aujourd'hui qu'assimilé à un hôtel installé dans un de ses palais - dont TraMeZziniMag vous contera l'histoire mystérieuse - l'un des chefs de service des Postes vénitiennes qui furent maintenues dans leur organisation par les autrichiens jusqu'en 1806, se nommait Agostino Ruzzini (la famille, venue de Constantinople en 1120 à la suite du rapatriement des ressortissants vénitiens décidé par le doge Domenico Michiel), n'apparait dans le Livre d'Or de la République qu'en 1298). Le patronyme disparait définitivement en juin 1916 avec la mort lors de la bataille de Gorizia du dernier héritier mâle de la famille.

22 août 2015

Mais oui, Venise est verte !

On entend souvent dire que Venise manque de verdure, que c'est un milieu urbain totalement minéral et cette évocation est d'autant plus prégnante quand le voyageur vient en été, lorsque les journées sont particulièrement chaudes et humides, comme ces dernières semaines.

S'il n'y a pas, en dehors de la promenade qui mène au quartier de sant'Elena, de longues avenues bordées d'arbres, la ville est remplie d'espaces verts qu'il faut savoir découvrir mais qui existent bel et bien. A commencer par les jardins de certains palais, les campi où ont été plantés des arbres, les jardins et parcs publics (des Giardini au parc Papadopoli en passant par les charmants jardins Savorgnan derrière la gare ou celui de Sant'Alvise, les cloîtres et les potagers des couvents, comme à Sant'Elena justement, à San Francesco della Vigna, à l'Ospedale, ou du côté de la Madonna dell'Orto, sans compter les potagers et les vergers - les vignes aussi - de la Giudecca... Une vue aérienne de la cité des doges montre pléthore d'espaces verts arborés. Hélas, la plupart des jardins sont privés et peu nombreux les espaces verts ouverts au public. Quant ils le sont, on est parfois déçu de se retrouver au milieu d'une sorte de prairie mal entretenue ombragée de grands arbres mal taillés. C'est qu'il n'y a pas à Venise cette tradition du jardin comme espace social public comme dans d'autres villes italiennes. Venise possède ses canaux et ses rii. Ce sont ces couloirs d'eau qui forment la plus naturelle aération de la ville. Branchies plutôt que poumons.
 
Beaucoup de palais ont eu leur jardin habillé au goût de chaque époque. Jardins de simples, roseraies, arboretums plantés d'essence précieuses et rares, dédales romantiques remplis de fabriques et autres folies, il y en avait pour tous les goûts. Beaucoup ont disparu mais parmi ceux qui subsistent, le visiteur émerveillé découvre une toute autre image de Venise, bucolique et charmante. Fantasmés, certains de ces jardins ont abrité bien des évènements, comme le parc de l'ancienne ambassade de France où furent organisés de magnifiques spectacles de son et de lumière sous l'égide de Vivaldi (à l'occasion du mariage du dauphin fils de louis XV par exemple). D'autres élaborés de toute pièce par des aristocrates russes ou anglais, comme le jardin de Sir Anthony Eden, ancien Premier Ministre de sa Très Gracieuse Majesté, quasiment abandonné depuis le passage de son dernier occupant, le peintre Hundterwasser.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

15 août 2015

Pranzo di Ferragosto : la bande-annonce




Ce fut la surprise (agréable) de la 65e Mostra du Cinéma, vous en souvenez-vous ? Un film incroyable joyeux, paisible et tellement dans la tradition du cinéma italien, réalisé par Gianni Di Gregorio. En voici la bande-annonce. Si vous décidez de le visionner, surtout chers lecteurs, voyez-le dans sa version originale sous-titrée, mais pas dans l'épouvantable version doublée en français (pourtant au Canada) qui est une catastrophe comme, hélas, le plus souvent. Bon appétit !