07 avril 2006

COUPS DE CŒUR N°4

Harry's Dolci 

Giudecca 774
tel. 041-5208337
De l'autre côté des Zattere, à la Giudecca, se trouve l'un de mes lieux préférés. Les habitués de Venise qui me lisent connaissent certainement le Harry's Dolci. Situé juste après le pont de Sant'Eufemia, à deux pas de l'arrêt du vaporetto, Arrigo Cipriani avait choisi ce lieu pour en faire une sorte de pâtisserie-salon de thé d'où on pourrait contempler Venise depuis les fenêtres. C'est très vite devenu en fait un restaurant dont l'attrait principal - outre une excellente cuisine - est la merveilleuse terrasse. Les tables, dressées sous un velum blanc, avec une pelouse très verte, permettent dès le printemps de déjeuner dehors, aevc cette vue unique sur les Zattere, la pointe de la Douane et au loin, San Marco, avec les paquebots qui passent. Le service est efficace, discret et l'accueil extrêmement courtois. Qui que vous soyez, on vous accueille au Harry's Dolci, comme en face au Harry's : célèbre ou inconnu, le maître d'hôtel et les serveurs vous font la fête. Ce n'est pas jovial, c'est respectueux et courtois. Sans pesanteur. La nourriture servie est du même acabit, légère, raffinée, délicieuse. Le meilleur sandwich club du monde, un risotto primavera extraordinaire, les Filets de Saint Pierre à la Carlina, les pâtes aux écrevisses et aux courgettes. A la carte des desserts, un merveilleux gâteau au chocolat, des sabayons... Les enfants sont reçus comme des princes et, en été, lorsque les parents dégustent leur Bellini, les enfants seront très fiers de boire aussi leur cocktail, la même chose sans alcool, (jus de pêche fraîche et limonade). Les prix sont bien plus raisonnables que chez le grand frère légendaire de San Marco ! Dès les premiers rayons du soleil, il devient prudent de réserver. Si vous ne connaissez pas allez y déjeuner (dîner en été) et vous ne regretterez pas le déplacement.
Deux maisons plus loin, vers les mulini Stucky, se trouve la maison d'Arbit Blatas et de Regina Resnik. Leur nom est sur la sonnette, bien que très âgée, Regina vient encore parfois à Venise. N'hésitez-pas, si vous aimez l'opéra, si vous aimez la peinture, sonnez chez elle, de ma part. Elle vous recevra avec joie et vous parlera de sa longue carrière de diva, de metteur en scène. Elle vous racontera son combat pour la sauvegarde du Ghetto sur lequel elle a réalisé il y a quelques années un superbe documentaire. En rentrant chez vous, vous retrouverez sa voix divine dans Elektra ou dans Carmen.
posted by lorenzo at 23:07

05 avril 2006

Al Cucciolo, un tempo fa...

Quand j'habitais calle Navarro, au dernier étage de cette vieille maison de brique dont les fenêtres ouvraient sur les toits, avec le campanile de Santo Stefano comme décor, notre véritable salon, le lieu de tous nos rendez-vous était à deux pas, sur les Zattere. C'était le Cucciolo, un tout petit bar aujourd'hui disparu mais dont la terrasse existe toujours, devenue le restaurant de l'hotel La Calcina, celui-là même où vivait Ruskin. Le serveur nous connaissait bien et il savait quand notre bourse était pleine ou désespérément vide. Notre unité de compte était le café "macchiato". Bruno, qui devait avoir une cinquantaine d'années, déambulait, bougon et attentif, entre les tables remplies d'étudiants bavards, de vieilles dames pomponnées et de touristes, ceux du moins qui à l'époque s'aventuraient de ce côté des Zattere. Il nous portait les cafés, les toasts (alias croque-monsieur) ou les sandwichs, mais aussi le gianduiotto que nous avions proclamé être le meilleur de tout Venise. 
Au printemps, dès que le soleil se faisait plus ardent, filles et garçons venaient là pour bronzer. On voyait ainsi, à l'heure du déjeuner, des groupes de jeunes vénitiens les yeux fermés, vautrés sur leurs chaises, les pieds sur la rambarde de fer, et un éventail en aluminium devant eux sous le menton. Les filles relevaient leurs jupes, les chemises des garçons s'entrouvraient. Nous nous donnions toujours rendez-vous à cet endroit et comme tous les jeunes de tous les temps, nous refaisions le monde. J'y ai écrit mes premiers articles ( sur une Remington portable), j'y ai révisé mes examens, lu des livres essentiels qui ont compté pour moi. Je revois tous ceux que nous avions l'habitude de croiser sur cette terrasse, de mars à octobre...
Une année, revenu à Venise avec des amis, j'avais rendez-vous au Cucciolo avec quelqu'un qui m'est très cher et que je n'avais pas vu depuis quatre ou cinq ans. J'arrivais en avance. Le soleil de mai se reflétait sur l'eau de la Giudecca. La terrasse était presque vide. Je m'installais au bord de l'eau, comme autrefois. Soudain Bruno est arrivé, avec son grand tablier blanc et, comme s'il m'avait vu la veille, me lança avec la même familiarité que cinq ans plus tôt un "Ciao Lorenzo, un macchiato come di solito ?" ("salut, Laurent, un macchiato comme d'habitude ?)... Je n'étais jamais vraiment parti. J'étais stupéfait. Non seulement qu'il me reconnaisse, mais qu'il se souvienne de mes habitudes. Lorsque mon ami arriva, tout semblait être rentré dans l'ordre : Rien n'avait bougé. Nous étions certes plus âgés, la vie nous avait transformé, mais Venise était là, toujours identique au décor de notre flamboyante jeunesse. Quel réconfort. 
Hélas, à Venise aussi les choses ont une fin et le décor a été repeint. Le Cucciolo n'existe plus. Bruno doit être à la retraite, et c'est chez Nico, aujourd'hui que l'on s'attarde. Les glaces y sont merveilleuses, mais la terrasse est bien moins agréable que celle du Cucciolo, plus spacieuse mais moins tranquille. Très animée - un arrêt du vaporetto est juste à côté et les promeneurs venant de San Marco et de l'Accademia débouchent juste là... 
J'ai passé sur ce ponton de bois, sous les parasols bleus, d'inoubliables heures de farniente formateur. J'apprenais à vivre et à goûter la saveur d'un bonheur tranquille. Une des clés de mon amour pour Venise..
posted by lorenzo at 19:32

04 avril 2006

Le promeneur de Venise Par Mazarine Pingeot, Ida Barbarigo, le 22 décembre 2004.

