16 mai 2006

14 mai 2006

Venise en mai


L'air se fait plus sec. Il y a maintenant chaque jour une lumière chaude remplie d'odeurs. La vraie Venise se révèle... Le café fraîchement torréfié, les petits pains que le boulanger sort du four, les fleurs du marché voisin, l'herbe qu'on coupe dans le jardin, les fraises et les melons exposés à l'étal de l'épicier. La jeune femme qui passe et laisse derrière elle les effluves d'un agréable parfum, l'odeur de l'eau des petits canaux inondés de lumière, le linge frais lavé qui sèche aux fenêtres, le bois des barques qui craque au soleil... Venise en mai. J'aime particulièrement les dimanches de cette période de l'année. 

Il y a certes déjà une multitude de touristes qui arpentent la ville dans tous les sens. Les terrasses de la Piazza sont prises d'assaut et le pont des pailles, la Riva dei Schiavoni, les passages autour de San Marco, sont noirs de monde... 

Mais ailleurs, dans les quartiers retirés de Dorsoduro même, en dehors du circuit habituel des touristes, il règne un calme extraordinairement plein. Un peu comme sur la place d'un village en plein été. Le chant des oiseaux, une radio quelque part... Parfois une barque à moteur passe lentement en crachotant. Les chats dorment sur les margelles des puits. Les portes et les fenêtres entr'ouvertes laissent échapper des senteurs alléchantes. Nul cri, nulle précipitation. 

Par une fenêtre ouverte, tout en haut de cette vieille maison de Santa Croce, on entend le groupe Chicago qui chante "you're the inspiration"... Je prends cela comme un message : Indeed, Venise is my inspiration ! Un peu plus loin, c'est un air de flûte ou un piano... Tout est calme. Serein. Comme pacifié. Rien de grave ou crispant, dans ce silence. La paix, c'est la musique de la paix. La tranquillité. Cette certitude que tout est à sa place dans l'ordre des choses, nous y compris. J'imagine ainsi que tous ceux qui vivent derrière ces façades embellies par le soleil, sont endormis ou assoupis. C'est l'un des miracles de Venise. On ressent toujours ainsi à marcher dans les rues de la Sérénissime, dès que la bonne saison revient, une immense sérénité. C'est l'un des meilleurs remèdes que je connaisse à l'inquiétude, à la nervosité, à l'angoisse : Si vous venez d'arriver à Venise, si vos ennuis, vos soucis, vos craintes vous ont accompagné et semblent ne pas vouloir vous quitter, alors, posez vite vos bagages, chaussez vos mocassins les plus confortables, prenez un livre que vous aimez et sortez dans les rues. Marchez, marchez... Allez vous perdre là où le soleil habille les maisons d'un vêtement de grâce. Saluez d'un geste discret de la tête les rares passants que vous croiserez. N'hésitez pas à vous perdre. 

Asseyez-vous sur un banc, là, sur ce petit campo que vous ne connaissez pas. Plus tard vers quatre heures, vous trouverez au hasard de vos pérégrinations un joli petit café avec deux ou trois tables sur une place inconnue. Vous y boirez un café ou un verre de vin blanc en lisant tranquillement. Si la faim vous taraude, il y aura certainement quelques tramezzini ou des paste di mandorla. Plus tard, à partir de cinq heures, des gens commenceront à sortir et à apparaître sur ce palcoscenico improvisé. Vous verrez des enfants avec leurs tricycles, des petites filles poussant leurs poupées dans de rutilantes poussettes. Des dames se regrouperont pour bavarder et quelques petits garçons énergiques taperont dans l'inévitable ballon. Le campo peu à peu s'animera. Mais, désirant rester solitaire encore, vous aurez peut-être découvert un peu plus profondément encore dans la Venise authentique, une place où personne ne passe. Un de ces bancs peints en rouge vous accueillera, ou la margelle d'un puits, ces marches au bord du canal. 

Laissez-vous aller. Rêvez. Si vous désirez lire ou noter vos impressions, mettez-vous à la recherche d'un coin vraiment tranquille. Je vous recommande le parvis de San Elena, à Castello ou le Café del Paradiso, à l'entrée des jardins de la Biennale. Là, sous la tonnelle, avec le parfum des arbres et l'une des plus belles vues de Venise en face de vous, vous trouverez l'inspiration nécessaire pour écrire votre plus belle lettre d'amour ou de rupture. Il y a aussi le jardi de San Alvise à Canareggio, les Zattere et quand les travaux seront terminés, la pointe de la douane. mais là, devant le plus extraodinaire paysage que l'homme ait jamais contribué à créér, vous ne serez jamais vraiment seul (sauf après deux heures du matin et encore un jour de pluie!). Bonne promenade avec vous-même. 

posted by lorenzo at 14:08

16 ans déjà !

C'était le 14 mai 1990. Une chaude journée de printemps. Notre ami Charles-Henri de Védrines, émérite accoucheur bordelais aujourd'hui retiré, est en retard. La maman, détendue, s'impatiente un peu. Et s'il ne venait pas. Beaucoup de naissance autour de nous, la clinique est bondée. Le bébé est prêt à arriver. Le médecin est enfin là, souriant et tranquille. Les infirmières, la sage-femme, tout le monde est paisible. En partant vers la salle de travail rejoindre ma femme, je passe devant une chambre. La porte est entrouverte et un rayon de soleil éclaire le linoléum. je pense à une rosace en marbre aux tons acidulés du pavement de San Marco. Au même instant, j'entends les premières mesures du "Printemps" des "Quatre Saisons" de Vivaldi dans une interprétation pleine de fougue et de sensualité. Joli signe qui accompagnera la naissance de notre seconde fille, Alix-Victoria-Marie-José. Un adorable bébé, souriant devenue une jeune fille équilibrée au caractère paisible, bien dans ses baskets, qui adore Venise et avance joyeusement sur le chemin de la vie. 

Avec nos trois autres enfants, elle est le miel de mon existence, le soleil de mes jours, le baume sur mes plaies, la justification de notre engagement. D'aucuns certainement me reprocheront ce manque de pudeur et se moqueront... Afficher ainsi l'amour que l'on porte à ses enfants et dire la place qu'ils ont dans notre vie, cela se tait de nos jours. Pourtant, partageant avec eux la passion de Venise, l'amour du Beau et la confiance en la Providence, célébrer l'anniversaire de l'un d'entre eux, me semble parfaitement en adéquation avec ce qui a motivé la création de ce blog : "Surpris par la joie, impatient comme le vent..." Et tant pis pour les esprits chagrins ou tordus ! : 

JOYEUX ANNIVERSAIRE, ALIX !
 © photo de Claire Normand - Avril 2006. Tous droits réservés.

