08 mars 2017

Les vénitiens et le racisme ordinaire




Au risque de passer une fois encore pour un réactionnaire, (au sens négatif qu'emploient les bien-pensants - quand j'y vois une qualité et un état d'esprit progressiste), les récents évènements montés en épingle presque continuellement par les médias internationaux et la tension qui se fait jour dès qu'on évoque la empêtrés dans la règne violence et la pauvreté, en servant d'enjeux politiques et de matière aux journalistes pour faire vendre leurs feuilles de chou trop souvent indigestes et cela n'est bon pour personne.

Lieux communs, pensée unique et raccourcis.
Une fois encore, on nous impose une façon juste de penser, un mode de réflexion qui s'il ne nous convient pas et que nous refusons d'y souscrire, fait de nous des ennemis du bien commun, de gros méchants nantis égoïstes. A entendre les grands-prêtres de la bien-pensance, nous autres qui nous entêtons à vouloir penser par nous-même et qui savons bien, par instinct, par expérience ou par simple bon sens, ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce qui a de l'importance ou ce qui n'en a pas. Plus que jamais, il nous est enjoint de hurler avec les loups ou de rester chez nous. Surtout ne pas déroger aux instructions subliminales que véhicule la presse et qui servent cette oligarchie qui s'offusque de nous entendre penser autrement que le préconise leur catéchisme.

C'est dit, c'est définitif et in contournable : les italiens (du Nord-Est particulièrement) et notamment les vénitiens puisque c'est d'eux dont il s'agit le plus souvent dans TraMeZziniMag, seraient de méchants racistes qui se cachent derrière leurs particularismes insulaires et voudraient bien faire croire qu'ils sont les plus gentils, les plus accueillants et les moins regardants des peuples d'Europe. Le mal est fait, quelques cris mal interprétés, des âmes trop sensibles qui prennent pour eux des mots ou des attitudes lancées sans aucun arrière-pensée et c'est l'anathème lancé contre tout un peuple. La tyrannie que le monde a connu dans un passé pas si lointain ne procédait pas autrement. Les meilleurs procès, les plus sanglants et les plus radicaux sont ceux qu'on contraint le peuple de faire après que quelques intellectuels jolis parleurs aient inoculé leur venin.

Mes amis, c'est quasiment gravé dans le marbre des nouvelles tables de la loi : les vénitiens sont de méchants racistes, rapaces à la petite semaine, méchantes personnes indifférente  aux malheurs du monde et des immigrants en particulier. Honte à eux !  Shame on them pour reprendre la langue officielle. Et comme du temps de Mussolini ou de Hitler, de Staline, de Mao ou de Fidel Castro. Suit en général une liste de reproches sanglants dressée par des journalistes, des philosophes, des sociologues et des adeptes de la politique de comptoir est soudain reprise par des membres de la population visée. Les premiers à crier au scandale sont des vénitiens. Heureusement, il s'agit d'une petite minorité mais celle-ci est écoutée sans aucun esprit critique et la maîtrise des réseaux sociaux permet à ces tristes sires de donner un écho universel à leurs cris d'orfraie.

Ils ne sont pas les premiers. On n'a plus le droit de traiter son meilleur pote de pédé ou de tata, cela pourrait amener un autre camarade de la cour de récréation à se pendre, parler des africains de couleur - il y en a qui sont blancs aussi - en employant le terme de nègre, dire bougnoul pour arabe, rital ou polac, etc. Tout cela est banni, politiquement incorrect et passible d'un attentat terroriste individualisé que pourrait concocter un pseudo-intello piquée à vif et sur-protéiné aux idées en vogue... 

La discrimination galopante.
Quelle pitié d'en arriver là. Certains, que leur médiocre talent retiendrait dans des postes largement subalternes, ont déjà tout compris et en s'emparant de ce concept fourre-tout "discrimination", se taillent reconnaissance et promotions...  Quelle hypocrisie.  Ne nous voilons pas la face : sous couvert de lutte contre la méchanceté gratuite - qu'on assimile automatiquement à de la discrimination, le business de l'éradication de l'inacceptable racisme est devenu florissant. Pour quelques purs esprits qui agissent vraiment par conviction, des milliers de faux-croisés ne se battent que pour eux. Pour se faire entendre et connaître. Ces gesticulateurs font mousser les choses. Ils se moquent bien de contribuer à faire surgir du racisme là où il n'existerait pas si on n'en parlait pas autant. 

