11 septembre 2006

La Venise de tous les jours

Mes lecteurs appréciant visiblement tout ce qui peut leur donner une autre vision de Venise, moins touristique, moins liée aux modes, aux foules, aux clichés, j'ai cherché des images de ce quotidien qui prend bien sur ici une autre mesure qu'ailleurs. Voici par exemple un cliché montrant Luigi Gambirasi, dit Gigio pour les amis, aujourd'hui disparu.
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Nous sommes en 1989, à Santa Fosca. La scène se déroule un matin, sur un de ces pontons qui servent à Venise à la fois de débarcadère, d'atelier flottant, de garage pour les barques. Le vieil homme est resté jusqu'à sa mort le plus célèbre rémer de Venise. Traduisons ce métier existant à Venise depuis toujours par fabricants de rames.
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Jusqu'à la fin de son existence, Gigio taillait, sculptait, façonnait des rames, comme sur la photo, mais aussi ces fameuses forcole qui sont un des symboles de la Cité des Doges, sous le regard des passants. Et ce spectacle fascinant d’un artisan en pleine possession de son art attirait beaucoup de monde, spécialement des étrangers en visite à Venise, peu habitués à voir l' extraordinaire spectacle d'un très vieil homme aux gestes habiles et précis. Un orfèvre vraiment.
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Malheureusement, il ne nous est plus aussi souvent donné aujourd’hui de pouvoir contempler l’extraordinaire habileté de ces artisans, détenteurs d'un savoir-faire millénaire. Les habitudes et les modes de notre monde moderne nous poussent à toujours aller plus vite et à préférer le moindre effort. Ainsi, il y a de moins en moins de bateaux à rames à Venise et ces charpentiers d'un genre très particulier se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une main. A l'artisanat traditionnel se substitue chaque jour davantage le produit manufacturé à la chaîne made in China. Combien l'âme et la poésie y perdent.
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© veniceXplorer.net, 2005
posted by lorenzo at 22:36

07 septembre 2006

Venise au quotidien

Le voyageur qui réfléchit se doute bien qu'il y a une vie à Venise en dehors du tourisme. Les enfants vont à l'école, les retraités se retrouvent pour bavarder ou jouer aux cartes. Il y a les ménagères qui font leurs courses, les ouvriers sur leurs chantiers, les artisans, le balayeur des rues, le boulanger, le boucher, le marchand de journaux, le facteur...

Tout un peuple qui vit et se déplace dans un décor magique qui fait leur quotidien. Comme je le répète toujours, on vit à Venise comme partout ailleurs. Parfois plus difficilement à cause de ces contingences particulières qui rendent chaque chose différente ici : pas facile de changer une baignoire, de se faire livrer des surgelés, d'être à l'heure à un rendez-vous.

Il y a les vaporetti, le transport en commun le plus beau du monde mais aussi le plus lent. Il y a les ponts qui cassent le rythme de la marche et, s'ils donnent depuis toujours aux vénitiens une démarche unique, ne permettent pas d'aller vite. Il y a aussi les masses de touristes toujours agglutinés à l'endroit où la rue se resserre, devant le sottoportego où il ne faut pas être et qui encombrent...

Mais en dépit de tout cela, il fait bon vivre à Venise. Capitale de la beauté et de la culture, c'est aussi une petite bourgade de province finalement, où tout le monde se connait, où il y a peu de malfrats, peu de bruit.

certains diront qu'il y a aussi beaucoup d'ennui. Mais moi je vous confirme qu'il n'existe au monde aucun lieu urbain où la vie soit aussi douce et paisible. Un seul endroit au monde où chagrins et soucis prennent la même dimension...

Il y a une vie quotidienne à Venise comme n'importe où ailleurs dans le monde. En voici quelques exemples glanés dans ma photothèque ou au gré de mes découvertes sur le net :

























posted by lorenzo at 20:14

05 septembre 2006

E la nave và...

