03 janvier 2006

Libreria Venexiana

Je voulais recommander ici deux ouvrages parus chez un éditeur indépendant, les Editions "La Bibliothèque", (distributeur : les Belles Lettres), dans une collection élégante au titre alléchant "les écrivains voyageurs" : "Récits vénitiens" de Henry de Regnier et le fameux "Venise" de Jean Lorrain. Deux textes introuvables que tous les amoureux de Venise se devraient d'avoir lu.
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Henri de Régnier, Récits vénitiens
préface de Gérard-Julien Salvy
Ed. La Bibliothèque
Écrivain fin de siècle, admiré de Proust, romancier, poète, essayiste, vénitien de coeur, auteur de Chroniques vénitiennes, Henri de Régnier n'a écrit que ces fictions sur la cité des Doges. L’ouvrage est formé d’une longue nouvelle, "L’Entrevue", qui faisait partie d’un ensemble intitulé "Histoires incertaines" (Mercure de France, 1919), et d’une courte nouvelle, "Le Café Quadri". Ces textes ont certainement été écrits par Régnier au Palais Dario où il fut souvent reçu et qu'il a décrit dans "l'Altana ou la vie vénitienne".
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Né en 1864 et mort en 1936, vénitien de cœur, Henri de Régnier, admiré de Proust, fut romancier, poète, essayiste. Ami des frères Goncourt, de Remy de Gourmont qui fit de lui cette description : "Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins, dallés comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques, cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon, seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux: les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses dernières œuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi finis : oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or, et lac mort, jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse qui va devenir nocturne"...
Voici un court extrait de la prose de notre vénitien de cœur : "À Venise, on est difficilement malheureux et facilement heureux. Je ne faisais rien de particulier, je ne travaillais pas, je n’allais ni dans les musées ni dans les églises, et mon temps passait délicieusement. J’errais à travers les rues, je visitais les antiquaires, je fumais des Virginia. [...] D’année en année, j’y ai accumulé tant de souvenirs ! Souvenirs tristes, souvenirs très doux... Décidément, je suis atteint de folie vénitienne. [...] Il semble que d’ici, dans la sorte de bien-être égoïste, paresseux et triste où l’on vit, l’on supporterait mieux qu’ailleurs l’oubli, l’ingratitude, l’injustice. Venise est une sorte de labyrinthe, où les chagrins ont plus de peine à vous trouver. Tout ne vous y arrive qu’en reflets, en échos. Chaque journée est un peu comme une fin de vie. [...] Plus je la connais, plus Venise contente mon goût pour le silence, la couleur, la lumière."
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Jean Lorrain, Venise
Préface d’Éric Walbecq
Editions La Bibliothèque

"La plus grande émotion de ma vie" , écrit Jean Lorrain à sa mère en découvrant Venise. Texte rare où retentit cet accord unique entre Venise, ses palais, ses lagunes et cette écriture fin de siècle dite décadente.
Saint-Marc précieux, gorgé comme une phrase de Huysmans ou de Lorrain. C’est la même orfèvrerie...
Jamais auparavant Jean Lorrain n’avait écrit aussi longuement sur une ville. Venise est LA Ville, "Ma Ville" comme il le dit régulièrement à ses correspondants dans ses différentes lettres. Son enthousiasme n’est nullement feint, il est le reflet d’un dernier amour pour une ville, comme Paris fut pour lui au milieu des années 1880 un nouvel espoir. Venise marque donc une apothéose dans sa vie.
Mais peu de gens aujourd'hui lisent le sulfureux Jean Lorrain, né en 1855 et mort dans les bras de sa mère en 1906. Ethéromane, homosexuel, snob décadent, le Paul Duval (son vrai nom) de Fécamps devint un des rois de la vie parisienne fin de siècle. Rémy de Gourmont disait de lui : "...L'auteur de tant de chroniques a été très prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'épuiser, et l'arbuste a gardé assez de sève pour fleurir avec persévérance : ce sont alors des poèmes, des contes, de petites pages où l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple, - du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. Né dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cessé d'aimer son pays natal et d'y faire de fréquents voyages. S'il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde "de l'obole, de la natte et de la cuvette", dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, ..., s'il a chanté (à mi-voix) ce qu'il appelle modestement "des amours bizarres", ce fut au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l'art pur; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation. Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un écrivain purement sensuel et qui ne s'intéresserait qu'à des cas de psychologie spéciale. C'est un esprit très varié, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le mystérieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il évoque le passé ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale ; elle est même si singulière qu'on est surpris jusqu'à l'irritation par l'imprévu, quelquefois un peu brusque, qui nous est imposé. Il est, même quand il n'est que cela, le rare chroniqueur dont on peut toujours lire la prose, même trop rapide, avec la certitude d'y trouver du nouveau. Il aime le nouveau, en art, comme dans la vie, et jamais il ne recula devant l'aveu de ses goûts littéraires, les plus hardis, les plus scandaleux pour l'ignorance ou pour la jalousie. A tous ces mérites qui font de M. Lorrain un des écrivains les plus particuliers d'aujourd'hui, il faut joindre celui de poète".
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Repris seulement en 1921 dans un volume de voyages publié à un tirage limité, ce texte fut originellement publié dans la Revue illustrée en deux livraisons en 1905. L’ouvrage, dans une typographie et un papier soignés, comporte trois gravureS.

