13 décembre 2019

La Venise mineure par Pasinetti

Venezia minore (la Venise mineure) est le titre d'une documentaire réalisé en 1940 par Francesco Pasinetti, réalisateur vénitien mort prématurément et qui était le frère du romancier Pier Maria Pasinetti. Comme l'écrivain, le cinéaste était un fou de Venise, leur ville, l'endroit où il avait grandi et il a su traduire son amour de la Sérénissime dans les images du film. La vie quotidienne de la ville est simplement filmée, la mise en scène légère et spontanée comme pour éviter les effets qui plombent le plus souvent les documentaires de voyage. On retrouve ainsi une Venise au fil de l'eau, des campi et et des ruelles,la caméra poursuivant son errance tout au long des images dans Cannaregio, Castello et Dorsoduro mais aussi du côté de la Giudecca. Un monde en partie disparu, mais qui survit tout de même dans notre regard et que nous aimons. Bon voyage en images et noir et blanc ! Un régal que TrameZziniMag est heureux de faire connaître à ceux qui ne l'auraient encore jamais vu. Bonne promenade.

04 décembre 2019

Ils s'en sont allés et Venise est un peu moins riche


Deux figures de ma vie et de ma jeunesse vénitiennes viennent de nous quitter et si la disparition de ceux des générations précédentes fait partie de l'ordre des choses, c'est toujours avec un pincement au cœur qu'on envisage la vie désormais sans eux. Ceux que nous avons aimé passent  simplement de l'autre côté. Il nous appartient de les garder en vie et présents en nous, avec le souvenir de ceux qu'ils furent de leur vivant, de ce que nous avons reçu d'eux et de continuer à rendre grâce pour ces rencontres et ce qu'elles nous ont apportèrent... Lucio Pelizzato était un grand libraire, amoureux du livre et des mots, commerçant avisé, il avait appris le métier juste adolescent avec son frère auprès de leur père. TraMeZziniMag a parlé de cette fameuse librairie de la Toletta qui est l'un des dernières librairies de la Venise de ma jeunesse. Toutes ou presque ont fermé leur porte, d'autres certes sont nées, mais la disparition de ces temples de la culture marque bien un changement d'époque. Toute mon amitié à sa famille et en particulier à son neveu Giovanni qui dirige aujourd'hui la librairie avec la même compétence et la même passion.

Disparu aussi, le sénateur Mario Rigo qui fut maire de Venise à la fin des années 80 à qui je dois en partie la réussite de la Première Semaine de Venise à Bordeaux que l'étudiant pauvre de vingt ans organisa en octobre 1985 sans une seule subvention et sans réseau aucun. Juste avec la détermination de la jeunesse et et une équipe d'amis conquis par mon projet et mon enthousiasme, en France comme à Bordeaux. Ses obsèques ont eu lieu il y a quelques jours à Caorle d'où il était originaire. Je le pleure aussi. Nous avons longtemps poursuivi nos échanges épistolaires et je l'avais rencontré à plusieurs reprises à Venise. Il regrettait de n'avoir pu venir à Bordeaux rencontré son homologue Jacques - Chaban-Delmas. C'est parmi les assesseurs qui avaient fait le déplacement, l'avocat Augusto Salvadori qui le représenta avec panache. Une autre histoire, racontée aussi sur le blog.

01 décembre 2019

Dans la famille Tramezzinimag, connaissez-vous Tumblr ?


Connaissez-vous le Tumblr de TraMeZziniMag, créé en décembre 2011 ? Vous y trouverez des photos reprises du blog ou provenant de différents photographes amis et collaborateurs, parfois des clichés inédits, des citations. L'adresse ? : http://tramezzinimag-blog.tumblr.com/

30 novembre 2019

Un adagio, des amis et du vin

Hier soir, dans un salon improbable du vieux Bordeaux s'improvisa un moment musical chargé d'émotion et de grâce comme souvent ce qui est inattendu se charge de joie et de félicité. Imaginez un ciel bas et un vent froid qui glace les rares passants. Nous arrivions d'un autre salon, une vaste nef blanche dans une grande maison d'un quartier bourgeois de la ville. Un bonheur n'arrive jamais seul. Il y avait là une centaine de personnes venue entendre un récital autour d'Etienne Péclard, naguère premier violoncelle de l'orchestre national de Bordeaux Aquitaine, professeur émérite dont il m'a été donné d'écrire la biographie. Le maître présentait à un public choisi, attentif et connaisseur, plusieurs de ses compositions accompagné par Laurence Dufour, elle aussi enseignante au conservatoire, avec qui nous avons créé il y a plus de dix ans maintenant Tempo di Cello qui eut son heure de gloire et lança le Festival International de Violoncelle Louis Rosoor et Stéphane Rougier, violoniste à l'ONBA. Les trois talentueux musiciens nous régalèrent d'airs parfois légers et drôles, d'autres plus sérieux, toujours parfumés de citations et d'inventions, toujours virtuoses. 