 
Voilà la rentrée est consommée. Chez nous, les enfants sont tous à l'école. Pour la première fois, chacun dans un établissement différent. Paperasseries à n'en plus finir, fournitures selon les nombreuses exigences des professeurs et des maîtres, emplois du temps à coordonner et le rythme régulier des jours de classes à retrouver : lever tôt, coucher tôt... Venise est loin avec son doux farniente. Pour un temps en tout cas. Vogue le navire jusqu'aux prochaines vacances... Bonne route à tous !

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posted by lorenzo at 00:29

04 septembre 2006

Cameriere, un Gianduiotto per cortesià !


  posted by lorenzo at 20:25

Avez-vous déjà goûté le merveilleux, l'extraordinaire, l'unique gianduiotto de chez Nico ? Il faut le déguster sur leurterrasse, sur la Fondamenta des Zattere. Après une journée de ballade, après une visite à l'Accademia ou à la Guggenheim, une excursion sur la lagune ou un doux farniente au Lido, cet appareil de glace chantilly fraiche et légère cachant un bloc de glace au gianduja, accompagné par un verre d'eau glacée, c'est l'idéal avant l'heure de l'apéritif, que ce soit le spritz sur la campo Sta Margarita ou un Bellini au Harry's bar ou dans un fauteuil du Danieli. Laissez la terrasse du Florian, du Quadri ou de Lavena pour les touristes paresseux. Si vous n'y êtes pas encore allés, vous vous y rendrez demain ou après-demain. Il y a le temps. Choisissez plutôt un soir après un excellent dîner ou un début d'après-midi pour le café, comme du temps de Goldoni. En revanche, chez Nico, le gianduiotto s'impose à n'importe quelle heure du jour ! Mais vous n'en consommerez pas deux à vous tout seul. Ce serait du mauvais goût et mal vu de votre estomac ! Allez-y et vous nous en donnerez des nouvelles !

Un bout de paradis

 
Il y en a beaucoup comme cela à Dorsoduro,
à Cannaregio, à San Polo ou plus loin encore à Castello.
Comment ne pas aimer la vie et la vie à Venise 

quand on a la chance de vivre là ? 
 
  Posted by Picasa posted by lorenzo at 20:13

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1 commentaire: 

    lucie h a dit… 

    c'est mon rêve 

     04 septembre, 2006

 

Calle del vento

Dans mon précédent billet, c’est Henry de Régnier qui chantait la louange des Zattere, cette Fondamenta qui longe Dorsoduro de la Pointe de la Douane aux hangars de Santa Marta. Il mentionne à la fin de son texte l’ultime rue de ce quartier de San Trovaso, loin de tout et peu fréquentée par les touristes : la Calle del Vento.
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Eté comme hiver, la ruelle porte bien son nom, le vent y est toujours présent comme chez lui. C’est un endroit plein de poésie. Partie des Zattere, elle débouche sur le petit campo San Basegio, non loin de l'église San Sebastiano. Un des lieux les plus pittoresques de Venise. Encore préservé et peu fréquenté.
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L’écrivain vénitien Diego Valeri (l'auteur du seul vrai guide sentimental sur Venise et qui habitait à deux pas, sur la fondamenta Cereri, à côté des Carmini), a écrit à son sujet un poème que j’aime bien. Calle del vento, c’est aussi le titre d’un recueil de poésie paru l'année de sa mort, en 1976 chez Mondadori, qui mériterait d’être traduit en français pour les amoureux de Venise. Les anglais ont la chance d'avoir My Name on the wind, paru en 1989, dans une belle traduction de Michaël Palma (Princeton University press). En voici un extrait, dans une traduction personnelle que j'espère fidèle à l'esprit de ces vers inspirés :
Qui c’è sempre un po’ di vento
a tutte l’ore, di ogni stagione:
un soffio almeno, un respiro.
Qui da tanti anni sto io, ci vivo.
E giorno dopo giorno scrivo
il mio nome sul vento.
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.