Compleanno : Happy Birthday Sir Georges !


Je sais, cela n'a rien à voir avec Venise, mais c'est aujourd'hui les 80 ans d'un monsieur extraordinaire, compositeur, chef d'orchestre, producteur, critique : Sir George Martin, le producteur des Beatles qui ne s'est jamais contenté de produire des disques, mais qui a dirigé, modifié, amélioré le son de nombreux musiciens. Je pense à la qualité musicale d'un disque pourtant dit de "variétés" comme l'enregistrement du "Here there and eveywhere" de Paul Mc Cartney interprété par la canadienne Céline Dion.


Happy Birthday, Sir George !

Puisque vous insistez... Blinis express et (mini) panettone

Une lectrice me demande dans un mail la recette du panettone. Je ne sais pas si la mienne est l'authentique, mais elle n'est pas difficile à réussir, bien qu'assez longue, et le résultat est probant puisque tout le monde en redemande. Dans la foulée, voici aussi ma recette de blinis express, quand il faut concocter au dernier moment un dîner select et que les magasins sont fermés....
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Mini panettone
Pour 12 petits panettone, il faut 600 g. de farine, 3 cuillères à soupe de sucre roux, 40 g. de levure fraîche (se trouve en cube), 25 cl de lait frais, 120 g de beurre, 4 oeufs, noix muscade, citron, raisins de Corinthe, fruit confit frais, sel.
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Faire tiédir le lait. Hors du feu y faire dissoudre la levure. Mélanger la farine, le sucre, les œufs, les raisins secs, une pincée de noix muscade , une pincée de sel et le zeste du citron. Bien mélangez jusqu'à obtenir une pâte lisse. Ajoutez le lait avec la levure et mélangez le tout. C'est plus facile avec un robot mais cela peut se faire à la main. Couvrez l'appareil obtenu et laissez reposer 30 minutes dans un endroit chaud. Dans un four préchauffé à 180° C, faire cuire les petits panettone pendant 20 à 30 minutes dans des petits moules à brioche ou mieux dans des moules en bois fin comme on en trouve dans le nord de l'Italie que vous aurez au préalable beurrés et farinés. Laissez tiédir avant de démouler. Nous les enveloppons de papier de soie retenus par des noeuds de raphia, après les avoir recouvert de sucre glace. La version sans raisins et fruits confits ressemble au pandoro que les enfants souvent préfèrent. En tout cas c'est délicieux avec du chocolat chaud ou un bon cappuccino !
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Blinis express
Il faut pour une douzaine de blinis, un pot de yaourt turc ou bulgare, la même quantité de farine, deux cuillères à café de baking powder (ou, mais c'est moins bien, un sachet de levure chimique), du sel et un œuf.
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Mélanger les ingrédients jusqu'à obtenir une pâte lisse à peine plus épaisse qu'une pâte à crêpe normale. Mettre au frais 1 heure à reposer. Faites les blinis dans une petite poêle graissée. Ils gonflent, prennent une jolie couleur jaune doré et sont délicieux. Quand on sait que la véritable recette demande plusieurs heures de travail...

posted by lorenzo at 20:42

Jean Cocteau à la Mostra, Venise, 1948

Anna Magnani et Jean Cocteau.
à la Mostra del Cinema.

.Jean Cocteau et Jean Marais devant la Salute,
en compagnie de Jacques Laurent, alias Cecil Saint Laurent

Venise, les brillantes idées du Studio Azzurro

Connaissez-vous le Studio Azzurro ? Ce groupe de vidéastes milanais, qui depuis plus de vingt ans répand dans le monde une vision souvent très poétique de la vidéo, utilisant tous les moyens techniques imaginables. J'ai retrouvé hier soir, en fouillant dans ma grande malle débordant de souvenirs vénitiens, le carton d'une exposition qui eut lieu en 1984 au Palais Fortuny - qui vient de rouvrir ses portes après sa restauration-. Dans la grande salle du rez-de-chaussée, donnant directement sur le campo, une installation vidéo étonnante attira des visiteurs ébahis. 
Elle est restée dans tous les esprits et c'est aujourd'hui une référence: "Il nuotatore va troppo spesso a Heidelberg" se présentait dans ce local de brique et de bois, comme une piscine reconstituée. Un grand rectangle carrelé de bleu et de blanc sur les parois duquel une vingtaine de moniteurs vidéoposés les uns à côté des autres, montraient un homme en train de nager, filmé sous l'eau. Le montage donnait ainsi l'impression que le nageur avançait d'écran en écran, pour faire le tour de la piscine. Le tout dans une lumière bleutée, un peu voilée, comme souvent dans les piscines publiques. 

