27 mars 2019

Cees Nooteboom écrit sur Venise et j'écris sur Cees Nooteboom écrivant sur Venise...

« J’ai acheté une immense carte de la lagune de Venise pour essayer de ramener la ville à sa juste proportion. Curieux exercice. Je sais que j’arriverai par avion demain mais, cette fois, c’est par la mer que j’aborderai cette ville que j’ai si souvent visitée. Sur la carte, le rapport entre l’eau et la ville est de l’ordre de mille pour un et, dans ce bleu infini, la ville est devenue village, petit poing serré posé sur un grand drap, si bien que tout ce vide semble avoir engendré, dans un moment de colère, la ville qui plus tard allait le dominer. L’auteure mexicaine Valeria Luiselli voit au lieu de mon poing une rotule brisée et, à mieux y regarder, je crois qu’elle a raison. Depuis les hauteurs de Google Earth, l’analogie est encore plus évidente, le Grand Canal est la fracture du genou ; le labyrinthe granuleux désagrégé tout autour représente l’os de la ville où je vais me perdre demain comme tous ceux qui viennent de l’extérieur doivent s’y perdre : c’est la seule manière d’apprendre à la connaître.»


« J’ai séjourné à plusieurs adresses en ce lieu, parfois dans de vieux hôtels, la plupart du temps dans d’étroites ruelles obscures, dans des parties de palais qui n’évoquaient jamais un palais, des cages d’escaliers en piteux état, des petites chambres sordides avec tout juste une fenêtre donnant sur l’arrière d’une maison qui paraissait inhabitée, alors que dehors étaient pourtant suspendues à un fil à linge précaire deux culottes gelées, dans le froid glacial et silencieux. Parfois aussi une vue sur l’eau d’un canal latéral inconnu où, tous les jours à la même heure, un bateau passait, chargé de fruits et de légumes. Cette fois, ce n’est pas l’hiver, nous sommes en septembre, et tout rêve d’une ville déserte s’est volatilisé dès mon arrivée : Venise appartient au monde entier, et le monde entier est au rendez-vous. S’il y a un Proust ou un Thomas Mann, un Brodsky ou un Hippolyte Taine parmi eux, ils se cachent bien. Des armées entières montent en ligne à cette époque de l’année, l’armée chinoise, l’armée japonaise, l’armée russe. Pour découvrir sa Venise, il va falloir faire preuve d’obstination et d’esprit de décision, revêtir une cuirasse invisible, et se dire humblement que pour tous les autres, on fait tout simplement partie de ceux qui se mettent en travers de leur chemin et se serrent désagréablement contre eux dans la partie ouverte du vaporetto où il n’y a rien pour se tenir... »
 
Pensieri e riflessione.
10/09/2018
C'est dans un avion justement que je reprends cet extrait d'un ouvrage de Cees Nooteboom, qui est resté pendant des semaines un de mes livres de chevet. Pour le commenter, pour comparer le sentiment de l'auteur à mon propre ressenti. 

Arriver à Venise, s'y rendre, n'est pas une mince chose en réalité. Elle demeure pour beaucoup d'entre nous un lieu mythique, un objectif intérieur. Pour ma part, elle est mon Ithaque et pourtant jamais je ne suis parvenu à y rester pour vraiment bâtir quelque chose. Mes enfants qui l'aiment aussi, n'y sont pas nés. Contre toutes mes attentes, mes rêves et mes aspirations, en plus de trente ans, je n'y ai rien construit. J'y ai abandonné (trahi donc) bien du monde, des projets et des idées, quand j'ai choisi de ne pas lutter et que je suis parti. Je pense surtout à Francesco, à ce qui s'annonçait, se bâtissait. Je ne suis pas responsable de son entrée en écriture, mais je sais que l'avoir laissé a modifié son chemin. Comme le mien aussi... Mais je ne saurai regretter mes années d'homme marié. Elles furent joyeuses. Le mariage m'attendait et les perspectives joyeuses qu'il annonçait. 

Ce fut joyeux en effet, tant de nouveautés. Ce bonheur de construire avec la femme que j'aimais, une vie nouvelle, avec l'espérance de bâtir une famille en même temps que d'élaborer une œuvre dans la paix d'un mariage que j'espérais heureux. Mais les années montrèrent combien difficile était le chemin, combien cette union devenait lourde à porter. Les crises se succédaient. Les enfants grandissaient, leur mère et moi aurions dû être à l'unisson, comblés par la naissance de notre première fille, puis de la seconde. Mais déjà parfois je songeais à fuir avec les petites. Je rêvais d'un avenir de joie et de rire, de beauté et de plénitude tous ensemble, mais le rêve n'était pas partagé par leur mère. Elle n'était jamais qu'insatisfaction et mépris pour les valeurs qui depuis toujours présidaient à ma vie... Je la pensais folle, elle était seulement malade d'une enfance tronquée, de parents incapables de bâtir cette chape de couleurs et de joies qui fait les adultes heureux et confiants, et qui épanouit les enfants. Je n'ai pas su l'aimer comme elle le méritait, comme elle en avait besoin. 

Marido et Lorenzo, Galleria Ferruzzi, San Vio, 1985. Violaine Laveaux, 1985. pastel et crayon. - Coll. Part.
 
Pourtant combien je l'ai aimée... Au lieu de ça, crises et angoisses se succédaient, des mots toujours plus hauts, souvent des larmes et des grincements. Puis la hargne et le silence rageur. "Votre mère est folle" disais-je trop souvent aux enfants. j'étais convaincu de cela. Après la paix et la sérénité qui caractérisa mon enfance, je découvrais l'enfer d'un couple quand il ne parvient pas à se cimenter ; quand son quotidien n'est plus que l'affrontement de deux mondes inconciliables. J'aurai dû me taire et faire comme si de rien n'était. J'ai essayé mais bien trop tard en réalité...

Et puis je suis retourné à Venise. Sans illusion, conscient que rien ni personne là-bas n'avait dû m'attendre. Pourtant, secrètement, je gardais l'espoir de retrouver ma vie comme je l'avais laissée trente ans plus tôt. Bien sûr il n'en fut rien ou presque. Mes anciens colocataires avaient depuis longtemps la place à une autre génération d'étudiants. Ma bibliothèque avait été pillée depuis longtemps, Rosa ma jolie petite chatte grise avait été adoptée par une gattara quelque part du côté de Cannaregio... Lors de mon premier "vrai" retour, j'avais rendez-vous avec mon ami Roger au Cucciolò - je l'ai raconté ailleurs. J'étais en avance, très excité à l'idée de revoir cet ami très cher que j'avais laissé lui aussi. Étudiant, ce café avec sa terrasse sur l'eau du canal de la Giudecca, était notre quartier général. Les serveurs nous connaissaient bien. Il y en avait un en particulier, plus très jeune, avec qui j'avais sympathisé. Nous bavardions souvent et il connaissait parfaitement mes goûts et savait à l'avance selon la période du mois où nous étions qu'elle serait ma commande. Plus de cinq ans nous séparaient de ma dernière venue sur les Zattere. À peine étais-je installé qu'il arriva pour prendre la commande en me gratifiant d'un surprenant : - Bondi, Sior Lorenzo, come sta oggi ? (Bonjour, Monsieur Laurent, comment allez-vous aujourd'hui ?), avant d'ajouter le visage plein de cette jovialité qui m'était si familière et que je retrouvais soudain : - Un macchiato come di solito ?" ("une noisette, comme d'habitude ?"). Interloqué, j'acquiessais en rougissant. Je revois les lieux, le canal de la Giudecca aux eaux vertes, un vaporetto au loin qui quittait la fermata de Santa Eufemia, les silhouettes des passants sur la fondamenta de la Giudecca, les mouettes dans le ciel et les Zattere, silencieux, encore vides.
Il était tôt encore et Venise n'était pas encore beaucoup fréquentée en dehors de la période estivale et du carnaval.Comme un rêve, comme si je n'étais jamais parti. Tellement à l'image de Venise où tout change sans que rien vraiment ne change. des années plus tard, évoquer cela m'émeut toujours autant...
 