Comme la médecine officielle sponsorisée par les laboratoires qui se contente de traiter les effets d'une maladie sans jamais se donner la peine ni les moyens d'en soigner les causes (question d'argent : faire disparaître le cancer rapportera toujours moins que les traitements et les outils employés pour tenter de le soigner)...  Il en est de même avec ce concept très in gamba (à la mode, fashionable) de discrimination. Mes quatre années d’activité dans le milieu associatif m'ont quotidiennement mis en contact avec ces professionnels de l'indignation. Bien peu étaient sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de leur combat. Beaucoup trop tenaient boutique et lorgnaient médailles et honneurs. Cela ne mériterait qu'un haussement d'épaules si leur militantisme n'empoisonnait pas jusqu'aux plus hautes sphères de l’État, persiflant partout, insufflant une sorte de mystique frelatée qui sème le doute et fait le lit des communautarismes et de la délation. Au "si tu n'es pas avec nous tu es contre nous", mon esprit réplique spontanément "Dieu reconnaîtra les siens"!

I had a nightmare.
Je force à peine mes propos et en toute connaissance de cause. S'il s'agissait vraiment - et je sais que des gens sincères et au cœur pur s'emploient jour après jour à lutter contre les ravages du vrai racisme actif, organisé et structuré (ceux-là œuvrent sans but inavouable, sans dessein caché, mais juste pour le bien, par conviction, par humanité véritable, par amour du prochain), celles-là ne sont nullement en cause - d'éviter souffrance et douleur pour les victimes présumées, il n'y aurait rien à redire. Seulement, cette religion nouvelle qu'on essaie de nous imposer dans tout l'occident n'a d'humaniste que le nom. Un jour, leur discours se fera plus clair que relaieront les médias du monde entier, du genre :
" Faites ce que je dis mes amis mais surtout pas ce que je fais... Légiférons pour que soient lavées au savon les bouches de ceux qui oseront dire ces vilains mots méchants mais laissez-nous employer - au black (!) - des migrants clandestins sous-payés et mal logés. Pourfendez les mal-parleurs mais laissez les bien-pensants s'enrichir du commerce des armes et s'empiffrer des ressources naturelles des pays sous-développés, regardez, nos lois le permettent et vous, le peuple souverain, avez mis au pouvoir ceux qui les ont votées..." 
Passez-moi ce coup de gueule, mais cela devient parfois insupportable et tellement, tellement sot. Le racisme n'est pas une chose naturelle. Les enfants vont spontanément vers les autres, tous les autres, sans prévention ni hésitation. Leurs critères de choix : l'échange, la sympathie, la gentillesse, l'échange. cela dure tant qu'à la maison on ne les a pas prévenu contre cette spontanéité, tant qu'on ne leur montre pas une vérité tronquée. Tant qu'on ne leur fait pas peur.

Ce fut longtemps le rôle de l’Église de répandre un message d'amour et de main tendue vers l'autre, notre frère. Hélas l’Église est faite d'humains et les humains se laissent souvent gagner par la soif de domination, le besoin de pouvoir, l'appât du gain,  la jalousie et la haine. Et c'est aussi l’Église qui a classifié l'humanité en purs et en impurs, en Bénis de dieu et en Gentils... De politique il s'agissait alors, pas d'amour. Rien à voir avec le message d'amour et de fraternité des prophètes...