Pas un bruit sinon celui d'un corps qui glisse dans l'eau, un chuintement régulier. Cette exposition-performance me fit une très forte impression. C'était très beau. Très fort. Inattendu aussi. Depuis, le Studio Azzurro a produit bien d'autres choses et reste en Italie comme à travers le monde un des mouvements les plus créatifs dans ce domaine, reconnu partout dans le monde.
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Le Studio Azzurro a été fondé à Milan en 1982 par le photographe Fabio Cirifino, le producteur de cinéma Paolo Rosa et le graphiste Leonardo Sangiorgi. Leurs premiers travaux comme celui présenté à Venise utilisaient de nombreux moniteurs pour des installations video environnementales. Ils ont participé très vite à un grand nombre d'évènements artistiques, performances, spectacles, scénographies. En 1995 ils sont rejoints par Stefano Roveda, spécialiste de l'interactivité. Depuis le Studio Azzurro a produit une série de nouveaux travaux basés sur leur concept-clé : "l'interactivité".
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En 1998, le Studio Azzurro a présenté au Japon quatre travaux interactifs au Niitsu Art Forum, puis à l'ICC Biennale 99. Très appréciés au Japon, leurs travux sont appréciés partout dans le monde.
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Voici (en anglais) la notice explicative de la performance :
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"Everything appears to be quiet: an azure atmosphere and entrancing music welcome the spectator. The monitors opposite one another are crossed by the repetitive laboured arm strokes of the swimmer as he move tirelessly from one screen to another. The installation (synchronised using twenty four monitors and thirteen video programmes) was made using twelve video cameras fixed along the edge of a swimming pool, at the water level, and twelve monitors for simultaneous recording of an actor, Aurelio Gravina, swimming for an hour. 
In addition to the monitors’ feed, making up a single practicable scene, each scene contains three different levels in relation to the others - the water close-up, where the movements are asynchronous and defy composition; then the trajectory of the action that allows the figure to be composed; and, finally, the background that is doubled to escape the contiguity of the optical cone".

30 décembre 2005

La neige à Venise

Ceux qui comme moi ont eu la chance de voir Venise sous la neige ne peuvent oublier ce spectacle. Le silence habituel de la ville se fait soudain plus feutré. La lumière comme métallique irradie de partout et tout semble encore plus irréel. tout est encore plus lent. Une sensation fabuleuse lorsque la nuit, vos pas ne résonnent plus sur les pavés. La ville polychrome se dilue dans un blanc et noir de vieux film muet. 
 

J'invite ceux qui ont eu l'occasion de photographier Venise sous la neige à m'envoyer leurs photos afin de les publier sur ce blog.



24 décembre 2005

Joyeux Noël à tous mes lecteurs et correspondants
de France, du Canada, de Belgique, de Suisse, de Pologne et de Tchéquie, d'Amérique, de Chine et du Japon,
et bien entendu à tous mes amis vénitiens !


BUON
NATALE
A
TUTTI !

Que la paix et la sérénité se répandent dans le cœur des hommes, que l'enfant nouveau-né dans l'étable 
ne soit pas né pour rien : devenons réellement 
solidaires  et fraternels !

posted by lorenzo at 22:15*

 

 

2 Comments:

Guillaume said...

Felice Natale Lorenzo

24 décembre, 2005
 
lorenzo said...

Felice Natale ! Mille grazie Guillaume

24 décembre, 2005

22 décembre 2005

Splendeurs de Venise

Très agréable soirée aujourd'hui à l'invitation du Consul d'Italie. Madame Stéphane Felici qui recevait - une fois encore somptueusement - ses invités pour une visite privée de la magnifique exposition qui vient d'ouvrir ses portes à Bordeaux. Après plus d'une heure passée à admirer les peintures du Titien, de Veronèse, Bassano et les somptueux dessins de Carpaccio, Bellini ou Campagnola, notre dame consul nous a convié à un très joli concert au programme pour le moins inattendu, dans le hall du Musée des Beaux Arts, à deux pas de l'exposition, dans les jardins du Palais Rohan.
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La foule des invités, élégants visons et jeans fashion mélangés, se déplaça gentiment vers les jardins de la Mairie, éclairés par des bougies pour marquer le chemin. Le Trio de Genova, - formé de trois jeunes musiciens de la Scala di Milano, Sergio Casellato (clarinette), Andrea Bellettini (violoncelle) et Vittorio Costa (piano) -, interpréta pour nous une pièce inédite d'un compositeur allemand oublié, un trio de Glinka et un autre de Nino Rota, aux accents très chostakovichiens. Le public, apparemment assez connaisseur en redemanda, en dépit du froid que les musiciens réussirent à maintenir à distance (le jeune pianiste avait les doigts gelés!).
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Après les bis d'usage, qui nous permirent d'entendre notamment un joli morceau - inattendu - de Schumann, le consul offrait aux 150 invités ravis, le traditionnel panettone de Noël - dont les effluves nous charmèrent presque autant que la musique pendant tout le concert -, arrosé d'un délicieux Moscato d'Asti. Un agréable moment comme le sont toujours ceux que sait organiser notre charmant consul.
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je vous reparlerai en janvier de cette belle exposition que Bordeaux va partager avec Caen, et de son catalogue.