L'après concert se déroula autour d'une dégustation de vins délicieux du terroir. L'un des invités invita à son tour ceux qui le souhaitaient à venir chez lui, de l'autre côté de Bordeaux, non loin de ma résidence bordelaise, afin de découvrir son magnifique piano. J'hésitais comme toujours à me rendre à cette invitation inattendue. Nous étions partis quelques uns mais tous les autres désertèrent. Je finis par me décider, avant de rentrer me coucher. Je restais indécis. il était tard, il faisait froid, mon lit m'attendait à deux pas... Je me persuadais qu'il n'y aurait plus personne. On n'entendait aucun bruit par la porte entrouverte. Une jeune femme très belle sortait avec son vélo et avant même que je lui demande quoi que ce soit elle me lança avec un joli sourire : "si c'est pour pour la musique, c'est au premier étage" . C'est ainsi que je pénétrais dans cette incroyable demeure. Je sonnais sans qu'aucun son ne sorte, je frappais. Finalement j'articulais la poignée. derrière, un couloir mal éclairé, le plancher qui craque, odeurs de cire et de poussière. L'hôte ravi de me voir m'invite à avancer et disparait aussitôt à la recherche d'une bouteille de vin et de verres. Des notes de musique se glissaient partout autour de moi et m'accompagnèrent jusqu'au salon où trône le piano. L'adagio du premier concerto pour violoncelle de Haydn emplissait l'air de sa douce mélancolie. Venu lui aussi assister au récital de son ancien professeur, le très solaire Jeremy Genet, avait comme moi accepté l'invitation à prolonger la soirée. Il était venu me saluer après le concert, souriant et plein de révérence. La dernière fois que nous nous étions vu, c'était à Malagar, la maison de François Mauriac où se déroulent chaque année les examens de fin d'année de musique de chambre. Il avait à peine vingt ans alors et son jeu déjà charmait les auditeurs. Minuit sonnait à l'église voisine et, dans la pénombre, il jouait. En guise de partition l'ami qui l'accompagnait,  avait posé sur le pupitre un ordinateur portable, seule marque des temps modernes dans ce lieu hors du temps. La voix très sensuelle du violoncelle chantait le second mouvement. Je m'installais sur un coin de canapé, totalement fasciné par l'archet qui glissait lentement sur les cordes et les mains qui s'animaient sur l'instrument. J'aimais tout de suite son interprétation de cet adagio langoureux et débordant de subtilité. La cadence de Britten ce me semble. Un peu à la manière de Rostropovitch. J'aime à la folie cet air où le violoncelle reste maître et peut exprimer toute son expressivité. Jeremy avec sa grande sensibilité servait joliment cet adagio. Un de ces petits bonheurs qui nous tombent joyeusement dessus et qu'on aimerait pouvoir faire partager.

La mélancolie qui se dégage, malgré le mode majeur de l'aria se confond fabuleusement avec les lieux. Je regarde Jeremy. La tête légèrement penchée en arrière, les yeux clos, le visage détendu et serein, les sourcils légèrement froncés, il fait corps avec l'instrument, et les lieux se fondent dans la musique. La salle est sombre et mal éclairée mais le jeune virtuose rayonne et irradie. Une bouffée d'émotion me submerge soudain et mouille un peu mes yeux. Cet air, nous l'avons tellement de fois écouté, mon père et moi, à la fin de sa vie. C'était dans le petit salon du second, à côté de ma chambre. Les 8 minutes 30 de l'adagio inlassablement répétées que nous écoutions parfois dans le noir comme dans ce salon d'une autre demeure bordelaise, où je pénétrais pour la première fois. Une belle soirée, le vin était bon et l'air rempli de bons mots, et le cœur inondé de musique. Un de ces moments inattendus et magiques qui m'aident à supporter l'exil quand mes obligations m'obligent à rester loin de Venise. Il est temps que je reparte. Jeremy et son violoncelle, Étienne, Laurence et Stéphane m'y rejoindront et les soirées seront pareillement douces et belles. 

Pour le plaisir d'entendre ce passionné parler du festival qu'il a créé à Bordeaux après avoir organisé un concert au Carnegie Hall à la mémoire des victimes du 11 septembre, cette vidéo publiée par une radio bordelaise :

Relire les anciens billets de TraMeZziniMag...


Les anciens billets du site originel, celui qui de 2005 à l'été 2016 a nourri plusieurs centaines d'abonnés et de très nombreux lecteurs réguliers ou occasionnels, ne contenaient pas que des choses de qualité. Parfois des textes rédigés en vitesse, mal relus et pas assez corrigés, des photos au mauvais format, des légendes erronées ou simplement oubliées, mais toujours la joie et l'enthousiasme que nous avions à partager nos coups de foudre, nos passions. Mais tout cela restait tourné vers Venise, en bons Fous de Venise comme nous avait baptisé un éminent journaliste de France Culture aujourd'hui disparu. Mais c'était l'heureux temps des blogs et des blogs sur Venise, à la suite de TraMeZziniMag, il y en a eu de très beaux, de très intéressants, tous créés par des ces Fous de Venise qui formons une belle communauté de passionnés et d'inconditionnels de la Sérénissime

Difficile alors de baisser la garde et, maintenant que le miracle s'est produit, que peu à peu les articles présumés perdus corps et biens dans l'immensité abyssale d'internet, refont surface, les redécouvrir, une fois nettoyés, dépoussiérés, adaptés au nouveau format, est un régal pour nous qui les avons fait naître et qui ne nous étions jamais résignés à leur disparition. Nous vous invitons à faire comme nous, à feuilleter les archives du TraMezziniMag des origines, en relisant les billets au hasard ou par thématique (il suffit de cliquer sur les noms qui vous parlent dans le nuage des libellés, ou de choisir un jour, un mois, une année et de vous laisser porter.

Laissez-nous vous conseiller quelques billets parmi nos favoris, parmi ceux qui ont attiré le plus de commentaires et de débats, ceux qui ont été repris pour servir Venise et ses habitants. Aller dans les archives, remonter le sommaire, se promener dans les jours et les saisons, dans les libellés, autant de moyens fort utiles pour la reconnaissance du blog, pour qu'il retrouve sa place dans les moteurs de recherche. Autant de clics différents sur les billets des années précédent le naufrage de 2016, qui nous permettront de redéployer notre lectorat aussi, les lecteurs attirent les lecteurs. Et enfin, la plupart des commentaires qui étaient impossible à retrouver sont aussi revenus. Pour les abonnés de toujours, vous retrouverez nos échanges, pour ceux qui ne connaissent TraMezziniMag que depuis peu, ajouter en temps réel votre avis sur les artciles ou les prises de position serait super et gratifiant pour nous ! Merci d'avance les amis !