Diego Valeri
Calle del Vento,
Mondadori, 1976

posted by lorenzo at 07:30

03 septembre 2006

Venise en septembre

Cette mosaïque réalisée avec Picasa, le logiciel de gestion d'image de Google (que je vous recommande en passant si vous ne l'avez pas encore adopté) comme une impression de Venise en ce début de septembre. L'été semble installé pour quelques semaines encore et il fait ici aussi bien meilleur qu'en août. A Venise non plus il n'y a plus de saisons. La Mostra bat son plein, les plages du Lido sont très fréquentées. Il fait beau. Il fait doux. Venise est resplendissante. Catherine Deneuve aussi. 
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posted by lorenzo at 22:59

02 septembre 2006

Les Zattere

Je vous aime, ô Zattere, pour toute votre longueur lumineuse ou nocturne, de la pointe de la Dogana, où vous commencez, à la calle del Vento où finit votre quai de pierre, bordé de façades diverses ! Je vous aime dans toute votre étendue parce que, sur votre dalle, il fait bon marcher vite ou doucement ou s'arrêter, selon l'heure ou la saison, à l'ombre ou au soleil, ô Zattere !
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Souvent, je viens à vous par le rio San Trovaso. Oh ! la maison qui est au coin avec ses arcades et sa glycine, – jaunissante, cette année, quand je la revis ! Pourtant un clair soleil de novembre brillait au ciel de Venise. L'air était frais et limpide, et quel plaisir de le respirer à pleine bouche sur votre promenoir, ô Zattere, devant le canal large, en face de la Giudecca aux trois églises et aux jardins de sauge et de cyprès !
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Me voilà donc. Tournerai-je à droite ou à gauche ? Je ne sais, car je vous aime toutes, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento ! Je vous aime aux Incurabili comme aux Gesuati et au Ponte Longo et à cet endroit où il y a un vieux palais dont le marteau de porte est un Neptune de bronze qui dompte des chevaux marins. C'est là, je crois bien, que j'irai m'adosser pour fumer un de ces âcres et minces cigares que l'on coupe de l'ongle par le milieu avant d'en allumer une moitié.
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Oui, car il fait doux, ce matin, et le ciel est pur. Les bateaux que l'on décharge sur le quai gémissent sourdement à leurs amarres. Partout ailleurs qu'ici la vue d'un port et de ses navires donne des pensées de départ et de voyage. Mais qui songe à quitter Venise ? En vain, les coques enflent leurs flancs et les mâts balancent leurs cordages. Où pourrait-on être mieux que le dos à ce marteau de bronze et les semelles à votre sol, ô Zattere ?
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J'ai entendu le canon de midi. Les cloches sonnent. J'ai reconnu celles des Gesuati, de San Trovaso et de la Salute. Celles du Redentore, de Santa Eufemia et des Zitelle s'y joignent, d'au delà du canal. L'air vibre. Le temps de ma promenade est passé. Demain je ne resterai pas là, en paresseux, et je vous parcourrai tout entières, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento, tout entières, ô Zattere !
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Henry de Régnier
posted by lorenzo at 00:23

01 septembre 2006

Poor poor Mister Andrew Conte. Poor poor Venice !

Andrew Conte est un sympathique citoyen américain de Pittsburgh. Marié, père de deux enfants de 6 et 3 ans, il a eu le bonheur et la chance de passer quelques jours à Venise cet été. Ce n'était pas son premier voyage, non. C'est à Venise qu'il fit avec beaucoup d'originalité, son voyage de noces. Il y retourna quelques années après une deuxième fois, un anniversaire en quelque sorte, visitant avec passion églises et musées. Mais c'était la première fois qu'il y venait avec toute sa petite famille.
 