Au-delà des opinions politiques, des mœurs et des philosophies, l'amour que d'autres portent à Venise, attire la sympathie. François Mitterrand aimait beaucoup la Sérénissime. Il y a passé son avant-dernier Noêl au Palais Balbi-Valier, la demeure de Zoran Music et d'Ida Barbarigo. J'ai découvert ce texte par hasard, envoyé par un ami magistrat italien. Il m'a beaucoup ému. François Mitterrand aimait l'Italie. Il avait bien compris Venise et s'y plaisait. Sa fille, Mazarine Pingeot était avec lui lors de ce dernier séjour. Elle a recueilli le témoignage d'Ida Barbarigo. Voici l'intégralité de ce texte : 

«Ida Barbarigo et Zoran Music sont les plus chers amis vénitiens de François Mitterrand. "Vénitien" n’est pas là un adjectif restrictif, mais qualitatif. François Mitterrand les voyait ailleurs, cela s’entend, à Paris ou à la campagne, mais ils portaient en eux où qu’ils soient, les couleurs, les parfums, l’âme de Venise. Les villes souvent se livrent grâce aux êtres qui les habitent. Et Ida comme Zoran incarnent mieux que quiconque l’esprit, la lumière, l’histoire de Venise. Il faut dire qu’ils sont peintres tous deux, qu’Ida vient d’une grande famille vénitienne, et que son appartement à Venise est un résumé de la ville, de son passé, de sa gloire et de sa mélancolie. C’est donc auprès d’elle que j’ai recueilli tout naturellement le témoignage de la relation intime que François Mitterrand entretenait avec Venise. Le Président François Mitterrand venait souvent à Venise. Il était heureux dès son arrivée, il souriait, tournait le regard autour de lui, à chaque fois surpris et enchanté par l’atmosphère souvent brumeuse et humide de la ville. L’air marin, le silence, le lent écoulement de l’eau dans les canaux ; au lieu de remparts, cette Venise offrait une imposante enfilade de palais bâtis directement sur l’eau. Il connaissait tout, désormais. Il pouvait faire part de son expérience des ruelles, ponts, places, monuments, musées et églises aux personnages que parfois, à cause de sa fonction, il était tenu de rencontrer. Et il en était assez fier. Mais ce qu’il aimait c’était passer des heures dans l’atelier, après avoir marché et visité ses lieux préférés - il prenait ses livres puis, assis sur son fauteuil près des fenêtres qui donnent sur le canal, il se renfermait dans son être. Le matin de bonne heure, il aimait faire une énergique promenade jusqu’à la pointe de la Salute, le long de la "fondamenta" qui longe le canal de la Giudecca. Il s’entretenait volontiers avec les personnes qui le reconnaissaient. D’ailleurs il y avait quelque chose en lui, dans son aspect (il avait un art d’arriver avec douceur et silence, comme une apparition) qui ne pouvait pas manquer d’être remarqué. Tous le regardaient, comme étonnés. Si par chance, parmi les passants il se trouvait des Français, il était au comble de la joie.» C’est avec une grâce et une gentillesse spéciale qu’il se laissait aborder, qu’il prêtait attention à leurs dires. Lorsqu’il s’agissait de petits groupes de jeunes Français, alors il entretenait des longues conversations, et il était parfaitement comblé. Car le Président Mitterrand à Venise devenait encore plus Français que lorsqu’il était à Paris. Loin d’être le "Vénitien" - il était et restait l’image, le condensé de la France. Il était clair qu’il aimait Venise car il en percevait toute la longue histoire, la force d’un État resté intouchable, libre, pendant un millénaire. Puis Venise s’était effondrée. Napoléon aida sa chute, et sa partielle destruction. Dans les églises il y a les monuments, les sépulcres, les statues des condottieri, des Doges. Venise laisse ainsi lire son histoire dans les tableaux, les architectures, les décors qui sont encore partout dans la ville. C’est cette lecture qu’il appréciait si fort. L’histoire des vicissitudes humaines, dans chaque petite parcelle de Venise. Il aimait à entrer dans les nefs solennelles des cathédrales. Il percevait l’enchantement des proportions parfaites des architectures, dans ces énormes espaces où règne l’harmonie, figurations de l’univers inconnu, et il y trouvait la paix, la dignité que la grande beauté peut inspirer.»

03 avril 2006

Itinéraires des Photographes Voyageurs

Pour les bordelais ou pour ceux qui vont venir en avril à Bordeaux, Nathalie Lamire-Fabre, la galeriste de Arrêt sur l'Image, propose à nouveau ce qui est devenu une manifestation très courue et fort appréciée des amateurs de photographies. Ses ITINÉRAIRES DES PHOTOGRAPHES VOYAGEURS revient avec avec le printemps et s'expose dans différents lieux de la ville.

Joli choix encore cette année. Il y a notamment Philippe Guionie, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler, du temps d'Arc-En-Ciel, ma petite société de conseil en communication aujourd'hui disparue (ce fut un beau petit outil qui me permit notamment de faire venir Venise à Bordeaux en 1985). 
Depuis 13 ans, le programme est composé d'expositions singulières : de la photographie humaniste classique à une photographie plus "contemporaine", l'association est animée par une volonté d'éclectisme. Cartier-Bresson, Max Pam, Jean Dieuzaide, Bernard Plossu, Raymond Depardon sont ainsi venus présenter leur travail. 
Comme le précise leur site :"L'association tient également à soutenir des artistes moins connus du grand public, notamment les jeunes artistes aquitains comme Sarah Caron, Christophe Goussard, Polo Garat, Jacques Sierpinski, Philippe Pons ou Stéphane Klein"…

"Un seul critère, la singularité des regards. La fidélité également est mise en exergue par l'association, celle avec nos partenaires (La Mairie de Bordeaux, le Gœthe Institut, l'Institut Cervantès, le consulat de Suisse, la bibliothèque municipale et les musées de Bordeaux, le Mercure Hôtel Bordeaux Château Chartrons, Fip..) et également avec des photographes et des professionnels de la photographie (l'association gens d'images…) qui nous soutiennent depuis plusieurs années.
Depuis 6 ans maintenant, " Itinéraires des photographes voyageurs " s'est associé à la société
Pixels et Grains d'Argent qui propose au public l'ensemble des outils de communication, un cd-rom catalogue de la manifestation, ainsi qu'un site Internet présentant l'intégralité des expositions et depuis cette année plus de 2500 photographies en ligne".


Photographie de © Philippe Guionie,
Amsara, Turquie. Droits Réservés.
posted by lorenzo at 12:40

L'image du jour

Giudecca
Zoran Music
Huile sur toile

Venise par Jacques-Louis Aubrun




Le batelier poussait d'un rythme gracieux
La gondole légère
Dont la proue argentée, aux bonds capricieux,
Scintillait.
.
Voguant de l'estuaire aux courbes du canal,
Trop rapides les heures,
Nous surprenaient frôlant dans quelque étroit chenal
De très sombres demeures
.
D'où nous croyions ouïr, surgissant du Passé,
De douces mélodies,
Où de sombres appels d'amoureux trépassés
Aux siècles des folies.
.
Jacques - Louis Aubrun
Venise, 1930
posted by lorenzo at 10:04

Comme un avant-goût, une promesse...