En voici quelques échantillons (il suffit de cliquer sur l'adresse du titre de votre choix), à titre d'exemples :
  • La Bulle de Tiepolo (mars 2006) 
http://tramezzinimag2.blogspot.com/2006/03/la-bulle-de-tiepolo.html

  • Il marchait seul dans la nuit (juillet 2006)
http://tramezzinimag2.blogspot.com/2006/07/il-marchait-seul-dans-la-nuit.html

  •  Venise ne veut plus des navires géants (janvier 2012) 

29 novembre 2019

Rejetant la tristesse... Cheminer avec Franck Venaille

Le Moine au bord de la mer (Der Mönch am Meer) Caspar David Friedrich
J’ai combattu jusqu’à l’extrême. Maintenant il me reste à
rejoindre mon hôtel, palace pour fêtes légales & là, allongé
sur un lit, chaussures encore boueuses aux pieds, à regarder
l’eau du canal tressaillir, frémir, s’allonger, s’ouvrir !

Je ne fréquente pas les églises et leurs chefs-d’œuvre. La la-
gune s’en moque. Elle laisse la porte ouverte sur le tout petit
jour quand passe devant moi un remorqueur au moteur sans
âge. Debout. Droit, face au vent se tient l’homme gouvernail.
Sa silhouette attise le sentiment de beauté solitaire.

Ainsi suis-je à la fois celui qui écrit mais également cet autre
qui prend sur lui de lire des manuels militaires à l’usage du
bataillon de mouettes de l’infanterie de marine.
Ces vers de Franck Venaille, formidable et rutilant poète récompensé par le prix Goncourt en 2017, disparu en août dernier, je les récite souvent lorsque j'observe un résident de la maison de retraite dont je suis l'un des administrateurs. Voir l'inexorable glissement, ce tassement au début peu visible qui s'amplifie parfois d'un coup, la lassitude dans le regard qui semble chercher au loin une image, un souvenir auxquels se raccrocher quand monte en nous la certitude du naufrage. Cela ne peut laisser indifférent et les mots du poète m'aident un peu pour cacher mon désarroi et la souffrance qui griffe mon cœur devant l’inéluctable défaite de ces vieillards qu'on voudrait soutenir, accompagner bien mieux que nous parvenons à le faire.

© Jacques Sassier
Je n'ai jamais vraiment connu Franck Venaille si ce n'est par l'intermédiaire de Micha son épouse, fidèle, attentive et indulgente lectrice de TraMeZziniMag, mais les livres du poète ont accompagnés bien des voyages du solitaire que je suis comme il le fut aussi, lui qui a toujours « marché dans la fêlure intime du monde ». 

Son écriture mélancolique et pure sied magnifiquement aux couleurs de Venise en hiver, surtout en ces temps malheureux où la nature semble vouloir s'acharner sur la ville. Ses ciels bas, ses eaux noires, comme le sont certainement les ciels et les eaux des Flandres d'où venait ce poète qui commença son dernier livre par cette phrase très belle : 
« Ensuite je suis parti à la recherche de mon enfance.»
Jolie parentèle d'avec l'auteur de la Recherche qui me donna l'envie de tout lire d'une traite L'Enfant rouge. J'ai découvert le poète par hasard en me plongeant dans C'est à dire publié par le Mercure de France qu'un ami m'avait donné. Je cherchais ce matin le livre que je n'ai plus trouvé. Il aura été emprunté et jamais ramené hélas. J'aurai aimé relire les pages consacrée à la lagune. L'ouvrage est difficile à trouver désormais. Venaille était plus triestin que vénitien. A cause d'Umberto Saba dont il partit retrouver les marques. Mais à Venise comme à Londres ou dans le Paris de son "Moi de onze ans", sa plume emporte et accompagne comme seule la plume des grands poètes sait le faire.  
Filippo de Pisis. Collection privée.
Il y a eu dans l'excellent En attendant Nadeau, cette revue littéraire en ligne - qui devrait être lue aux enfants des écoles pour leur apprendre à comprendre, à réfléchir et à aimer les Lettres -, un hommage au poète (ICI). Norbert Czarny y conseillait, bien mieux que je ne saurai le faire, la lecture des livres laissés par Venaille, « On lira cela et le reste, et tout ce qui a fait une œuvre, dans ce petit livre bleu qui rappelle la voix mélodieuse, grave et narquoise du dandy Venaille et de l’enfant qui ne le quittait pas.» C'était l'écho qu'il fallait pour que je reprenne mes vieux projets de livres d'artistes bilingues, pour donner à lire, comme avec la galerie que j'ai tenu pendant quelques années mon objectif était de donner à voir. Traduire Venaille en italien et le publier est une idée à laquelle je pense depuis longtemps, Le publier comme je souhaiterai publier le vénitien Mario Stefani ou Sandro Penna en français... Il y a une douce harmonie dans ce lignage que rejoint La Tour du Pin dans mon panthéon personnel. La collection trouverait ainsi son fil conducteur avec évidence. L'enfance, l'amour, la beauté et la simplicité...

27 novembre 2019

Ce qui est important à Venise c'est de toujours venir avec un projet

Quelle belle introduction que ces mots de l'écrivain-éditeur Robert de Laroche à une réflexion sur l'esprit du voyageur se rendant à Venise. Tramezzinimag s'identifie totalement à cet état d'esprit. 

Un projet, cela peut concerner tellement de choses. Le projet d'y écrire un livre, d'y faire de belles photographies, de vivre dans sa plénitude un amour, d'y retrouver des amis, de donner à voir les merveilles de cette ville unique au monde, de bien manger, de se reposer, de de trouver ou se retrouver aussi... L'essentiel est de sentir combien l'adéquation de notre âme avec la ville est importante. Jamais on ne revient indemne de cette rencontre magique avec la Sérénissime.