Avisé, il avait renoncé à réserver une chambre d'hôtel avec toutes les contraintes que cela suppose quand on a des enfants en bas âge. Il avait donc loué un appartement. Une sorte d'ersatz d'appartement dirai-je plutôt. Nickel chrome : tout neuf, tout propre, rassurant. Aseptisé comme un décor de cinéma. Si vous aimez le genre, j'ai l'adresse. Juste ce qu'il faut de couleur locale. 
Voilà notre famille Conte qui débarque à l'aéroport. Point de bus ou de vaporetto, un taxi (il en relève d'ailleurs le prix prohibitif mais pour un américain !) car les chers petits auraient souffert, l'heure du dîner approchant et les dernières tartines de peanut butter trop loin, il craignait une rébellion insupportable (chers petits anges). On passe sa vie chez un psy pour moins que ça de l'autre côté de l'Atlantique ! Le voilà donc en taxi se prenant pour l'ineffable Georges Clooney (vous savez le néo-bellâtre qui se promenait à Hollywood avec son cochon dressé et fit longtemps croire à la gent féminine de la planète qu'il maniait le bistouri comme un dieu...). La lagune, le grand canal et c'est l'arrivée, la remise des clés, l'installation. On notera au passage que l'appartement a l'air conditionné (nécessité absolue pour un américain) et que, bien que complètement aménagée la cuisine ne leur a jamais servi...
Pour le confort des enfants, entre les pigeons de Saint Marc et les toboggans des Giardini Publici, Monsieur Andrew Conte préféra pendant toute la durée de son séjour se faire servir un petit déjeuner très neutre. Impossible pour lui d'imaginer que se rendre chez le boulanger du coin ou chez le petit épicier, d'écumer le marché du Rialto pour ramener fruits et légumes frais, poissons et viandes, serait pour les enfants une expérience culturelle défrisante et somme toute éducative. Non, ce pauvre Monsieur Andrew Conte aura préféré nourrir sa famille de panini et de pizza tourista (c'est ainsi que j'appelle ces pizzas de la taille d'une tarte au sucre en général peu cuites garnies de sauce tomate épaisse et parfois de dés de jambon blanc industriel...) arrosés de Fanta pour les gosses et de bière pour leurs géniteurs ! 
Il raconte ainsi un mémorable pique-nique sur un campo où trône un monumental lion ailé  (les lecteurs avisés auront reconnu). Assis sur le piédestal, la tribu Conte a délicieusement déjeuné puis, pour aider à la digestion certainement, les chers petits sont ensuite partis escalader le lion vert-de-grisé (selon l'expression même de Andrew Conte). Pour ceux qui ne l'ont pas reconnu, il s'agit du monument à Daniele Manin, sur le campo du même nom, derrière San Luca... 
Notre héros vante cette péripétie comme une joyeuse aventure à imiter, sans se rendre compte qu'il y a là de quoi donner des palpitations à l'Avocat Augusto Salvadori, le courageux assesseur au tourisme, parti en guerre contre la sauvagerie des touristes qui compissent les murs, s'installent pour pique-niquer au pied de la basilique Saint Marc, jettent leurs canettes de Coca-Cola vides dans les canaux et prennent la ville pour un Luna-park géant... 
De quoi aussi renforcer l'offensive des patrons de Disney qui souhaitent mettre la main sur Venise pour en faire, justement, un gigantesque complexe touristico-ludique comme ils en ont le secret. Un accord dans ce sens a d'ailleurs été signé avec les financiers de Las Vegas...
C'est un début... Après tout, en bon yankee qui se respecte, ce pauvre Monsieur Andrew Conte ne pourra que s'en féliciter : ses chers petits pourront se gaver de bouffe industrielle à chaque coin de rue et grimper sur les monuments - après avoir fait la queue bien sûr - en toute impunité...