L'air frais ce matin, le chant des oiseaux (le coucou, les merles, les moineaux) qui répond au cri des mouettes. Cette lumière déjà dense avec le ciel très bleu. Les mille bruits de la vie quotidienne qui s'échappent par les fenêtres ouvertes. Un je ne sais quoi de pimpant et de paisible à la fois... C'est Venise le matin, au début du printemps. Il fera chaud et le ciel restera sans nuage. Un volet qui se lève, le fil du linge qui se grince un peu en se déployant, les oiseaux. le bruit des pas dans la rue. Une allemande qui parle au téléphone en marchant, un livreur qui sifflote et au loin, le ronronnement des moteurs. Puis, de nouveau, le silence... Non je ne suis pas encore à Venise, mais la sensation est la même ce matin, ici, à Bordeaux. Installé près de la fenêtre de mon bureau, j'écoute les oiseaux des jardins alentours. On dirait qu'ils s'essaient tous tour à tour, pressentant d'instinct que le printemps est enfin là pour de bon. Il y a peu de bruit, rien qu'une rumeur. chacun vaque à ses occupations. La lumière est splendide. Tout pareil qu'à Venise. hélas une voiture qui se gare vient rompre le charme. Dans dix jours, nous serons vénitiens. Cet avant goût ce matin, comme une promesse.
.
Cela me rappelle de vieux souvenirs. Lorsque mon père mourut, en 1980, nous habitions une vieille et grande maison, face au Jardin Public. Je ne savais plus quoi décider. Arrêter mes études ? Travailler ? Partir ? Je songeais à rentrer dans une communauté religieuse, je pensais devenir pasteur... Je voulais écrire mais il fallait manger. Et je savais bien qu'il nous faudrait vite quitter cette trop grande maison. De l'autre côté du Pavé (c'est le nom que nous avons toujours donné à ce joli cours où nous habitions alors, entre l'entrepôt Lainé et la statue de Jeanne d'Arc), un immeuble était en rénovation. La façade cachée par de grandes toiles semblait presque terminée. C'était un matin d'avril ou de mai, je ne sais plus très bien. Il faisait très beau. La lumière était un peu comme aujourd'hui, les oiseaux chantaient, le ciel était très bleu et je me lamentais, "Que dois-je faire ? Ou dois je diriger mes pas ?" 

J'allais déjà souvent en Italie et une ou deux fois par an à Venise, mais je n'avais jamais songé m'y installer. je rêvassais ainsi à la fenêtre quand soudain les ouvriers en face enlevèrent les bâches bleues. Des hommes s'affairaient à mi-étage, installant des enseignes. Lorsqu'ils retirèrent l'échafaudage, je vis, ô surprise, le lion de Saint Marc, l'aile déployée, la patte posée fièrement sur les Evangiles ! Cet immeuble allait devenir la direction régionale de la compagnie Generali Assicurazioni ! J'ai su aussitôt que ma destination serait Venise. Définitivement. Je pris ce hasard comme un signe. A la question que je venais de me poser, la magnifique enseigne de laiton doré apportait une réponse évidente. Venise me faisait signe et choisissait mon destin. Quinze jours plus tard, je débarquais sur le quai de la gare, à Santa Lucia. 

Quelques années plus tard, j'ai eu la chance de rencontrer François Mitterrand à Dorsoduro. Il était avec Ida Barbarigo, son amie vénitienne, épouse du peintre Zoran Music chez qui il logeait, et Claude Cheysson je crois. Comme il m'interrogeait sur ce qui m'avait guidé vers Venise, je lui racontais cette anecdote. ll la prit très au sérieux et me félicita en me disant qu'il fallait suivre les signes que la providence parfois nous adresse. "Trop souvent", me dit-il, "on refuse d'y croire et bien souvent, nous comprenons trop tard". Je n'ai jamais partagé les opinions politiques du président, mais je me suis toujours senti très proche de sa pensée philosophique et littéraire. Son amour pour Venise et son désir de créer une réelle politique italienne en France contrairement à tous ses prédécesseurs ne pouvaient cependant que me séduire. Et puis cette manière qu'il avait d'écouter, de se mouvoir et de vous parler. Un être hors du commun dans une ville extra-ordinaire, un matin de printemps sous un ciel très pur. Cela ne pouvait que marquer le jeune homme romantique et exalté que j'étais alors !
posted by lorenzo at 09:05

02 avril 2006

Ricordi di colore rosso

En 1984, j'ai changé d'appartement. Le petit studio tout revêtu de bois comme un chalet de montagne que Giuliano Graziussi, (le patron de la galerie que je venais de quitter) m'avait loué, sur la fondamenta delle Capucine avait abrité mon quotidien ( et celui de mon petit chat gris, Rosa) pendant presque deux ans. J'aménageais dans ce qui devait être mon dernier appartement d'étudiant, calle Navarro, à côté de chez l'Architecte de Michelis et à deux pas de chez Bobo Ferruzzi, à Dorsoduro. Je n'avais pas grand chose à déménager mais le "traslocho" posait problème. Davide, un jeune vénitien qui possédait avec son père  une petite entreprise de traslochi (déménagement), se proposa gentiment  de m'aider. C'était un ami de Federico Biasin, le jeune fils de Matilda Grinziato, celle-là même qui en m'embauchant - au noir - dans son auberge, m'avait permis de m'installer à Venise et orienta ainsi mon destin... 

La barque, plate et peinte en rouge, accosta vers 8 heures sur la Fondamenta devant la maison, à Cannareggio. Davide et moi avons chargé les meubles et les cartons. Rosa s'est installée à la proue, très fière et nous sommes partis, à travers les canaux. Puis il fallut décharger au bout de la calle, depuis le rio piccolo del Legname qui mène de la Giudecca au Grand Canal. Rien que de très banal en vérité. Mais déménager ainsi devient tout de suite une somme de poésie, une aventure. Un de ces moments dont on se souvient toujours. La gentillesse et l'empressement de Davide, le ronronnement du moteur à travers la ville, les odeurs et les reflets, les gens que l'on croise, le côté magique du déplacement en bateau à Venise... J'ai encore en bouche le goût du délicieux fragolino que nous bûmes au petit bar non loin de là, Davide et moi. C'était il y 22 ans...
posted by lorenzo at 21:13

30 mars 2006

Lucullus dînait chez Lucullus

Ceux qui me connaissent comme maintenant ceux qui me lisent depuis la naissance de TraMezZiniMag, savent combien cuisiner est pour moi un plaisir et recevoir un délice. Enfin presque. j'aime recevoir à dîner mes amis mais je suis toujours assez nerveux et excité tant je voudrais que le repas soit excellent et la soirée réussie. C'est pourquoi je m'affaire, je m'énerve un peu et je m'agite beaucoup. Le résultat est souvent convenable, le repas en général apprécié, la soirée fort conviviale mais j'en sors exténué. Ravi mais épuisé. 

En fait, ce n'est plus que de souvenirs dont je parle ici, car depuis cette séparation stupide qui a cassé notre vie d'avant, ma vie sociale est réduite à sa plus simple expression et, la grande maison vendue, les occasions de donner de grands dîners et de belles soirées ne se sont pas encore retrouvées. Sauf à Venise. En attendant, voici le menu du dernier grand repas vénitien que j'avais organisé dans notre chère vieille maison. Hommage à Casanova, il s'était prolongé par une petite soirée musicale où un ami vénitien très cher, émigré sur les rives de la Garonne parmi les vignes (et récemment heureux papa d'une mignonne petite bordelaise), interpréta ces airs que l'on entend la nuit sur le grand canal... Une bonne soirée, dans la lignée des festins entre amis de l'ami Fritz. Esprits chagrins, pas de commentaire. Les autres, à vos fourneaux, la fin du Carême approche.
Gamberi con le zucchine  
(Gambas aux courgettes)
Arrosto di Vitello Remedio con Polenta 
 (Rôti de veau Revigorant et Polenta)
peperonata del Redentore 
 (Poivronnade du Redempteur)
Insalata Mista 
(salade mélangée)
Zabayon all'arancia con crema Regina  
(Sabayon à l'orange et sa crème meringuée)

Les vins : des millésimes de chez Batasiolo (of course), sauf pour le blanc, un soave qui venait de Vénétie. Mon préféré, le Dolcetto d'Alba 1987, un très distingué Sovrana Barbera d'Alba 1985, et un inévitable Barolo millésimé 1996. Avec le dessert, j'avais servi leur délicieux Moscato d'Asti, vin blanc liquoreux très aromatisé, d'un raffinement extrême. Et pour accompagner les cigares, la délicieuse grappa Batasiolo, celle offerte par mon ami Fiorenzo Dogliani, l'actuel génie de l'Emporio Batasiolo, lors de son premier séjour chez nous. 