20 décembre 2005

COUPS DE CŒUR N°1

Je voudrais ici présenter les livres, les expositions, les musiques et le lieux que j'ai apprécié et vous les faire découvrir. Comme je maîtrise encore assez  mal le langage «html», je vais limiter dans un premier temps mes ambitions... En mai dernier, revenant à peine de mon voyage annuel à Venise, j'avais cité plusieurs lieux qui me semblent pouvoir plaire aux voyageurs, à ceux du moins qui aiment se plonger dans des atmosphères authentiques sans tomber dans la carte postale eastmancolor. Je republie ces commentaires car certains semblent ne pas pouvoir les retrouver dans mes archives. Ils sont en fin de rubrique sous le titre «à VENISE». En août, revenu de mon Cotentin favori, j'avais profité d'un «Ferragosto » beau et chaud - ce qui est asseze peu courant en août dnas le Cotentin - pour livrer à mes lecteurs quelques commentaires sans prétention des livres des disques et des films que j'ai apprécié. A quelques jours de Noël, je vous livre quelques coups de cœur récents. N'hésitez-pas à me livrer les vôtres : A vos commentaires.

Mario Rigoni Stern   
En attendant l'aube
«En attendant l'aube exhale, à lui seul, son talent de conteur. Qu'il s'adresse comme à un camarade au peintre Jacopo Bassano, 1515-1592 (Lettre à Jacopo, bijou de surréalisme), qu'il déroule le fil d'une histoire d'amour cruelle parce que éphémère (Neiges de janvier, sublime narration) ou qu'il confesse son impossible pardon à son ancien instituteur, délateur à la solde des chemises noires (Noël 1945, cinglant de douleur), Mario Rigoni Stern écrit à hauteur d'homme, et trace les chemins de la vie.» dit de cet ouvrage Martine Laval de Télérama. Ce grand écrivain pas encore très connu en France écrit comme le paysage de son enfance, comme les lieux où il vit, à 120 kilomètres de Venise, non loin de Vicenza, dans la montagne d'Asiago. Il couche sur le papier la vie, le temps qui passe, les gens. Avec pudeur et réalisme. Avec des mots doux, il décrit des situations parfois à la limite du tolérable, d'autres très heureuses. Il laisse ses personnages s'en aller d'eux-mêmes vers d'autres. Un régal parfaitement rendu dans la traduction de Marie-Hélène Angelini : «Il avait recommencé à neiger ; la chienne s'était endormie contre mes jambes ; mes vêtements étaient presque secs et il y avait là un bon silence. La chaleur du feu, l'amitié d'Albino que je sentais, le lièvre que j'avais dans mon sac, les trois gorgées de marc donnaient un bon goût à la vie.» Primo Levi a dit de lui «On trouve rarement pareille cohérence entre l'homme qui vit et l'homme qui écrit, pareille densité d'écriture.»
 . 
Francesco Rapazzini 
Elisabeth de Gramont, Avant-gardiste
Le portrait sans concession de cette femme indépendant qui fit scandale et fut surnommée la duchesse rouge par son milieu d'origine. J'évite en général les gros pavés consacrés ces monstres sacrés de l'histoire ou des arts. J'ai fait une exception avec cet ouvrage d'abord parce que je l'ai reçu en hommage de l'auteur et que celui-ci est de mes plus chers amis. Mais aussi parce que, de retour d'un séjour à Venise, après un petit déjeuner royalement servi chez l'auteur, j'ai passé les trois heures de voyage plongé dans la vie incroyablement riche de cette aristocrate qui aida Proust à s'introduire dans la société dont il fera plus tard la matière de son chef-d’œuvre. Imprévisible jeune femme mal mariée, mère peu heureuse dont les choix sociaux et politiques, lorsqu'elle embrasse la cause du marxisme et celle du Front populaire, aux côtés des grandes figures révolutionnaires françaises et étrangères, fera sursauter une société parisienne moderne mais conventionnelle. Au fil des pages, on voyage avec elle, on vit ses rencontres avec Robert de Montesquiou et Marcel Proust, Natalie Clifford Barney, Remy de Gourmont, Romaine Brooks, Paul Valéry, Colette, Georges Clémenceau, Paul Morand, Gertrude Stein, Isadora Duncan, Valery Larbaud, Arthur Honegger, Jacques Ibert, Léon Blum, James Joyce, Louis Aragon, René Crevel... Tous ces êtres rares qui ont fait de Paris la «Nouvelle Athènes » ont gravité autour d'Elisabeth de Gramont. 
A VENISE...  
Margaret DuChamp. 
Campo Sta Margarita 3019. 
LE Lieu Where to go du quartier Dorsoduro. Après le Caffè Rosso qui est maintenant envahi par les bobos du coins et les touristes parisiens, et le DoDraghi, davantage quadras-alternatifs, c'est là qu'il faut s'asseoir vers midi à la terrasse, directement sur le campo, ou le soir à l'intérieur après la passegiata. Agréablement situé à l'angle du campo depuis 1996, face aux étals des marchands de poissons. Vous pourrez y observer les mouettes habituées de la place qui sont là tous les jours attendant l'aubaine. Très fréquenté par les gens du quartier et les étudiants, surtout après 21 heures (ferme à 2 heures du matin). La musique est bonne (jazz souvent la nuit). le décor intérieur sympathique. Bon choix de bières, délicieux Spritz. Le vin n'y est pas cher mais il n'est pas terrible non plus. Cheap, cheap... En revanche le café est l'un des meilleurs de Venise. Délicieux tramezzini, crostate maison et croque-monsieurs goûteux (se dit «toast» en italien, si vous ne voulez pas faire trop touriste...). 
Saluez pour nous Manuele. C'est le plus jeune serveur du bar. De père napolitain, ce vénitien de 17 ans, tout droit sorti d'un tableau de Carpaccio (l'Accademia n'est pas loin), est toujours souriant, toujours très patient avec les touristes et toujours prêt, après le service à bavarder avec vous. Branchez-le rollers et musique et vous le verrez s'illuminer. Ah, j'oubliais : tant que vous êtes dans le quartier, allez donc faire un tour à La Toletta, la grande librairie à prix réduits. Trois magasins y proposent tout ce que l’édition italienne fait de mieux, livres d'Art, littérature, photos, architecture, cuisine, histoire, BD, littérature enfantine. Un joli lieu en plus. C'est un peu ma bibliothèque car la maison que j'occupe à Venise est quasiment mitoyenne de la librairie ! En sortant du café de Santa Margherita, prenez donc une glace et dégustez-la en vous dirigeant tranquillement vers la Toletta. N'oubliez-pas : à Venise, on marche sur la droite pour ne pas déranger ceux qui arrivent dans l'autre sens. Un code de conduite que les touristes respectent peu en vérité ! 