Certes mes propos sont un peu outrés. Ce sympathique américain livre aux gens de Pittsburgh des adresses pour un séjour réussi à Venise vu sous l'angle du mode de vie américain et c'est cela que Tramezzinimag cherche à dénoncer. Cette main mise de plus en plus prégnante d'un style de vie, où tout doit être à portée de main, facile, surtout pour les enfants qu'il ne faut jamais forcer, et le monsieur ne donne de Venise qu'une idée tellement proche d'un parc d'attraction. Pourtant c'est un lettré, un homme de culture... Mes enfants m'accompagnent toujours dans les musées et les galeries, les églises et les salles de concert. Ils ont la liberté de jouer, de courir et de réclamer des glaces ou des limonades mais nous n'avons jamais, leur mère et moi, cédé aux sirènes de l'américanisation des mœurs. Ils savent ce que Non veut dire quand les parents prononcent ce mot et ils ont appris tôt les règles et les usages. Délurés et épanouis comme le sont les enfants en bonne santé, ils sont aussi sages et calmes quand cela est nécessaire, polis et respectueux avec le reste du monde comme ils le sont en famille, avec nous et entre eux. Comme des milliers d'autres enfants élevés et aimés. Ils transmettront un jour cela à leur tour.

Pour la lecture du texte d' Andrew Conte, publié dans le Pittsburgh Tribune Review, le 06/08/2006 sous le titre (alléchant avant lecture) "The Sounds of Venice", il est à la disposition des lecteurs de Tramezzinimag en cliquant sur le lien ICI
Crédits photographiques : © Andrew Conte & The Pittsburgh Tribune Review.

posted by lorenzo at 00:55

30 août 2006

Esquisses vénitiennes

J'ai dormi, cette première nuit, dans un tel silence qu'il me semble que je ne me réveillerai jamais tout à fait. Cependant l'air matinal rafraîchit mes yeux, mais les choses qu'ils voient contribuent à me maintenir, dans un demi-rêve : ces eaux muettes, ces pierres taciturnes, ce ciel lumineux, – tout le décor de la ville enchantée où la noire gondole qui me mène paraît signifier, par sa forme funéraire, qu'on est mort au reste du monde.
N'est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté? Son nom seul provoque l'esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : "Venise", et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune.... "Venise", et c'est comme une étoffe de soie qui se déchire dans un rayon de soleil... "Venise", et toutes les couleurs se confondent en une changeante transparence... N'est-ce pas un lieu de sortilège, de magie et d'illusion ?

Ce ne sont pourtant ni des ombres, ni des fantômes qui l'habitent, mais des hommes, et des hommes qui naissent et meurent, qui vivent et qui mangent, car ma gondole croise des barques chargées de légumes et de fruits, et l'eau roule des feuilles et des écorces. Sur les marches de ce petit quai, on entasse des paniers de poissons et de coquillages. Des gens marchandent ces nourritures. Ils n'ont l'air ni étonnés ni anxieux d'être là. Je voudrais leur parler et leur avouer mon angoisse. Ah ! qu'ils m'apaisent et me rassurent, qu'ils me convainquent que tu n'es pas un rêve fragile et vain, ô Ville enchantée, que tu ne vas pas, comme une vision de sommeil, te dissoudre et t'évaporer; que tu n'es pas seulement un mirage passager de ta lagune, un peu de lumière et de couleur entre le ciel et les eaux, - car j'ai peur, j'ai peur, si je fermais un instant les yeux, de ne plus, en les rouvrant, retrouver à ta place, ô Ville marine, que l'étendue des ondes désertes au-dessus desquelles planerait le vol de bronze, Venise, de ton Lion ailé !
Henry de Régnier
"Esquisses vénitiennes",
in - Revue de Paris, 1er août 1905
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29 août 2006

Une rue de Venise

Une rue de Venise par Walter Ahlfeld
© Walter Ahlfeld, 2006 - Tous Droits Réservés
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Mon musée vénitien