Je vais détailler les recettes au fur et à mesure dans les prochains billets. Les proportions que je donne sont pour 12. Pour un dîner à 6, il suffit donc de diviser en deux les proportions données. Elémentaire mon cher Watson. Ces plats présentés ici sont souvent issus de recettes traditionnelles glanées à droite et à gauche et notamment dans le super ouvrage "la cuisine de Casanova" de Jean Bernard Naudin, Catherine Tooesca, Leda Vigliardi Paravia et Lydia Fasoli (Editions du Chêne) et le livre de l'ami Jean Clauzel que je vous ai déjà recommandé. Il y a aussi "La cuisine des doges" beau et bien fait, avec de superbes illustrations et une préface de Alvise Zorzi. Mais je vous en ai déjà parlé (cf billet).
posted by lorenzo at 01:05

27 mars 2006

TraMezZiniMag galerie : Francis Jacques

Bon, je sais cela ne se fait pas. Désolé pour ces quelques jours de silence. Mais la grippe est passée par Bordeaux. Fièvre, maux de gorge, nez qui coule... Du fond de mon lit, j'ai pensé à quelques billets. Certains sont presque publiables, mais la fatigue l'a emporté (ou la paresse)... Merci à ceux qui m'ont adressé un mail, s'inquiétant de mon silence. En attendant les prochains articles, laissez-moi vous offrir quelques aquarelles de Francis Jacques, peintre blogueur, qui sait rendre avec délicatesse l'âme et les reflets de Venise.

posted by lorenzo at 23:39

24 mars 2006

COUPS DE CŒUR N°3

Abiti antichi e moderni dei Veneziani
par Doretta Davanzo Poli. 

Collection " Cultura popolare veneta" 
à l'initiative de la Fondazion Cini 
et de la Régione Veneto. 
 Editions Neri Pozza.
"Una specie di scialle, identificato come tale su oggetti archeologici ritrovati in area veneta, impone di iniziare la storia della moda a Venezia da molto lontano. Si tratta del fazuolo, detto in seguito cendale, ninzioletto, tonda, sial, termini tutti riferibili a un indumento similare, sistemato a ricoprire testa e spalle, che continuerà a ripresentarsi nel corso dei secoli come una sorta di filo conduttore nell’abbigliamento femminile veneziano".
C'est ainsi que commence l'ouvrage de Doretta, avec le châle, cet accessoire indispensable depuis toujours de la garde robe des vénitiennes, tous milieux confondus, un long périple historique sur la mode et les usages vestimentaires vénitiens de l'antiquité vénitienne à nos jours, riche de détails historiques et de curiosités. "Le propos est d'étudier les changements de la mode au cours des siècles, à Venise et sur la terre ferme", souligne Giancarlo Galan, l'actuel Président de la Région dans sa préface, "en mettant en évidence les données sociales et culturelles et en les comparant au contexte historique et économique dans lequel les différentes manières de s'habiller se sont développées"..."Depuis toujours lieu de rencontre et d'échange de culture, poursuit Galan, pont entre l'Orient et l'Occident, Venise reflète, même dans l'habillement, influences et tendances dépendantes des relations politiques et commerciales à un moment historique déterminé, réussissant en même temps à définir et conserver de nombreux traits d'originalité, tant dans la manière de se vêtir des classes des hautes sphères que dans les milieux populaires..."
Au VIe siècle, l'expansion de la culture orientale en Italie (en 257, le trône d'orient est occupé par Justinien, le dernier grand empereur romain) laisse des traces dans la manière de s'habiller des populations qui habitent les îles de la lagune - comme en témoignent les personnages peints sur les fresques de la basilique d'Aquilée - mais bien vite avec l'évolution des techniques de tissage, les artisans vont mêler à la tradition vestimentaire romaine des éléments originaux d'inspiration purement locale. Un élément par exemple apparait vite et va rester à travers les siècles en usage dans toutes les classes de la société : la fourrure. "même à l'intérieur des habitations, peu ou mal chauffée, des classes moyennes", raconte l'auteur, "on se protègeait du froid en revêtant plusieurs épaisseurs de vêtements dont l'un au moins était en tissu fourré. Les moins favorisés se contentaient de peaux de mouton, de chèvre ou de lapin (les plus pauvres portaient même des peaux de chien ou de chat), tandis que les riches portaient des peaux plus précieuses comme le veau, moins lourd et plus chaud. La fourrure (les poils) touours tournés vers l'intérieur". les poils de la fourrure portée vers l'extérieur sera seulement une nouveauté de la mode du XIXe siècle. Depuis à Venise, le manteau de fourrure, vison, renard ou zibeline reste très porté et la tradition dote les filles à leur majorité d'un manteau de vison comme chez nous d'un collier de perles...
A partir du XIIIe siècle, c'est l'affirmation définitive d'un art du tissage typiquement vénitien accompagné d'un mode de travailler la laine et la soie très particulier. La ville commence à mettre en place lois et règlements en matière de mode, notamment, comme toujours, pour limiter les excès. Le gouvernement de la Sérénissime sera contraint par exemple d'établir des ordonnances limitant le prix maximum pour la confection d'un habit. Un arrêt de février 1219 précise par exemple :"per un completo composto di gonnella, guarnacca e pelliccia, il costo è fissato in L. 12, sette per le prime due, 5 per la terza"("pour un complet composé d'une jupe, un haut garni et un fourrure, le coût est fixé à 12 livres, sept pour les deux premières pièces, 5 pour la troisième). Il va surtout réglementer le nombre de vêtements et la quantité de tissus précieux qu'il sera possible de posséder.
A cette période, la corporation des teinturiers ("I Tintori") va prendre beaucoup d'importance. La valeur d'une couleur au détriment d'une autre orientera les goûts, fera et défera les modes pendant plusieurs siècles.
C'est aussi à cette époque que sera introduit un accessoire fondamental et révolutionnaire : le bouton. Jusqu'alors le vêtement était plus ou moins élaboré, il n'en demeurait pas moins une sorte de tunique portée par l'homme comme par la femme. Avec le bouton, le vêtement adhère mieux au corps, ce petit accessoire ingénieux va rendre possible une utilisation différente des étoffes. Cette ouverture permettra, au siècle suivant, la différenciation totale de la mode masculine de celle réservée aux femmes.
Puis viendra la bourse, tant pour les hommes que pour les femmes : de cuir ou d'étoffe, décorée ou brodée "Accrochée à la ceinture dont elle semble un simple ornement ou son prolongement, par des liens, des rubans, des noeuds ou des chaînettes" explique l'auteur,"pendantes et bien en vue, ce sera vite la proie facile des voleurs munis de ciseaux qui suffisent pour couper les liens et s'en emparer : le terme de tagliaborse (taille-bourse) servira vite à qualifier ce genre de voleurs..."
Au XVe siècle, Venise va exprimer toute son originalité dans le secteur de l'habillement. Du côté des hommes on ré-introduit la toge, sorte de sur-veste à usage professionnel que la Sérénissime va rendre obligatoire. Pour les femmes, il y aura ces manches bouffantes attachées aux épaules et interchangeables. C'est pendant cette période qu'apparaissent des étoffes tellement précieuses qu'elles seront acceptées par le sprêteurs à gage et se retrouveront dans les contrats de mariage... Brodées d'or et d'argent, décorées de motifs végétaux somptueux, ces tissus démontrent le très haut niveau de savoir-faire des tisserands vénitiens.
Au XVIe siècle se développe la dentelle avec ce fameux point tellement fin (que l'on pratique encore - de moins en moins - à Burano). Au XVIIème siècle ce sont ces fameuses chaussures (échasses plutôt) dont je vous parlais il y a quelques jours. On arriva à des semelles tellement hautes qu'il fallait aux élégantes l'aide de deux personnes pour tenir debout et marcher... Des tas d'extravagances vont apparaître, de l'ampleur, du volume pour mettre en valeur la beauté des étoffes précieuses.. On va inventer des couleurs toujours plus belles, des rayures, des fleurs brodées ou tissées... Jabots de dentelles, camisoles et voiles, capes et manteaux, tricornes et autres accessoires typiques comme ceux qu'on peut admirer dans les tableaux de Longhi sont décrits en détail dans le livre de Madame Davanzo Poli, jusqu'aux plus petits détails y compris les artifices camouflés sous les vêtements féminins pour mettre en valeur le corps (paniers sous les jupes, cercles pour tenir le bas des robes faits en cartilage de baleines ou en plumes).
Après la chute de la République, pendant l'occupation française puis autrichienne, rien ne change vraiment sauf l'arrivée des pantalons longs pour remplacer la culotte ancien-régime, véritable révolution puisque ce vêtement masculin était porté à venise depuis la Renaissance par les prolétaires les plus pauvres et mis à la mode par les révolutionnaires parisiens et qui nous a amené à l'habillement moderne.
Les temps modernes ne sont pas oubliés dans ce livre avec les créations de Mariano Fortuny, espagnol de naissance mais vénitien d'adoption, dont quelques belles pièces sont visibles au Palais Fortuny que je vous recommande. Il vient d'être rénové mais conserve l'atmosphère belle époque et très esthétique mise en place par l'artiste lui-même. Artiste éclectique, il ouvrit en 1906 un laboratoire d'impressions sur étoffes, velours et taffetas, qu'il teintait lui-même puis imprimait selon un procédé de son invention, dérivé de la technique des "Katagami" japonais. Eleonora Duse, Sarah Bernhardt, Isadora Duncan et Ilda Rubistein seront ses clientes et ses meilleures ambassadrices.
Vénitienne authentique, Giuliana di Camerino, aujourd'hui disparue, illustre la deuxième partie du XXeme siècle. Son label "Roberta di Camerino", signature apposée sur de magnifiques accessoires, sacs et ceintures de velours polychromes avec des motifs en trompe-l'oeil, (que la jet-set des années 60 s'arrachait après que Grace Kelly, lors de son arrivée à Monaco, se présenta avec un de ses modèles) continue d'avoir beaucoup de succès en Italie comme dans le monde entier avec des foulards et des vêtements que Giuliana lança avec beaucoup de professionnalisme. J'ai participé chez Graziussi à l'édition d'un portfolio de ses dessins. C'était une garnde dame. Et puis, il y a Fiorella Mancini et ses créations psychédéliques (les mannequins femmes à tête de doges barbus, c'est elle), les tissus et vêtements de Norelène (Hélène et Nora , la femme et la fille de Bobbo Ferruzzi)... Un livre passionnant.
posted by lorenzo at 00:02

