22 juin 2017

Petits riens vénitiens

Je devais y arriver en début de la semaine. Les bagages attendaient d'être bouclés, un sac pour les livres et les carnets, avec un peu de place pour le thé et les biscuits sans lesquels je ne pars jamais, ma boîte de tabac et mes pipes favorites. Le panier du chat bien ouvert dans l'entrée pour que Mitsou s'habitue à l'idée du départ... Puis, déconvenue, empêchement : d'inénarrables impératifs m'éclatent à la figure... Plus question de Venise pour le moment. Il fut un temps où cela m'aurait anéanti. Repousser une fois encore mon retour... Les grosses chaleurs que nous connaissons depuis quelques jours et l'idée d'un voyage difficile atténuent mon dépit. Ce sera pour plus tard. 


Pendant que j'écris ces lignes, mon amie Catherine se promène du côté des Santi Apostoli, attendant que Gabriele sorte de sa réunion avec l'équipe du Giorgione. Elle s'installera certainement dans le salon ou au bar de l'hôtel, ou peut-être dans l'atrium ou le bassin (les dépliants parlent de la piscine) pour se rafraîchir avec una spremuta. Elle doit laisser à Gabriele les clés de l’appartement. Une autre amie, de passage à Venise avec son mari, passera un moment sous la tonnelle du Caffè Paradiso avant que de poursuivre leur visite de la Biennale. Quels pavillons auront leur suffrage ? Dimanche, nous étions tous deux d'astreinte, présidant chacun un bureau de vote. Elle en tant que maire-adjoint, moi en tant que bénévole habitué depuis quinze ans. 

Je lui ai demandé de boire un verre de prosecco en pensant à moi qui aurait dû être sur place pour les promener en barque sur les rii de la Sérénissime ou, si le temps n'était pas trop chaud, sur les eaux de la lagune, là où on ne mène jamais les touristes. Il y a aussi ces deux étudiants lecteurs de TraMeZziniMag depuis un exposé qu'ils réalisèrent au lycée après avoir lu en détail le blog et qui sont comme des amis bien que nous ne nous soyons encore jamais rencontrés ni à Venise ni en France. Ces garçons ont développé - j'assume ma part de responsabilité - une passion pour Venise et par ricochet pour tout ce qui est italien au point que cet amour a décidé de leur cursus. L'un est historien d'art aujourd'hui en doctorat et son acolyte spécialiste de l'histoire et de la littérature italiennes ! Leurs amies doivent les rejoindre samedi. Je sais qu'ils mettent leurs pas sur les miens et j'en suis flatté. 

Je pense aussi à une autre personne qui m'est chère mais que les tensions et les excès de ces derniers mois ont éloigné au point qu'elle a souhaité ne plus figurer sur la liste des Amis de TraMeZziniMag pour des raisons d'orientation politique. déjà, il y a des années, nous nous étions chamaillé autour du formidable petit ouvrage du regretté Stéphane Hessel. Notre goût commun pour la Sérénissime n'aura pas été assez fort pour éviter cette rupture surprenante mais ces derniers temps furent pesants pour les relations personnelles et combien de gens se sont farouchement opposés.

© Catherine Hédouin - 2017

A Venise, le référendum a été fédérateur. Plus de 97% des suffrages exprimés ont envoyé un coup de semonce à ceux qui s'entêtent à vouloir prendre des risques terribles au nom du sempiternel appât du gain. Le référendum n'avait seulement que valeur consultative mais les résultats sont un ne peut plus clairs et la classe politique locale comme le gouvernement italien devront en tenir compte. Dieu que la démocratie est joyeuse, je ne me lasserai jamais de le clamer, de le chanter, de le danser ! Aujourd'hui à midi Jean Clair s'entretenait avec Roger de Montebello, au Musée Correr, dans le cadre de son exposition que j'ai hâte de découvrir. L'échange auquel je devais assister si seulement j'avais pu partir, a dû être passionnant. Je reviendrai sur cette exposition lorsque je serai à Venise sur place. J'aime la peinture de Roger. Je l'ai vue évoluer année après année et découvrir ses portraits m'intéresse vraiment. Ce que j'en ai vu m'a plu mais il ne s'agissait que des photos, pas de la confrontation physique avec la peinture, avec ce qui en émane et qui jaillit dans l'espace quand on la contemple. Vite, vite, j'ai hâte ! 

Le train jusqu'à Paris, puis le changement de gare avec le chauffeur affable qu'agaceraient les odeurs du panier-cage dans lequel le pauvre chat se serait oublié, dans l'énervement, puis l'attente au milieu de la foule attablée aux terrasses du Train Bleu et l'embarquement, sans qu'un employé de la compagnie ne prenne la peine de se charger de monter les bagages. L'installation dans notre cabine, où la ventilation fonctionnerait mal et dont les vitres n'auraient pas été nettoyées.  Mais qu'importe, l'idée même du voyage et du voyage vers Venise est toujours une fête. les rites du wagon-lit ; Le livre choisi pour accompagner l'esprit jusqu'à ce que le sommeil l'emporte. Le rythme lancinant du train, les bruits qu'on distingue à peine, feutrés qui accompagnent la douce rêverie... L'esprit du voyageur, le temps passé entre le point de départ et l'arrivée, une aventure. L'occasion de se retrouver avec soi, dans la tranquillité d'une nuit paisible... C'est lors d'un de mes voyages dans un train de  nuit que m'est venue l'idée de cette collection que je prépare pour le lancement de ce beau projet dont nous reparlerons : les Éditions TraMeZziniMag.

19 juin 2017

97,8% pour l'éloignement des grandi Navi ! Un immense succès.

(foto dalla pagina FB del © Comitato No Grandi Navi)
Près de 20.000 personnes se sont rendues dans les nombreux stands mis à disposition des électeurs dans Venise et ses environs ce dimanche. Un énorme succès pour les organisateurs et le OUI l'a emporté à 97,8% (17.874 voix) !