Ses blessures récentes, la crainte que nous avons tous, mêlée du secret espoir qu'une fois encore, Venise se relèvera et triomphera, tout doit nous inciter à prendre à bras le corps le combat qui doit être celui de tous, ses habitants, ses amoureux, ses visiteurs. Car il faut faire vite et ne pas baisser les bras. Nombreuses sont les organisations, locales ou internationales qui sont d'ores et déjà engagés dans la bataille qu'il faut mener contre des adversaires redoutables : la Nature en colère et le changement climatique, la cupidité de certains édiles, l'indifférence des politiques, les habitudes individualistes qui nous éloignent trop facilement du bien commun pour ne s'inquiéter jamais que de notre propre confort, de notre sécurité et de nos petits avantages.



Tramezzinimag a depuis longtemps repris à son compte cette idée que tout ce qui advient à Venise, ce qui est bon pour elle ou mauvais au contraire, a à voir avec l'humanité entière. Non pas tant ou pas seulement pour ses richesses artistiques et culturelles qui en font un élément unique et fondamental du patrimoine universel, mais parce que Venise est depuis sa naissance, un modèle.

Son organisation, ses codes, le mode de circulation des hommes et des marchandises, son génie de l'aménagement urbain, ses inventions techniques, son respect d'un environnement naturel pourtant hostile et difficile. Modèle aussi aujourd'hui, mais trop souvent d'une manière négative, avec l'inertie de son administration et les mauvais choix des décideurs et des politiques,  l'abandon des pratiques ancestrales de protection et d'entretien de la lagune et de la ville, la méconnaissance d'éléments fondamentaux pour sa survie. Tout à Venise peut être une leçon pour le reste de la planète. 

Les choix qu'il faut faire aujourd'hui seront déterminants pour l'avenir de Venise et des vénitiens. Ils le seront aussi pour l'Humanité. La superbe solidarité qui s'est déployée après les dernières inondations s'est montrée incroyablement efficace dans sa spontanéité et dans l'énergie déployée. L'aide d'organisations et d'associations locales et d'ailleurs, en plus de rasséréner les habitants sous le choc, a regonflé l'énergie de tous et tout le monde s'est mis au travail. Venise a montré au monde que le changement climatique n'était pas une invention de rêveurs et que notre survie, celle des créations artistiques parmi les plus grandes et géniales soudain mises en péril, dépendait désormais de notre bonne volonté, de notre réaction à l'impéritie des gouvernants et des administrations incapables d'anticiper, de prévoir et d'inventer de nouvelles solutions.

A notre humble niveau, il nous parait plus que jamais important d'inciter un tourisme réfléchi, responsable, utile à tous plutôt que ce tourisme de masse juste motivé par les gains qu'il génère pour de grosses sociétés de voyages et de croisières et ceux qui au passage touchent des gratifications. L'esprit du voyageur est fait d'amour et de respect, d'ouverture d'esprit et de disponibilité totale à l'autre, à son univers, à son mode de vivre et de penser. 

Et s'il faut appeler solennellement à renoncer à fouler le sol de la Sérénissime à certaines périodes, s'il faut se contraindre dans notre envie d'y venir, que celle-ci devra prendre une autre forme que les actuelles descentes dans la lagune par milliers, comme descendent les sauterelles sur les champs de la Judée dans les textes bibliques. 

Venise existe autant en vrai, au milieu de son éco-système, qu'en virtuel sur internet, au cinéma, dans les livres et les disques. 

Peut-être faut-il s'en imprégner, s'en contenter le plus souvent et réserver une visite à la Sérénissime seulement lorsqu'on a l'assurance de ne pas empiéter sur le quotidien de ses habitants, en petits groupes ou individuellement, avec respect et discrétion. 
Peut-être faut-il réguler autoritairement les interventions des voyagistes et la présence des camelots et des vendeurs de bimbeloterie néo-vénitienne Made in China. 
Peut-être faut-il imposer des quotas de visiteurs quotidien ? 
Peut-être faut-il favoriser les séjours d'études, inventer des séjours d'immersion dans la vie vénitienne, sa langue, sa culture ? 
Peut-être aussi faut-il démolir le pont qui relie la cité des doges au continent et ne garder que l'accès par voie ferroviaire et maritime ? 
Peut-être faut-il totalement interdire les Grandi Navi qui partent de Venise ou y font escale ? Peut-être faut-il concevoir une Vensie-bis ouverte à tous comme on a créé Lascaux-2 pour ne pas détruire Lascaux ? 
Peut-être faut-il organiser une gestion internationale de la ville avec un financement différent et un gouvernement autonome pour lui redonner une autonomie de mouvement protégé de la bureaucratie italienne et contrôlé financièrement par l'ONU ou le Conseil de l'Europe ?
Peut-être faut-il enfin écouter les spécialistes de son écosystème autant que ceux qui connaissent son histoire et son passé, et utiliser les méthodes ancestrales qui ont fait leurs preuves plutôt que de soit-disant miraculeuses solutions techniques coûteuses et sans garantie de fonctionnement ?



Mais, à notre niveau, humblement, garder en tête que venir à Venise passe par une réflexion et un projet clair qui doit demeurer compatible avec ce qu'elle est et ce qu'elle peut offrir. A Venise, il faut abandonner l'idée d'amener avec soi son mode de vie habituel, son rythme quotidien et les outils habituels. 

Comprendre que l'absence d'automobiles et donc de danger n'autorise pas pour autant de bivouaquer sur chaque pont pour avaler de la malbouffe de type Mc Donald ou kebab de dinde, en laissant derrière soi canettes et papiers gras, que l'étroitesse des rues ne permet pas d'avancer en groupe compact sans respect pour les habitants qui travaillent ou se rendent au marché ou à l'école, que s'entasser devant le pont des soupirs pour se photographier devant avec une perche et son téléphone ou au milieu du pont de l’Accademia sans jamais être capable de comprendre où l'on est vraiment et ce qu'il y a d'unique et de fort dans le paysage qui nous entoure devient un crime quand plusieurs milliers de gens à la fois agissent à l'identique. Ou, pour parler le langage que notre monde comprend mieux, cela a un coût terrible pour la ville...  Et plus clairement encore, c'est d'un autre paradigme dont il s'agit dans la relation que l'on doit bâtir avec l'idée de Venise. Question d'éducation et de compréhension.