L’Accademia. J’aime ce musée. L’atmosphère des grandes salles protégées du soleil par les hauts rideaux de toile blanche. Lorsque les fenêtres en été son ouvertes, on dirait les voiles d’un navire en pleine mer… Il y a dans ce musée des trésors que l’humanité entière vénère. Mais ceux que j’aime ne sont pas toujours les plus célèbres. Un critique d’art rirait certainement de mes préférences.
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Plus que tout, ce sont les primitifs vénitiens qui depuis mon enfance m’attirent. J’avais dans un livre offert par mes grands-parents, la reproduction d’une peinture de Jacopo del Fiore. Cet amour pour la peinture des XIVe et XVe siècles ne s’est jamais démenti. C’est sur les peintres vénitiens de cette période que j’ai travaillé quand j’étais étudiant en histoire de l’art dans le vieux bâtiment aujourd’hui en cours de reconstruction, qui jouxte l’église de San Sebastiano. Je m’étais pris de passion pour ce lien entre la peinture à vocation spirituelle et l’inspiration païenne des primitifs (la représentation du martyre de Saint Sébastien en est un exemple sur lequel j’ai travaillé deux ans, étudiant l’évolution des représentations depuis les mosaïstes jusqu’au XVIe siècle. La relation entre ce sujet fort de l’iconographie chrétienne dès les origines et la représentation physique des héros de l’antiquité est flagrante). Le Trecento (XIVe) me fascinait. Une époque encore rude et primitive bien que très raffinée. Des concepts sociaux et moraux très prégnants dans une Venise toujours sur ses gardes mais triomphante, qui encourageait une effervescence artistique au service de son pouvoir et de l’Eglise certes, mais qui se traduisait par un véritable laboratoire de pensée et de réflexion artistiques. Leur peinture faisait le lien entre le monde antique et ce monde nouveau que le développement du christianisme généra dans les mentalités et donc dans l’art. On trouve tellement d’indicibles indices qui expliquent l’éclosion de la Renaissance, là, déjà dans ces œuvres du Moyen-âge néo-oriental nées à Venise…