La preuve aussi que les vénitiens sont en train de prendre leur destin en main et que les jeunes, très nombreux à s'exprimer, envisagent un autre avenir que celui que font miroiter les adeptes de l'ultra-libéralisme. La sauvegarde d'un cadre de vie unique plutôt que le profit de quelques grandes entreprises sans foi ni loi et l'enrichissement de quelques uns.  Des gens arrivaient encore après la clôture du scrutin et les étrangers n'ont pas été en reste. Il ne s'agissait bien sur que d'une consultation, mais le résultat est un signe fort et très clair : Assez ! Assez de tous ces abus qui ruinent la cité des doges, qui forcent les résidents à quitter le centre historique, aux commerçants de proximité à laisser la place à des boutiques de pacotille et à un tourisme de masse qui dégrade et coûte à la ville bien plus qu'il ne lui rapporte !



Venise a répondu en masse à l'appel des organisateurs. Dès 9 heures certains gazebo furent littéralement pris d'assaut et des files d'attente se formaient un peu partout, le tout dans la joie et la bonne humeur. je le redis sans cesse : la démocratie (la vraie) est joyeuse et il faut croire en l'intelligence et la perspicacité du peuple quand on ne lui ment pas, quand on le laisse exprimer son sentiment, résultat de ce qu'il vit et de ce qu'il voit dans son quotidien. Tout le contraire des technocrate, des financiers et des actionnaires qui ont les yeux rivés sur les résultats comptables et le montant de leurs dividendes, ignorant tout le reste quand il n'est pas source de profits.  

Un gazebo a Venezia (foto dalla pagina Fb del comitato No Grandi Navi)

25.000 bulletins avaient été imprimés ont tous été utilisés. On a vu des personnes âgées en fauteuil roulant, de jeunes mamans avec des enfants dans les poussettes, des familles entières. Et tout cela dans la joie et la bonne humeur !

 © Copyright ANSA

Une belle réalisation grâce aux 200 volontaires qui ont permis le bon déroulement du scrutin de ce sondage populaire autogéré et la réussite de la journée. Quand TraMeZziniMag vous dit que Venise est un laboratoire d'innovation et d'enthousiasme où s'invente le vivre ensemble et la défense d'une société soutenable et ouverte.  Evviva Venezia !




 

17 juin 2017

Grandi Navi, le référendum d'initiative populaire, c'est demain !

On pourra voter dans de nombreux endroits de Venise, dans le centre historique et à Mestre, mais aussi à Chioggia et à Mira, ce dimanche pour le référendum d'initiative populaire organisé contre les grands paquebots qui envahissent les alentours proches de la cité des doges.


La question est simple et claire : "Vuoi che le grandi navi da crociera restino fuori dalla Laguna di Venezia e che non vengano effettuati nuovi scavi all’interno della Laguna stessa?". (Voulez-vous que les grands navires de croisière restent en dehors de la lagune de Venise et que ne soient pas réalisés de nouvelles excavations dans celle-ci ?).

Les organisateurs n'ont aucune assise officielle mais la consultation, si elle s'avère une réussite en mobilisant la population montrera vraiment la position des vénitiens résidents sur la lagune qui se manifestent de plus en plus, toutes générations confondues, pour sauver leur ville et leur style de vie face au rouleau-compresseur de l'économie touristique ultra-libérale qui asphyxie la ville et n'enrichit que quelques grosses entreprises le plus souvent non vénitiennes.   Le Comitato No Grandi Navi avec l'organisation Ambiente Venezia qui sont à l'origine de cette consultation populaire sans valeur légale à proprement parler, espèrent une grande mobilisation. Un oui massif à la question posée aura un impact important. Autogéré, porté par des citoyens actifs et largement soutenus par la population, les associations organisatrices ne détellent pas. L'enjeu est important, une étape pour en finir avec une dégringolade incroyable qui porte Venise chaque jour un peu plus vers la disneylandisation. Une manière de prendre la température de l'opinion et de forcer les autorités à prendre leurs responsabilités puisque les décisions administratives allant dans le sens d'une protection de la lagune n'ont pas été appliquées ou ont été gelées par des manoeuvres juridiques, sans que personne ne monte réellement au créneau.

Une action qui est largement médiatisée, un geste fort qui ne devrait pas laisser indifférent le gouvernement . Les organisateurs le clament haut et fort :  l'objectif est de «[...] fermare le grandi navi da crociera fuori dalla Laguna !" (pour [...] exclure les grands navires de croisières dans la lagune) et par conséquent "per salvare Venezia e la sua Laguna dalla devastazione di progetti assurdi che prevedono lo scavo di 7 milioni di metri cubi di fanghi più o meno inquinati!» (Pour sauver Venise et sa lagune de la dévastation par des projets absurdes qui prévoient l'excavation de 7 millions de mètres cubes de vase plus ou moins polluée). Les experts internationaux sont tous formels : ces travaux pour approfondir le canal qui amènerait les grands paquebots vers un nouveau port dans Venise endommagerait l'ensemble de la lagune et déstabiliserait complètement un écosystème qui a pu être sauvé et régénéré mais qui reste extrêmement fragile. Il y a tellement d'argent en jeu, de profits en vue pour les grandes sociétés de construction et les armateurs...

C'est ainsi que les électeurs trouveront un peu partout des stands où ils pourront s'exprimer  dès 9 heures et jusqu' à 18 heures. L'originalité de la consultation est qu'elle est ouverte à tous, et que même les non-résidents pourront voter. Un ami gondolier me disait au téléphone, en plaisantant à moitié, que si cette ouverture plaisait beaucoup aux jeunes, il se demandait quelle valeur aurait le résultat si les croisiéristes envoyaient demain leurs salariés, leurs hommes de main et... leurs clients voter Non en masse ! J'ai répondu qu'on n'était pas dans une série de Netflix... Ces gens n'en sont pas encore là dans la vraie vie. Mais chi lo sà ? Il s'agit d'une consultation, pas d'un choix qui engagera automatiquement des décisions administratives. Mais cela aura une grande valeur symbolique. C'est pourquoi TraMeZziniMag invite tous ses amis présents à Venise demain de se rendre à l'un des gazebo (voir la liste complète des lieux de vote ci-dessous)

Le dépouillement aura lieu sur le Campo Santa Margherita à partir de 18 heures, et la proclamation publique des résultats sera suivie d'un concert des Pharmakos, un groupe de talentueux jeunes vénitiens. La démocratie est joyeuse ai-je l'habitude de répéter aux jeunes à qui je parle du droit et du devoir de participer aux élections.
 