21 mars 2006

Buona Primavera a tutti !

21 mars : C'est le printemps ! Enfin.
Ne sentez-vous pas dans l'air quelque chose de différent ? Il fait jour plus tôt et les oiseaux chantent plus forts. Les odeurs, les bruits se font plus présents et dans le regard des passants, une petite lueur parfois qui attire la bienveillance. Il fait doux maintenant sur la lagune. La lumière va se faire chaque jour un peu plus dense. "Bientôt, par un beau matin clair, nous verrons éclore la première fleur de notre magnolia"...
Quand je vivais à Venise, nous avions pris l'habitude de fêter le retour du printemps. Nous laissions tout ce jour-là. Pas de cours, pas de devoirs, pas de recherches à la Querini Stampalia. Nous allions chaque années dans un lieu différent célébrer la saison du renouveau. Avec un pique nique, des livres de poésie, de la musique. Ce fut Torcello bien évidemment, qui livre toute la beauté de ses espaces abandonnés dans ces journées juste après l'hiver. Ce fut le romantique cimetière juif du Lido où Byron composa quelques vers, San Francesco del deserto, accueillis par les moines avec un délicieux vin blanc et une tarte aux pommes, ce furent aussi des îlots déserts du fond de la lagune. Une année, la nature nous a offert le plus beau des spectacles : naviguant au milieu des eaux, nous avons vu, très nettement les montagnes enneigées sous un ciel bleu d'azur servant de décor à la Sérénissime qui n'avait jamais à nos yeux mieux mérité son nom que ce jour là. Mais je me répète, je vos ai déjà parlé de ces moments magiques où le décor est tel que le cartographe allemand du XIIIe siècle l'avait décrit dans ce beau plan de Venise dont l'original est conservé à la Marciana et qui me servit, en 1985, pour illustrer l'affiche de notre "Première Semaine de Venise à Bordeaux"
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19 mars 2006

Une ile méconnue de la lagune: San Cristoforo della Pace


Elle n'a pas vraiment disparue cette île mystérieuse dont personne ne parle plus jamais. Elle n'est sur aucune carte et pourtant elle y figure. San Cristoforo della Pace a reçu Silvio Pellico et abrite aujourd'hui des personnalités célèbres comme Diaghilev, Stravinsky, Ezra Pound, Joseph Brodsky, la reine Aspasie de Grèce, et tant d'autres... 

C'est par la volonté de Napoléon qu'elle fut effacée des mémoires. Réunie à l'île de San Michele (pour ceux qui ne le savent pas, l'actuel cimetière de Venise) en 1836 par le comblement du canal qui séparait les deux île, on la dit disparue, car elle n'est plus dans l'esprit des vénitiens que "San Michele, l'île des morts"... A l'époque où Bonaparte prit sa décision, San Cristoforo était habitée et servait de lieu de détention pour les prisonniers de la République qui après les piombi (les prisons du Palais des doges) devait continuer de purger leur peine. Il faut savoir que San Michele, appelée autrefois "cavan de Muran" est en fait la partie la plus proche de Murano
posted by lorenzo at 00:31

18 mars 2006

Mélanges...

Il y a tout au fond de Venise des endroits incroyables. Hugo Pratt en connaissait beaucoup, certains n'existent que pour les véritables amoureux de la ville. ceux qui savent voir avec leur coeur. Comme en rêve. En vrac, quelques uns de ces lieux incroyables et puis des bribes de souvenirs, esprit d'escalier...
 