Taverna da Baffo. 
San Polo 2346, campo sant'Agostin. 
Un autre endroit très sympathique, derrière San Polo. On y passe en revenant à pied de S.Stae ou se tient en ce moment une exposition des inventions de Leonard de Vinci, et à côté, dans la petite scuola qui donne sur le Grand Canal, où sont présentées des œuvres de Paladino sur le thème de Pinocchio (mais je vous en reparlerai plus tard). C'est un campo très calme qui donne sur un rio avec deux ponts pittoresques. La taverne porte bien son nom. Lieu rustique (tables de bois, poutres apparentes et murs de pierre). Accueil chaleureux. le patron et les serveuses (très mignonnes) circulent entre la grande salle intérieure, fréquentée par des ouvriers et des hommes d'affaire du quartier, et une agréable petite terrasse devant l'église. Ici pas de menu touristique (la plaie de Venise), mais des plats traditionnels : pâtes, risotto, et pour les gens pressés, polpette (croquettes de pomme de terre, de fromage ou de viande) et bien entendu, tramezzini. Le vin, servi au verre est de qualité : Soave, Merlot, Lambrusco, Pinot Grigio et même, si vous passez assez tard, un délicieux Clinto, introuvable parce que réputé dangereux et interdit. Même le Fragolino est bon. 

Centrale Restaurant Lounge. 
S.Marco 1659, Piscina Frezzeria. 
Un endroit très fashion. Dans un vieux bâtiment du XVe, éclairé par des tas de petites veilleuses, une décoration gris, prune et noir, de l'acier, du lin, du bois. Les serveuses sont très froides mais attentives. La musique excellente. Nourriture traditionnelle et sophistiquée. Un lieu branché où l'on arrive par la rue ou par le canal. Inutile de préciser que les prix vont avec le style du lieu. Mais on y passe un agréable moment. C'est New York, Berlin ou Londres à Venise. Il faut y aller une fois bien que dans le genre raffiné branché, je préfère de loin le Harry's Dolci à la Giudecca. 
Voici ce qu'en dit le site http://www.2night.it/2night/venezia/locali/membri/5332.html : Nel cuore di Venezia, uno spazio che coniuga la ricerca culinaria con la passione per il design ed il dettaglio, il tutto in un'atmosfera innovativa ed internazionale.Entrare al Centrale è come immergersi nell'essenza del lounge: un "salottino" nato dal sapiente restauro di un'antico palazzo ed ora fatto di alte vetrate, mattoni a vista accostate all'acciaio e al vetro. Tutto ciò in un rilassante sfondo musicale dal jazz al chill-out. Qui, baciata dalla tenua luce di numerose candele, la clientela può deliziarsi con piatti della cucina mediterranea, reinterpretata in modo creativo: dai tagliolini neri con scampi crudi fino all'astice alla Catalana, dal carpaccio di branzino in salsa di kiwi ai filetti e tagliate di carne. L'estro dello chef si accompagna ad un servizio puntuale che concerne la presentazione delle portate fino alla freschezza degli ingredienti.Il Centrale è anche sede di vivaci proposte come l'aperitivo Happy Live del giovedì, con un ricco buffet offerto dalla casa, invitanti cocktails e musica live dal jazz alla bossanova. Periodicamente si organizzano anche cene di cucina esotica ed eventi culturali.

19 décembre 2005

Citation du jour

"Depuis dix ans, il y a un recul apparent de civilisation : Venise enchaînée, la Hongrie garrottée, la Pologne torturée; partout la peine de mort."  

Victor Hugo, Actes et paroles.


Jean et Constance improvisant un jeu sur le campo Sto Stefano. Mai 2005.