11 mai 2006

Les embarras de la vie urbaine...


Qui pourrait un jour m’expliquer ce sentiment qui est toujours le mien quand le silence se fait dans la rue et que nul bruit moderne ne vient plus perturber mes oreilles ? Le chant des oiseaux, le bruit de pas, des sons d’un chantier au loin. Pas de vacarme. La paix. Je me sens dans ces moments-là comme retranché de la vie et pourtant totalement en fusion avec elle. Cette atmosphère matutinale que l’on ressent ici ce matin, en pleine ville, me rappelle Venise. 

Ce n’est pas la paix de la campagne que je recherche à tout prix, c’est la sérénité toujours ressentie dans les rues de Venise, quand, ouvrant mes fenêtres le matin, j’entends mêlé au bruit des clapotis de l’eau, le ronronnement du moteur des barques sur le grand canal, les cris des gondoliers, le bruit des pas dans les ruelles. Une porte qui se ferme, un store qu’on déroule, le linge qu’une main étend au-dessus de moi, le chant des oiseaux sur les toits…
Si j’ai toujours autant détesté les voitures, c’est à cause de cela. Des souvenirs de ce silence si rempli qu'enfant je découvrais quand avec mes parents je passais l'été par la Sérénissime... Le bruit immonde dans la rue tout à l’heure quand je revenais de l’école où j’avais laissé ma Constance et le visage fermé des gens qui ne semblaient pas souffrir de cette cacophonie… Pourquoi ce besoin de silence et de paix ? Pourquoi cette hargne du bruit et du mouvement trépidant de notre monde que déjà Boileau dénonçait dans "les embarras de Paris" ? (satire VI). En voici un court extrait :
"...Tout conspire à la fois à troubler mon repos, /Et je me plains ici du moindre de mes maux : /Car à peine les coqs, commençant leur ramage, /Auront des cris aigus frappé le voisinage /Qu'un affreux serrurier, laborieux Vulcain, /Qu'éveillera bientôt l'ardente soif du gain, /Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête, /De cent coups de marteau me va fendre la tête. /J'entends déjà partout les charrettes courir, /Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir : /Tandis que dans les airs mille cloches émues /D'un funèbre concert font retentir les nues ; /Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents, /Pour honorer les morts font mourir les vivants./.../En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la [presse /D'un peuple d'importuns qui fourmillent sans cesse. /L'un me heurte d'un ais dont je suis tout froissé ;/Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé. /Là, d'un enterrement la funèbre ordonnance /D'un pas lugubre et lent vers l'église s'avance ;/Et plus loin des laquais l'un l'autre s’agaçant, /Font aboyer les chiens et jurer les passants. /Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage ; /Là, je trouve une croix de funeste présage, /Et des couvreurs grimpés au toit d'une maison /En font pleuvoir l'ardoise et la tuile à foison. /Là, sur une charrette une poutre branlante /Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente ; /Six chevaux attelés à ce fardeau pesant /Ont peine à l'émouvoir sur le pavé glissant. /D'un carrosse en tournant il accroche une roue, /Et du choc le renverse en un grand tas de boue : /Quand un autre à l'instant s'efforçant de passer, /Dans le même embarras se vient embarrasser./Vingt carrosses bientôt arrivant à la file /Y sont en moins de rien suivis de plus de mille ; /Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux /Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs ;/Chacun prétend passer ; l'un mugit, l'autre jure. /Des mulets en sonnant augmentent le murmure. /Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés /De l'embarras qui croit ferment les défilés, /Et partout les passants, enchaînant les brigades, /Au milieu de la paix font voir les barricades. /On n'entend que des cris poussés confusément : /Dieu, pour s'y faire ouïr, tonnerait vainement..."

COUPS DE CŒUR N°5

On parle beaucoup des jardins de Venise ces temps-ci. A ce propos, je vous recommande l'excellent petit reportage de Maurice Olivari au journal de 13 heures de TF1 du 9 mai dernier. On y voit Laetizia Querenghi, la grande spécialiste vénitienne des jardins et la charmante Comtesse Barnabo dont le jardin est vu chaque jour par des milliers de passants qui défilent devant ses balustrades, puisqu'il donne sur le Grand Canal (on peut y louer des appartements d'ailleurs). Voici un ouvrage exquis que j'ai toujours plaisir à relire et à offrir.