Aborder Venise m'apparaît donc à nouveau depuis ce que nous avions appelé avec les enfants "La Catastrophe", comme Ulysse exilé aborda enfin les rivages d'Ithaque : Un retour à tous les possibles... Mais à part ce bel épisode sur les Zattere et les gentils mots de mon ami Roger à qui je racontais l'anecdote et qui me gratifia en suivant d'un "tu n'as pas changé", avec son regard aiguisé de peintre et de coloriste, rien dans la lagune ne m'a attendu. Aucun flash-back durable n'est possible hormis par l'écriture. Je ne verrai jamais jouer mes enfants sur les campi, puisqu'ils sont grands désormais, je n'irai jamais le matin rejoindre mon bureau, le Gazzettino sous le bras, croisant les mêmes visages familiers, échangeant à chaque fois quelques paroles insignifiantes sur le temps comme le font les gens heureux, ceux qui sont là où ils doivent être et qui le savent...

Des regrets ? Évidemment mais bien peu finalement. Vieillir rend le chemin plus court qui nous porte à ne garder que l'essentiel, à regarder le chemin qu'il reste à parcourir sans perdre du temps dans les regrets, les remords et le ressentiment. Passer au-dessus des Alpes à 16.000 pieds d'altitude avec une lumière radieuse et se sentir tout petit, heureux d'être une infime partie de cet univers, joyeux de participer humblement à cette merveilleuse aventure qu'est la vie. C'est ainsi que, revenant une fois encore de la Sérénissime, toujours un peu triste certes, je me sens apaisé. De nouveaux projets, Dieu voulant, sont en parturience : A Venise, la maison d'édition s'apprête et tout se précise un peu davantage chaque jour, à Bordeaux, aussi, tout ce que j'ai contribué à mettre en place prend forme et s'affirme peu à peu. Ce n'est pas de résilience dont il s'agit ou pas seulement. Bien plus de la conjonction de rencontres, de rêves étudiés et parfois partagés et de la magie que la beauté de Venise distille en ceux qui lui étant restés fidèles, ne l'ont finalement jamais abandonnée. Venise est dans mon sang et mes gènes. Elle nourrit mon âme et je lui dois beaucoup de ce que je suis devenu. Il en est ainsi pour beaucoup d'autres dont je perçois la familiarité qui nous lie à elle. 

Corrigé et complété dans l'avion qui me ramène de Venise. 26/04/2019.

25 février 2019

Dans les archives de Tramezzinimag... (1)

Pour les nouveaux lecteurs qui ne le sauraient pas, Tramezzinimag né en 2005 a été piraté puis coulé corps et biens par Google en 2015. Le naufrage a emporté des centaines de billets publiés pendant dix ans, mais aussi les archives photographiques, les notes et la plupart des courriels et des commentaires reçus. Grâce à certains abonnés, à l'aide d'informaticiens - dont certains travaillent pour Google - et aux sites d'archivage, il a été possible de remettre en ligne un certain nombre d'articles. Et Tramezzinimag II a vu le jour, sur la même plateforme appartenant à Google, Blogger qui reste un des meilleurs outils libre d'accès et sans publicité de la planète blog.  

Au hasard des rencontres ou des courriers reçus, il m'a paru important de donner à (re)voir certains billets republiés mais que le visiteur du site n'aura peut-être pas la curiosité d'aller lire tant ils sont anciens. Les réseaux sociaux, le goût pour l'immédiat et l'instantané que véhiculent Twitter, Snapchat, Facebook, Instagram et autres, font que beaucoup répugnent à lire ce qui est ancien, considéré comme dépassé ou démodé. 

Cette nouvelle rubrique présentera des billets de ce blog publiés entre 2005 et 2010 et qu'il est possible de retrouver dans le sommaire actuel mais que peu de monde va lire. Juste pour donner à mes lecteurs la possibilité de découvrir des petits riens qui auraient pu leur échapper. Parfois les commentaires retrouvés d ces billets ont été publiés. Il est possible d'en ajouter de nouveaux, faisant ainsi vivre l'échange entre lecteurs et l'auteur. 

La galerie de Tramezzinimag (1)
L'idée de présenter des oeuvres, aquarelles, dessins, peintures, de toutes les époques qui font partie du musée imaginaire de Tramezzinimag. Une galerie virtuelle en quelque sorte qui m'amena en 2008 à créer une véritable galerie, la Galerie Blanche, à Bordeaux en attendant de pouvoir un jour le faire à Venise. ICI le lien sur le premier volet de cette rubrique paru le 14/11/2005, huit mois après la naissance du blog.

Bonnes lectures !

20 février 2019

L'homme aux singes de Santa Marta

Certains vont penser qu'il s'agit d'une invention et peu de gens s'en souviennent aujourd'hui, mais il y avait à Venise toute une colonie de petits singes en semi-liberté.C'était il y a une trentaine d'années.L'idée de ce billet m'est venue une nuit, alors qu'avec Antoine et ses amis Giulia et Jared, nous nous promenions derrière San Marco. Nous devisions joyeusement lorsqu'une forte odeur de marijuana nous est parvenue d'un sottoportego sombre où trois jeunes gens bavardaient. L'odeur, que je n'aime décidément pas, m'a rappelé celle qui régnait dans ce coin derrière Santa Marta quand par un après-midi très chaud je tombais nez à nez avec une tribu de babouins accrochés à un grillage et qui me regardaient...



C'était non loin de San Nicolo dei Mendicoli, dans ce quartier retiré de la Sérénissime, encore alors seulement habité de marins et de dockers, de pêcheurs d'ouvriers. Un quartier pittoresque mais apparemment sans grand attrait historique. Difficile à trouver, peu avenants, les lieux n'attiraient guère les touristes. Les étudiants n'y vivaient pas encore et la nuit les ruelles semblaient moins éclairées qu'ailleurs. C'est dans ces lieux éloignés qu'un homme surnommé Lele et que mes amis appelaient The monkey man, abritait cette colonie pour le moins spéciale... 

L'endroit est exotique, éloigné de tout, silencieux et désert., pareil à une ville des Balkans qu'aurait revu Giorgio De Chirico, un de ces lieux étranges qui évoquent à la fois le Tintin du Sceptre d'Ottokar et Morgan, l'ultime aventure de Corto Maltese...  Je n'ai jamais su grand chose du bonhomme qui vivait entouré de cette ménagerie. Je me souviens vaguement d'un article dans je ne sais quelle revue locale à moins que ce fut dans la Nuova ou le Gazzettino. Nous étions au tout début des, années 80. 