Les politiques ne sont pas de reste et certains mouvements ont commenté l'évènement, comme le M5S. La délégation vénitienne des Cinque Stelle  "approuve l'initiative et est heureuse de la possibilité donnée aux citoyens de pouvoir s'exprimer sur un sujet aussi important et d'actualité." Le mouvement a annoncé dans le même communiqué avoir déposé au Parlement une motion pour réclamer l'application immédiate de la loi qui prévoit d'interdire d'accès à la lagune les navires de plus de 40.000 tonneaux sans aucune dérogation pour le passage dans le Bassin de San Marco et le canal de la Giudecca. La loi qui n'a été appliquée que quelques semaines prévoit aussi une définition très précise du cabotage autorisé et du nombre maximum des accès compatibles avec l'écosystème lagunaire. De son côté, le président de la Municipalité de Venise, Andrea Martini, a invité les vénitiens à se rendre nombreux aux urnes. Gageons que l'opération sera un succès. Pour Venise, pour la démocratie, pour Venise et sa lagune.

Adieu à l'un des vénitiens les plus vénitiens des cinquante dernières années : Alfredo Borsato

 
© Michele Scibilla - 17/06/2017

Triste temps sur Venise ce vendredi. Non pas tant que le ciel fut maussade et le soleil frileux, il faisait très beau. Mais il pleuvait dans le cœur de nombreux vénitiens : La disparition subite de l'un des leurs, emporté à l'improviste par un infarctus, laisse un vide et beaucoup de tristesse.

Le disparu se nome Alfredo Borsato. Il est mort chez lui, dans le salon de sa maison de Santa Maria Nova, alors que se déroulait sous ses yeux d'amateur passionné, le match de la Reyer, son équipe favorite, qui s'acheminait vers la victoire contre les joueurs de Trento. Il avait 86 ans. Il était bien connu à Venise pour tout ce qu'il y avait entrepris depuis de nombreuses années. la création de la remiera Settemari, l'invention du prix Il Veneziano dell Anno... Ses obsèques qui devaient avoir lieu aujourd'hui dans la merveilleuse église des Miracoli, bijou Renaissance qu'il pouvait voir des fenêtres de son domicile  sur le rio éponyme, se sont déroulées finalement dans la basilique San Zanipolo, au vu de la multitude des personnes pressenties pour accompagner le défunt. Des obsèques de doge.

Pour les lecteurs de TraMeZziniMag qui ne le connaitraient pas, Alfredo Borsato est donc l'inventeur du prix "Veneziano dell'anno", remis pour la première fois en 1978, sous l'administration de Mario Rigo, le maire de l'époque et qui en fut lauréat en 1980). Parmi les derniers lauréats en date, la très sympathique Beatrice (dite Bebe) Vio, championne paralympique d'escrime à Rio de Janeiro en 2016 et le musicien Pino Donaggio, natif de Cannaregio à qui l'on doit quelques unes des plus belles mélodies et musiques de film de ces derniers vingt ans. Comme s'accordent à le rappeler tous ceux qui l'ont connu, c'était un "super vénitien", un "vénitien unique", "speciale" disent aussi les gens quand ils veulent parler de quelqu'un de grande valeur. Bref, un grand monsieur. Mario Rigo le précise quand il s'exclame : "Le vrai vénitien, pas seulement de l'année mais des 50 dernières années, c'est lui Alfredo !."


C'était un homme jovial, doté d'un caractère bien trempé et pas toujours facile. Un amoureux de la Sérénissime, mais pas un de ceux qui pleurent la splendeur passée et se lamentent sur ce monde qui va mal. Il faisait partie de cette catégorie hautement représentée à Venise, des âmes fortes qui ne cessent de croire que le meilleur est toujours possible, qu'il faut sans cesse aller de l'avant. Inventer en restant fidèle. Vénitien de sang et de cœur, il manquera dans le paysage lagunaire. Nombreux ont été les hommages prononcés sur les réseaux sociaux. 


Toute l'association Settemari était là, et de nombreuses autres, des gens connus ou des inconnus, des voisins et des étrangers. Grande émotion lorsque la diesona (gondole à dix rameurs) de la remiera, s'ébranla, portant le catafalque couvert de fleur, devant la foule assemblée. Un dernier hommage rendu à une personnalité hors du commun. Les applaudissements fournis et l'alzarami, le salut des bateliers, au passage de sa dépouille et tous ceux qui suivirent le cortège funèbre jusqu'à son ultime demeure en sont la preuve vivante. 
vidéo © Panathlon Venezia - Facebook.

13 juin 2017

Fuori i Maxi Navi, le référendum, c'est dimanche !


TraMeZziniMag apporte son soutien total et absolu aux vénitiens dans leur combat contre la circulation des grands paquebots de croisière dans les eaux de la lagune et dans les canaux proches du centre historique. Cela ne veut pas dire qu'il faut interdire les croisières et supprimer l'étape de Venise. cela veut dire organise la venue des navires à proximité de la Lagune, de l'autre côté du Lido, avec un service de navettes maritimes ou terrestres qui amèneraient les visiteurs jusqu'à la Sérénissime, sans aucun risque pour l'écosystème lagunaire ni pour les monuments et les habitants. Evviva Venezia !

10 juin 2017

Cure de jouvence pour le Todaro

C'est en 1329, si on en croit Francesco Sansovino que fut installé en haut de la colonne occidentale de la Piazzetta la statue de Saint Théodore, Todaro en vénitien, premier protecteur de la cité avant que la dépouille de l’Évangéliste Marc soit amenée à Venise dans des circonstances pour le moins rocambolesques et devienne le saint patron de la République. Cela ne représente pas as moins de 700 ans de présence au-dessus de tous en dépit de son déclassement au bénéfice de Saint Marc dont le symbole trône sur l'autre colonne, du côté du palais ducal. Bien des hivers glacés et des étés caniculaires avaient fait souffrir la statue qu'on descendit de son majestueux piédestal quand en 1940, la guerre devenant menaçante, il fut décidé de mettre la statue à l'abri. Elle n'est jamais remontée depuis, une copie en pierre d'Istrie ayant été réalisée en 1948 pour la remplacer.