Frederic Eden
Un Jardin à Venise
Actes Sud
Riche aristocrate anglais, sir Frederic Eden, père du premier ministre de Sa Très Gracieuse Majesté, le célèbre Anthony Eden, s'installe à Venise pour raison de santé. Las d'une vie oisive, il achète en 1884 un jardin sur la Giudecca qu'il entreprend de transformer. Or, jardiner à Venise est presque toujours un cauchemar pour toute personne douée de bon sens : pergolas qui s'enfoncent dans la vase, quasi-impossibilité de planter des arbres, pluviométrie capricieuse, et une lagune quelque peu envahissante... Néanmoins, c'est avec un flegme et une ténacité typiquement anglaise que notre auteur s'emploiera à créer ce jardin devenu mythique, le plus grand de Venise.
Il a, en effet, fasciné de nombreux écrivains et inspiré l'œuvre de la célèbre architecte de jardin, Gertrude Jekyll. L'auteur nous invite ainsi à découvrir mille petits tableaux de la vie vénitienne : construction de pergolas, marcottage des rosiers, forage de puits, création d'une étable et d'une laiterie, fête du Rédempteur, démêlés avec les autochtones et les autorités municipales... Tous les amoureux de Venise ont entendu parler du "giardino Eden". Un jardin à Venise est le récit pittoresque de ce jardin planté par un membre d'Albion, sur une île, au sein de la plus exquise cité du monde. Le peintre Huntervasser y a vécu, des poètes l'ont dépeint. J'ai eu la chance de le visiter il y a longtemps. C'était, en dépit d'un quasi abandon, une merveille. Le reportage de TF1 en montre quelques allées sans le nommer. 
Un peu de musique pour changer.
Il y avait hier à Bordeaux un concert d'orgue (sur celui de Sainte Croix, le Dom Bedos dont je vous ai déjà parlé) et clavecin donné par Céline Frisch. Un régal. Samedi dernier, à l'église Saint Pierre, c'était celui des très jeunes "Musiciens du Chapeau Rouge", (ensemble dédié à la musique ancienne et à la tradition bordelaise qui, comme dans beaucoup de villes aisées, vit naître aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles des ensembles d'amateurs éclairés qui se produisaient dans les jardins ou dans les salons) qui vient de naître et que j'ai eu l'honneur de porter sur les fonds baptismaux en avril dernier avec d'éminents parrains comme Michel Laplénie, le directeur de Sagittarius et Davitt Moroney. Violoncelle baroque et clavecin pour des sonates italiennes de Vivaldi, du Gabrieli , Geminiani : Benoit Babel, au clavecin, et Clémence Prioux, au Violoncelle baroque. Ils ont plein de projets : le Stabat Mater de Pergolese, de Bach et du Telemann, une classe de maître avec Davitt Moroney... Mais je vous en reparlerai.
Antonio Vivaldi, 
les Cantates virtuoses
 Philippe Jaroussky 
et l'ensemble Artaserse
Label Virgin Classic
 C'est un CD qui m'a vraiment surpris. Ému même. Les Cantates virtuoses de Vivaldi interprétées d'une manière incroyablement sensuelle par Philippe Jaroussky, accompagné par l'Ensemble Artaserse, avec Jérémie Papasergio au basson et Emilia Gliozzi au violoncelle. Le chant s'élève et vous tendez l'oreille, ébloui, incrédule, confondu par tant de lumière, de naturel et de grâce. De grâce, oui ! Les cyniques, les désenchantés et autres esprits chagrins ricaneront sans doute. Pourtant le mot n'a jamais été si juste, si pertinent. Certes, il est difficile pour l'auditeur enthousiaste, exalté, de résister aux envolées lyriques : elles offrent une contenance face au mystère d'un timbre, d'une beauté à nulle autre pareille, qui défient le temps et les catégories. C'est incroyable : Philippe Jaroussky chante comme il respire : depuis toujours, sans se poser de questions, avec une aisance et une simplicité désarmantes. Ce don, que d'aucuns gâteraient en cédant aux succès faciles et aux mirages du showbiz, il le met au service de sa passion, généreuse mais réfléchie, pour la musique baroque. En quelques années, son parcours (sans faute), jalonné de chefs-d'oeuvre, denses, exigeants (Messe en si, la trilogie des opéras et les Vêpres à la Vierge de Monteverdi...), mais aussi de découvertes excitantes et de splendeurs inédites (I Strali d'Amore de Cavalli, Il Sedecia de Scarlatti, La Verità in cimento de Vivaldi), augure un avenir brillant et riches en surprises, car ce jeune contre-ténor partage la fièvre des explorateurs, cette capacité d'émerveillement qui animent aussi les musiciens qui l'ont dirigé et guidé : Gérard Lesne, Jean-Claude Malgoire, Gabriel Garrido, Jean Tubéry et Jean-Christophe Spinozi...
posted by lorenzo at 21:07

09 mai 2006

Les Bonnes Adresses Budget de Tramezzinimag


Deux jeunes étudiantes suisses me demandent une adresse de séjour économique à Venise. Il y a bien sur l’Auberge de Jeunesse à la Giudecca mais, si l’accueil demeure sympathique, le bâtiment est excentré. Pleins de petits hôtels existent autour de la gare et les particuliers louent de plus en plus des chambres de leur maison. Je connais deux adresses plus que recommandables.
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La première, qu’un ami américain a testé l’an passé, est tenue par un chinois. Située à Cannaregio, sur la calle Ghetto Novissimo, ce Bed and Breakfast est très propre et bien tenu. La colazione est abondante et appétissante, l’accueil attentionné. Les dortoirs sympathiques. Le tout pour 20 euros la nuit ! Mais c’est petit. N’arrivez-pas à onze heures du soir en espérant trouver un coin disponible. Le quartier est très pittoresque et c'est un régal, le soir, de se promener aux alentours du ghetto, vers San Alvise, sur la Fondamenta San Gerolamo où vous croiserez peu de touristes.
Il y a tout près d'excellents petits restaurants et des bars tout aussi agréables. Par exemple le seul authentique kebab de Venise, tenu par un syrien ou tout l'Orient se retrouve le soir : persans, syriens, libanais, éthiopiens, égyptiens, étudiants en architecture ou en Lettres. A deux pas, inutile de vous parler du Paradiso Perduto, haut lieu des soirées étudiantes, avec sa cheminée qui permet l'hiver de superbes grillades et ses groupes de jazz. J'y ai réchauffé mes os d'étudiant lorsque je vivais dans mon petit taudis du ghetto. Il y avait aussi, à deux pas de chez le chinois une mamma di gatti qui nourrissait une trentaine de chats faméliques. Juste à côté, une rôtisserie proposait le dimanche du poulet rôti au jus avec des frites... C'était notre repas favori quand nous étions fatigués des pâtes, polenta et autres usuels de la cuisine vénitienne. Je me demande si cette boutique existe encore...
Calle Ghetto Nuovissimo, 1451/A
Contact : Francesca (039) 041 71 97 48

.L’autre lieu que j’ai personnellement testé se trouve aussi dans le même quartier de Cannaregio. C’est en plus un lieu assez extraordinaire, chargé d’histoire et de mystères. Il s’agit de la Casa Studentesca Santa Fosca. Cet établissement est géré par la Pastorale Universitaire du Patriarcat de Venise. Au milieu d’un jardin qui mériterait d’être réaménagé (c’est en projet), cette résidence étudiante ouverte toute l’année aux voyageurs, jeunes et moins jeunes, est située sur les ruines de l’ancien couvent de Santa Fosca.
Les restes de l’abbatiale du XIVe siècle sont encore bien visibles. Je recommande les chambres du rez-de-chaussée qui donnent sur le jardin ou sur le canal voisin. Le petit déjeuner est servi dans une grande salle où l’ambiance est très familiale. Lits superposés, lavabo dans les chambres. Confort sommaire mais vraiment économique (entre 17 et 22 euros selon que vous choisissez la chambre double – très petite – ou les dortoirs, et selon votre âge aussi). Si vous êtes plusieurs, entre amis ou en famille c’est une solution très économique car vous pouvez aller et venir quand vous le voulez – sauf aux heures prévues pour le ménage dans la matinée – ce qui est très appréciable.
Un bouquet de fleurs, quelques cartes postales sur le mur et vous êtes chez vous pour trois sous. C’est à deux pas du Rio Terra San Leonardo avec plein d’osterie et de baccari dans els environs. L’idéal pour les jeunes. Il y a même internet à disposition dans le hall ! Quand il fait beau, je vous recommande le jardin derrière la cour, pour y bouquiner ou faire de l'aquarelle. Au milieu des merles et des roitelets, dans l'herbe haute, vous rencontrerez certainement le roi des chats et ses acolytes. mais c'est une autre histoire...
Cannaregio, Fondamenta Canal Sante Fosca 2372
Tel. et Fax (039) 041 71 57 75
E - mail: ostello@santafosca.it
http://www.santafosca.it/