On disait qu'il avait été dans la marine du temps de la conquête de l’Éthiopie. mais la dernière guerre était loin dans ces années 80 commençantes. On disait aussi qu'il était devenu un peu fou à force de fumer de la marijuana. Il avait transformé le jardin de sa maison en une vaste volière sans oiseaux, mais remplie de ses fameux singes qui attiraient les gamins du voisinage et effrayaient les passants. On disait qu'il avait aussi une passion prononcée pour les adolescents mâles qu'il abordait à tout moment et sans détours. Il fréquentait le cinéma de Santa Margherita, qu'on appelait le Vecio pour le différencier du cinéma Moderno. Il chassait dans l'obscurité du cinéma où venaient les garçons en groupes. Je me souviens l'avoir vu à plusieurs reprises au Baretto, appelé aussi I Due Draghi, juste en face du campanile. Il y venait boire son verre de blanc ou prendre un café... 

Les singes - étaient-ce des babouins ? - ne sont pas une invention de buveurs impénitents comme on en rencontre à Venise dans les osterie et qui nourrissent l'inspiration des écrivains depuis toujours.Lele pateon (*), bien que fumeur compulsif de "maria" qu'il fumait presque en permanence, n'était pas fou. La maison, située dans un pâté de maison retiré et tranquille. Haut de trois étages dont quelques fenêtres sont grillagées, l'immeuble possède une cour-jardin attenante entièrement clôturée d'un grillage pareil à une volière.C'est là que vivaient la dizaine de petits singes joueurs et bruyants qui animaient le coin comme le font les petits enfants dans un square. Que sont-ils devenus ? L'homme vit-il encore ? Où était-ce exactement ? Qui pourrait me montrer des photographies de l'endroit, de cette petite ménagerie et de son propriétaire ?

© Il Poltronauta
Un blogueur vénitien, Il Poltronauta, a écrit un billet il y a quelques années sur le même sujet avec, curieusement, les mêmes sentiments et en relevant des détails similaires. Le monsieur écrit joliment bien ses sentiments et son quotidien vénitien, sa mélancolie éclairée par une belle culture et par un sens propre au peuple vénitien de la résilience plutôt que de la résignation. Comme une fraternité de cœur et d'émotions... Voilà un extrait de son texte consacré au Monkey Man via une réflexion sur une chanson du groupe Toots and the Maytals au titre éponyme : 
"[...]sembra disabitata, ma poi sento le risate di alcuni bambini provenire dall’interno.No, non sono bambini, nessun bambino riderebbe così.Sul bordo del muro vedo una mano, poi due, e infine una faccia pelosa con dei denti aguzzi, che mi guarda di traverso e inizia ad urlare. Subito dopo un’altra faccia, e poi un’altra ancora. Eccole, finalmente, le scimmie. Mi fanno un paio di smorfie, ma dopo un po’ se ne vanno, evidentemente la mia faccia sorpresa le mette a disagio, o forse hanno meglio da fare. Torna a casa contento, mi sento David Attenborough di ritorno dal Borneo, so già che quel disco di Toots and the Maytals non suonerà più come prima. So anche però che, fra cinquant’anni, racconterò questa storia a qualcuno, che ovviamente non mi crederà."(**)
 

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Notes :
*- Allusion à ses attirances : le terme vénitien “pateon” a une connotation très allusive en rapport au goût du personnage pour les formes masculines. La patta était la partie de la chausse qui correspondrait à la braguette dans le pantalon moderne et qui mettait en avant les avantages du corps masculin souvent d'une manière exagérée comme en témoigne la peinture de l'époque.En l'occurrence, au lieu de choquer et de poser un problème d'attentat à la pudeur, les formes volumineuses seront plutôt un objet de moquerie, récurrent dans les pantomimes de la Commedia dell'arte. C'est l'exemple du costume de Pantaleone. Montaigne s'en indigna qui qualifia "ce protubérant artifice" de "ridicule pièce qui accroît [leur] grandeur naturelle par fausseté et imposture". À la fin du XVIe siècle, les poches détrônent la braguette. 

**- "[...] semble inhabité, mais ensuite j'entends des rires d'enfants qui viennent de l'intérieur ... Non, ce ne sont pas des enfants, aucun enfant ne rirait comme ça ... Sur le bord du mur, je vois une main, puis deux, et enfin un visage velu avec de dents pointues, qui me regarde de côté et se met à crier, immédiatement après un autre visage, puis un autre encore, les voilà enfin,les singes, ils me font quelques grimaces, mais au bout d'un moment ils s'en vont mon visage surpris les met mal à l'aise, ou peut-être ont-ils mieux à faire ... rentrez heureux, je sens que David Attenborough revenant de Bornéo, je sais déjà que Toots et le disque de Maytals ne sonneront plus comme avant. mais que, dans cinquante ans, je raconterai cette histoire à quelqu'un qui, évidemment, ne me croira pas. " (Traduction d'un passage du billet de Poltronauta : https://ilpoltronauta.com/2014/02/08/monkey-man/)

12 février 2019

La posture d'un dilettante : et si Venise bougeait vraiment ?



Plus de 23.000 étudiants suivent leurs études à Venise, Si quelques uns habitent dans leur famille, dans le centre historique ou sur la terraferma, la majorité vit dans des appartements exigus car les résidences universitaires ne sont pas assez nombreuses, le plus souvent mal logée, à plusieurs par chambre pour un loyer moyen de 400 euros le lit... Plusieurs milliers d'étrangers possèdent un appartement dans le centre historique ou bien le loue à l'année. Retraités, artistes, écrivains, mais aussi entrepreneurs et fonctionnaires ils vivent le même quotidien que les vénitiens, connaissent les mêmes difficultés, pâtissent des mêmes dysfonctionnements. Pourtant aucun d'eux n'a le statut de résident. Il faut montrer patte blanche pour cela. Réfléchissons à ce qui pourrait devenir la réalité de demain si les responsables de la cité prenaient à bras le corps la problématique du repeuplement en intégrant ces populations nouvelles...

Ces nouveaux résidents apporteraient leur vision de la situation, leurs témoignages, leurs idées aussi seraient d'une grande aide... et leurs voix au moment des élections et des décisions communautaires ! Prendre en considération leurs besoins autrement qu'en terme d'offre touristique temporaire obligerait à des mesures qui feraient peut-être grincer a l'inizio, mais finiraient par convaincre tout le monde. Une ville pour vivre n'a pas que besoin d'argent. elle a besoin d'enfants qui jouent sur les places, de vieillards qui les regardent, de commerces de proximité, de médecins, de crèches, de transports abordables et bien organisés. Quand la dynamique urbaine est relancée, stimulée, elle se déploie et s'initie une nouvelle prospérité. Il suffit d'avoir le courage de changer de paradigme et d'aller de l'avant, même en tâtonnant. Tout le monde au final est gagnant. Électeurs et élus. 

Après-midi studieux aux Crociferi, février 2019  © Lorenzo Cittone/Tramezzinimag 2019.

Mais qu'est-ce qu'un français d'origine vénitienne, même pas fonctionnaire international ou spécialiste des milieux et des politiques urbaines (quoique : mon DEA d'Administration et Vie Locale à Sciences Po abordait tout cela et Venise parfois était un exemple étudié, tant par l'extraordinaire propension à inventer et créer des réponses et des solutions à des situations inédites et souvent compliquées là où nos cités pataugeaient, au propre comme au figuré dans la boue, que par l'énormité des difficultés liées au monde moderne et au fait que Venise insula continuait de se sentir comme telle même avec cet appendice fatal qu'est le double pont, celui du chemin de fer et l'autre pour l'automobile)...