TraMeZziniMag avait émis il y a quelques années l'hypothèse que le corps enseveli dans la basilique San Marco pourrait être la dépouille d'Alexandre le Grand plutôt que celle de l'évangéliste. Ce ne sont que des suppositions et une forte propension à l'uchronie qui nous firent publier cet article. Pour Théodore, saint byzantin et valeureux guerrier de légende, il ne s'agit que d'une représentation mais elle avait ses secrets elle aussi.


On raconte que Théodore, jeune soldat des armées romains qui, comme Georges, terrassa un dragon, ne cessait de proclamer l’Évangile en prêchant partout où il se trouvait. Arrêté, il refusa de renier sa foi qu'il ne cachait pas. Il fut condamné à mort pour oser ainsi à la volonté de l’empereur Dioclétien, refus d’obtempérer bien plus grave pour ceux qui le jugèrent que l'insistance avec laquelle il proclamait sa foi et son rejet des idoles païennes. Un soldat qui s'insurge ne peut rester impuni, la sédition cela fait désordre, tout le monde en conviendra. Il fut atrocement supplicié et rendit l'âme dans la sérénité la plus totale, c'est du moins ce que disent ses hagiographes qui en ont fait l'un des trois saints-martyrs des chrétiens orientaux avec Saint Georges donc et Saint Dimitri. La statue restaurée figure un soldat en uniforme, jeune et athlétique, solidement armé, au visage jeune, noble et altier. Les travaux de restauration, minutieusement menés pendant un peu moins d'un an révélèrent des éléments en partie connus depuis 1948 mais jamais prouvés parce que jamais étudiés de près. Le splendide Todaro vénitien s'est avéré extrêmement fragile et l'intervention des spécialistes fut particulièrement délicate.

En effet, il a fallu démonter chacune des pièces qui forment l’œuvre, consolider les morceaux en pierre ou en bronze fragilisés par les siècles, les nettoyer, reconstituer les manques et protéger le tout pour l'avenir. On a pu ainsi déterminer l'origine de la statue, ouvrage hybride, dont on ne saura jamais vraiment s'il existait tel quel à Byzance ou s'il fut assemblé tel que nous l'avons toujours vu pour les commanditaires vénitiens à Venise avant de devenir le portrait du premier saint protecteur de la ville. C'est en grande partie la nature de cet assemblage qui en faisait l'extrême fragilité : la tête, le buste, les jambes, les armes et le dragon qu'il piétine sont de provenance, d'époques et de matériaux différents.

La tête, probablement de l'époque constantinienne, bien que retravaillée plus tardivement, est taillé dans un marbre blanc qui provient des carrières de Docimium, non loin d'Afyon en Turquie occidentale, a pu être identifiée avec certitude, comme le portrait de Mitridate VI Euopator, le fameux roi du Pont qui tint en respect les légions romaines pendant des décennies jusqu'à sa mort en 63 avant notre ère. La ressemblance avec les monnaies frappées à son époque portent toutes le portrait du monarque ne laisse aucun doute sur l'identité du personnage. Elle a probablement était ramenée de Constantinople.

Le torse, décoré de victoires couronnant un trophée devait appartenir à la statue en gloire d'un empereur. Probablement Hadrien. Les jambes et les bras sont taillés dans un même marbre provenant de l'île de Proconnèse - appelée aussi Ile de Marmara, la plus grande de la mer éponyme - dont les carrières de marbre blanc veiné de bleu furent renommées dans l'Antiquité. Le dragon est taillé dans le même marbre. Le bouclier, plus récent, est en pierre d'Istrie. D'autres parties du corps ont été sculptées dans du marbre de Pentélie, ce gisement qui servit à construire l'Acropole et avec lequel fut bâti le Parthénon. Quant aux  armes et à l'auréole du saint, elles ont été réalisées dans un alliage de bronze typique de l'époque médiévale.

C'est donc un extraordinaire palimpseste de l'Histoire et de la culture  millénaires de Venise qui est ainsi remis en état, un exemple flagrant de ses capacités à synthétiser,  mélanger et optimiser les gens, les arts et les civilisations grâce auxquelles Venise a pu être ce qu'elle fut, méritant vraiment ses surnoms : la Dominante, la Sérénissime.

Mais, au-delà de l'importance historique et artistique de cette restauration, la manière dont elle a été organisée et menée à bien confirme, s'il en était besoin, l'extrême habileté et l'excellente organisation des services et des entreprises qui en sont à l'origine. C'est ce qu'a tenu à souligner Mariacristina Gribaudi, l'actuelle présidente de la Fondation des Musées Civiques de Venise, en expliquant combien le partenariat mis en place a parfaitement fonctionné, permettant un travail efficace et des délais courts. La société Rigoni di Asiago (avez-vous déjà goûté leurs produits ? Notamment les confitures et la crène de noisette bio ?), mécène officiel, a pleinement joué le jeu et dont les produits et la philosophie, le succès commercial, montrent le dynamisme des entreprises vénitiennes aujourd'hui reconnues au niveau international. "Une synergie vertueuse et un bénéfice réciproque."

La présidente de la Fondation des Musées Civiques et Andrea Rigoni, Administrateur délégué de Rigoni di Asiago

09 juin 2017

Travaux sur le site !


Oups, rien pendant quelques semaines et soudain tout a changé ! 

TraMeZziniMag se refait une beauté. Un rafraîchissement complet pour mieux vous satisfaire et remplir sa mission, la même depuis sa création en 2005. 

Les pages que vous avez sous les yeux ne sont encore qu'une ébauche. , un essai.

Merci de votre indulgence, de votre patience et aussi des avis que vous voudrez bien nous adresser !

Ils étaient 200 à courir vers le petit-déjeuner ce matin !