Notre monde a cessé d'apprendre à ses enfants que le plus important est de comprendre afin de mieux agir et donc de mieux vivre. De savoir et pouvoir résister aussi quand cela devient nécessaire. Tout ce que nos gouvernants et nos financiers n'apprécient guère. Sans la compréhension, la personne reste sous tutelle, manipulable et corvéable... 

Et vous, amis lecteurs, qu'en dites-vous ?

20 novembre 2019

Appel solennel pour la sauvegarde de la basilique Saint Marc

© Joan Porcel
Le Comité Français pour la Sauvegarde de Venise lance une campagne de dons pour contribuer à la réparation des dégâts particulièrement préoccupants survenus dans la basilique San Marco lors des inondations de ces derniers jours. Le Consulat de France à Venise et l'Alliance Française sollicitent toutes les bonnes volontés en appelant au soutien de cette campagne. Voilà le message adressé par notre consul à Venise : 
Le 15 avril 2019, Notre Dame de Paris a brûlé et les dons ont afflué du monde entier. Le 12 novembre 2019, Venise est submergée et la Basllique Saint Marc gravement endommagée.
Le consulat honoraire de France à Venise, soutient l’initiative du Comité français pour la Sauvegarde de Venise et de l’Alliance française de Venise.
Vous pouvez adresser vos dons avec la mention SAN MARCO sur le compte indiqué dans le fichier joint.
N’hésitez pas à diffuser cet appel.
Un très grand merci.
Marie-Christine Jamet
TraMeZziniMag se joint à cet appel et demande solennellement à ses abonnés et à ses lecteurs de soutenir cette campagne. Vos dons, même infimes, contribuerons à sauvegarder un des fleurons de l'architecture mondiale, un monument unique que nous nous devons de préserver pour les générations futures, symbole de la Venise que nous souhaitons éternelle et qui a été douloureusement touchée des derniers jours. Montrons combien nous sommes solidaires des vénitiens par nos dons et nos messages de soutien.

Cliquer ICI pour lire l'appel du Comité. 1

19 novembre 2019

Et les vénitiens se mirent à prier (suite et fin)

Another Cloudy Day II. Michaël B. Pierce. © MBP Studio - M.B.Pierce
L'écrivain stambouliote Nedim Gürsel a écrit dans son magnifique ouvrage intitulé Les écrivains et leurs villes, une vérité qui peut paraître aller à l'encontre du penser de bien de ses confrères écrivains. "Je ne suis pas sûr que tout ait été dit sur Venise." Je me suis souvent interrogé sur la pertinence d'écrire encore sur elle. La crainte aussi parfois de tomber dans la prétention et la vanité qui nous pousserait à rejoindre les plus grands écrivains qui ont laissé des pages le plus souvent inoubliables, tellement parfaites et qui collent à l'esprit de Venise, qu'elles sont devenues des éléments constitutifs de la vision universelle que l'on a de la ville, autant de parcelles d'un inconscient collectif pareil à celui qui fait aimer et connaître New York ou Paris avec les mêmes couleurs, les mêmes sons et les mêmes attirances quelque soit notre proximité, notre connaissance de ces lieux. La force du mythe. Et le mythe, une seconde fois en l'espace de cinquante ans, est touché, maltraité non pas directement par la volonté des hommes mais par la nature que trop d'inepties, d'égoïsme et de nocives obsessions ont amenée à se révolter. Ce coup de semonce après tout est mérité.

Albrecht Dürer. Joachim and the Angel from the Life of the Virgin, 1504
De même, en paraphrasant l'auteur du délicieux roman Les Turbans de Venise, je ne suis pas sûr que tout ait été tenté pour sauver Venise. La laisser à la merci de la nature déchaînée, des politiciens et des financiers avides serait un crime contre la civilisation. Mais qu'auraient fait les vénitiens d'avant la chute de la République, avant que Buonaparte d'un trait de plume et par l'une de ses plus viles trahisons mette un terme à mille trois cent soixante seize ans d'histoire, de puissance et de gloire ? Autres temps, autres mœurs : avant même que de retrousser manches et chausses, ils se seraient mis à prier. L'étrange affaire pour l'homme moderne. Prier ! Une affaire de femmelette ou de fondamentaliste de tous poils, au mieux du folklore, de la superstition... Et pourtant, combien il apparait vide de sens ce monde qui a évacué toute dimension spirituelle au quotidien des hommes, qui récuse tout ce qui est religieux et qui pourtant aiderait à transcender le désespoir et la vacuité de tant d'existences qu'empoisonnent une artificielle quête du bonheur par la consommation, la course à l'argent, ne laissant le plus souvent qu'amertume et dépit.
 
Steeled, Judith Peck. Huile sur panneau.
C'est peu ou prou la réflexion que se faisait le lendemain de l'acqua alta qui a tant effrayé le monde,  Riccardo Roiter Rigoni, jeune et talentueux photographe vénitien, dans un texte émouvant que TramezziniMag vous présente ci-dessous :
"Du temps de la République, la Foi était une réalité publique à laquelle la Sérénissime fit appel à maintes reprises.

La République invoqua Dieu, le convoquant pour résoudre des épidémies incontrôlables et gardant foi en ses vœux : les basiliques du Redentore et de la Salute sont chaque jour devant nos yeux.

Maintenant, la Foi est de plus en plus reléguée à la sphère "privée", elle ne s’exprime plus que comme un murmure pour ne pas "déranger" ceux qui ont une autre sensibilité.