Que dire des Vu Cumpra, ces africains toujours souriants qui sont là parfois depuis des années et qu'on ostracise aujourd'hui, surtout s'ils ont le malheur d'être musulmans. Toute cette population pourrait s'adjoindre statistiquement aux 52.895 habitants officiellement reconnus du centre historique. On atteindrait alors plus de 80.000 habitants qui participeraient, par leurs impôts pour certains, par leur engagement à rendre la vie quotidienne plus belle et plus agréable, à redonner à la cité des doges une dynamique qui commence à sérieusement lui manquer. 

La Sérénissime a connu bien des déboires au cours de son existence. Les épidémies de peste ont emporté des dizaines de milliers de gens. Venise au Moyen-âge comptait déjà 100.000 habitants. Plus que Londres ou Paris à l'époque ! Il y a dans les Archives de la République un document très précis qui recense la population de la ville pour l'année 1586. Il est très intéressant en ce qu'il nous donne une idée de comment la société vénitienne était organisée à la fin du XVIe siècle :

Maggior Consiglio par Antonio Diziani
La ville comptait alors 148.000 habitants. Ce chiffre est d'autant plus édifiant pour ceux qui connaissent la structure de Venise. Bâtie à la fois sur des îles et sur pilotis, la superficie de l'agglomération était peu ou prou celle que nous connaissons aujourd'hui, voire même un peu plus petite.

Le recensement parle de 38.000 hommes, 40.000 femmes, 29.000 enfants de sexe masculin, 24.000 de sexe féminin, 3.860 serviteurs, 6.000 domestiques. La classification reste proche de celle établie du temps de l'administration impériale. (Les servi étant décomptés comme catégorie à part, peu ou prou comme on continuera de le faire pour les esclaves dans les colonies jusqu'au XIXe siècle).

6.039 nobles parmi lesquels 1.300 siégeaient au Maggior Consiglio, 7.600 citoyens, riches mais pas nobles - on ne parlait pas à Venise de bourgeois et 119.000 personnes formant le peuple. S'ajoutent 2.507 moines et 1.205 frères (il y a une nuance entre les dominicains et les carmes par exemple), 536 prêtres, 447 mendiants, 1.111 pauvres en hospice. Enfin, 1.694 juifs sont recensés, sans détail sur leur nationalité. 

Qu'il y ait eu  près de trois fois plus d'habitants qu'aujourd'hui donne à réfléchir. Venise rabaissée au rang de grosse ville de province (l'agglomération qui englobe la terraferma compte plus de 900.000 habitants dont le centre historique n'est administrativement qu'une zone urbaine parmi les autres).


Giuseppe Marchiori, Giovanni Comisso, Peggy Guggenheim, Emilio Vedova e Giuseppe Santomaso à Ca'Farsetti
Avec la bénédiction de l'élite intellectuelle de l'époque, Peggy Guggenheim fut fait citoyenne d'honneur (depuis, il y en a eu d'autres). Que dire de ces français (mais aussi des anglais, des allemands, des suisses ou des russes) qui vivent ici depuis longtemps pour certains d'entre eux, qui connaissent la ville parfois mieux qu'un vénitien de Mestre ou de Marghera, qui aiment la ville et qu'on croise tous les jours dans les rues, ne pourraient-ils pas eux aussi être citoyens à part entière ? Ils font beaucoup pour la ville et sont parfaitement intégrés... Leur intégration officielle au nombre des vénitiens ouvrirait de nouvelles opportunités. Bon nombre sont propriétaires et la plupart paient taxes et impôts à Venise. Plusieurs milliers d'autres vivent selon l'adage "When in Venice, live as venitians do"

Je ne me souviens pas des chiffres du temps où je faisais office de drogman au Palazzo Clari, à la grande époque de notre présence et de notre engagement sur la Lagune, mais nous étions nombreux déjà et parmi nous, pas des moindres, d'anciens ambassadeurs, des académiciens et bien sûr l'ombre protectrice et discrète du président François Mitterrand qui vivait ici un secret d’État, secret de Polichinelle que chacun respectait. Le français était encore la langue de l'élite et la première langue enseignée dans les établissements secondaires. L'Alliance Française avec sa présidente de l'époque, Madame Couvreux-Roché contribuait au rayonnement culturel de la France. La Mostra du Cinéma était francophile autant que francophone, sous la houlette de Daniel Toscan du Plantier, d'Unifrance et de Jack Lang. Il y avait toujours de l'argent pour soutenir ces initiatives,  car ceux qui gouvernaient connaissaient le poids et l'importance de la culture, du savoir, de l'esthétique et des bonnes relations entre les deux peuples cousins... 

Mais les temps ont changé. Il faut beaucoup d'énergie, la science des réseaux bien assimilée, et de la débrouillardise, pour continuer à défendre notre présence et notre langue.  L'Alliance Française dont l'équipe se démène pour proposer, outre les cours de français, des expositions, des lectures, des projections et des rencontres passionnantes, ne survit qu'avec l'aide de ses mécènes et la contribution des adhérents ; les locaux du consulat avec le joli jardin (qui pourrait devenir un lieu délicieux pour des concerts ou des lectures à la belle saison) est menacé. Aucun subside pour la représentation sinon les recettes des actes d'état-civil... Le gouvernement actuel trouvant le loyer trop cher, souhaiterait réduire sa dotation. La somme tolérée correspond pourtant à peine à ce que dépense un étudiant pour un studio où il vit seul... On est en train de tomber très bas tout de même, ne trouvez-vous pas ?  

La représentation diplomatique, qui n'est plus seulement aujourd'hui qu'honoraire, si elle échoit encore à des français vivant à Venise sera proposée un jour, comme c'est déjà le cas pour de nombreux pays, à un chef d'entreprise ou un commerçant du cru. Pourquoi pas me direz-vous, c'est l'air du temps ? Mais devra-t-il comme le doge se devait de le faire, puiser dans sa fortune personnelle pour entretenir un semblant de palais, pour recevoir dignement et donner une image de la France autre que celle orchestrée dans les médias par le gouvernement italien actuel dans sa guéguerre contre la France. On ne sait plus le français parmi les adolescents, j'en fais le constat tous les jours sur les campi, dans les bars... L'anglais est partout et bientôt le chinois, le russe. 

Je me souviens de ces discussions quand j'étais étudiant avec des amis vénitiens, plusieurs authentiques Nobile Huomini descendants des plus grandes familles, dans un sabir mêlant le vénitien, l'italien et le français. C'était l'époque ou Mc Donald's ne satisfaisait que les touristes de passage et qui changeait de place sans cesse (à Santo Stefano là où se trouve maintenant la pharmacie, sur la Salizzada du Fondego dei Tedeschi, puis au pied du pont du Rialto...) et les hordes de touristes disparaissaient de novembre à mai, au pointe que l'assessorat au tourisme avait inventé "Venezia d'Inverno" (aka "Venise en Hiver", "Venice in Winter") qui proposait des remises substantielles dans les hôtels de luxe (à l'époque les palaces de la Ciga Hotels notamment), des concerts-cocktails ou des goûters au  palazzo Mocenigo pas encore devenu un musée, et mille autres choses pour attirer les visiteurs pendant la saison creuse...