Ascari e schiavoni.
Il y a à Venise peut-être davantage de gens prompts à employer des termes ordinaires à leurs yeux mais violents pour d'autres. C'est le cas par exemple de deux termes bien innocents du langage courant (en dialecte) dont peu à peu le sens a changé. C'est surtout la manière dont on l'emploie, la consonance qui sera appliquée, toutes ces nuances de la linguistique, qui sont autant d'armes contondantes mais aussi d'instruments d'amour et de fraternité selon l'usage qu'on veut en faire. Ainsi les termes Ascari et Schiavoni. le premier, souvent utilisé encore aujourd'hui, en dialecte, devenue une véritable expression proverbiale, et le second quasiment disparu du langage courant d'aujourd'hui. La vidéo ci-dessous, réalisée dans le cadre d'une intéressante exposition qui était présentée en début d'année à Venise, Ascari e Schiavoni, Il Razzismo coloniale a Venezia (*), à l'occasion du 80e anniversaire des lois raciales de l'Anno XV du fascisme) (nous y reviendrons) tente de démontrer que ces termes, sous des airs totalement anodins, inoffensifs, ont pu avoir une connotation raciste et que celle-ci fut lourde de conséquences. Ce fut le cas après 1937 et les lois racistes du Fascisme (**). De quoi rassurez nos lecteurs. Il y a bien des limites dans l'usage qu'on peut faire de certains mots mais diaboliser une liste de vocables sur ce seul prétexte me parait totalement disproportionné et dangereux. Tout est toujours une question de mesure, de raison et donc tout est une question d'éducation.




Notes :
(*) Ascaro : dans son premier sens est un synonyme de soldat indigène des colonies italiennes d'Erytrée et de Somalie (vient de l'arabe askari : soldat). Devenu en langage populaire un être différent, puis bon à rien (se dit des parlementaires qui ne font rien pour le peuple, d'un paresseux, etc.). Schiavoni : les slaves ou esclavons qui furent longtemps mercenaires à la solde de la République de Venise.

11 février 2017

Un jeune homme m'écrit


Le Jeune homme et le triptyque

Les heures passées devant l'ordinateur pour produire ces quelques textes qui partent ensuite vivre leur vie auprès de milliers de lecteurs inconnus font souvent l'objet chez leurs auteurs de grandes interrogations. Ai-je eu raison de publier cela ? Ne vais-je pas heurter quelqu'un ? Suis-je parvenu à transmettre mon idée ? En suis-je seulement capable ?... Autant de questions qui le plus souvent ne trouvent pas de réponse et forment finalement l'engrais ou le combustible nécessaires pour continuer. Parfois, un commentaire enthousiaste ou critique montre que l'on n'est pas seul, perdu au milieu de l'immensité du vide. Il y a quelqu'un quelque part, attentif et sensible à nos mots. Parfois aussi un courriel vient justifier soudain ces heures de solitude passées à peaufiner une phrase, à illustrer une conviction. C'est le cas de cette lettre virtuelle reçue il y a quelques jours. Peu ordinaire, elle m'a été adressée par un jeune homme, étudiant d'une classe préparatoire parisienne, qui ne dit pas son âge. Sa verve et l'éclat de ses mots me fait penser qu'il est très jeune. Je ne sais pas pourquoi mais sa missive dématérialisée s'est associée aussitôt à cette photo trouvée sur pinterest ou tumblr, je ne sais pus, d'une jeune garçon en train de contempler trois toiles de je ne sais plus quel peintre.

Lecture chez les dominicains de Venise
Mais me considérant bien vieux moi-même désormais, je suis certainement mauvais juge. En quelques lignes, il parvient à m'exprimer son enthousiasme pour le blog, pour son contenu, ses illustrations et me parle, d'abord à mots ouverts, puis ouvertement, de sa passion pour l'écriture et son pendant, la lecture. C'est son professeur de littérature qui lui aurait fait découvrir TraMezziniMag (que ce brave enseignant au très bon goût en soit remercié !). Il termine sa lettre par plusieurs questions. Qu'il me les pose m'honore, tant j'ai toujours la crainte de trop m'impliquer quand une jeune personne me demande aide ou avis, à une époque où la sollicitude d'un aîné pour un plus jeune qui n'est pas son enfant, semble vite quelque chose de suspect. 