Levés avant l'aube, deux bonnes centaines de vénitiens participaient aujourd'hui au Breakfast Run. Une course sur cinq kilomètres à travers la ville de la Strada Nova, à la piazza San Marco, en passant par le  pont de l’Accademia et, dulcis in fundo, même par celui de Calatrava, réputé terriblement glissant. Le départ était donné à 5h45, au moment où le soleil commençait paresseusement d'étirer ses rayons à l'horizon. Les runners, tous vêtus d'un rutilant maillot jaune marqué du logo de la manifestation se sont retrouvés sur le parvis de la stazione pour cette première édition vénitienne de la RDS Breakfast Run Levissima, qu'organise pendant l'été Rcs Sport



Après la ville de Trente puis Rome en mai, et avant Milan (16/06), Turin (23/06) et Vérone (30/06) et enfin Bormio (08/07), la cité lagunaire était la troisième étape. Le principe de la manifestation est plutôt sympathique : une course matutinale de cinq kilomètres à travers l'espace urbain puis à l'arrivée, un plantureux petit-déjeuner all'aperto, pris en commun pour bien commencer la journée. Il ne s'agit aucunement d'une course. La philosophie ? Une manière intelligente de faire de la communication pour des marques, mais aussi parce que l'été arrivant, redécouvrir l'espace urbain dans lequel on évolue chaque jour sans y penser le plus souvent par le biais d'un jogging organisé et rappeler l'importance nutritionnelle, physique et psychique du petit-déjeuner que les italiens, comme souvent aussi les français, ont tendance à bâcler. Détente, contemplation, socialisation et diététique. Que pourrait-on trouver à redire ? Qu'il est dommage qu'il faille organiser ce genre de manifestation pour que les gens se sentent bien, redécouvrent leur ville au lever du soleil, se rencontrent et réapprennent les vertus de ce repas sur lequel nos mères étaient intraitables. "Finis ton chocolat", "Mange tes tartines", "Prends un fruit", "Ne pars pas sans manger"... Ces mots ne résonnent-ils pas dans vos oreilles ?

On peut davantage parler de parcours de santé, d'une promenade sportive à travers les rues et les campi de la Sérénissime, une passeggiata de bon matin dans une Venise tranquille, tellement différente de celle qui quelques heures plus tard s'est remplie de touristes. "C'était important de le faire ici, parce que Venise est unique - expliquait à la presse Andrea Trabuio, le directeur des Grandes manifestations de Rcs Sport, milanais d'adoption mais vénitien de naissance - cette manifestation prendra de l'ampleur et attirera non seulement les vénitiens passionnés par leur ville mais aussi ceux parmi les touristes qui recherchent l'authenticité de la ville."  


Joyeux moment donc, sans ampoules ni essoufflement, sans perdant et tous gagnants, mais moment qui a tout de même coûté à chaque participant la somme de 14€, comprenant le droit de participer, le t-shirt et le petit-déjeuner. Après tout, on n'a rien sans rien et la colazione fut très appréciée et le plaisir d'arpenter au petit matin les rues encore vides et silencieuses de la Cité des Doges est un bonheur sans prix !



06 mai 2017

Matisse photographié par Walter Carone




Henri Matisse dans son lit qui dessine sur un mur... Ces mots ont le rythme d'une comptine. L'image a été prise le 15 avril 1950, quelques années avant la mort du peintre. Alité suite à une paralysie, il dessine dans sa chambre-atelier de l'ancien hôtel Régina, sur la colline de Cimiez, à Nice, les motifs destinés à orner la chapelle de Saint-Paul de Vence comme il l'a promis à son amie Monique Bourgeois qui fut son modèle après avoir été son infirmière, devenue religieuse dominicaine. 

J'avais toujours trouvé ce cliché émouvant, rempli de poésie et de dévotion silencieuse, me demandant depuis toujours si son auteur savait ce qui émanait de cette scène prise sur le vif. L’œil derrière l'objectif, il observe l'artiste surprenant un de ses derniers moments de création. L'âge et la maladie vont bientôt l'abattre. En avaient-il l'intuition chacun d'un côté de l'objectif ? Nous, nous savons et cela rend la scène ainsi immortalisée aussi prégnante qu'une peinture religieuse. La date bien lisible sur le calendrier qui semble tourné a posto pour attirer l’œil, Le profil du peintre pareil aux représentations de saint Pierre ou de Saint Marc, tout confère à donner à cette image une résonance sacrée...

Une vieille amie vénitienne vient de m'offrir cette photographie qu'elle gardait posée sur son bureau, près de la fenêtre. La carte qui accompagnait le cadre portait ces mots du peintre s'adressant à Picasso : "Ce que nous cherchons tous à retrouver en art, c'est le climat de notre première communion !"


Comme une source d'eau vive. Ebauche 1 (extrait)

A la demande de plusieurs lecteurs, voici quelques extraits d'un travail en cours dont de précédents extraits ont déjà été présentés sur TraMeZziniMag. Il s'agit d'un work in progress comme disent nos amis anglo-saxons. Rien encore d'abouti que ces quelques lignes que je vous livre aujourd'hui. Une ébauche...

Relire de vieilles lettres n'est jamais anodin. Celles qu'il retrouva par hasard dans une vieille valise abandonnée sur le haut de son armoire, dans la chambre qu'il occupait autrefois dans la grande maison. Il y revenait assez peu. Rien n'avait vraiment changé. Seules les peintures du couloir et de l'escalier avaient été refaites. Meubles, tableaux, bibelots, tout y rappelait la vie d'avant, quand la famille entière se réunissait l'été autour des grands-parents. A la mort de sa mère, quand il avait fallu vendre l'immeuble où il avait grandi, une grande partie de ses affaires avait été entreposée dans le grenier de La Fontanelle. Il en avait disposé aussi dans sa chambre et les avait ensuite oubliés. La valise contenait des photos, des lettres, des souvenirs de voyage. bribes d'une vie ancienne, perdue, dont le souvenir peu à peu s'efface et que remplace, souvent avantageusement, les évènements du quotidien. Le paquet de lettre qu'il choisit datait du temps où il poursuivait ses études en Italie. Quelques mois avant la mort de sa mère. La plupart étaient de Pierre, son ami d'autrefois, son frère d'âme et de cœur. Pierre avait trouvé la mort dans un accident de voiture quelques années après son mariage. Odile sa veuve lui avait remis les lettres qu'il avait écrites à Pierre, et tout un tas de petits souvenirs de leur amitié. Antoine n'avait jamais vraiment fouillé dans ces vestiges d'une vie d'avant. Il prit une enveloppe timbrée de Venise qu'il avait envoyé, en avril 1981 à Pierre.
Merci, mon Cher Pierre, pour la longue lettre qui m'attendait ici à mon retour. J'avais emporté avec moi tes cartes d'Athènes et j'aurai dû y répondre depuis Bordeaux; mais tu sais dans quel état je traverse les veilles d'examen. Contraignant sans férir ma torpeur, me jetant dans les révisions, j'en ressort toujours envahi du puissant désir de tout lâcher et de dormir. Ta nouvelle lettre posée sur le bureau par ma logeuse rajoute à ma mauvaise conscience. Mais, rassures-toi, c'est toujours un bonheur que de te lire et une joie que de répondre à tes mots.