Mais on va encore m'accuser de regarder en arrière avec nostalgie et regrets. J'essaie seulement de rappeler ce qui fut pour ceux qui n'ayant pas connu cette époque pourraient s'imaginer que tout a été comme il est maintenant. Ce n'était pas forcément mieux, mais la civilisation respirait encore sans assistance artificielle...


10 février 2019

Side by Side, qu'elle est jolie à Venise la résistance au poison brun !


"Nous avons des songes ; la vie tout entière ne pourrait-elle pas être un long rêve ?" écrivait Schopenhauer. Cette phrase résonne comme un écho à la lecture des poésies d'un vénitien dont l’œuvre devrait être traduite en français, pour qui rêve et réalité, loin de se confronter bien que contradictoires, se chevauchent et se complètent dans les petites choses comme dans les grandes actions.

C'est ainsi que Francesca Brandes présente dans sa préface, Dove vivere è sognare (Où vivre et rêver"), le dernier volet d'une trilogie poétique idéale que l'écrivain Valter Esposito consacre à la force des sentiments humains, conforte l'impression que sa réflexion poétique est un cheminement, sans appartenir à un style spécifique. La réalité pour l'auteur, se révèle dans son absolue impermanence surtout quand elle touche à la représentation du sujet.  

Mais qui est cet auteur dont Tramezzinimag avait beaucoup aimé il y a quelques années un très beau texte, Il silenzio del pesce luna ? Né en 1959, Valter est journaliste de formation. il  a écrit dès 1985, pour la Nuova Venezia et à la Gazzetta dello Sport notamment. Il est aujourd'hui responsable du service de presse du Pôle des Musées du Veneto. L'humanité qui déborde de ses strophes illustre bien ce que nous venons de vivre aujourd'hui avec cette manifestation baptisée Side by Side et qui pendant plus de deux heures, du parvis de la gare de Santa Lucia jusqu'au campo Sant'Angelo, plus de 5.000 personnes ont défilé.

Side by side, quelle jolie marche que celle-là... Et qui ne fait que commencer.

© Stefano Mazzola
Tambours en tête, tous âges, toutes confessions, toutes origines, vénitiens, africains, main dans la main et dans la joie, la foule des manifestants allait le long des calle et des campi de la Sérénissime, accompagnés par une dizaine de policiers bon-enfants (quand en France la proportion est plutôt inversée avec des milliers de policiers sur les dents pour quelques groupes de manifestants...). , tous pour montrer au gouvernement néo-fasciste de Rome que le peuple italien refuse le racisme, l'ostracisme, l'indifférence ! Des écologistes, des associations d'aide aux migrants, des migrants, des partis politiques démocratiques, des clubs sportifs, des paroisses avec leur curé, des syndicats, des groupes d'étudiants, des retraités, des intellectuels, des gens de la campagne et d'autres de la ville... 

Une longue marche où palpitait le bonheur d'être ensemble, la joie de se sentir solidaires et de posséder une force inattaquable, celle qu'impulse la fraternité et la bienveillance. Des familles entières marchaient, de vieilles dames en manteau de fourrure, des écoliers, des lycéens, des gens venus de tous les horizons pour défendre ce qui est notre patrimoine commun : l'amour. La seule réalité intangible et vitale. Deux belles heures qui réchauffent le cœur et aident à garder espoir, à continuer de croire dans l'humanité et penser aux meilleurs possibles qu'on puisse imaginer, un monde fraternel où personne ne serait abaissé, méprisé, rejeté, où la solidarité serait plus forte que les intérêts, le partage plus fort que le profit, le bonheur plus important que le rendement et le travail, la souffrance abolie et partout le sourire... Une grande joie vraiment et beaucoup d'espérance !


Dès 14 heures, la foule s'est faite très dense sur le parvis de la gare de Santa Lucia. Après de nombreuses interventions qui toutes dénoncèrent l'ignoble décret Sicurezza de Matteo Salvini qui du jour au lendemain mettra hors-la-loi des milliers de demandeurs d'asile à qui seront retirés leurs papiers, qui perdront tout droit au logement et aux aides d'urgence qui leur permettent de survivre, sans plus aucun accès autorisé à un accompagnement administratif et social. Tous les intervenants ont appelé la population à s'opposer à cette loi immonde et à la désobéissance. 


Plus de deux heures après la marche à travers la ville, la manifestation s'est terminée sur le campo Sant'Angelo (l'arrivée et les discours d'envoi devaient avoir lieu sur le campo Manin, aux pieds de la statue de ce vénitien courageux qui appela à la résistance et à la révolte pour défendre la liberté, mais le trop grand nombre de participants obligea de poursuivre jusqu'au campo voisin, bien plus grand), ou en dépit d'une ambiance joyeuse, tous étaient conscients de l'immonde qui se répand peu à peu, avec ce climat d'intolérance et de haine qui s'insinue à travers la guerre que livre l'actuel gouvernement aux O.n.g. qui n'ont plus aucune aide de l’État, la fermeture des ports et les déportations de masse, avec la création de véritables camps de concentration pour les migrants. Jusqu'où iront-ils ?
Cette IIIe Marche pour l'Humanité a montré qu'existe une autre Italie qui refuse la barbarie, du Nord au Sud, de Venise à Palerme, de Rome à Riace et Lodi. Jour après jour des réseaux de solidarité se mettent en place, des actions de secours mutuel voient le jour. Partout la résistance et la désobéissance  au décret, partout des gens se lèvent pour faire front à l'ignominie. Côte à côte, side by side, contre la politique raciste de l'actuel gouvernement, contre les mensonges et la peur, pour construire une société accueillante et solidaire qui refuse l'exclusion sociale et protège les droits de chacun. Rien d'autre que les principes fondamentaux qu' en Italie comme dans trop de pays en Europe, on bafoue effrontément tout comme le firent nazis et fascistes ! Là au moins, ça vaut vraiment le coup de se mettre en marche !








08 février 2019

Chute d'anges. La preuve par l'image

Ce n'est pas un cliché du premier panonceau qui prévenait les passants du danger qu'il y avait dans les années 50 à passer trop près de la Salute, mais sa version dans les années 68, quand tout en Italie, comme en France, était joyeusement décalé. En tout cas, pour le lecteur qui contestait l'authenticité de la chose, Tramezzinimag présente cette photographie de Giorgio Lotti datée de 1968. 

© Giorgio Lotti, 1968
L'état des sculptures était tel qu'un simple coup de vent ou les vibrations provoquées par les cloches faisaient tomber les anges qui ornaient les volutes des façades. Quelques années plus tard, des facétieux, se souvenant du panneau affiché devant l'église : "Attention, Chute d'Anges" imprimé par la municipalité et qui avait été repris par plusieurs journalistes, ont complété le panneau officiel par le même bon mot. Il serait intéressant de savoir si à l'origine le texte affiché avait été rédigé par un fonctionnaire spirituel ou un curé plein d'humour !

06 février 2019

Acqua alta et galani. Chroniques de ma Venise en février

 « Venise, peut-être ai-je peur de la perdre toute en une fois, si j’en parle. 
Ou peut-être, parlant d’autres villes, l’ai-je déjà perdue peu à peu. »
(Italo Calvino, Les villes imaginaires, 1972)

© Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés   
 
Je me demande souvent, lorsque je suis à Venise, si la ville est consciente des plaies de plus en plus nombreuses qui l'empoisonnent peu à peu... Ressent-elle une quelconque douleur devant l'inéluctable diagnostic ? Qu'est-ce qui se dit vraiment dans les maisons, qu'est-ce qui est envisagé, pensé, pour que ces lieux uniques, cette vie unique perdurent et soient transmis dans leur intégralité séculaire aux générations futures qui l'habiteront ? J'ai grandi avec ce qui pour moi depuis mon plus jeune âge a toujours été une évidence, un état de fait qui nous dépasse : l'idée de Venise, "Urbs Æterna". Il est triste de constater que ceux qui en ont la charge mais aussi bon nombre de ceux qui y vivent semblent désormais avoir baissé la garde...