Nous ne faisons plus appel à Dieu parce que nous croyons avoir le contrôle sur tout, même lorsque les limites humaines apparaissent clairement.

Les marées exceptionnelles de ces derniers jours pourraient être l'occasion de réfléchir à nos faiblesses, à la précarité de ce qui nous entoure et à ce que nous avons fait de

notre société.

Tout cela pourrait nous inciter à prier, sachant bien que la prière ne trouble aucun esprit avec intelligence.

Ceux qui ne croient pas ne sont pas dérangés par ceux qui prient.

Ceux qui se sentent agacés parce que certains prient sont ceux qui haïssent la foi, quelle qu’elle soit, et la haine… n’est jamais une manifestation de l’intelligence.

Essayez de prier ... de demander une clémence météorologique, pour donner un répit à ces événements qui mettent à genoux Venise et les îles de la lagune.

Ou simplement ... prions pour que nous puissions être meilleurs et construire une société dans laquelle les mots seront suivis de faits et dans laquelle la politique ne sera pas l'occasion pour certains de s'enrichir d'une manière illicite, mais un chemin qui conduira au progrès et à l'amélioration de la vie pour tout le monde."
Pellestrina, le sanctuaire de la Madone de l'apparition.
Les habitants de la mince île face à la mer sont particulièrement attachés à ce lieu né après l’apparition de Marie en 1716. © Riccardo Roiter Rigoni.
Nul passéisme, ni prosélytisme donc dans nos propos. Juste une intuition. Unis dans l'action comme dans la méditation, les hommes sont invincibles. C'est la force de la foi quand elle est animée avant tout par l'amour et le respect. 

Prions donc et demandons humblement que la Providence une fois encore soit avec Venise et ses habitants. Que le temps se fasse clément et que ces eaux que le doge autrefois unissait à la Sérénissime dans de somptueuses épousailles se retirent et s'apaisent. Faisons éclater solennellement aux yeux du monde, notre foi et notre espérance, pour que Dieu chasse les méchants, guérisse nos plaies et protège la Sérénissime et tout ses habitants. Pour que la vie soit plus forte que la mort dans un monde de plus en plus régi par des pensées et des actions mortifères.
Evviva Venezia !















17 novembre 2019

Venise en danger : et les vénitiens se mirent à prier...(1)


"Et la lumière se divise à l'arc-en-ciel rompu des pleurs
Car nulle part comme à Venise on ne sait déchirer les fleurs
Nulle part le cœur ne se brise comme à Venise la douleur
Chante la beauté de Venise afin d'y taire tes malheurs"

Ces vers d'Aragon,  ils me viennent sur les lèvres à chaque fois qu'on évoque l'acqua alta et les risques qu'elle représente pour la Sérénissime, qu'elle blesse un peu plus à chacune des marées trop fortes et des tempêtes qui semblent devoir se produire bien plus souvent qu'avant. J'y songe aussi lorsque, les deux premiers jours de novembre, les bateaux pour San Michele, l'île des morts sont bondés et que leur silhouette alourdie par la foule de vénitiens qui se rendent sur la tombe des leurs, les bras chargés de fleurs. Il y a toujours quelque chose de pathétique dans cette vision. Une île lumineuse et noire où le blanc des pierres de l'église, le rouge des briques du mur d'enceinte et la masse obscure des cyprès se reflètent dans l'eau toujours agitée par les marées et le vent. 

Cette année, pour la première fois depuis longtemps, un pont flottant a été érigé qui permettait aux vénitiens de se rendre au campo santo comme en pèlerinage. Le pathétique demeure quand, sous un ciel bas et tristement grisâtre, les remous de l'eau d'un vert de vase, le vent glacé, on regardait toutes ces silhouettes avançant silencieusement vers l'île.

Rien en dépit du mauvais temps ne semblait présager que la Sérénissime allait frôler une catastrophe identique ou pire que celle de 1966. Rien n'annonçait encore l'immonde acqua granda de ces derniers jours. Rien ne laissait présager ce triste retour à une réalité que le monde ignore et que les vénitiens éloignent de leurs pensées.
La Chiesa di San Michele in isola. Huile de Roger de Montebello. © Roger de Montebello
L'union de l'esprit et du sensible
La terreur de sombrer est pourtant bien présente. A l'image du peuple chinois d'aujourd'hui que leurs maîtres ont choisi d'asservir avec un nouvel opium, l'argent à tout prix, dès le lendemain de la répression de 1989, les balles, les baïonnettes et les chars d'assaut, les emprisonnements - les vénitiens se sont un peu laissés porter pour la plupart. La protection de l'Unesco, la renommée universelle de leur ville, l'afflux de millions de portefeuilles en même temps que le chantier pharaonique du MOSE (1) qui allait protéger définitivement la lagune et ses îles du déluge et nous en sommes là. Novembre 2019, Venise n'est pas encore sûre de pouvoir être épargnée et définitivement coulée...

Ce fut hélas un joli rêve ce MOSE qui sauverait la lagune à tout jamais de l'invasion des eaux, car aujourd'hui, le barrage n'ayant jamais été terminé à ce jour (1), il semblerait que rien ne pourra arrêter les flots destructeurs, si une malheureuse conjonction de fortes marées, de vents violents et de fortes pluies déferlait sur la lagune, identique ou supérieure à cette acqua granda de 1966 qui faillit emporter l'essentiel de la cité des doges comme elle faillit détruire Florence et alerta le monde entier. De nombreux experts firent part de leur doute bien avant le début des travaux et les voix ne se sont jamais taries pour critiquer au mieux l'insuffisance du modèle choisi, au pire son inefficacité qui semble évidente. 