Tu me demandes si je vais bien. Te répondre par l'affirmative ne te satisferait guère. Tu sais combien ma joie et mon bonheur sont parfois précaires. Moi si arrogant face à la vie, je découvre en grandissant combien tout est fragile et difficile. Mais grâce à ce dieu auquel nous croyons corps et âme toi et moi, la Lumière est toujours là, parfois simple murmure incandescent qui surgit dans une parole, un geste, un parfum, mais le plus souvent éblouissement joyeux pareil à un rire d'enfant. Venise est mon île, mon refuge et je ne réagirai pas aussi vite ni aussi bien ailleurs devant les obstacles, les trahisons ou les échecs.

A propos d'échecs, tu me connais tellement bien que tu a été le seul à me féliciter. Rater ce concours était couru d'avance. je ne voulais pas - plus - en être et intégrer cette fameuse école en septembre aurait signifié ma rupture avec Venise. Avec mes retrouvailles avec moi-même. Aurai-je pu continuer à écrire ? Aurai-je pu retourner là-bas et reprendre la vie d'avant, la même que vivent ces petits soldats bien peignés et en apparence tellement propres sur eux.

Les vingt- deux heures de train m'ont permis de me défaire de toutes les frusques que j'avais revêtu comme un linceul. J'ai revu Sophie, sans trembler ni fléchir. Indifférent. Les autres, mes condisciples, flambaient de plaisir. Moi le préféré des professeurs, celui qu'ils prenaient en exemple, venait de s'étaler lamentablement et l'arrogance qu'ils m'ont toujours prêtée éclairait leur regard. Ils me pensèrent plein de dépit quand je ressentais pour eux de la pitié. Il y a peut-être parmi eux quelques futurs sénateurs, des ministres ou des banquiers. Aucun n'aura ma liberté ni ma joie. Tu le savais toi avec qui, voyage après voyage, a appris à me connaître et qui partage les mêmes refus et aspirent à la même liberté, celle de l'âme.

Donc oui, je vais bien. Retrouver l'air, les senteurs, l'atmosphère d'ici me rédime instantanément. Arrivé hier à la nuit tombée, je me suis couché comme Proust l'a longtemps fait... Assez tôt en tout cas pour pouvoir sortir du lit à l'aube ce matin. Les cours ne reprennent que la semaine prochaine. Pourtant, avant même que de prévenir de mon retour les autres, il me fallait reprendre possession des lieux. En cette saison, l'invasion est déjà drue. américains et japonais sont vite partout dans les rues, sans compter les colonies de gamins boutonneux et braillards en voyage scolaire. Je me suis donc levé dès potron-minet pour profiter du silence de la ville.

La maladie de ma mère, tu le sais, m'oblige à repartir souvent pour être avec elle et soulager mes sœurs. Thérèse surtout qui attend son deuxième enfant. Partir est à chaque fois un déchirement pourtant mon retour est lié à l'amour que je porte à ma mère, à cette idée que nous présents elle peut mieux lutter contre le mal qui la ronge. La mort de notre père a été un cataclysme effroyable pour ce cœur simple et dévoué. Quand je rentre pour elle, je reste plusieurs semaines. heureux de retrouver le luxe et le confort de la grande maison - pour combien de temps encore, hélas ? - je me languis d'arriver et d'entendre René ou Maria venir m'ouvrir la porte. Cette fois, l'examen passé pour ne pas décevoir mes maîtres, faisait de ce voyage une contrainte. Je n'avais qu'une hâte : remonter dans le train. Je ne me suis absenté que dix jours mais cela me parait une éternité.

Mais revenons à ma promenade de retrouvailles. Elle n'a pas été que cela. loin s'en faut et tu vas découvrir pourquoi mon vieux.

Il fait frais encore avant que le soleil ne recouvre la lagune. Le pont de l'Accademia était vide, luisant encore de l'humidité de la nuit, et le grand canal silencieux, quelques lumières se reflétant sur ses eaux. Le ciel semblait encore hésiter entre l'obscurité et le jour. Tout était comme figé. Personne sur le campo du Cagalibri, quelques gens pressés dans les calle et San Marco enfin, luisante, irradiée de son éternelle beauté. Quelques balayeurs sur la place, des pigeons insomniaques et les serveurs du Florian, ceux de Lavena et du Quadri en train de nettoyer leurs terrasses. Croisé deux ou trois noctambules qui se rendaient à leur hôtel ou au Harry's Bar. Par la porte entr'ouverte, l'odeur du café et le bruit des tasses qui s'entrechoquent. De retour à Dorsoduro, la vie semble avoir commencé de reprendre. Devant l'Accademia, le marchand de journaux qui ouvre son kiosque et les gondoliers qui s'apprêtent... Les cafés ouvrent leur porte, des commerçants lèvent les grilles de leurs boutiques, deux religieuses vont vers le vaporetto d'un pas pressé. Plus loin, vers la Salute, je rencontre peu de monde. Quelques barques qui passent. Le ponton de la Bucintoro est trempé, tout comme la terrasse du Cucciolo. Le vieux serveur que je connais bien me salue de la main. Il n'a pas encore passé sa tenue de travail. A la Calcina, un groupe d'allemands sort avec ses valises en attendant le taxi qui les amènera à l'aéroport ou à la gare. Et puis les Gesuati, mon repère. Les marches sont vides. l'église n'ouvrira qu'à 9 heures pour les Laudes. C'est là que nous nous donnons rendez-vous avec Agnès, Rebecca, Violaine, Parviz, Stefano et les autres... Je me suis donc assis pour contempler la vue et "attendre la prochaine impulsion" comme tu dis souvent.