07 mai 2006

Un an déjà !

Voilà, vous n'avez peut-être pas fait attention, mais il y a exactement un an, le 7 mai 2005, naissait TraMeZziniMag qui fête ainsi son premier anniversaire! Il y a exactement un an, jour pour jour, je publiais mon premier "post" sur blogspot. Un peu hésitant, je découvrais l'art et l'usage des blogs. C'est ainsi que vint au monde Tramezzinimag... Un peu fourre-tout au départ, les conseils éclairés de certains lecteurs, blogueurs émérites m'ont aidé à donner peu à peu à ce journal, son sens et sa forme. Plus de 5600 visiteurs m'ont fait à ce jour l'honneur de me lire. Grâce à eux, je m'améliore. Enfin je crois... 

Je ne suis certes pas un grand écrivain, juste un petit plumitif ravi de pouvoir partager son amour pour Venise et qui exprime ses joies et ses colères chaque jour depuis douze mois. Mais je dois avouer qu'un de mes meilleurs moments de la journée, lorsque je quitte mon cabinet, c'est, une tasse de thé fumant sur ma table, Mitsou le chat ronronnant sur mes genoux, je me mets à mon clavier pour écrire et mettre en page mon article quotidien. 

Depuis une quinzaine de jours, j'ai eu un peu de mal à tenir le rythme : beaucoup de travail, quelques soucis, des petites contrariétés et une grande fatigue (l'âge vient, le bougre...). Mais que mes lecteurs ne s'inquiètent pas, j'ai l'intention de sévir encore longtemps pour la gloire de Venise et mon plus grand plaisir. Comme un remède à mon exil !
En tout cas, JOYEUX ANNIVERSAIRE à mes lecteurs et un grand MERCI à tous pour votre soutien (en particulier à ceux qui m'écrivent régulièrement) ! Rendez-vous au Harry's Bar pour un verre de l'amitié. Bellini per tutti ! Chiche !

Grisaille

Pourquoi ce drôle de sentiment ce soir ? Une espèce de dépit, une rage insidieuse. Comme une grande colère. Le temps est orageux ici. Il va pleuvoir. les enfants sont insupportables. Peut-être suis-je trop impatient. Nerveux en tout cas. Le ciel est noir. Il fait si sombre que j'ai dû allumer toutes les lampes. C'est comme si j'entendais la musique que Hans Zimmer a créé pour "Batman Begins", le film de Christopher Nolan sur les débuts de Batman à Gotham... J'enrage de n'être plus vénitien en fait, de supporter la pollution, le bruit, la grisaille de Bordeaux. Pourtant j'aime cette ville, les façades qui blanchissent les unes après les autres, les arbres en fleurs, les oiseaux qui chantent et les rues redevenues propres et agréables, les gens qui se promènent... 

Mais Venise me manque déjà. Le quotidien est lourd. Le tramway tout à l'heure était bourré de lascars sales et bruyants, mal élevés, parlant fort. Hier le Jardin Public débordait des mêmes, vautrés sur les pelouses où ils laissent mille traces de leur passage le soir : bouteilles vides, papiers gras, kleenex ou papier toilette, branches cassées et fleurs arrachées. les barbares sont partout. A Venise aussi me direz-vous, mais quand on veut les oublier, éviter les hordes de veaux déguisés en touristes, il suffit de se perdre dans les dédales et quelques ponts plus loin, on n'entend plus rien que le bruit de nos pas, le chant des oiseaux et le cri des enfants qui jouent dans les cours des maisons, sous le regard des chats endormis sur la margelle d'un puits. Là-bas, même dans un quartier populaire et décati, rien de sordide ne vient vous agresser l’œil. Et si les graffitis et les tags se répandent aussi, ils ne se retrouvent que dans les quartiers du centre. A Bordeaux, les barbares sont partout, autour des Quinconces, sur les marches du Grand Théâtre, sur les quais. Une invasion. et ils saccagent, ils consomment le décor... Saint Michel, hier encore si pittoresque, est devenu un champ de déjections canines arpenté par de jeunes islamistes allumés et agressifs et de babas drogués... Mais bon, voilà, nous en sommes tous là, on ne fait pas toujours et à tout moment ce que l'on veut.. 

Heureusement, il y a des moments de joie et des petits bonheurs même ici, en exil : la messe des artistes ce soir à sainte-Croix, avec le magnifique orgue de Dom Bedos (1750), les voix parfaites du groupe de chanteurs qui anime cette messe mensuelle à la demande des pères dominicains et qui interprétait aujourd'hui une messe de Gabrielli, des motets de Roland de Lassus, le ciel magnifique en sortant et ce matin, mon fils au violoncelle, le chat qui jouait avec le lapin et qui s'arrêtèrent pour l'écouter, l'excellent porc à la napolitaine arrosé d'un Lacrima Cristi rouge 1990 et Nina Simone qui chante divinement "I shall be released" de Bob Dylan. 