On crie vite à l'emprise morale et psychique, attitude perverse qui mène droit à toutes sortes d'abus dangereux pour ces jeunes cervelles et ces cœurs tendres. Mon jeune lecteur a la tête sur les épaules et le recul nécessaire pour ne pas me sembler à la recherche d'un gourou. Jeune mais libre et posé. Mais revenons à la question qui m'a paru la plus importante. Il ne m'en voudra pas de la rendre publique comme je rends publique ma réponse. Pas plus que le renvoi fait à cette citation de l'auteur polonais, Gombrowitcz cité dans TraMeZziniMag il y a quelques années (voir ICI) et qui contient en quelques lignes l'essence même de la position la meilleure pour l'écrivain en herbe. La question qui semble tenir à cœur au jeune Grégoire - le prénom non plus n'est pas ordinaire -  porte sur le désir d'écrire et le travail d'écriture, vous l'aurez deviné : "Que faut-il considérer avant tout quand on veut faire de l'écriture son métier et comment savoir si nous en sommes capables ? " 

Spontanément j"ai envie de répondre qu'il s'agit avant tout de demeurer clairvoyant, insoumis, insolent et audacieux. Cela ne veut pas dire qu'il faut à tout prix et systématiquement cultiver la provocation et chercher à choquer. Il faut seulement être soi-même dans chacun des mots qu'on emploie, être déterminé dans la volonté d'affirmer ce que l'on croit et d'essayer de le définir, de le comprendre afin de pouvoir mieux l'expliquer. C'est cet état d'âme que celui qui veut écrire doit entretenir quand il est face à sa feuille - à son clavier; quand peu à peu les mots s'alignent dans sa tête, avant que de venir s'ordonner d'eux-même en phrases et en paragraphes. Ensuite, vient le vrai travail de leur inventeur : relire, refaçonner, remodeler... Quand le texte est prêt à être lu, on le sait. on le sent. C'est comme une petite musique qui résonne harmonieusement en nous.

Grégoire me demande aussi de lui recommander des lectures avant d'aller découvrir Venise pendant les vacances que ce jeune homme bien né et à l'âme bien trempée qualifient de Pâques, terme passé de mode et qui vous fait aussitôt suspecter si vous l'employez, d'être un suppôt, fascisant, passéiste et ombrageux, de la Manif pour Tous.. J'ai aussitôt pensé, outre l'excellent Venise de la collection Bouquins qui réunit un joli panaché d'opinions et d'idées sur la Sérénissime, à l'ouvrage du croate Matvejevic, L'Autre Venise, au Petit Guide sentimental de Venise écrit par Paolo Barbaro. Puisqu'il est en prépa, pourquoi pas lire aussi l'excellent et très précieux ouvrage de Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932 sur la "folie vénitienne" dans le roman français de Paul Bourget à Maurice Dekobra, paru chez Champion en 2000 que j'ai découvert grâce à Dominique Pinci de la regrettée librairie française de Venise. Bien entendu, il lui faudra lire Portrait historique d'une cité de Philippe Braunstein, Le Carnet vénitien de Liliana Magrini et Henri de Régnier aussi... Enfin, j'ai ajouté dans ma liste Les Ciels de Tiepolo d'Alain Buisine et les Lettres de Venise du baron Corvo...

Je me réjouis en tout cas qu'il existe encore des jeunes gens enthousiastes et poètes, qui ne laissent pas leur sensibilité s'étioler avec des passions vulgaires, qui ont le sens de la beauté et demeurent passionnés dans un monde revenu de tout, n'ont pas envie de fabriquer des explosifs pour se faire sauter en tuant des centaines de victimes innocentes au nom d'un dieu qui, si il existe, a depuis longtemps détourné son regard magnanime devant toutes ces horreurs commises en son nom.

Giuliana Camerino, une grande vénitienne

Giuliana di Camerino au volant de son riva devant l'entrée d'eau de sa résidence
Morte à 90 ans, cette grande dame a marqué le monde de la mode avec sa signature. Roberta di Camerino, avec ses créations qui furent un temps aussi disputée que celles de Vuitton ou Hermès. Le label continue de prospérer, toujours apprécié par les stars et les têtes couronnées. Cette photo retrouvée au hasard de mes rangements. Pour en savoir plus sur cette redoutable femme d'affaires, au caractère volcanique et déterminé, lisez mon billet retrouvé, paru le 13/11/2005 dans Tramezzinimag I, en cliquant ici