Cette impression de je-m'en-foutisme de la part des édiles aux commandes ces dernières années est-elle le reflet de la réalité ? J'ai beau être pour moitié vénitien, j'avoue me perdre aujourd'hui tant les considérations diffèrent selon la sensibilité politique et l'origine sociale des vénitiens avec qui je parle. Parmi ceux que je connais, certains - une extrême minorité certes, m'expliquent que le maire Brugnaro est déterminé ; qu'il a l'intention de prendre des mesures draconiennes et que déjà son idée d'obliger tous les propriétaires qui louent continuellement aux touristes à installer dans leur immeuble des fosses septiques prouve bien qu'il n'est pas vendu à la Cofindustria, (la puissante organisation patronale de la péninsule très impliquée à Venise) et aux financiers mais qu'il se préoccupe réellement de l'avenir de ses concitoyens et cherche de vraies solutions. Et puis les autres - ceux-là sont plus nombreux dans mon entourage et d'un âge moyen inférieur aux partisans du sindaco - qui le vouent aux gémonies, le rangeant volontiers dans le même panier (à salade) que Galan, Orsini, voire même le cardinal Scola, mêlant toute cette élite locale à des systèmes plus ou moins maffieux... Qui croire ? Les uns et les autres forcent le trait mais le malaise est visible, l'avenir incertain et les enjeux d'importance.

Faut-il se préoccuper de tout cela ? Finalement, la tentation est grande de ne plus vouloir voir, ni entendre tout cette fange que les médias aiment bien montrer partout en Occident. Et puis, est-ce que les problèmes de Venise valent qu'on s'y attarde. Les milliers de gens que les guerres que nous leur imposons obligent à fuir et que nous rejetons, physiquement ou mentalement, n'ont-ils pas plus d'importance pour le monde, que le fait de savoir que si rien n'est entrepris vraiment les 52.000 vénitiens du centre historique devront migrer aussi vers de nouvelles cités-dortoirs et que les splendeurs de leur ville-univers seront démontées et dispersées dans les musées et les collections privées des puissances émergentes.
  


De tous temps, sociétés et civilisations naissent, grandissent, se répandent, puis vieillissent, s'étiolent et finissent par disparaître. La référence aux Merveilles du Monde qui firent rêver les peuples de l'Antiquité et les latinistes du monde moderne, est peut-être bien choisie après tout. Toutes ont disparu ou ne sont plus au mieux que de jolies ruines, au pire de belles machines à rêver. C'est peut-être prochainement au tour de Venise de s'effacer pour devenir un mythe, un rêve, un idéal... Ne lisez pas dans ces lignes du désespoir ou de la mélancolie. Juste l'expression d'une grande lassitude devant la situation de la cité des doges. Encore une fois je ne résiste pas à dresser un parallèle avec la situation du reste du monde

Au-delà des hommes et de leurs faiblesses, ce qui ne peut être mis en doute c'est l'urgence de la situation. La baisse dramatique du nombre d'habitants résidents à l'année, l'augmentation colossale des lits à disposition des touristes, les immeubles qui après être restés vides des années, sont transformés en hôtels, les appartements en Airbnb ou chambres d'hôtes officiellement ou clandestinement et une frange de la population qui s'enrichit de plus en plus et préfère louer à la journée ou à la semaine plutôt que d'offrir ses logements à des familles qui vivent et travaillent ici, à des étudiants (les pauvres sont le plus souvent logés à 4 ou 6 dans des locaux miniatures pour 400 à 500 euros par lit...). La rançon du libéralisme et du capitalisme ? Un laisser-aller digne de la décadence romaine ? Le règne de l'égoïsme et de l'individualisme, le mépris des autres ? A tout cela s'ajoute la montée des peurs orchestrée par un gouvernement outrancier, populiste qui sait jouer des médias et de la communication ("Propaganda !" aurait crié Jacques Ellul du haut de l'amphithéâtre de Sciences Po) et montée en conséquence de la xénophobie et du racisme, deux notions bien étrangères jusqu'alors dans le cœur des italiens.

Pour ceux de nos lecteurs qui lisent l'italien, voici le lien vers le dernier article de Massimo Rosin pour Altritaliani, qui décrit avec pertinence et le recul nécessaire la situation de Venise en ce début d'année. Constat terrible et édifiant. Il nous amène à nous poser une question qui ne fait plus sourire désormais : verrons-nous bientôt la disparition de Venise ?


© Laure Jacquemin pour La Croix. Tous Droits Réservés.
Prenons l'exemple récent de la librairie française qu'a tenu depuis sa création en 1976 l'inénarrable Dominique Pinchi. Qui parmi l'élite intellectuelle locale, parmi les édiles qui sont en charge de la ville et de sa région s'est véritablement ému de sa fermeture ? Certes, à une époque où prévaut l'ultra-libéralisme, un entrepreneur est libre de ses choix et de ce point de vue, la librairie française n'était peut-être pas ou plus rentable. Venise est une ville qui se targue d'une position dominante en matière culturelle. Une capitale européenne de la culture. La Mostra du Cinéma, les biennales d'art et d'architecture, l'extraordinaire patrimoine que le monde entier vient admirer... Pourtant quand le libraire a annoncé sa décision de vendre et que les locaux deviendraient un restaurant, personne n'a réagi. C'était pourtant un joyau culturel, un endroit spécial, un lieu unique où toute la pensée française s'étalait sur les rayonnages. Pinchi n'était pas seulement un vendeur de livres, c'était un passionné. Musicien, peintre, écrivain, l'homme a de multiples facettes et son engagement pour la littérature et la langue françaises est incontestable. Il a résisté longtemps ais a fini par dételer. Lassitude, colère aussi peut-être. Être libraire n'est pas chose facile. Ce n'est pas comme vendre des pommes ou des chaussettes. Depuis plusieurs nouvelles librairies ont vu le jour dans le centro storico, certaines ont quelques titres en français, des traductions de poètes ou d'écrivains francophones reconnus en Italie mais cela n'a rien à voir avec le fond de la librairie de Dominique Pinchi. En d'autres temps, sans qu'il y ait forcément des pétitions et des manifestations de soutien, la municipalité serait intervenue, au moins pour s'assurer que la librairie française demeure, même avec d'autres titulaires. Autres temps, autres mœurs.

Gabrielle Zimermann va bientôt présenter à l'Alliance Française (voir ICI le détail de l'évènement), l'ouvrage qu'elle consacre au libraire et à cette belle aventure. Hâte de découvrir cet ouvrage. Combien la nouvelle de la fermeture de la librairie même si le caractère parfois ombrageux de Dominique Pinchi en a rebuté plus d'uns. L'homme n'aime pas les faux-semblants et en quarante ans de pratique, il se sera bien souvent se frotter à la bêtise humaine. Cela rendrait amer tous les saints du paradis ! Pour ma part, bien que nous ayons eu quelques divergences de vue, je lui dois à quelques belles découvertes qui m'auraient échappé en France et je l'en remercie de tout cœur.