Lorsque j'étais étudiant à San Sebastiano (c'était alors la faculté de Lettres, où je terminais mon cursus d'histoire des Arts, travaillant "la peinture du trecento, interprétation et réminiscence des splendeurs païennes"), j'allais souvent me promener dans un quartier retiré, loin derrière les derniers endroits habités. Il y avait une maison entourée de murs avec de hauts grillages. Là, un vieil homme au visage buriné comme un vieux loup de mer, vivait au milieu de ses chats mais aussi d'une demi douzaine de singes en semi-liberté...A Castello un vieux perroquet chantait Bella Ciao et la Marseillaise au fond d'un bar un peu sale... 
our une scène de Fellini matinée de Pasolini. c'était le milieu du jour. Il faisait beau et doux. Soudain les rues furent envahies d'une foule de gens bizarres, certains parlaient fort, d'autres chantonnaient, il y en avait des tres vieux d'autres plus jeunes. Ils semblaient sortirt d'un rêve ou d'un cauchemar. Leur visage était effrayant, souvent hilare. C'étaient les fous de l'asile de San Clemente que la loi italienne venait de libérer. Ils déambulaient pour la première fois en toute liberté dans les rues de la ville... J'étais sur la Lista di Spagna avec la femme du Consul de Grèce, une espagnole exubérante qui était venue avec moi voir les stands des marchands de livres d'occasions qu'on trouvait alors près des Santi Apostoli. On aurait dit une scène de Fellini... 

Une autre fois, un matin d'hiver, un jeune suédois, splendide athlète blond au corps trop musclé, pas très grand, fut pris d'une crise de démence. Il neigeait un peu et la température devait avoisiner les 0°. Il sortit de l'auberge complètement nu présentant son anatomie à tous les passants et délirant dans sa langue. J'ai su plus tard qu'il déclamait des vers de Shakespeare en suédois... Il lisait Castaneda toute la journée, fumait beaucoup et son sourire était bizarre... Ce jour-là, il se serait jeté dans le grand canal, pour nager comme Byron le fit, si des policiers ne l'avaient interpellé à temps. Il fit une cure de sommeil et lorsqu'il revint à l'auberge, confus et intimidé, c'était un tout autre personnage, poli, pudique, rougissant encore de ce qu'il avait fait et qu'on lui avait raconté. Il n'avait aucun souvenir de cette bouffée délirante...

Tant d'autres choses encore... 
Je me revois au Palais Clari, un 14 juillet vaporisant de l'eau d'Evian sur les canapés et les petits fours de la réception du consul, tellement il faisait chaud et je me souviens du dernier plateau aspergé d'engrais pour les plantes vertes par mégarde, celui qui fut présenté aux autorités civiles, religieuses et militaires de la ville sans que personne ne semble y trouver à redire. Foie gras et saumon fumé arrosé à l'engrais horticole... 
Je me souviens de mes razzias dans les réserves du consulat lorsque je n'avais plus d'argent pour m'acheter à manger. Je repartais, grâce à Agnès - et la bénédiction du consul son père, qui fermait les yeux - les bras remplis de conserves, de sardines à l'huile, de pâtes, de fromage, de chocolat de pâté, de saucisson et de jus de fruit sous le regard du président Mitterrand dont le portrait officiel, placé juste au-dessus du bureau du Consul, regardait avec insistance et une moue à la Mona Lisa, la porte d'entrée. Je ne voyais que lui en sortant de la grande salle pour reprendre l'ascenseur qui menait au rez-de-chaussée. C'était assis devant lui que j'appelais ma mère... Et l'Ile de France, le mostoscafo du consulat, le seul à avoir l'autorisation de battre pavillon étranger, par un vieux privilège datant de l'ancienne république. Et le terrain de foot, au milieu des ruines d'un bâtiment de l'occupation autrichienne derrière l'arsenal où de curieux personnages vous épiaient et disparaissaient aussitôt... 
Je vous raconterai cela aussi....
posted by lorenzo at 00:14

16 mars 2006

Primavera Veneziana

Le printemps s'approche. Il y a comme du renouveau dans l'air. Les parfums se font plus présents et les bruits plus intenses. Comme un bourdonnement diffus. Les matins seront moins brumeux sur la lagune. La lumière moins opaque. On verra à l'horizon, se dessiner clairement les montagnes toujours enneigées. Dans la fraîcheur de l'aube, les couleurs vont resplendir, éclairant la ville d'un halo de plus en plus clair au fur et à mesure que les pierres se réchaufferont. Ah, le parfum des briques inondées de soleil qui se mêle à celui si caractéristique de la mer. Les sirènes des bateaux, le cri des oiseaux, et les cloches qui sonnent... C'est tout cela Venise, le matin, au Printemps... 
posted by lorenzo at 00:27

13 mars 2006

Venise, précurseur du monde moderne ?

Plus je découvre l'histoire de la République de Venise, plus je me rend compte combien elle a pu, en bien comme en mal, inventer le progrès. Elle a été à elle seule l'un des piliers du monde moderne. Ce peuple de réfugiés a bâti au fil des siècles une civilisation, miroir de l'Occident contemporain. 