Cette image me permet de signaler aux lecteurs italianisants, un très bel album paru en 2003 aux Éditions Marsilio, dans la collection Insula sous le titre "I giochi a Venezia tra campi e campielli dall'Ottocento a oggi". C'est un ouvrage collectif publié sous la direction de Leopoldo Pietragnoli, journaliste émérite du quotidien Il Gazzettino, le quotidien de Venise, et spécialiste du XIXe vénitien. Joliment illustré, bien documenté, il décrit les usages en vigueur sur les places et dans les cours de la Venise d'avant la télévision, quand les enfants inventaient des jeux que, de quartier en quartier, chaque génération reprenait. Tous milieux confondus - ou presque - les petits vénitiens de castello, ceux de la Giudecca, de San Polo ou de Burano, se lançaient dans des parties endiablées après l'école, le dimanche après le repas dominical. Pas seulement un joli "coffee table book" qu'on prend plaisir à feuilleter mais aussi un texte très documenté et passionnant... 

(reprise d'un article de mai 2005 sur tramezzinimag.blogspot.com)

18 décembre 2005

A thing of beauty is a joy forever...



Lettre au maire de Venise

Depuis 2003, Umberto Sartori et son organisation tentent d'alerter l'opinion publique et les responsables politiques et administratifs de la situation paradoxale où se trouve aujourd'hui la Cité des Doges avec la très rapide infection de tous les composants de base des constructions vénitiennes : les briques (silicate), la pierre d'Istrie et les marbres (carbonate de calcium) qui par un phénomène d'hydrolise se transforment en une matière poreuse et très friable, menaçant ainsi l'ensemble des bâtiments de la ville. D'autre part, les enquêtes (cd-rom vidéo et photographies à l'appui) menées par le Comité depuis sa création, montrent que les restaurations et remises en état des monuments mais aussi des matériaux urbains (ponts et rambardes en pierre par exemple) sont faits en dépit du bon sens et sont parfois plus dangereux qu'utiles pour la sauvegarde de la ville (couverture des briques par du ciment par exemple).

Le texte ci-dessous est en italien. Il existe en anglais. Je vous le livre dans sa langue originale et j'enverrai à ceux qui le souhaitent la version française que je n'ai pas encore eu le temps de terminer pour la mettre sur ce site. Vraiment, au-delà du plaisir que nous avons tous à parler de Venise que nous aimons, il y a cette situation très préoccupante. 

Venezia,15 ottobre 2003
Al signor Sindaco del Comune di Venezia, Commissario Straordinario del Governo per il Moto Ondoso. 

Con la presente segnaliamo il gravissimo decadimento di larga parte dei silicati (mattoni) e dei carbonati di calcio (marmi e pietra d'Istria) che costituiscono il corpo edificato del centro storico di Venezia. Come viene esposto nell'allegata "Relazione Chimica" (all. 1) e illustrato nella documentazione fotografica e video (all. CDROM), moltissimi mattoni dei piani bassi degli edifici in tutta la città presentano avanzato stato di disgregazione per idrolisi, mentre i marmi e le pietre d'Istria dimostrano un altrettanto rilevante grado di degrado superficiale e strutturale per solfatazione ovvero trasformazione in gesso. .

Relazione di Umberto Sartori

"Tengo sotto osservazione, documento e pubblico lo stato della città da alcuni anni, dapprima per mia iniziativa e in seguito su incarico del Comitato Spontaneo per la Difesa di Venezia. Testimonio che solo negli ultimi due anni i fenomeni disgregativi hanno assunto il carattere di diffusione, rapidità e profondità che li rende oggi il più' immediato ed effettivo pericolo per la sopravvivenza di Venezia come centro edificato. I rilievi effettuati nel maggio 2003 mi hanno indotto a costituire un nuovo Comitato, denominato di Salute Pubblica per sottolineare la gravità dello stato di fatto che rilevo, documento e denuncio come drammatica". Noto che le disgregazioni osservate sono dovute a reazione chimica tra le piogge acide e i sali che compongono le pietre edificatorie e ornamentali (vedi all. “Relazione Chimica”), il drastico aggravamento del fenomeno a nostro modo di vedere deve essere posto in relazione con l'aumento del traffico marittimo nel porto per i seguenti motivi :
1 - La peculiare conformazione logistica fa di Venezia insulare un microclima meteorologico poco influenzato dall'atmosfera continentale. D’altro lato, risulta estremamente rilevante ciò che in tale microclima viene immesso dal suo interno.
2 - Le macchine navali, anche quando alimentate a gasolio, emettono ciascuna inquinanti solfo-cabro-nitrici equivalenti alle emissioni di migliaia di TIR.
3 - Nella maggior parte dei casi tali macchine sono invece alimentate con "bunker fuel", un olio pesante a bassissimo prezzo che nella combustione rilascia quantitativi di solfati e nitrati particolarmente ingenti.
4 - Negli ultimi tre anni si è verificato un notevole incremento del traffico navale, con particolare riguardo alle enormi navi da crociera e ai traghetti adriatici (questi ultimi in maggioranza effettuati con imbarcazioni desuete alimentate esclusivamente con bunker fuel).
5 - Il numero di passeggeri sbarcati dalle grandi navi ha prodotto come conseguenza il moltiplicarsi sfrenato della flottiglia locale di imbarcazioni a motore diesel e benzina per il loro smistamento in città e nelle isole nonché per l'approvvigionamento merci.
6 - L'aumento di reddito indotto sulla popolazione dall'incremento dell'afflusso turistico ha moltiplicato il numero di possessori di imbarcazioni private a motore, ed elevato la potenza e quindi la capacità inquinante dei motori stessi.
Il Comitato individua come essenziale al salvataggio in extremis di Venezia una nuova regolamentazione del traffico a motore nell'ambito interno e lagunare. Per rendere operativa ed efficace tale regolamentazione il Comitato stesso chiede di poter conferire con Lei al fine di illustrare le proposte di soluzione. A titolo informativo comunichiamo di essere in procinto di esporre quanto sopra al Magistrato alle Acque, con particolare riguardo ai lavori marittimi e lagunari che riteniamo necessari al Progetto per il Salvataggio in extremis di Venezia, e di avere già depositato i materiali e le bozze alle seguenti autorità cittadine : 
Nucleo Carabinieri per la Tutela del Patrimonio Artistico 
Sovrintendenza ai Beni Architettonici Capitaneria di Porto 
Autorità Portuale - Ente Porto 