Le vaporetto dont l'arrêt est à vingt mètres de là déversa son lot de gens, des employés, des enfants, des tout en grisaille, quelques tâches plus claires par-ci par là, le caddie jaune et vert d'une dame, le cartable rose d'une petite fille, et comme jaillissant d'un feu de joie deux êtres magnifiques, rayonnants, dont l'aspect irradie et aveugle. J'exagère à peine. Ils venaient vers moi sans m'avoir reconnu au début. Appuyé dans l'angle du mur, la lumière du jour n'éclairait que mes jambes et le bas de mon torse. Ce n'est qu'en arrivant devant les marches de l'église que Nicolas et Laura m'ont vu. Captivé par leur apparition inattendue à cet instant, là, sur les Zattere, je n'avais pas bougé. "Antoine, c'est toi ? Tu es rentré depuis quand ?" Nicolas me frottait vigoureusement la tête avec son poing fermé comme à son habitude et Laura se jeta dans mes bras. Sa peau sentait l'eau de Cologne et les boucles de ses cheveux me chatouillaient délicieusement. j'étais au paradis. Venise d'un coup répondait à ma ferveur par la joie que ces deux-là avaient à me revoir. Des passants surpris par le bruit que nous faisions levèrent un œil vers nous. Rideau.

Bien évidemment, nous sommes allés prendre un café ensemble. Ils allaient travailler aux Beaux-Arts. les ateliers sont plus tranquilles pendant le temps des vacances. Nous nous étions quittés dix jours plus tôt et j'ai eu le temps comme je te l'écrivais dans ma dernière lettre, de penser à tout ce que nous avions vécu ces dernières semaines et ce que cela semblait signifier pour la suite. Tu as raison, je suis profondément amoureux de ces deux êtres lumineux et splendides. Mais ce n'est pas de désir dont il s'agit mais de connivence, d'une parfaite adéquation entre elle, lui et moi. Comme si peu à peu nous nous modelions les uns dans les autres pour ne plus former qu'une seule et même entité, une même âme... Ne te moques pas Mon Vieux Pierre et ne sois pas jaloux non plus. Tu dois absolument venir au plus vite et faire leur connaissance. Tu vas les adorer. Pardon, tu vas réellement beaucoup les aimer, j'en suis convaincu. D'autant que Nicolas voudrait vraiment que nous organisons ce voyage en Grèce. Si tu parvenais à te libérer de l'emprise familiale et pouvais lâcher ta bande de cousins, pourquoi ne partirions-nous pas tous les trois ? Nous devons en reparler mon vieux. Dis-moi vite un OUI franc et massif !

De tout cœur et à toi à jamais,
A.
Se peut-il que nous travestissions ce que nous sommes vraiment dans les mots qu'on assemble pour ceux à qui nous nous adressons ? Est-on toujours honnête et vrai dans nos correspondances ? Le mot lui-même ne signifie-t-il pas que nous jouons ainsi un jeu social pour adapter nos idées, nos désirs, nos réflexions à l'image que les autres se font de nous, pour les complaire dans la construction du personnage qu'ils voient ou qu'ils espèrent. L'idée même de "correspondance" implique de correspondre à une certaine image que se fait de nous-même l'être à qui nous écrivons" écrivait Roger Martin du Gard... Antoine se demandait s'il avait réellement été ce garçon romantique et sensible, aux sentiments pétris d'absolu et totalement voué à une vision spirituelle de l'existence. Était-il vraiment ce jeune homme joyeux, doté d'une foi simple et rayonnante ou bien tout cela n'était-il que travestissement et mensonge. Il avait été heureux depuis toujours et son bonheur irradiait. Sa fortune aussi qui attirait beaucoup de monde parmi les jeunes qu'il fréquentait. Mais combien de nuits il passa à ressasser cet encombrant sentiment d'imposture ? Il ne s'était jamais senti digne d'autant de bonheur, de joie, d'attention. Jamais malade, il se sentait coupable de sa bonne santé devant les malades. délivré de toute contingence matérielle, il souffrait quand il croisait un pauvre. Convaincu de la présence de Dieu à chaque moment de sa vie, il souffrait de sentir le doute et l'angoisse chez les autres. Mais il était faible et ne luttait jamais longtemps contre tout cela. Il aurait pu devenir un saint mais combien de fois il risqua de se perdre et se frotta au diable...

Le Musée Correr expose Roger de Montebello

Exposition Roger de Montebello
"Portraits de Venise et autres portraits"
sous la direction de
Jean Clair

avec la participation de 
Gabriella Belli
directrice des Musées de Venise
 
Musée Correr
du 13 mai au 10 septembre 2017

Preview (sur invitation) 10-11-12 mai pendant la semaine d'ouverture de la Biennale

Une présentation aura lieu 
le jeudi 22 juin à 12h 
à l'occasion d'un dialogue sur la peinture contemporaine 
entre Jean Clair et Gabriella Belli
 au Musée Correr

05 mai 2017

Aux pieds de Santa Maria del Rosario, par un matin d'avril...