Un coup de téléphone à des amis vénitiens m'a remis d'aplomb : Les glycines du jardin sont fanées, il fait beau et l'exposition des œuvres de la collection Pinault au Palais Grassi a beaucoup de succès ; les travaux de rénovation du canal derrière la maison sont terminés ; le questeur s'est plaint du manque d'effectifs dont il dispose alors que les manifestations de prestige attirant des personnalités célèbres sont de plus en plus nombreuses... Une chiaccherata sympathique qui me replonge dans ma vraie vie, la vénitienne. le reste n'est que faux-semblants et trompe-l’œil. En attendant notre prochain séjour. Haut les cœurs ! demain est un jour férié. Au programme : ballade en vélo, cuisine avec les enfants, goûter au salon de thé marocain et cinéma ou lecture dans le jardin. Crosby Still Nash and Young chantent "Our house". Je vais me coucher. Bonne nuit. 

posted by lorenzo at 23:54

05 mai 2006

Le spritz

Quand le beau temps revient et que les terrasses de nouveau fleurissent le long des fondamenta, quand les jupes des femmes se font plus courtes et que les garçons remontent leurs manches, la veste sur l'épaule, il redevient agréable de prendre le temps. Siroter un spritz (prononcez toutes les lettres) au bar de l'horloge, au pied de la maison du vainqueur de Lépante, à Sta Maria Formosa, au Margaret Duchamp de Sta Margherita, au Florian ou au bar de l'Arsenal, près de san Martino, debout parmi les autres clients ou assis à une table sous le soleil de mai, le journal devant soi, c'est boire l'âme de venise. C'est communier au quotidien immuable des vénitiens. Alors, il est naturel que de retour chez soi on souhaite, nostalgie oblige, retrouver les sensations qui ont fait palpiter notre petit coeur émotionné par temps de volupté. En voici donc la recette. Tout est dans le dosage et dans les ingrédients, pas toujours faciles à se procurer de par chez nous.
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Tout d'abord il faut savoir qu'il existe quatre variétés de Spritz : au Select (Select Pilla), à l'Aperol, au Bitter (avec du Campari) et enfin avec du Cynar (liqueur à base d'artichaut très à la mode dans les années 50). Le barman ne manque jamais de vous demander votre préférence. Pour ma part, je le prend toujours à l'Aperol. C'est un apéritif né à Vérone en 1919, fait à base de rhubarbe, de gentiane et d'oranges amères. Comme les vénitiens, ma préférence va au Select
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La recette :Dans un verre, mettre deux doigts de vin blanc sec ou de prosecco, un doigt de l'apéritif choisi (Select, Aperol, Campari, ou Cynar), remplir le verre d'eau minerale gazeuse. Une rondelle de citron ou d'orange, une olive sur une pique, parfois un glaçon quand il fait très chaud, et la magie est entre vos mains prête à illuminer votre gosier. Quand vous vous en préparerez un, fermez les yeux en le buvant. Vous retrouverez en un instant toutes les sensations qui furent les vôtres quand vous étiez à Venise : les bruits, les odeurs, la lumière... A la bonne vôtre!tabilité : rien ne va plus

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5 commentaires:

Lili a dit…
Voila un sujet d'actualité en ce dimanche matin.... l'heure de l'apéritif approchant....
J'ai découvert le spritz avec un ami vénitien dans un bacaro de Canareggio, debout au comptoir en dégustant quelques cichetti..Hmmmm... J'ai adoré.... Mais une autre fois,on ne m'a rien demandé et celui qu'on m'a servi était beaucoup trop amer à mon goût! Je ne suis pas spécialiste en la matière, alors si je veux un spritz "dolce"....que dois-je acheter, du Campari, de l'Apérol???? Merci Lorenzo et salute...
Guillaume a dit…
caro Lorenzo... lascia che io brinda con te alla primavera.. (io lo prendo al select di solito)
Anonyme a dit…
J'ai trouvé APEROL chez MONOPRIX et NICOLAS!!! SPRITZ TIME!!!
Lorenzo a dit…
Bravo, voilà une bonne nouvelle pour les amateurs de spritz. A Bordeaux, le restaurant italo-newyorkais "Le Vanzetti" rue des Lauriers a mis le spritz à sa carte. fait avec de l'Americano, il n'est pas mauvais ! Avis aux amateurs.

colibri a dit…
Bonjour Lorenzo, je me suis permis de faire un lien vers votre blog pour la recette du spritz, dans un billet que je publie demain, je tenais à vous en informer, par courtoisie. Si vous désirez que je retire le lien, pas de problème !

03 mai 2006

Quelques mots de Bernard Delvaille



Le message de Claude Chambard qui réagissait à la disparition de Bernard Delvaille m'a donné l'envie de me replonger dans les écrits de ce bordelais amoureux de Venise, mais surtout des voyages et des rencontres qu'on y fait qui toutes nous transforment et nous construisent. J'ai retrouvé dans un de mes carnets une phrase notée il y a quelques années et extraite de son journal (La Table Ronde) :
"Venise, ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un visage, le parapet des ponts, se donnant l'illusion de suspendre le temps..."
Et puis cet extrait de "Le plaisir solitaire" (Editions Ubacs - 1989) :
"J'aimerais vivre dans les ports verts et silencieux de Carpaccio, où le ciel et la mer ne font qu'un, et où les pavillons flottent à peine au vent humide et chaud de l'Adriatique. Mais ce n'est pas Venise, c'est un paysage de l'âme. Il y a aussi la forêt toute proche, et une petite chapelle au sommet d'un rocher. Et les embarcadères de corail et de soleil couchant de Claude Lorrain !"
Et enfin, cette phrase qui orne plusieurs de mes carnets et qui inaugure toujours mes agendas de La Pléiade :
"Je ne recherche dans la vie que le plaisir de chaque instant, je ne consens à vivre qu'à condition d'être heureux. Mon bonheur ne tient qu'à moi..."

posted by lorenzo at 21:47

02 mai 2006

L'agneau de Pâques


L'agneau de Pâques, que l'on sert avec de la polenta ou des pommes de terre au four le plus réputé de Venise est celui vendu par le boucher 
de Santa Margherita.
 
© Photo Claire Normand - avril 2006 - Tous Droits Réservés 


posted by lorenzo at 12:48

Ils sont tous là !

Curieuse impression ce soir, en pénétrant dans les salles vides de la Querini Stampalia. L’odeur des livres, le silence que perturbe le bruit de mes pas sur le plancher ciré, tout me ramène vers mon passé et soudain, les grandes pièces de cette bibliothèque où j’ai si souvent travaillé la nuit se peuplent des personnages qui ont accompagné ma jeunesse vénitienne..