La librairie n'est plus à présent qu'un souvenir et nous sommes plusieurs à rêver - envisager ? - de rouvrir un lieu dédié aux livres en langue française, avec non seulement des ouvrages sur Venise et sur l'art vénitien, mais aussi des textes d'auteurs d'aujourd'hui, des classiques, des fondamentaux, des manuels scolaires aussi peut-être. Tout est plus compliqué qu'ailleurs à Venise mais avec le soutien de la municipalité et celui de la population, tout devient possible. Est-ce seulement un rêve, un vœu pieux ? Belle image que la cité des doges perçue de nouveau, comme elle le fut au temps de Manuce, comme la république des livres avec plein de librairies à un moment où on essaie de nous persuader que plus personne ne lit alors qu'on n'a jamais autant publié de livres, des vrais, avec du papier, de l'encre et une couverture. En dépit du soutien appuyé de  ministre de la culture

On en vient à penser que pour ceux qui tirent ici les ficelles, tourisme et culture sont une seule et même chose. Mais notre opinion et nos idées glissent sur les marbres de la Sérénissime. L'argent coule à flot, les tourismes affluent de plus en plus nombreux, ils sont pressés comme des citrons, parfois maltraités, malmenés. Qu'importe, la plupart ont des étoiles dans les yeux et s'ils repartent détroussés c'est avec l'impression d'avoir approché, aperçu un lieu unique et merveilleux. Ils ne reviendront certainement pas pour la plupart et n'auront pas ressenti le malaise, riant des inondations qui endommagent tout et perturbent le quotidien des habitants. Lorsque, dans un futur dont on ne peut savoir s'il est proche ou lointain, le présentateur annoncera la submersion totale de la ville dans les eaux de la lagune par un tsunami déjà prévu par certains savants, le monde entier regardera les images de cette catastrophe et le monde ne sera plus comme avant. Pas seulement parce que d'autres lieux sur la planète auront aussi disparu en même temps, mais aussi parce qu'une partie de nous-mêmes aura sombré avec les palais et les églises. La fermeture de la librairie française aura été un préambule à cette catastrophe. Un triste signal.
Venezia, che pur immersa nell’arte, non riesce a cogliere e valorizzare le occasioni da non perdere in una scommessa vitale che potrebbe anche chiamarsi patto culturale da rispettare. Forte e struggente si è fatta strada la speranza di veder crescere l’interesse da parte dei veneziani per questo posto “faro”, accogliente che lui stesso alimentava e curava con la sua socia Ornella Caon. L’appello alla politica è andato a vuoto, consola in parte il riconoscimento attribuitegli dal ministro alla Cultura francese Aillagon con l’onoreficenza di Officier des arts et des letters, nutre la mente il ricordo dei tanti intellettuali, politici come il presidente Mitterand, che hanno apprezzato il suo libro sull’arte rinascimentale “A che santo votarsi” e le pur non poche espressioni di rammarico dei veneziani che a quella libreria, a quella atmosfera si erano abituati. Ora quelle stanze accoglieranno un ristorante e come in un brutto sogno scacceranno dalla vista il fantasma libro, grazie all’insensibilità politica di chi tutto quel che è accaduto avrebbe potuto e voluto evitare: un’altra sconfitta per l’identità culturale della città, ma anche uno scorno verso la ricerca di una umanità necessaria di cui i libri, le librerie fanno parte e rispondono ad un bisogno della mente e del cuore che coinvolge anche chi, senza saperlo, sente l’esigenza e la ragione del loro esistere e resistere.
Mais Tramezzinimag n'est pas une volière pour oiseaux de mauvais augures. Pensons Positif dit un tag à moitié effacé sur l'un des murs de l'université du côté des Tolentini. L'avantage de mon exil - d'aucuns à l'esprit grinçant diront que pour être en exil il faut au préalable avoir été du lieu dont on est éloigné et que cela ne se décide pas - est de percevoir les changements, les mouvements qu'à vivre sur place en permanence on finit par ne pas remarquer. Des tas de petites choses apparaissent comme autant de raisons d'espérer que peut-être après tout rien n'est perdu et que le lion de San Marco tient aussi du Phénix... Au-delà des effets de mode - et puis après - surgissent un peu partout des groupes, des associations, des mouvements qui tous œuvrent à leur niveau, à leur manière pour changer les choses. Bien sûr aucun de ceux qui les composent n'ont le pouvoir, les réseaux ou l'argent pour remplacer ceux qui sont justement en possession du pouvoir, des réseaux et de l'argent. Mais qu'importe, ils sont des centaines à se dresser pour changer les choses et un vent de fraîcheur joyeusement parfumé d'amitié et de détermination souffle sur la Sérénissime. Les étrangers - i foresti - qui habitent ici en permanence sont sollicités aussi pour participer au mouvement et tout le monde est bienvenu comme le sont leurs idées. 

Parmi eux de nombreux français, souvent installés dans la région ou à Venise même (la communauté recensée par le Consulat représente plus de 3.000 personnes), qui y travaillent, y élèvent leurs enfants, y font leur vie. Contraints de subir les mêmes désagréments que les locaux, ils forment une catégorie nouvelle de vénitiens, au même titre que les milliers d'étudiants qui viennent de toute l'Italie et du monde entier et se fondent peu à peu aux usages locaux et parfois s'expriment rapidement en dialecte. Ils rejoignent l'un peu plus de 52.000 résidents officiels du centre historique - rappelons qu'ils furent plus de 100.000 du moyen-âge aux années 70 du siècle passé - pas de quoi marcher sur la Municipalité pour prendre le pouvoir, mais assez pour changer le quotidien que les politiques ne sont jamais parvenus à changer. Grâce à ces groupes, la vie de tous les jours reste ou redevient vivable, les crèches et les écoles ne ferment plus, les traditions sont entretenues, la convivialité et la solidarité, l'entraide et les échanges se développent... Les réseaux sociaux font le reste. Les élections municipales auront lieu en mai prochain à Venise. En même temps que les élections européennes. Tout un symbole quand on pense que si ce que passe à Venise concerne aussi le reste du monde. Les choses peut-être vont-elles changer grâce à toute cette frange de la population qui ne joue pas les autruches ou les clients (dans le sens que donnaient à ce mot les romains de la Rome antique). Comme eux, nous voulons y croire.

Cela n'intéressera personne, mais comme mes plus fidèles lecteurs et mes amis vénitiens le savent, voilà des années que j'hésite entre laisser ma vie en France, pour revenir à mes origines en m'installant définitivement ici ou laisser les souvenirs derrière moi et quitter définitivement la lagune pour d'autres horizons. Pour aller jusqu'au bout de mes autres impegni (engagements) au service des autres. La difficulté qu'il y a ici à se loger, l'âge auquel j'arrive et qui rend difficile toute reconversion professionnelle, mon incapacité à vouloir et savoir vraiment faire de l'argent (un comble dans une ville de marchands), mon manque de ruse et d'ambition, ma répulsion pour la flagornerie et le mensonge, mon dilettantisme atavique, ma lassitude aussi devant la bêtise et la méchanceté des gens, devant leur prétention, leur moralisme facile et leurs critiques, me pousseraient parfois à rendre les armes et à plier bagages. 