La cassure imposée par l'imposteur corse, si elle a effectivement brisé la nuque à un animal depuis longtemps blessé, n'a pas détruit les fondements de ce qui peut être un modèle ou du moins une référence. Le passé de la Sérénissime nous donne bien des leçons d'économie, de politique, de diplomatie. Des directions à ne pas suivre, d'autres vers lesquelles l'Europe devrait s'engouffrer. En lisant Mary McCarthy (1912-1989), j'ai glané ces quelques lignes qui illustrent parfaitement, avec quelques anecdotes, cet état unique. Non, Venise n'est pas figée dans la nostalgie de sa grandeur passée. Sa place unique parmi les élaborations humaines, ne se limite pas à quelques jolis monuments préservés par une situation géographique privilégiée ; elle est bien plus que cela. Elle a expérimenté, aussi loin que l'époque le permettait, les méthodes, les moyens et les idées les plus modernes. Certains Etats modernes n'utilisent-ils pas encore certains procédés qui font froid dans le dos et que le Sénat de la république avait érigé en méthode de gouvernement ? Notre économie a-t-elle d'autres théories que celles déjà en vigueur du temps des Doges ?
"Les vénitiens inventèrent l'impôt sur le revenu, les statistiques, le flottement des valeurs d’État, la censure sur les livres, la délation anonyme (la Bocca del Leone), le casino et le ghetto. En 1504, Venise soumettait au Sultan le projet du canal de Suez. Ils étaient à l'écoute des nouvelles inventions et découvertes, et prompts à en saisir les applications pratiques. L'information parvenant à Venise, en 1498, que l'expédition de Vasco de Gama avait doublé le cap de Bonne Espérance, la ville toute entière comprit que c'était là une mauvaise nouvelle pour son commerce : "La pire nouvelle que nous eussions jamais pu recevoir." L'invention hollandaise du télescope, en 1608, était connue de Venise avant la fin de cette même année. En 1610, on en essayait un sur le Campanile, et un escroc vénitien réussit à en revendre un autre - mais faux, fait de simple verre - au grand-duc de Toscane.
[...] En 1649, un médecin vénitien, Salamon, anticipait sur la guerre bactériologique en concoctant un sérum contenant des germes de peste, destiné à la guerre contre la Turquie. Il devait se répandre dans le camp ennemi par l'intermédiaire de vêtements, du type de ceux que les turcs achètent volontiers - des fez albanais, en l’occurrence. "Ce projet est au nom de la vertu", écrivait un provveditore vénitien de Zadar aux Inquisiteurs. "Cependant, il est... inhabituel, et peut-être contraire à la morale publique.Mais... dans le cas des Turcs, ennemis de notre foi, fourbes de nature, qui ont toujours trahi Vos Excellences, à mon humble avis, les considérations ordinaires sont de peu de poids." La proposition intéressa les Dix qui, afin d'être certains de garder pour eux seuls le médecin et sa cruche de sérum de peste, les enfermèrent tous deux en prison. En fait, il semblerait que le poison ne fut jamais utilisé, peut-être parce que les germes s'étaient éventés - constatation effectuée sur le contenu du placard à poisons du Palais des Doges lorsqu'il fut inventorié, au XVIIIe siècle. Les Dix étaient toujours prêts à écouter toute personne ingénieuse proposant un plan infaillible.
[...] Les altane, terrasses posées sur le toit, aujourd'hui essentiellement utilisées pour étendre le linge, sont une invention vénitienne en matière de beauté. Les dames vénitiennes avaient pour habitude d'imbiber leur chevelure d'une potion chimique, puis de s'installer sur leur altana, construite à cet effet, couronnées de chapeaux sans fond, et les cheveux largement étalés sur les bords, de manière à blondir en séchant au soleil. D'où les chevelures dorées de la peinture vénitienne. Un peu de cette blondeur semble subsister, car si les Vénitiennes d'aujourd'hui ne sont pas blondes pour la plupart, elles ne sont pas brunes non plus mais châtain foncé, avec des reflets blonds. Elles ont également gardé cette peau blanche que protégeait le large bord des chapeaux.
[...] Venise inaugura le commerce du miroir par l'intermédiaire des fabriques de verre de Murano, et garda le monopole de cet art pendant plus d'un siècle, au temps de la Renaissance. Tout miroitier qui transportait son savoir-faire dans un état étranger pouvait voir ses proches emprisonnés, tandis que des agents vénitiens avaient pour ordre de le tuer sans sommation. Au XVIIe siècle encore, Colbert, ministre de Louis XIV, utilisa le poison et les femmes pour retenir en France certains miroitiers vénitiens. A sa mort, un miroir de Venise mesurant un mètre sur soixante-quinze centimètres, retrouvé parmi ses effets, fut évalué à près de trois fois le prix d'un Raphaël.
[...]Les Zoccoli, ces étranges chaussures, sortes de mules sur piédestal, se développèrent à Venise. Destinées à l'origine, à protéger les pieds de la boue, elles devinrent une des merveilles vénitiennes grâce à la hauteur à laquelle le sporta la passion de la mode ; une paire, gardée au musée Correr, mesure cinquante centimètres de haut. Les femmes semblaient alors évoluer sur des échasses brochées, constellées de bijoux. On pense qu'elles ont également contribué au respect de la vertu matrimoniale jusqu'à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, car une dame ne pouvait sortir ainsi sans deux servantes pour la maintenir debout. "Des souliers ordinaires seraient certainement plus pratiques", déclara le doge au cours d'une conversation avec l'ambassadeur de France. "Oui, beaucoup, beaucoup trop pratique", intervint un de ses conseillers. C'est ainsi qu'à Venise, la mode elle-même se voyait conférer un rôle utilitaire.
[...] Mais la plus merveilleuse invention de Venise ( celle de la peinture de chevalet - n'eut d'autre objectif que le plaisir. Jusqu'à Giorgione, la peinture avait une fonction utilitaire : glorification de Dieu et des saints, glorification de l'Etat (dans les scènes historiques) ou de l'individu (dans les portraits). Giorgione fut le premier à produire des tableaux pour le simple plaisir, pour créer une ambiance agréable, ainsi que l'exprime Berenson. C'étaient là des toiles destinées aux gentilshommes, faite pour la maison, deux notions nouvelles qui reposaient sur une nouvelle donnée : les loisirs..."
posted by lorenzo at 14:43

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posted by lorenzo at 13:24

12 mars 2006

Les Funzioni di Venezia de Gabriel Bella




Gabriel Bella
La Festa del 2 Febbraio a Santa Maria Formosa 
Feste Che Si Sogliono Fare Per La Città Della Caccia Del Toro Amazzar La Gatta Col Capo Raso Pigliar L'Anadre Pigliar L'Occa Nell'Asqua Et Altro

(entre 1779 et 1792)
Ce joli tableau fait partie de la série "Funzioni di Venezia" de la collection Querini-Stampalia (presque une centaine de toiles). J'ai eu le privilège de le voir de très près quand il était en restauration chez Ferrucio et Serafino Volpin, à la fin des années 80. Il restitue avec des altérations de la réalité topographique (le palais à gauche avec les armoiries, est le Querini-Stampalia situé à 180° de son emplacement réel), une des fêtes vénitiennes les plus populaires dont l'origine remontait à ce fameux épisode du rapt des vierges par les pirates triestins dont j'ai parlé dans un billet de février. 

On voit sur le même plan des scènes qui ne se déroulaient pas en même temps : A gauche, sur des tréteaux le jeu "amazzar la gatta" (cruauté qui ferait bondir Brigitte Bardot et la S.P.A.) qui consistait à tuer une chatte à coup de tête (!), à droite, c'est le Jeu de l'Oie qui devait être attrapée par le cou au-dessus de l'eau. Au fond, il y a un mât de cocagne enduit de graisse avec en haut deux canards gras, derrière, devant le palais Priuli, une sorte de corrida et enfin, au centre, une scène de Commedia ou une furlana, cette danse très populaire que l'on a pu voir cette année au carnaval, et un conteur-montreur d'ours . 
posted by lorenzo at 23:31

11 mars 2006

Venise, fermentation sublime

Extrait du Journal d'un jeune homme rêveur... 
Printemps 1983...