"19 avril 2014. Levé tôt ce matin pour profiter du silence de la ville et retrouver mes lieux d'autrefois. Il fait frais encore et je rencontre peu de monde. Devant l'Accademia, quelques passants pressé de monter dans le vaporetto, un balayeur, le marchands de journaux qui ouvre son kiosque. Quelques barques qui passent. Mes pas me portent vers le ponton-terrasse du Cucciolo, devenu aujourd'hui celui du restaurant de la Calcina. Envie de retrouver cette vue que j'aime tant. Les Zattere.Les Gesuati où si souvent je retrouvais Rebecca, Violaine, Stefano, Pippo, Pier..." (Journal. Extrait)


Santa Maria del Rosario, plus connue à Venise comme l'église des Gesuati. On passe devant, en marchant le long des Zattere, ces quais qui longent le canal de la Giudecca. Les jours de grand soleil, les jeunes s'installent sur ses marches, face au soleil. Parfois hélas, l'ombre d'un de ces maxi navi monstrueux fait passer le flamboyant fronton du jour à la nuit, l'espace d'un instant. Quelques étudiants lèvent leur poing en direction du paquebot. Les passagers agglutinés sur les ponts face à la ville, la dominant, ne comprennent pas ces gestes ni ces cris et prennent des photos, agitent leurs mains en signe de bonjour ou d'au-revoir selon la direction du plantureux navire. 

L'église des Gesuati est construite sur l'emplacement de la chapelle conventuelle de l'ordre des Jésuates de Saint Jérôme installés à Venise depuis 1400. Cette communauté occupa les lieux jusqu'à la dissolution de l'ordre en 1668. Les dominicains les remplacèrent. Ce sont eux qui firent ériger à partir de 1726 l'église actuelle avec sa somptueuse façade, par l'architecte Giorgio Massari


L'intérieur, de conception classique, abrite quelques merveilles, à commencer par le somptueux plafond de G.B. Tiepolo (1696-1770), constitué de trois fresques : l'Institution du Rosaire, La Gloire de Saint Dominique et Saint Dominique agenouillé bénissant un frère. Ces trois chefs-d’œuvre qui marquent les débuts du peintre, sont entourés de fresques plus petites  quasi monochromes dépeignant les épisodes des Mystères du Rosaire, que la tradition dominicaine fait naître d'un don de la vierge à Saint Dominique.

Une autre œuvre de Tiepolo mérite l'attention du visiteur. Il s'agit d'une toile représentant la Vierge en compagnie de Sainte Catherine de Sienne, Sainte Rose de Lima et Sainte Agnès, toutes les trois dominicaines. 


Giambattista Tiepolo est certainement le plus grand peintre vénitien du XVIIIe siècle, meneur de l'école rococo, sans jamais aucune faiblesse aucune démission ni concession. Il a donné le meilleur de son œuvre dans une Sérénissime en pleine décadence économique et politique qui venait de perdre avec la Morée toute influence géopolitique sur la Méditerranée et commençait de se replier sur elle-même et son glorieux passé. Succédant au mélancolique Piazzetta, peut-être davantage marqué que lui par cette déliquescence de leur patrie qui commença de son temps, Giambattista amplifia la dimension dramatique et réaliste introduite par son maître dans ses scènes de genre puis dans ses tableaux religieux, faisant de leur style une suite sublimée de l’œuvre du Caravage, en donnant plus de solidité, de présence charnelle dans la peinture des personnages aériens. Je me souviens avoir lu quelque part que Tiepolo "apporta à la pose théâtrale typique du rococo une grandeur olympienne"...  


Tout le monde sait qu'il eut un fils, Giandomenico (1727-184) qui resta fidèle à son père tout en inventant une tonalité différente, parfois inquiétante pour ne pas dire inquiète à ses sujets en apparence frivoles comme celles conservées Ca'Rezzonico, dans les petites salles du 2e étage et qui proviennent de la villa des Tiepolo à Zianigo, près de Mira. Acquises par la ville en 1910, elles ont été remontées dans ces délicieuses petites salles qu'on croirait avoir toujours été décorées ainsi. Le Monde nouveau et les saltimbanques sont les deux plus connues. Sur l'une, datant de 1791, GianDomenico s'est représenté ainsi que son père.

Mais revenons à l'église. L'architecte s'est largement inspiré des plans du Redentore, situé juste en face, à la Giudecca. Ordre corinthien de la façade, chœur imposant surmonté d'une coupole et mêmes campaniles jumeaux ,tout comme la disposition intérieure, tout rappelle l'église de Palladio. En pendant des peintures de Tiepolo, on peut admirer des toiles de Piazzetta et notamment l'un de ses chefs-d’œuvre, datant de 1739, qui représente des saints dominicains. On peut aussi admirer dans l'église un ensemble de sculptures et de statues toutes de G.M. Morlaiter, l'un des artistes rococo les plus talentueux de son temps.


Combien de fois me suis-je assis sur les marches des Gesuati, au soleil. C'était un de nos points de rencontre quand, le portefeuille vide, nous n'avions pas de quoi nous offrir un gianduiotto ou même un macchiato sur la terrasse du Cucciolo ou de Nico. On y révisait nos cours, on fumait, on discutait, refaisant sans cesse le monde, entre deux cours, épiloguant aussi sur nos amourettes. Là c'était le lieu de rendes-vous du jour. celui de la nuit était sur le campo San Fantin, sur les marches de la Fenice. A l'époque, le bar Al Teatro était aussi tabacs et marchand de journaux. Les prix étaient plus que raisonnables et nous allions y chercher nos verres de vin ou de bière que nous sirotions en groupe sur les marches du théâtre. entre ces deux lieux, celui du jour et celui de la nuit, nous avions San Lucà et San Bartolomeo pour la passeggiata. Là nous étions sûrs de retrouver tous les amis. Plus tard, surtout en début de mois quand notre bohème était mieux nourrie et nos portefeuilles encore fournis, nous allions au Cherubin, puis au Haig's, en face du Gritti, tous deux disparus. 

Plus tard encore dans la nuit, il n'y avait que l'embarras du choix, si tous les cafés et les bars étaient fermés depuis longtemps, la ville entière était à notre disposition. Cortile et sottoporteghi abritaient bien des moments forts et fervents de nos petites vies. Et dans le silence absolu de la nuit vénitienne nous rentrions chez nous, seuls le plus souvent, cohabitation oblige.  Parfois, quand le temps se faisait clément, seul ou en bonne compagnie, nous allions rêver sous le lampadaire de la Pointe de la Douane. Face à San Marco, san Giorgio et la Giudecca, les baisers étaient plus doux et les pensées plus belles...