Devant les pisse-vinaigres et les hystérico-dépressifs lecteurs de Houellebecq, de Sollers et autres écrivains du crépuscule, empêtrés dans leurs a priori et qui s'érigent en juges, l'envie de fuir est grande ! Heureusement Venise en janvier est quasiment vide et il est facile de s'y promener sans croiser personne. On peut prendre un verre dans un bar inconnu où tout se dit en vénitien, où le sourire chaleureux de la serveuse vous accueille comme à la maison... C'est dans ces moments-là, qu'en dépit de l'éloignement trop souvent répété, je sens bien que le sang qui bouillonne dans leurs cœurs est le même que dans le mien, n'en déplaise à certains qui voudraient me voir présenter à chaque fois un certificat de venezianità, comme on demandait à un triste moment de l'histoire un Ariernachweis (certificat d'aryanité). Mais ai-je vraiment le droit de brandir cela. Tous ceux d'ici qui y sont nés - ce n'est pas mon cas en vérité - ont-ils le droit de se dire encore vénitiens ? Si mon patronyme rend inutile toute autre justification - et les vrais vénitiens le savent - car les Cittone (ou Citton, Citon - diverses écritures au cours des âges se retrouvent dans les archives) sont aussi anciens sur la lagune, à Rivo Alto, à Torcello et alentours que les masegne et les briques sur lesquels nous marchons. Pourtant je garde le sentiment d'avoir failli, avec ceux d'avant moi qui ont délaissé la Lagune pour de nouveaux horizons, et d'avoir abandonné à leur sort notre ville, nos frères. Pour étayer cet encombrant questionnement, quelques lignes d'un superbe roman qui m'a beaucoup touché. 


Francesco interviewé par Antoine pour la RTS à la Giudecca - © Tramezzinimag / Lorenzo Cittone

Francesco Rapazzini dans son "Un Été vénitien" paru récemment chez Bartillat, exprime joliment ce sentiment perçu par le héros de son livre, jeune vénitien qui reste quand tous les autres repartent toujours. J'ai été particulièrement lié à Francesco depuis les années 80. Il a été l'un des plus proches compagnons de mes derniers mois d'étudiant à Venise. Comme aux autres, je lui avais garanti que je reviendrai vite. Mais je l'ai trahi moi aussi. Je les ai tous trahi, et ce faisant, j'ai trahi Venise. C'est du moins ce que j'ai longtemps pensé. Mais ma nouvelle vie d'adulte responsable, engagé dans la cité, mari et père de famille, tout cela atténua ma blessure. Puis les enfants devenus grands, j'ai fini par revenir. Mais au retour, rien n'était plus vraiment pareil... Tramezzinimag s'en est souvent fait l'écho au fil des années. Personne ne nous attend plus, et on comprend que Venise n'a pas besoin de nous. Il faut s'y habituer et tenter de recommencer. Francesco, comme son héros, pour cesser de souffrir de cette trahison permanente, est parti à son tour. Il a choisi de s'installer à Paris pour y faire sa vie. Et ses livres. 
[...] Trahi. Maintenant. Par elle, par les Murray. Comme par quiconque vient ici à Venise puis repart. Comme par quiconque reste ici une semaine, deux semaines, un mois ou six ou un an. Et puis s’en va, retourne à la maison. Chez lui. Trahit Venise, me trahit. Oui, me trahit parce qu’il m’abandonne comme on abandonne un amoureux qui finit par se trouver invivable parce que sale, parce qu’ennuyeux, parce que dépassé. Un amoureux sans colonne vertébrale parce que prêt – et il le fait à chaque fois, toujours et en tout état de cause – à accueillir avec un sourire aimable chaque retour. Si retour il y a. Il l’espère. Parfois en vain, d’autres fois le débarquement advient à coup sûr. Pour souffrir ensuite encore plus parce que la séparation se répétera encore et encore. Et il le sait. « Mais quand reviens-tu ? » : j’en ai assez de m’entendre répondre « Bientôt ». Parce que « bientôt », c’est quand ? Bientôt ne se mesure pas dans le temps, dans mon temps, sur ma montre. [,,,]
J’en ai assez d’être cet amoureux parce que je veux, moi, une fois pour toutes abandonner Venise, l’abandonner comme si c’était les Caterina, comme si c’était les Alessandra, comme si c’était les Adriana de mon frère. M’en aller pour revenir parfois, certes, en sachant bien que je ne lui appartiens plus. M’en aller pour ne pas me sentir comme une barque qui coule dans le port avant d’être sortie une seule fois en haute mer. Et je pleure là, comme un imbécile, devant les Murray qui ne comprennent pas. Qui n’ont strictement rien à y voir, en plus, et qui se regardent embarrassés et qui ne savent que faire : demi-tour, ou me pousser de côté pour pouvoir passer la porte et monter chez ma mère. L’angoisse et la nostalgie qui m’avaient saisi après la fête chez Michiko, l’angoisse du silence, la nostalgie après les bilans estivaux culminent dans ces pleurs. Ceux de la séparation. De l’adieu. Qu’après ça on se dise « au revoir », n’a aucune importance. Je m’écarte et laisse passer les Murray. Moi aussi je partirai. Pas demain : demain commence l’année scolaire.[...]
(Francesco Rapazzini, Un Eté vénitien, Bartillat, 2018. pp.181-182)
Mon propos en commençant la rédaction de cette chronique était de parler des problèmes que rencontre Venise, de sa population qui diminue mais aussi des nouveaux arrivants, étudiants, jeunes professionnels. Cela fera l'objet d'un prochain billet. En attendant, je vais soigner mon rhume en buvant un chocolat chaud et en dégustant fritelle et galani avant que les hordes de touristes envahissent la ville puisque le temps du Carnaval pointe son nez.

Parlons donc plutôt de ces choses si réjouissantes. Comme les décorations de Noël qui demeurent jusqu'au carnaval, les fritoe (fritelle), un délice à se damner, sont dans les vitrines de toutes les pâtisseries et au comptoir des vrais cafés de quartier (pas ceux tenus par les chinois). Depuis samedi, sont venus s'y ajouter les Galani, autre délice traditionnel. Chez moi, ma grand-mère les réalisait les jeudis et dimanches qui précèdent le Carême. "La vraie recette" disait-elle. Je l'entend encore nous dire sur un ton de plaisanterie, avec cet accent qu'elle n'avait jamais perdu "Votre mère, elle fait des Merveilles, c'est pas la même chose. Mes Galani, c'est tout le parfum de Venise et c'est moins gras ! C'est ça qui est Merveilleux !" et cela me faisait rire de voir les deux femmes de ma vie d'enfant faire semblant de se chipoter pendant que nous nous jetions sur le saladier rempli de ces petites bandes au joli jaune pâle saupoudrées de sucre. 

Pour ceux qui voudraient les goûter à Venise, toutes les pâtisseries en proposent. On dit que les meilleures se trouvent chez Italo Didovich, sur le campo Santa Marina. Pour ceux qui n'ont pas la chance d'être à Venise pendant cette période, voici le lien vers le billet publié sur Tramezzinimag en 2010 et miraculeusement récupéré lors de la suppression de la version originale du blog par Google (cliquer ICI). Ce n'est pas très difficile à faire. Il faut bien les dégraisser sur un papier absorbant avant de les saupoudrer de zucchero a velo (sucre glace). De quoi se réconforter quand le brouillard recouvre la ville et que, comme cela fut le cas ce weekend, les sirènes prévenant la population de l'éminence d'une acqua alta, cette horreur qui ne réjouit que les enfants et les touristes.