Ils sont tous là, ces êtres brillants qui me fascinaient quand, jeune étudiant, j’étais reçu au Palais Clari ou chez le Duc Decazes : la vieille Comtesse Marcello avec sa béquille et ses cheveux blancs poudrés, Liselotte Höhs, Regina Reznik, Arbit Blatas, Hundertwasser, Santomaso, le Comte Targhetta d’Audiffret, le jeune Marquis Ivancich Biaggini que nous appelions tous Bobo, Silvana Scarpa, Matteo Lo Greco, Manfred Manera, Francesco Rappazzini, les patrons du Cherubin, ceux du Do Draghi et Antonio le serveur, Stefano et Betti, Parvis et Bijan, mes amis persans, Federico Biasin et Federico Allegri, l’avocat Salvadori, l’architecte Michel Regnault de la Mothe, Alvise Zorzi, Jacopo Foscari et sa grand-mère… Tant d'autres encore... 

Vieux, décatis, ou encore dans la force de l’âge, disparus ou bien vivants, ils ressurgissent après tant d’années comme des fantômes, témoins de ma vie ici, quand j’étais le jeune homme bien élevé et très beau que tout le monde invitait… Me revoilà, père de famille, le visage marqué, les cheveux blanchis par des années de soucis, d’erreurs, de mauvais choix ou de non choix. Que me disent-ils en réapparaissant ainsi ? Que j’ai eu tort ? Que ma vraie place est ici parmi eux ou bien que j’ai bien fait de m’éloigner et de ne garder de mon passé que les belles et bonnes choses ?
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Ils me confirment surtout combien cette vie vénitienne a été riche et formatrice, combien j'y ai reçu. Mes années d'apprentissage ont à jamais le goût de l'air un peu salé qu'on respire à Venise. Ce sont mes enfants aujourd'hui qui, écouteurs à l'oreille, avec une musique différente, partent la nuit, déambuler dans les ruelles de notre ville. Leur joie d'être ici est la parfaite justification de mes choix. Si j'étais resté, ils n'existeraient pas. Ils valent mieux que tous mes rêves d'autrefois...
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J’ai terriblement mal aux pieds. Venise me fait souffrir d’une manière triviale ce soir ! Mais quelle joie ineffable. J’ai marché dans les rues toute la nuit, refaisant les trajets qui me portaient les nuits d’autrefois vers ma liberté de jeune homme, vers les découvertes et les triomphes de ma jeunesse… Ce lyrisme fera sourire. Douce nostalgie qui me reporte trente ans en arrière ou presque. Une vie. En passant devant des portes que j’ai bien souvent franchi la nuit, le soir, la journée, je retrouvais à chaque fois un peu de cette jeunesse, avec ses aspirations, ses désirs et ses rêves. En rentrant me coucher, l’air du magnificat de Vivaldi que j’écoutais toujours en marchant la nuit, résonnait clairement dans ma tête et je me suis couché avec la sensation d’avoir de nouveau vingt ans… Qui comprendra cette sensation merveilleuse ?
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Lorsque j’habitais calle de l’Aseo, à l’entrée du ghetto, je partais souvent la nuit après dîner à la recherche de l’inspiration ou sous le prétexte d’échapper à mes doutes, à mes frayeurs. Je marchais ainsi pendant des heures puis je rentrais, heureux, exténué et en me jetant sur mon lit, je ressentais une joie indescriptible qui pourrait sembler ridicule, avant de sombrer dans un profond sommeil. Mes pas me portaient tout d’abord vers San Alvise. Je remontais ensuite vers les Fondamente Nuove, puis j’arrivais à San Zanipolo, l’Arsenal, les jardins de la Biennale, San Elena, San pietro, puis le retour par les Schiavoni, San Marco, San Moïsé, Santo Stefano, l’Accademia, San Gregorio, la Salute et la Punta della Dogana, les Zattere, la gare maritime, Santa Margherita, San Pantalon, les jardins Papadopoli, la gare, la lista di Spagna et par la Fondamenta di Cannareggio, le ghetto nuovo, et le retour à la maison… Une promenade de plusieurs kilomètres dont je ne ressentais alors que très rarement la fatigue…
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Écrit le 21/04/2006
posted by lorenzo at 07:58

01 mai 2006

Clin d’œil à Lili, lectrice

Chaque fois que je reviens à Venise, je trouve ma ville plus belle, mille trésors nouveaux m'apparaissent que j'avais perdu l'habitude de voir et cela me rend très heureux...
Carlo Goldoni
posted by Lorenzo at 22:59

Le peintre, par Henri de Régnier

Je sonne une dernière fois, et je lâche le cordon qui pend le long de la porte. J'écoute le carillon de la clochette qui retentit dans le vestibule sonore et dans tout l'appartement vide. Maintenant je suis certain qu'il ne viendra pas m'ouvrir, comme il le fait d'ordinaire, le pouce au trou de sa palette qui ressemble à une mosaïque fondue, tandis que, de l'autre main, il boutonne son gilet. Je n'ai plus qu'à descendre l'escalier sans même demander au concierge où est son locataire, car il me répondrait que "Monsieur est en voyage".

Il a, sans doute, établi son chevalet au coin de quelque calle ou sur les marches de quelque pont, à moins que dans sa gondole presque immobile, à l'ombre d'un mur de palais, il n'en dessine le reflet dans l'eau. Parfois d'autres gondoles frôlent la sienne et la balancent doucement. De grosses péottes pansues passent, chargées de légumes, de fruits, de planches, de plâtre ... Un homme rame seul debout dans un sandolo et tourne la tête pour regarder cet original qui écrase sur le papier son fusain, – qui grésille comme un moustique.

Personne, mieux que lui, n'a peint Venise. Ne lui en demandez pas les aspects célèbres : il ne vous montrera ni le Palais ducal, ni les Procuraties, ni Saint-Marc, ni la Salute, ni le Rialto, mais il saura choisir pour vous émouvoir l'angle d'un petit campo désert, un vieux mur qui découvre à marée basse des coquilles marines incrustées parmi de fines algues, une cour avec un puits où des guenilles sèchent à des ficelles, la Venise secrète et singulière dont le charme fétide et délicieux ne s'oublie plus quand on l'a, une fois, ressenti.