© open online. 17/11/19
Le philosophe Massimo Cacciari, lors maire de Venise, fut de ceux-là Carlo Giupponi, professeur d'économie de l'environnement à l'Université de Venise est clair : "Avec l'accélération du changement climatique, la capacité d'adaptation de la ville est mise à dure épreuve !". Répondant aux questions d'un journaliste, l'universitaire qui est aussi recteur de l’Université internationale de Venise de San Servolo, est un expert internationalement en science et gestion du changement climatique, il détaille ses objections qui laissent dubitatif :

Au fil des siècles, explique le professeur Giuponni à , dans sa chronique de ce jour sur le site de l'AGI, "Venise s’est toujours adaptée aux phénomènes naturels auxquels elle a été exposée, et notamment ce phénomène de montée du niveau de la lagune sur laquelle elle a été construite il y a plus de mille ans, mais maintenant, avec l’accélération des phénomènes, son adaptabilité est mise à rude épreuve et même le projet MOSE, pourtant conçu il y a moins de vingt ans ne sera pas capable de faire face aux changements climatiques actuels."

Déjà il y a 350 ans, l'ingénieur en hydraulique Benedetto Castelli, appelé par le doge à étudier les phénomènes de marée pour protéger Venise des hautes eaux, expliquait combien barrer la route aux fortes marées était une tâche difficile qui ne suffirait pas toujours. Auteur du fameux traité "De la mesure des eaux vives" - un ouvrage paru en 1628, qui initia la science hydraulique moderne -, il avait déclaré au sénat et au doge qu'il fallait s'en remettre à la nature plutôt qu'à croire pouvoir la contrer.
"Les vents seront toujours sourds, la mer sera constante dans son inconstance, les rivières seront très têtues..."
L'alluvion du 12 novembre avec ses 187 centimètres, presque aussi forte qu'en 1966 était-il exceptionnel ? demandait le journaliste. La réponse du professeur Giupponi est édifiante :
"Les événements extrêmes sont de plus en plus fréquents. La situation de ces derniers jours à Venise est similaire à celle qui a provoqué l'an dernier la tempête Vaia (qui, fin octobre, a frappé l'Italie, avec de graves dégâts en Vénétie, ndlr) : fortes précipitations associées à un fort vent de sirocco. Si, en mille ans, un phénomène comme celui-ci a pu se produire plusieurs fois, le fait que cela se produise deux années de suite est significatif. "
Au cours de la conversation chez lui à Venise, Carlo Giupponi montre la photo de la porte d'un édifice médiéval dont les marches se perdent dans l'eau du canal, soulignant la marque que la lagune a laissée sur le mur, au moins dix centimètres plus haut que le niveau de l'époque où le bâtiment a été construit. Mais qu'est ce que cela signifie ? interroge le journaliste :
"Ce la signifie qu'au-delà des données objectives que nous sommes capables de mesurer aujourd'hui, nous avons une idée de la hausse du niveau de l'eau et de la capacité d'adaptation de Venise à s'y adapter en comparant les images actuelles avec celles des peintures anciennes. Au cours des dernières décennies, l’eau a augmenté en moyenne de 5,6 millilitres par an. Au phénomène global d'élévation du niveau de la mer s'ajoutent à Venise des phénomènes naturels spécifiques à sa lagune ainsi que le résultat d'actions humaines, telles que l'excavation des canaux et l'exploitation de la nappe phréatique. La ville s’est toujours adaptée aux changements naturels, mais cette capacité a une limite : elle risque de ne plus pouvoir suivre l’accélération des phénomènes. "
 Sur la différence entre l'acqua alta de ces derniers jours et celle d’il y a 53 ans, il ajoute :
"Celle de 1966 était due à la superposition de deux marées combinées au Sirocco, ce qui était une combinaison très rare à l'époque. Maintenant, au lieu de cela, cette conjonction de différents facteurs se produit de plus en plus souvent, mettant à l'épreuve la capacité de Venise à faire face à l'urgence ".
Qu'en sera-t-il avec l'achèvement de Moïse, la situation sera-t-elle sous contrôle ?
"C’est un projet particulièrement rigide qui a été conçu dans un contexte environnemental différent d'aujourd'hui. Ainsi, il risque de ne pas pouvoir s'adapter aux changements en cours. En particulier, il ne prend pas suffisamment en compte le facteur vent qui accroit désormais l’effet du phénomène. De plus, les travaux effectués pour la construction du MOSE ont à leur tour provoqué un changement sur les marées affectant le Lido qui  sont maintenant plus rapides,  montent plus vite avec des courants plus forts. Tout cela rend beaucoup plus difficiles les prévisions dont la ville a besoin pour se préparer et se mettre à l'abri "
Les panneaux du MOSE

Pourquoi beaucoup de Vénitiens ne croient pas en l'efficacité du projet MOSE ?
"Les Vénitiens ont une dent contre le MOSE parce que ce projet a absorbé la plupart des fonds qui auraient normalement dû servir à assurer la propreté des canaux et à mettre en place tout ce qui aurait permis à la ville d'affronter l'acqua alta. Depuis une vingtaine d'années, l’entretien ordinaire des canaux financé jusqu'alors par les sommes versées à la suite de la Loi Spéciale adoptée juste après novembre 1966, n’est plus effectué."
En tant qu'expert du changement climatique, pensez-vous que nous pouvons encore être optimistes quant à l'avenir ? s'aventure à demander le journaliste.
"Tous les graphiques sur les phénomènes économiques, sociaux et même naturels montrent une accélération générale au cours des dernières décennies. Ce qui était valable dans le passé en terme de prévisions, n’est plus valable. Dans un tel contexte, si vous voulez être pessimiste, vous en toutes les raisons.
Mais si vous voulez rester optimiste, vous devez alors vous concentrer sur la définition de notre époque géologique, l'Anthropocène (NDT : voir note 3). Cela signifie que l'homme est l'un des principaux facteurs de l'évolution géologique et que notre capacité à contrôler les problèmes est plus grande que par le passé. D'un côté, nous avons créé ces problèmes, de l'autre nous ne sommes plus à leur merci. Nous avons donc besoin de plus de conscience et de responsabilité. Tout le monde peut faire sa part. D'une part, la science déclenche des alarmes, que le politique n'écoute généralement pas, car l'horizon temporel des scientifiques est trop long pour intéresser les politiciens qui se concentrent sur les prochaines élections.
Par ailleurs, pour cette même raison, les citoyens peuvent influer considérablement sur les choix des responsables politiques, dans la mesure où ils votent pour eux. Il existe un lien direct. C'est pourquoi le rôle de mouvements tels que les "Vendredis pour l'avenir" et la très critiquée Greta Thunberg me semble important. "

à suivre...