10 février 2017

Chronique d'un quotidien ordinaire

Quoi de plus apaisant qu'un brouillard matinal, quand les paysages familiers s'enveloppent de mystère ? L'atmosphère est propice aux rêves comme au farniente. Qui prétend que la grisaille est triste n'a jamais bien regardé combien il transforme avec poésie et malice les paysages qui nous sont les plus familiers. Tout prend un aspect différent avec la brume épaisse qui se répand autour de moi. Il est à peine huit heures. Le jour est levé mais tout semAndreas Scholl qui chante cette émouvante et célèbre lamention de Buxtehude, "Faut-il donc que la mort sépare ?" L'idéal donc pour l'introspection, la méditation et donc pour l'écriture. Le chat a quitté son coussin pour me rejoindre sur le lit. Non pas par curiosité, ni pour m'encourager dans ma tâche comme il le fait parfois, mais plutôt pour comprendre pourquoi je reste dans mon lit au lieu de lui préparer son déjeuner... Il attend. Mitsou aurait pu s'appeler Bouddha, tant il cultive la sérénité et la patience. Il a ses moments comme tout un chacun, on lit alors dans ses yeux des pensées diaboliques. Il manifeste dans ces moments-là sa rage en s'attaquant à un journal abandonné sur un fauteuil et qui n'avait rien fait, le réduit en charpie, ou en s'amusant à faire le tour du canapé sur le dos en ne s'aidant que de ses griffes. Si ce pauvre sofa avait des cordes vocales, il hurlerait sa douleur. Comme je l'ai fait il y a peu en découvrant la facture du tapissier. 

Rosa sur le rebord de sa fenêtre préférée calle Navarro. 1985
Mais pour l'instant, respectueux de mon travail, il s'est endormi les pattes avant joliment repliées sous lui, à deux pas de ma tablette, après avoir un instant regardé ma main, le stylo et mon carnet. Rosa le petit chat gris de mes années étudiantes à Venise, dormait dans une position identique quand elle m'inspira ma nouvelle, Le roi des chats est vénitien. Mitsou lit-il dans mes pensées ? (les chats sont capables de tout, j'en suis convaincu) :  au moment où le nom de son lointain prédécesseur apparaissait sur cette page, il a ouvert un œil, m'a regardé un court instant puis m'a tourné le dos et s'est rendormi... 

Mais revenons au brouillard. Le caigo que j'évoquais plus haut. Il comble l'écrivain, le poète et le rêveur. Je ne prétend être rien de tout cela, juste un plumitif qui ne peut se passer d'écrire et peut enfin le faire tout à son aise. Que parfois des gens me lisent et en tirent un certain plaisir me satisfait bien sûr, mais être lu n'est pas le premier de mes soucis. A l'âge qui est le mien, au seuil du dernier chapitre de la vie, le besoin d'exprimer ce que je crois, ce que je pense et ressens, m'est devenu impératif. Peut-être pour commencer de transmettre mes expériences et mes idées maintenant que mes enfants, à leur tour, font des enfants et qu'ils vont sur le chemin de la vie sans n'avoir plus à me donner la main. Peut-être aussi pour conserver le souvenir de ce que j'ai vécu, comme un témoignage d'une époque révolue et encore très présente dans mon esprit (comme dans mon cœur). Je rencontre tellement de gens dont la mémoire s'est figée et qui ne pourront jamais plu transmettre quoi que ce soit des aventures de leur vie, qu'il y aussi ce désir de dire tant que j'en suis capable. 