C'est celle-là qu'il a peinte, mais dont il ne parle jamais. Les mois et les mois qu'il y a passés ont-ils donc disparu de son souvenir ? Jamais il ne prononce le nom de la ville quand nous sommes ensemble, quoique nous pensions l'un et l'autre à elle. Nulle part elle n'est plus présente que dans cet atelier. Elle est dans ces toiles retournées et que j'imagine à ma guise, tout en regardant dans une vitrine quelqu'une de ces fioles transparentes rapportées de là-bas et qui semblent toujours contenir de l'eau de la lagune, tandis que, sur le parquet, se roule un chat qui porte au cou un de ces colliers en boules de verre coloré qu'on fabrique à Murano, – un chat trapu, rond et baroque, qui a l'air de ces animaux un peu diaboliques dont Carpaccio animait ses compositions et dont il ornait ses terrains semés de fleurettes délicates, sous les pas de ses San Giorgio et de ses Santa Orsala.


Henri de Régnier
"Esquisses vénitiennes"- 1905.

posted by lorenzo at 22:41

28 avril 2006

Le départ d'un poète




 
Un grand amoureux de la Sérénissime est mort le 18 avril, à Venise. Il avait 75 ans. C'était l'un des meilleurs spécialistes de la poésie française. Longtemps directeur de la collection "poètes d'aujourd'hui" aux Éditions Seghers, ce bordelais a publié de très beaux livres. Né dans un port, il aimait voyager. Bernard Delvaille a su très bien parler de Venise, une de ses destinations favorites: "ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un visage, le parapet des ponts, se donnant l'illusion de suspendre le temps..." Nombre de ses écrits ont accompagné mon adolescence et mes errements d'apprenti-écrivain. Il m'a donné le goût de l'édition et du voyage. Comme lui, l'Angleterre, l'Italie mais aussi le Danemark sont mes terres d'élection.
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© Photo inédite de Claire Normand - Avril 2006. Tous Droits Réservés
 

posted by lorenzo at 19:12

26 avril 2006

Même si carpe diem ne suffit pas...



C'est enfin le printemps donc. Partout les bars ont sorti leurs tables et quel bonheur, le soir, quand le soleil est couché, de boire un verre au bord d'un canal. Pour ce matou de Dorsoduro, c'est vraiment le bonheur !

posted by lorenzo at 23:50

Mamma, li turisti !

Enzo Pedrocco avec cette photo lance une polémique : pour lui les touristes en s'appropriant Venise, la dénature. Sartory répond que les touristes venant des villes envahies et polluées par les voitures sont ravis de se vautrer à même le sol comme d'autres s'assoient dans l'herbe des prés quand ils arrivent à la campagne. Voici une adaptation du texte de Pedrocco. Quel est votre avis, amis lecteurs ?
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La mentalité hédoniste du vacancier de base sous-entend, presque toujours comme un automatisme, qu'après de longs mois de travail, de soucis et de stress, le repos bien mérité doit forcément s'accompagner d'un laisser-aller total et par conséquent d'un abandon instantané de tout civisme et de toute éducation. Pour dire les choses autrement, ce comportement dénie soudain tout respect de soi-même, d'autrui et de l'endroit où on se trouve. Peu à peu, on voit ainsi l'individu le plus policé, le plus respectueux, le plus citoyen, se relâcher (ne dit-on pas dans le langage courant "il se lâche, je me lâche, lâchez-vous" ?). Et, l'air de rien, cette attitude comportementale a des conséquences énormes sur l'humanité toute entière. (Vous savez, le battement d'aile d'un papillon à l'autre bout du monde qui serait à l'origine d'un ouragan ic i!). Bref, l'ivresse du vacancier se transforme rapidement en un appétit de bien-être qui pourrait avoir notre sympathie si seulement il ne s'accompagnait pas d'exactions et de destructions...

Prenons l'exemple de la très sympathique petite famille de la photo. Je suis convaincu qu'elle serait la première à s'étonner et regretter un comportement aussi désinvolte, inopportun et absolument déplacé si elle n'était pas atteinte par la griserie de l'ivresse du vacancier : se vautrer ainsi au beau milieu d'un lieu de passage très fréquenté, qui ne ressemble en rien à une pelouse de parc anglais ni à une plage de bord de mer, puisqu'il s'agit de la place située devant la gare Santa Lucia. Mais pour se rendre compte de l'inanité d'un tel comportement, il faudrait ne pas être déjà atteint par l'ivresse du vacancier...
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Sur le même sujet, l'image suivante. Sans commentaire. (photo du même) L'assesseur, Augusto salvadori, a pris des mesures anti-bivouac pour éviter ce genre de spectacle sur la piazza ou sur les Esclavons mais les touristes ne comprennent pas et se plaignent. Je suis presque certain que le même lieu pris en photo une heure après, montrerait les leoncini (la petite place surélevée qui est devant le palais patriarcal, où on déposait autrefois les noyés pour qu'on vienne les reconnaitre) garnis de papiers gras et de bouteilles vides, comme souvent dès que la bonne saison revient... Bien entendu, s'il y avait davantage de lieux adaptés aux touristes peu argentés, des espaces verts avec des bancs et des tables, des toilettes publiques, des corbeilles plus nombreuses et des "stewards" ou des "hôtesses" pour rappeler les usages à tout ce monde, les choses seraient différentes. mais Venise n'est pas Disneyland, ce n'est pas un parc d'attraction, ni un parc tout court, encore moins une réserve. C'est une ville, certes unique et dont la beauté appartient à tous, où des gens vivent, travaillent et doivent se déplacer. Je vous assure qu'on a vite l'impression, quand on vit à Venise, et que le beau temps amène des hordes de visiteurs, que nos rues, nos campi, nos intérieurs aussi, sont autant de cages qui attirent les visiteurs et que d'humains, nous passons à l'état de singes qu'on observe, qu'on photographie... A quand les cacahuètes ? 