Il materiale documentario contenuto nel CDROM allegato viene aggiornato sul sito http://savevenice.net

Per il Comitato di Salute Pubblica __________________________________________________________________________ 
Umberto Sartori n. Ve 7/7/1953 – res. Ve DD. 604 - venetian@ombra.net - mob. 3489298579

Une alerte rouge comme la robe du Père Noël

En ce temps de Noël, je suis certainement mal avisé d'insérer sur ce blog qui fait rêver les amoureux de Venise, des informations sur l'urgence de la situation de la plus belle ville du monde. Car c'est bien d'urgence qu'il s'agit face à la gabegie de l'administration italienne incapable de résoudre les problèmes qui s'amoncellent depuis cinquante ans sur la Sérénissime. Je vous livre ci-dessous une image très parlante et vous invite, lecteurs qui aimez Venise, à réagir, à en parler : la pollution atmosphérique qui contamine les pierres, la montée des eaux, le dépeuplement de la ville, l'invasion des hordes de touristes pire que les huns d'Attila qui rendent la vie courante très difficile. Allez à Venise, regardez-là, aimez-là mais respectez-là. Ce n'est pas un musée, ce n'est pas un parc d'attractions. C'est un lieu de vie, un monde pétri d'art et d'histoire, mais c'est un lieu malade, mal soigné et qui souffre. 



Ce cliché (propriété de Umberto Sartori, Comitato di Salute Pubblica a Venezia) représentant un bas-relief situé rio Barba Frutarol près de l'église Santi Apostoli, montre l'irréparable désagrégation des pierres, liée à la pollution par les dégagements de sulfure et autres dérivés chimiques des gaz émanant des moteurs de bateaux, des usines, des cheminées, transformant les pierres et marbres utilisés à Venise en... craie ! Partout dans la ville les monuments commencent à se désagréger rendus friables par des inclusions de calcite cristallin qui rend la pierre comme le marbre pareil à de la craie. Cette photo prouve l'urgence d'une réaction. Si vous êtes à Venise, ou la prochaine fois que vous y serez, allez voir par vous-même : touchez les pierres, vous aurez des morceaux sur les doigts, pareils à des résidus de craie. 

Dans quelques années, si rien n'est entrepris pour Venise d'une manière draconienne, la ville est vraiment définitivement condamnée !

SIGNEZ

la pétition pour la sauvegarde de Venise : 
http://ourvenice.org/petition/petition.php