Curieusement, moi qui n'ai pas de mémoire, sinon de manière fugace, et qui m'appuie sur presque cinquante ans de journal intime pour savoir le détail de ce que furent mes jours, je revois clairement des moments oubliés comme on regarde un film. Matière idéale pour mon écriture, qu'il s'agisse de fiction ou d'illustration pour mes idées et mes convictions. Que le lecteur ne voit pas dans ces lignes un quelconque satisfecit narcissique. Je ne fais que constater ce qui nourrit ma pensée - et donc ma vie, n'est -ce pas ? - chaque jour. Venise autant que ma campagne isolée m'aident en cela, comme le brouillard de ce matin de février, à quelques jours du carnaval qui va se répandre comme une coulée de lave, dans les rues et les campi de Venise. Mais j'aurai fui avant l'invasion. En attendant, j'écris dans mon lit, avec le chat endormi, qui rêve à côté de moi et les deux pigeons qui observent en commentant l'allure des passants. 
Mon billet sur la triste affaire du jeune homme noyé sous le regard des badauds a été lu par plusieurs milliers de personnes, partagé par des tas d'inconnus. Mais je m'interroge. Les mots du titre, sans l'avoir voulu, sont du même acabit que ceux de la presse dont je dénonçais dans l'article le goût pour l'émotion et le sensationnel. Sommes-nous tous contaminés finalement ? Une amie psychologue vient ce matin de m'apporter les éléments qui me manquaient pour que ma réflexion soit plus aboutie. Elle m'expliquait ce qu'on nomme "l'Effet témoin" qui montre que plus il y a de personnes qui sont témoins d'un évènement, moins les gens interviennent. Un lecteur s'interrogeait sur le fait que si à la place d'un homme de couleur il s'était agi d'une fillette de cinq ans, il y aurait eu des gens pour sauter dans l'eau glacée au risque de leur vie. On a tous en tête des situations où il suffit d'un cri, d'un geste pour déclencher un mouvement de foule. Peut-être a-t-il raison quand il souligne l'hypothèse que l'enfant attirant la sympathie naturelle de tous les gens normalement constitués, il n'en est forcément de mème pour un adulte, noir, blanc, jaune ou vert de peau. 

Cette retenue serait la manifestation inconsciente de ce qu'on nomme le racisme ordinaire ? Hélas oui peut-être pour certain. Mais à entendre les voix enregistrées dans les vidéos, la tonalité de la plupart des cris et des paroles échangées par les témoins entre eux,montre bien une émotion; on sent bien qu'ils ne sont pas indifférents. En effet, si le secouriste avait sauté, ou n'importe qui, d'autres auraient suivi. Enfin pour répondre à ce lecteur, tout s'est passé très vite et quand les gens ont commencé à réagir, au moment où le maître-nageur a voulu intervenir, les bouées étaient autour du jeune homme et on peut penser que la foule a été littéralement sidérée de voir que Pateh ne bougeait toujours pas, ne faisait aucune tentative pour s'en approcher et les saisir. même gelé, il pouvait tendre les bras, elles étaient vraiment à côté de lui et c'est surement ce qui a tétanisé la foule. On remarque qu'à cet instant précis, quelques secondes avant qu'il ne se noie, il n'y a pratiquement plus de cris, presque plus de bruit', la rumeur s'est atténuée. Les gens sont sidérés, c'est le mot le plus juste. C'est aussi le plus triste.  


Le soleil tente de faire une percée mais la densité du brouillard l'en empêche. Cela donne une jolie lumière mordorée. Les branches des tilleuls sont passées du noir d'encre à un marron tirant presque sur le vert. Ces variations de lumière depuis ce matin m'évoquent la différence, le soir dans la maison, entre les lampes allumées. Celles avec des ampoules traditionnelles à filament (j'en ai acheté en quantité partout où je pouvais, à Venise, à Bordeaux, Nantes, à la campagne) qui répandent un joli jaune chaleureux, et les ampoules LED, blanches et laiteuses. Selon l'emplacement, elles organisent dans le salon un jeu de nuances agréable à l'œil. 

Mais écrire dans mon lit n'apporte décidément que des considérations bien ordinaires. L'impression d'animer à moi tout seul, avec moi-même, le chat ne participant que d'un œil qu'il ouvre de temps à autre pour deviner si j'ai malgré tout bientôt l'intention de me lever pour le nourrir, une sorte de conversation piece, ou plutôt, et pour parler français, une discussion genre café du commerce... Le soleil maintenant est vraiment levé. Doré comme du bon pain, il efface la palette des gris dont le brouillard avait recouvert la ville. Il est temps de passer aux occupations domestiques. C'est bien l'avis de Mitsou qui est déjà dans la cuisine. Dehors, les bruits de la ville sont revenus. Il est presque onze heures.
Envoyé de mon iPad