Remerciements à Francesca Venturi et à l'AGI.

1- Le MOSE (acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico) est un barrage mouvant qui permettra de fermer les ouvertures de la lagune sur l'Adriatique et devrait contenir les eaux des grandes marées. Depuis l'origine le projet est réputé inadapté et insuffisant au vu de la montée générale des eaux avec la fonte extrêmement rapide des glaciers et de la calotte glaciaire.

2- A l'image de nombreux projets souvent imposés par des politiciens alléchés par la manne financière pour leur parti ou pour leur profit personnel dont on découvre la trace un peu partout dans la péninsule.

3- L'Anthropocène est un néologisme construit à partir du grec ancien ἄνθρωπος (anthropos, être humain) et καινός (kainos, nouveau, suffixe relatif à une époque géologique), en référence à une nouvelle période où l'activité humaine est devenue la contrainte géologique dominante devant toutes les autres forces géologiques et naturelles qui avaient prévalu jusque-là. 

Selon Wikipedia, il s'agirait de "la période durant laquelle l'influence de l'être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu'elle est devenue une « force géologique » majeure capable de marquer la lithosphère. La période la plus récente de l'anthropocène est parfois dite la grande accélération, car de nombreux indicateurs y présentent des courbes de type exponentielle. [...] Les activités humaines ont la capacité de provoquer des modifications importantes de l'environnement terrestre, notamment via l'agriculture intensive et la surpêche, la déforestation et les forêts artificielles, les industries et les transports, l'évolution de la démographie et l'urbanisation, la fragmentation écologique, la réduction ou destruction des habitats, la pollution, non plus seulement ses formes locales et transitoires (ex : les marées noires) mais surtout des formes globalisées à caractère pérenne (composition atmosphérique ; omniprésence des microplastiques, pesticides et perturbateurs endocriniens ; etc.), l'augmentation exponentielle de la consommation et donc de l'extraction des ressources fossiles ou minérales (charbon, pétrole, gaz naturel, uranium, etc.), le changement de cycle de certains éléments (azote, phosphore, soufre), l'exploitation du nucléaire comme énergie ou comme arme, etc.


12 novembre 2019

Catastrophique acqua alta à Venise. Du jamais vu depuis 1966 !



Difficile de retenir son émotion devant les images qui nous sont parvenues de Venise aujourd'hui. Du jamais vu depuis 1966, le niveau de l'eau dépasse les 170 cm. Il y avait 187 cm lors de la tristement fameuse acqua grande de 1966 qui avait failli ruiner Venise. 

Pas d'école demain sur la lagune, plus de transports en commun et déjà de nombreux dégâts. la basilique San Marco submergée avec des dommages importants dans la crypte. Il est encore trop tôt pour savoir. Contrairement à une explosion ou à un tremblement de terre, les dégâts ne sont pas visible de suite avec l'acqua alta. l'eau va se retirer dès que le vent se calmera et que la marée descendra. Mais le sel lui restera. En séchant il fera éclater marbre et briques des soubassements de la basilique et les dommages peuvent être irrémédiables me disait un prêtre qui était il y a quelques heures en compagnie de Pier Paolo Campostrini, le procurateur de la basilique Une ville paralysée et des services de secours qui ne savent plus où donner de la tête. Mais comme toujours, la solidarité est active. Chacun a chaussé bottes et cuissardes pour aider ses voisins, protéger du mieux possible le rez-de-chaussée des immeubles et pomper l'eau qui se répand partout.

Toutes les personnes que nous avons eu au téléphone, choquées, en colère, tristes aussi, disaient la même chose : un spectacle épouvantable, les sirènes, un bruit inhabituel et cette masse d'eau qui se répand partout à toute vitesse, emportant tout sur son passage. De fortes bourrasques de vent qui poussent la marée vers la ville et empêchent l'eau de refluer, des coefficients élevés et l'acqua alta devient incontrôlable. Un homme est mort électrocuté dans sa maison à Pellestrina, les images sont atroces, l'émotion est grande.

Le maire Luigi Brugnaro est resté sur place toute la soirée, se rendant lui-même sur la piazza pour constater les dégâts. La voix cassée par l'émotion, il parle d'un désastre et de sa crainte des suites de cette forte marée. 
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Et il se trouve des touristes pour se faire photographier comme au spectacle. C'est justement ce qu'un vénitien trempé, agacé et très triste lança à un couple d'américains rigolards "Ce n'est pas un spectacle, espèce d'idiots, mais une catastrophe !" vient de me raconter une amie qui était témoin de la scène. "Questi stronzi non capiscono niente !" ("Ces connards ne comprennent rien !") (sic) a-t-elle ajouté hors d'elle... La Commune demande que l'inondation soit classée en catastrophe naturelle. "Nous sommes en train d'affronter une marée plus qu'exceptionnelle. Tout le monde est mobilisé pour gérer l'urgence", a tweeté le maire de Venise, "Demain, nous demanderons l'état de catastrophe naturelle parce que les coûts (des dégâts) seront probablement importants et nous nous attendons toujours à ce que le niveau de l'eau remonte", a-t-il ajouté.