.Paolo et Lorenzo Veneziano, Giambono sont encore, comme Del Fiore, sous l’influence des mosaïstes byzantins mais peu à peu, on sent qu’ils découvrent la matière et leur style se libère des contraintes de la mosaïque. Les attitudes se font moins hiératiques, les visages moins figés. La vie s’exprime. J’aime leurs figures allongées, les yeux fixes encore, la plupart du temps écarquillés par l’extase et la majestueuse solennité des scènes gothiques ordonnées autour du Christ et de la Vierge, avec des personnages qui n’ont d’existence que par rapport au Sauveur et à sa Mère.
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Une autre salle fait mon bonheur. Celle des Bellini, Carpaccio, Cima da Conegliano, Basaiti et les non-vénitiens : Mantegna le padovan, Pietro della Francesca le toscan dont on dit dans ma famille qu’il aima une des sœurs de notre aïeul Elio, Tura de Ferrare, Memling le flamand… Autant d’influences pour l’école vénitienne. Mais je reviens à mes primitifs. J’aime particulièrement un tableau de Michele di Matteo Lampadini-Bolognese (vers 1416). C’est un polyptique très orné qui provient de la belle église conventuelle de Sant’Elena. On raconte que ce tableau avait été choisi pour rejoindre les collections du Louvre à la demande de Napoléon mais que les moines, prétextant le mauvais état du placage de bois et de l’encadrement,mirent tellement de temps à le décrocher que les navires chargés du butin de Bonaparte appareilla avant qu’il ne fut livré sur le quai des esclavons. Il ne retourna jamais pour autant dans l’église, mais au moins n’a pas quitté Venise. Une vingtaine de saints sont représentés sur un fond d’or. En haut l’artiste a peint la crucifixion et les quatre évangélistes, au milieu la Madone sur un trône avec son fils adoré par les anges. Sainte Hélène, Marie-Madeleine et Catherine entourent cette scène très pure. Sur les prédelles on voit un commentaire très imagé de la découverte de la vraie croix et tout en bas, l’émouvante signature en majuscule : "MICHAEL MATHEI DE BOLONIA FECIT". Plus loin, six petits tableaux de l’Ecole de Rimini, datés de la première moitié du XIVe siècle relatent l’histoire du Christ, la passion et le jugement dernier. Elégance des fonds dorés, ampleur des mouvements, personnages pleins de vie… Les tableaux les plus récents font le lien avec la peinture vénitienne "moderne " née au XVe siècle avec la famille Bellini. Le tryptique de Saint Sébastien entre Saint Jean et Saint Antoine. L’adolescent martyr a une très belle tête mais ses jambes et son corps sont lourds…
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J'aimerai parler aussi de Giorgione, de Longhi, de Rosalba Carriera... Mais mes tableaux préférés demeurent ceux de la fameuse Ecole de Bellini. J’aime ces jouvenceaux en bas rouge, aux joues très roses que l’artiste devait ramasser dans les rues ou sur un campo, comme on ramassait devant Saint Marc le Balloto qui devait tirer au sort les électeurs du Doge. Moyennant quelques pièces, ils posaient en saint martyr. On a longtemps retrouvé dans les rues de la Venise moderne, les sosies de ces jeunes hommes immortalisés par les Bellini, Carpaccio, Vivarini : la mode des longs cheveux, souvent ondulés, les petits bonnets roulés sur le haut du crâne, les pantalons étroits et moulant leurs longues jambes fuselées… Tout dans leur allure rappelait les vénitiens d’antan, leurs ancêtres… Quand je vivais à Venise et que je les voyais le matin au marché du Rialto, sur la Lista di Spagna ou le soir à San Luca ou à San Bartolomeo, je ne pouvais m’empêcher d’associer leurs voix rauques et leurs poses affectées aux personnages figés pour toujours dans les grandes peintures de l’Accademia. Depuis, chaque fois que je vois un tableau de Carpaccio ou de Bellini, j’entends leurs voix, leurs rires et ils semblent vivre comme nourris de la vigueur et de la jeunesse de leurs descendants d’aujourd’hui.
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Dans le grand couloir, une série de vedutisti me plait beaucoup aussi : Ricci notamment avec ces scènes champêtres où à première vue rien ne semble bouger, et qui, si on les regarde plus attentivement, révèlent une foultitude de saynètes : un cavalier qui effraient volailles et lavandières, pâtres fuyant l'orage qui menace, promeneur endormi que renifle un chien intrigué...
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Mais il y a aussi dans ce musée des toiles plus ou moins reconnues et célébrées. J’aime notamment le Christ mort de Basaiti, petite toile devant laquelle on passe souvent sans la remarquer en allant vers le cycle de Sainte Ursule de Carpaccio. Le Christ étendu sur une pierre entre deux anges qui le soutiennent dans un paysage mystérieux. L’un des chérubins porte sur le bras une délicieuse couronne de fleurs.
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Il y avait naguère juste à côté de cette toile, dans le même couloir qui mène au merveilleux voyage où Carpaccio nous convie, une petite toile de Guardi, une miniature ovale représentant un beau paysage et aussi une ébauche en plâtre d’une sculpture de Tiepolo aussi.
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Mais je n’ai pas vérifié depuis longtemps l’installation des toiles du musée. Je crois que la sculpture a disparu mais le Basaiti est toujours là comme le petit Guardi ovale.

Quand je vivais à Venise, mes amis étudiants aux Beaux Arts m’attendaient souvent dans la cour de l’école. J’aimais m'y promener, et j'aimais beaucoup regarder dans les salles. La collection de plâtres avait ma préférence. Toutes ces répliques de statues célèbres, ces moulages dont les plus anciens datent du XVIIIe siècle, me fascinaient. J’ai connu aussi un vieil antiquaire qui avait dans son palais, sur le grand canal, une collection de plâtres presque aussi importante. Au milieu des tissus anciens, des meubles antiques et des tapis d’Orient, on rencontrait la Vénus de Milo, l’Ephèbe d’Olympie ou les Grâces de Visconti. La blancheur fantomatique de ces sculptures me faisait une impression très particulière. Comme passer à travers un miroir et depuis le monde réel côtoyer un monde enfoui mais toujours vivant. C'est cela aussi Venise.

posted by lorenzo at 20:21