On parle d'une charte du visiteur à Venise : comment appréhender la ville, comment se comporter, comment la comprendre et surtout comment ne pas la polluer et mal consommer ce qu'elle a à vous offrir. Les parapluies par exemple. Dans les ruelels étroites, quand un vénitien pressé d’attraper le vaporetto croise un autre vénitien, il n'y a jamais d'accrochages, de baleine dans l’œil. L'homme, ou le plus jeune des passants, lève automatiquement son parapluie, tandis que l'autre le penche sur le côté en le baissant. Ils se croisent ainsi sans ralentir, sans se bousculer. Sans se gêner. Souvent en échangeant un sourire. Prenez au même endroit quelques touristes déguisés dans leur imper sac-plastique-poubelle aux couleurs criardes, vous êtes quasiment certain de vous prendre leur parapluie dans la figure. Le pauvre va hésiter, faire un pas en arrière, un pas en avant. Vous aussi. Et l'embouteillage se profile... Il suffit d'un livreur poussant un chariot et les poils du vénitien se hérisse : "Brutta gente" entend-on souvent murmurer quand ce n'est pas une injure en dialecte. Marcher dans les rues de Venise, cela s'apprend. On peut y flâner sans encombrer l'espace. On peut prendre des photos sans empêcher les livreurs de livrer leur marchandise, les balayeurs de balayer et les passants de passer. 
Heureusement, tous les vénitiens connaissent des raccourcis et des itinéraires-bis. Ceux-là, je ne vous les donnerai pas ! Il y a quelques années, un assesseur très généreux voulait organiser une meilleure répartition du touriste dans la ville... Il était question de mieux répartir les hordes. Comme vous le savez, 98% des visiteurs occupent l'espace, masse par masse, de l'esplanade de la gare avec le pont des Scalzi et la Lista di Spagna, puis on retrouve les agglomérats humains au Rialto, à Saint Marc devant la basilique, la tour de l'horloge et le campanile, la piazzetta, le pont des pailles (celui qui permet de voir le pont de soupirs). Un second agglomérat, moins dense et plus culturel, se retrouve sur le pont de l'Accademia et s'aventure jusqu'à la Salute. quelques autres vont vers les Zattere, mais comme la pointe de la douane est en travaux, ils ne peuvent plus faire le tour mais cela reviendra. Cet assesseur bien intentionné voulait donc créer des terminaux vers l'Arsenal, sur les Zattere, pour mieux répandre la foule. Ce fut un tollé absolu. Car, même en plein été, aux alentours du 15 août, quand 200.000 personnes débarquent chaque jour dans Venise, il y a des dizaines d'endroits paisibles, vides de touristes ( sauf quelques égarés la plupart du temps complétement effarés de se retrouver là). Ces campi tranquilles, ces cortile ensoleillés où dorment des chats bien gras et où jouent les enfants, ces parvis d'églises vides comme dans un village de campagne, ces jardins publics absents des guides sont des lieux merveilleux. Des oasis dans le désert. Je vous en montrerai quelques uns.
A une condition. Ne mangez pas de mauvais sandwiches sur la place Saint Marc ou sur les marches de la Salute, ne rentrez pas dans la basilique San Marco en mâchouillant du chewing-gum, votre canette à la main et le torse nu, ne bousculez pas les vénitiens sur les vaporetti pour mieux voir les palais du grand canal. Achetez vos tramezzini accompagnés d'un verre de vin blanc au bar du coin, prenez votre café debout comme les vénitiens, dehors si vous le souhaitez, pour le pipi, prenez vos précautions à l’hôtel avant de sortir et si vous êtes - comme moi - des grignoteurs, alors regardez sur votre passage, il ya des bars et des pâtisseries partout. Alors, si vous savez vous adapter ainsi, Venise est à vous !
posted by lorenzo at 22:28

23 avril 2006

Une vie ordinaire

En relisant le petit ouvrage d' Henry de Régnier que je cite souvent, je suis tombé sur une phrase qui a marqué toute ma vie vénitienne. Il recommande au visiteur de rester avant tout lui-même à Venise. 

Point trop d'églises ou de musées, si ce n'est pas votre "truc". Avant tout, vivez comme vous le feriez n'importe où ailleurs : "Le point essentiel et le précepte fondamental est de vivre à Venise comme on vivrait partout ailleurs, d'y rester soi-même et de ne pas s'y faire une âme factice. Si vous aimez voir des églises, visitez des églises; si vous aimez voir des tableaux, regardez des tableaux, mais ne vous y croyez pas obligé. Venise n'oblige à rien, pas plus à se grimer en romantique qu'à se déguiser en esthète... Ne posez pas devant vous-même, un pigeon sur chaque bras. Marcher vous plaît ? ne prenez pas de gondole. Ne sacrifiez pas vos aises et vos goûts au souci de la couleur locale. Ne demandez à Venise que votre agrément..."
Car, ce qui rend Venise si attachante, ce qui fascine et attire, ce n'est pas seulement les monuments, les trésors d'art, les vestiges d'un passé grandiose. Non, j'en suis convaincu, c'est l'ordinaire, le quotidien qui nous marque. Car, comme partout ailleurs dans le monde, à Venise, on travaille, on mange, on organise sa vie de chaque jour. les enfants vont à l'école, les parents partent travailler, les vieillards se réchauffent au soleil. Bien que de plus en plus difficile, la vie quotidienne à Venise, à elle seule, est un trésor qu'on veut très vite partager. Se rendre le matin au kiosque du coin pour acheter le journal et parler des résultats sportifs avec le vendeur, prendre son pain chez le boulanger, faire la queue chez le boucher, puis à la poste. Discuter un peu avec la fleuriste sur le campo en regardant les enfants courir après les mouettes. Entendre les cloches de l'église répondre à celles des églises voisines et rentrer chez soi préparer le repas. Les tulipes dans un vase sur la belle nappe bleue, le rayon de soleil qui illumine le pavement de la cuisine, l'odeur des glycines partout dans la ville et bientôt, les cris des enfants qui sortent de l'école... Ailleurs, les cris des barcaroï qui chahutent et plaisantent en livrant leur marchandise au marché, les gondoliers qui sortent du bar entourés de l'odeur du café qu'ils viennent de boire, le livreur de brioches qui s'en va par les calli, le panier sur la tête comme autrefois. Les ouvriers qui poussent leur chariot; les carabiniers, toujours grands, toujours impeccables qui se donnent un air sévère, surtout devant les filles (et devant les vitrines où ils aiment se contempler)... Tout ce monde est le même qu'ailleurs, mais ici il y a quelque chose de plus. La lumière, les odeurs, le décor ? Tout cela à la fois sans doute. C'est Venise au quotidien. C'est la Venise que j'aime. La prochaine fois que vous y allez, humez cet air unique, ouvrez grand vos yeux à Castello, à Dorsoduro comme à Canareggio. Vous verrez, une heure de quotidien ordinaire vous fera plus de bien qu'une nuit de sommeil. Vous reviendrez réjoui, affamé et heureux ! Essayez.
posted by lorenzo at 21:52