17 décembre 2005

Reflets


Je n'habiterai jamais assez Venise... par Paolo Barbaro

de Paolo Barbaro
 
..."Ville du futur", écrivent, sur Venise et les îles, mes amis spécialistes. Qui, bien sûr, habitent ailleurs, viennent ici une fois par an. Ils expliquent : circulation bien répartie entre rues et canaux; regroupement par insulae, vie de quartier, tout autre chose qu'à Milan.
...
C'est possible. Mais la circulation, je ne la vois pas ; îles ou insulae sont à la fois délabrées et englouties ; vie de quartier, il n'y a pas un chat. Est-ce vraiment ça, la ville du futur ? Oui, une présence, il y en a une, là au coin, la dernière qui attend (les autres sont déjà en Amérique) : l'orbite gauche est vide, l’œil droit a été peint par un fou... Elle vacille, ma dernière statue, sous les coups de la bora. Le vent arrache la peau, s'engouffre entre les murs resserrés, force les entrées du dédale. Entrer ou renoncer ? Je touche le mur de brique, friable, tendre et humide : l'accès s'ouvre, nous aspire. C'est bien elle, la ville "sex-femelle" d'Apollinaire et de tous ceux qui l'effleurent avec un peu d'amour, le soir qu'il faut. "Soir dément", comme on dit ici, froid et désert : un quelconque dimanche d'hiver, première lune du nouveau janvier.
 ...
Un restaurant à moitié ouvert ; sans enseigne ni publicité. A l'intérieur, guère plus qu'une soupente : dominé par deux femmes de l'île, énormes, la voix rauque, toujours en mouvement, des mains comme des battoirs. Des tables de bois, de vieux buffets, une photo de groupe avec les drapeaux des régates : la vieille auberge que nous croyons disparue. Sur le banc, de petits poissons frits, de la polenta, du vin blanc. Malgré le tourisme, quelque chose demeure, pour la raison que c'est une ville démentielle, selon les spécialistes : malgré des millions de "présences", elle n'est pas encore touristique au sens propre, logique, occidental. Les plus beaux soirs de l'année - ceux d'hiver -, elle se libère, prise dans une sorte de coma, inhospitalière ; en rien touristique. Le maximum de la désolation est atteint au moment des fêtes plus populaires : entre Noël et le nouvel An - ni un bateau, ni un café, ni un WC, ni un théâtre, ni un cinéma. Le résultat est la totale disponibilité - plus besoin de réserver - durant des jours et des nuits, d'une ville entière, fantomatique, eau et pierres, tout compris. La dernière du monde, habitée juste ce qu'il faut : pour ne pas vous laisser tout à fait seul, quelqu'un continue à allumer la lumière, ça et là dans les maisons. 
...
De la fenêtre de l'auberge, je suis du regard deux gamins dehors, dans l'obscurité, sur le bord de l'eau : ils vont et viennent sur la pointe des pieds, sans but et sans interdiction. Ils s'arrêtent où cela leur chante, ils regardent, éblouis : jeux superposés de rives, grands palais blancs, campaniles morts. Désespoir pour cette infinité de choses à voir, tourment pour celles que je ne verrai jamais. Je n'habiterai jamais assez Venise. Tout à coup, selon les deux énergumènes, "c'est l'heure" ! Il faut sortir par la porte de derrière : on ferme, on ferme... Je m'enfonce dans de petites cours de prison, je réapparais le long des arches sonores. Dans le noir, tout se découvre : les pierres gonflées, soulevées et comme éclatées, les murs ruinés, les couches superposées du temps et de l'incurie ; chaque cour a son désastre. Un peu plus loin, une suite de palais, sans une lumière : au-dessus, de petites arcades, bancales ; combien de gens y ont-ils dormi tranquillement et y rêvent toujours, malgré ces trous lépreux. Tandis que, sur l'autre rive, les voix se précisent : voix slaves, de femmes, russes peut-être. Elles suivent d'étranges cercles comme dans les figures d'un ballet : jeunes ou pas, elles aussi essayent. Et se perdent. 
...
Une ombre me précède, à présent ; puis se retrouve à mes côtés, me suit. L'homme observe porte après porte : il cherche un numéro, explique-t-il, communal. Mais ici, ce n'est pas le lieu où trouver des numéros, qui forment l'essence du monde moderne ; communaux ou pas, les numéros continuent à monter ou à descendre, en avant et en arrière, sans logique : à Venise, ils augmentent avec les années, ou avec les siècles, et non en suivant les rues. Celui qui arrive en premier a son numéro en premier; comme au paradis ou peut-être en enfer. Mais alors, demande l'ombre à elle-même, pourquoi perdre du temps, pourquoi continuer ? Et un instant après : quelle année était-ce ? Nous ne cherchons plus un numéro, nous cherchons une année, ou un fil. Et alors, passe un couple enlacé : le fil, eux, ils l'ont trouvé. On dit que les amours à Venise sont brèves ; en tout cas, à ce que l'on voit, elles sont intenses. Maintenant, nous nous suivons un peu tous : eux deux, l'ombre, les deux jeunes gens, les femmes russes, les numéros de maison, tous attirés par un son, une flûte, flûte enchantée, dans la profondeur des calli... Quelqu'un s'arrête sur le pont, écoute. Tout comme un autre en bas sur la barque, du canal : nos sosies, dans l'eau. La musique, c'est Mozart, sous les murs de la Fenice : la flûte se répand dans la ville silencieuse, nous fait revenir à l'esprit - nous fait espérer - un printemps dans ce soir d'hiver.
Extrait de "Lunaisons vénitiennes" (Éditions la Découverte, 1992).

Paolo Barbaro, Ennio Gallo de son vrai nom, est originaire de Vénétie et vit à Venise. Comme nombre d’autres écrivains italiens réputés, citons ici Primo Levi ou Emilio Gadda, Paolo Barbaro partage sa vie entre l’écriture littéraire et l’exercice d’une profession technique, il est en effet également ingénieur spécialisé en hydraulique. Ce qui du reste explique de son angle d’attaque de Venise qu’il explore depuis les années 1980 à travers l’écriture littéraire. Lunaisons vénitiennes (La découverte 1992; 10/18, Odyssée 1997) est l’exploration poétique de Venise durant une année. A raison de deux chapitres par mois, il explore les paysages et lieux de la cité des doges, îles, campi, ponts, quais ... avec une attention particulière aux problèmes écologiques de la lagune. Aussi n’est-ce pas la Venise touristique qui s’expose ici, mais une Venise au quotidien, avec ce qu’elle peut aussi avoir d’âpre, de froid et d’inhospitalier. Paolo Barbaro nous invite à porter sur Venise un regard plus responsable.

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