3 avril.
Nettoyage de mon petit taudis. Je lis Delteil. Sur le fleuve Amour au soleil des Zattere. Agnès n'est pas là. J'avais il est vrai plus de trente minutes de retard. Il faisait si doux déambuler dans les rues que je me suis perdu.
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4 avril.
Longue promenade à Castello, jusqu'à San Pietro. Silence de ces lieux éloignés de la foule de veaux. Comme un autre monde. Les deux femmes sur le pas de la porte, presque au bord de l'eau qui pelaient des légumes pour la minestra, une petite fille jouant à leurs pieds avec les épluchures, le campo aux herbes hautes et le fond de ce décor, la basilique blanche et l'ancien palais épiscopal, le campanile. Une scène de théâtre pour une scène de Goldoni...
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5 avril.
A Venise, j'ai découvert mon âme... Cette exigence désespérée, ce refus de l'opacité adulte, cet amour et cette haine de la vie, cette obsession du beau... C'est à Venise que je dois cela...
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Deux ans déjà... Deux années passées ici, calle dell'Aseo, Cannaregio, à deux pas du ghetto. Rien ne change, tout continue... L'âge semble n'avoir pas de prise sur moi. Ce n'est pas que je sois moins vulnérable que les autres. J'ai moi aussi mes blessures. La différence est que ces plaies, je les aime, je les entretiens, je les guette pour en faire des phrases. Assurément cela me perdra un jour, mais jusqu'à présent, c'est ce qui m'a sauvé... Cela aussi je le dois à Venise...
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Vendredi 13.
Joie de cette Venise tranquille. Loin des touristes : campo San Lorenzo. Assis sur la margelle du puits, j'écoute deux petites filles qui bavardent et refont déjà le monde. Le ciel est presque blanc. Des oiseaux chantent. Ici, on respire. Joie aussi de ce matin avec les merles dans le jardin et le rayon de soleil sur les feuilles qui viennent de naître.
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Il y a si peu de verdure à Venise, que tout morceau de nature devient paradis à nos yeux. La charmille du café del Paradiso à Castello est un lieu unique : le bassin de Saint Marc devant les yeux, les arbres du jardin de la Biennale comme un mur, et cette glycine en fleur sous laquelle je lis Tacite en savourant un croque-monsieur et un café macchiato...
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Joie aussi de cette promenade sur le Brentà. Visite de la villa Pisani à Strà. Le labyrinthe, les fabriques, les pêchers en fleur. Les jasmins. Comme une fête.
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Samedi 14 avril.
Sur le campo Sta Maria Formosa, au-dessus du café de l'horloge, la maison de Sebastiano Venier, le vainqueur de Lépante. La naissance du monde moderne et de ses errements.
"Je n'ai pas une larme et mon coeur se tait" (Princesse Thurn und Taxis devant les ruines de Duino où Rilke composa ses élégies).
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Journée vraiment printanière. Soleil de plomb.
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La Biasin m'accapare un (long) moment. Elle s'inquiète pour son mari malade, ce qui la rend aimable. Après l'avoir aidé à l'auberge, je cours rejoindre Agnès pour déjeuner au Palais. Atmosphère tranquille du Palais Clari. Un hâvre de paix et de fraîcheur. Dehors un soleil presque trop chaud.
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Café avec Laure de S. et son amie Mirabelle. Jeunes et délicieuses petites parisiennes. Laure m'a envoûté... Une ravissante petite nymphe à peine sortie du monde de l'enfance, blonde les yeux verts. Beauté et innocence avisée. Ah si j'étais plus jeune !
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Après un long moment au Cucciolo en compagnie des trois filles (Laure a attrappé une insolation), conférence à l'Alliance Française. Madame Couvreux-Rouché reçoit un fâcheux prétentieux qui ose parler (mal) de Rilke et Venise. Archinul. Diapositives mal synchronisées de mauvaise qualité... Bref l'ennui. Vu le vice-consul Dillemann et le Duc Decazes. Thé au Palais avec Violaine. Agnès ravie : arrivée de Marco, jeune N.H. vénitien de pure race. Un peu fât mais joli gosse. Je crois qu'elle a le béguin pour lui. Me voilà vraiment dans la peau d'un cicerone, comme le désirait sa mère !
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Vernissage au Palais Fortuny : Images d'Hollywood.
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Au Musée Guggenheim : cocktail pour la réouverture de la collection. Mondanités fades mais petits fours de Rosa Salva. Le jardin envahi par de vieilles sottes envisonnées. Jeunes étudiants sélects. Je pense à une scène de la Panthère Rose sans trop savoir pourquoi... Encore le Duc et la Duchesse. rencontré Laure et Mirabelle qui rentraient.
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Le soir, dîner chez Violaine et Rebecca à Sta Maria Formosa. Sympathique compagnie. J'aime la douce folie de Rebecca et la folle douceur de Violaine. Je retrouve ensuite Agnès et Mirabelle au Paradiso Perduto. Laure, hélas n'est pas venue (l'insolation).
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Couché très tard. Je rêve de Laure, petite fille charmante. Joli sourire, jolie voix. Un rêve de soleil et de fleurs parfumées.
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Dimanche 15, Rameaux.
Merveilleuse cérémonie à Saint Georges. Procession solennelle des Rameaux. Messe selon le rite de Saint Pie V. Foule nombreuse.
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Atmosphère de recueillement et beauté de la foule silencieuse et orante. Le chœur des moines est magnifique. Vu une belle famille d'irlandais (je les ai retrouvé plus tard, ils sont descendus chez Seguso sur les Zattere). L'aîné des enfants - un garçon de dix sept ans - s'essaye à l'italien pour me demander le chemin de la Ca'Rezzonico. Nous terminons la conversation au Cucciolo avec ses parents, sa sœur -quatorze ans - et leurs jeunes frères - douze et neuf ans. Belle famille en vérité. Tous très beaux.
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Rencontré un jeune aristocrate de très noble apparence. Visiblement très recueilli, il reste agenouillé longtemps après les autres... J'ai vite reconnu l'un des jeunes autrichiens croisés l'autre jour à la Villa Pisani. Violaine aussi l'avait remarqué. Sur le parvis, après la messe, il nous attendait. Nous avons pris le vaporetto ensemble. Ce n'est que sur le bateau qu'il nous a parlé. La glace rompue, il était tout sourire. Violaine lui a demandé la permission de le dessiner. Rendez-vous pris pour l'après-midi.
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Vu Agnès et la terrible Valérie devant le Palais. Sans rimmel ni fonds de teint, ces deux gamines seraient très jolies. Pourquoi maquiller leur fraîcheur ?
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Au même moment (j'entrais dans le jardin du Consulat), nous avons retrouvé les autrichiens.
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Violaine m'invite à goûter la délicieuse tarte aux amandes de Chez Gianni. Nous la dégustons au Cucciolo, sur la terrasse, devant la Calcina, après le départ de mes irlandais. Atmosphère de vacances et bonheur tranquille. Cette sérénité me convient, elle me porte et me préserve.
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14h30, San Barnaba. Le jeune autrichien nous attendait un peu inquiet. Nous étions en retard. Ses amis sont allés visiter le ghetto. Violaine s'empare de son carnet à dessin tandis que je discute avec lui.
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Il se prénomme Nicolas comme je l'avais deviné. Violaine a gardé de lui plusieurs croquis dont un portrait très ressemblant. Son nez retroussé, ce mélange d'enfance et de virilité, cette peau blanche, ces cheveux, drus avec déjà quelques mèches blanches. De beaux yeux d'un bleu très pur derrière de longs cils bruns. Il est très grand, très doux, très souriant. Sur le dessin, il est assis sur les marches du pont, la tête légèrement inclinée et me parle. Nous nous comprenons très vite. Il me dit dans un anglais excellent : "nous nous sommes sentis et nous nous sommes reconnus". Bonheur d'une amitié naissante. Nous parlons tous les trois. Longtemps. De tout : Tarkowski, Fellini, Pasolini, Leontiev, Dostoievski, mais aussi des mormons, de la double monarchie autrichienne, des enfants et de la beauté, de la paix aussi.
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Violaine invite Nicolas et ses amis à dîner et décide qu'ils dormiront tous trois à l'appartement. Repas sympathique malgré la fatigue générale. Longue discussion sur la littérature. nous lisons d'Annunzio, Dante et Ruskin une bonne partie de la nuit.
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Retour d'Odile Lurton, triste, égale à elle-même. Dommage, j'aime beaucoup cette fille pleine de talent mais tellement engoncée dans des problématiques sans fin.
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Ce fut un vrai dimanche. Violaine très belle dans son chemisier blanc de dentelle immaculée, les escarpins blancs et moi en blanc aussi et le soleil très haut, le ciel très bleu, la messe très solennelle, le parvis avec les paroissiens et les moines qui bavardent, les petits gâteaux et la ficelle dorée, le café sur la terrasse et la promenade, bras-dessus-bras-dessous . J'en connais qui crieront à l'ineptie. Je les laisse à leurs aigreurs.
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Nicolas repart demain pour Graz. "Il a le sourire et le regard velouté d'un prince de légende" dit de lui Rebecca. Nous parlons longtemps de l'Autriche. Son ami, Ati Pacher-Theinburg est plus secret. Leur compagne Claudia Leopold est très belle. Les revoir en Autriche.
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posted by lorenzo at 23:47