13 septembre 2006

TraMeZziniMag Galerie




La galerie virtuelle de TraMeZziniMag vous présente un dessin plein d'humour pris sur le vif par Michel Krafft, artiste suisse qui vit et travaille à Lausanne. Avant tout photographe, il sait rendre d'un trait de crayon l'ambiance unique de Venise sans tomber dans l'anecdotique de bazar à touristes.
 
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12 septembre 2006

COUPS DE CŒUR N°8

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Concert baroque à la Cité Interdite
Musique de Teodorico Pedrini et Joseph-Marie Amiot interprété par Jean Christophe Frish(flûte), Martine Chapuis (clavecin), hager Hanana (violoncelle).
Auvidis - 1996 - E8609.
Un ami musicien vient de me prêter un disque dont j'avais souvent entendu parler mais qui est difficile à trouver. C'est une splendeur. Les sonates de ce musicien italien né en 1671 près d'Ancône et mort à Pékin en 1746 sont un pur régal. Le violoncelle de Hager Hanana onctueux répond aux vibrati de la flûte traversière de Jean-Christophe Frish avec le délicieux jeu de Martine Chapuis qui est professeur de clavecin au Conservatoire National de Bordeaux, pour notre délice. La qualité de la prise de son est sublime.
Un curieux personnage que ce Pedrini. Moine jésuite envoyé à la cour de Pékin par le pape Clément XI afin d'évangéliser l'Empereur de Chine. Il y a à Venise dans les archives de la République de nombreux commentaires sur cette tentative déjà envisagée quelques siècles auparavant peu après le retour de Marco Polo. Et si la Chine était devenue chrétienne à la suite de son maître ? Ce disque m'amène à vous parler d'un petit livre très agréable à lire consacré à ce compositeur qui était aussi réputé comme claveciniste.
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Jacques Baudouin
Le mandarin blanc
Editions Lattès
Comment résister au charme fou de son héros? Modeste natif de Fermo, dans les Marches d'Ancône, à la fin du XVIIe siècle, le jeune Teodorico se révèle si bon organiste qu'il se fraye un chemin jusque dans les salons de l'aristocratie romaine. Compositeur et claveciniste de renom, après un rêve d'amour brisé par la mort de sa bien-aimée, il entre chez les pères lazaristes, jusqu'au jour où le pape lui confie une mission secrète : convaincre l'Empereur de Chine que les rites sinisés encouragés par la Compagnie de Jésus sont incompatibles avec la foi chrétienne. Pourquoi Teodorico? Parce que Kangxi, le Fils du Ciel, est un passionné de musique qui vit entouré d'instruments occidentaux. Les jésuites l'ont circonvenu grâce à leur maîtrise des cartes et du calendrier. L'envoyé de Clément XI doit le charmer par sa musique et obtenir l'abandon du culte des ancêtres.
Voici Teodorico parti pour un incroyable périple que ni les "crimes" des jésuites ni les éléments déchaînés ne parviendront à entraver. Jacques Baudouin décrit comme personne l'enfer que représente la traversée de l'Atlantique sur un trois-mâts de Louis XIV, les périls inouis courus lors du passage du détroit de Magellan, les délices perverses de la société péruvienne, les dangereux mystères de la cour de Pékin, les subtilités de la querelle des rites et le baume du tao. Propulsé au faîte de la puissance par Kangxi, qui lui décerne la plus haute distinction jamais accordée à un étranger, faisant de Te Li-Ko (nom chinois de Pedrini) le Mandarin blanc, il connaîtra la déchéance et la disgrâce. Mais jamais le lazariste ne renoncera, malgré la soutane, à explorer les arcanes de l'amour avec sa compagne Yao Niang. Il traduira ainsi dans sa musique les plaisirs de la chair, les joies de la paternité, les douleurs du deuil et la sérénité prônée par le taoïsme. In nomine Domini...
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Trattoria Alle Vignole Vecchie 
Isola delle Vignole, Venise
Tel. (39) 041 5289707

L’ile des Vignole, protégée à l’Est par le Fort Sant’Andrea et proche du délicieux oasis de la Chartreuse, est depuis toujours le jardin potager et le verger de la Sérénissime. De ses rives proches de Murano, on a les plus couchers de soleil de toute la lagune. C’est d’ailleurs au crépuscule qu’il faut s’y rendre pour dîner dans ce petit restaurant sans prétention. Un local qui se mérite, puisqu’il faut un bon quart d’heure de vaporetto pour y arriver. Mais cet effort est vite récompensé. Les propriétaires de cette auberge, la famille Vianello, accueillent depuis près de cent ans les clients comme s’il s’agissait d’amis de toujours.
Un grand jardin ombragé, une salle rustique mais confortable pour déguster une cuisine traditionnelle mitonnée à partir de produits de la lagune. Un délice au tarif des bars à vin de Canareggio ou de la Giudecca. On y va par le n°52 au départ des Fondamente Nuove, mais si vous insistez, il est possible de venir vous. Et si vous y allez un dimanche, vous rencontrerez sûrement une noce, comme nous l'avons fait lors de notre dernière promenade sur la lagune : les mariés et leurs invités arrivèrent sur des barques toutes fleuries, avec les musiciens, les grand-mères, les enfants. Une scène à la Goldoni. D'ailleurs, dans cette trattoria, la polenta est servie comme autrefois !
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11 septembre 2006

La Venise de tous les jours

Mes lecteurs appréciant visiblement tout ce qui peut leur donner une autre vision de Venise, moins touristique, moins liée aux modes, aux foules, aux clichés, j'ai cherché des images de ce quotidien qui prend bien sur ici une autre mesure qu'ailleurs. Voici par exemple un cliché montrant Luigi Gambirasi, dit Gigio pour les amis, aujourd'hui disparu.
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Nous sommes en 1989, à Santa Fosca. La scène se déroule un matin, sur un de ces pontons qui servent à Venise à la fois de débarcadère, d'atelier flottant, de garage pour les barques. Le vieil homme est resté jusqu'à sa mort le plus célèbre rémer de Venise. Traduisons ce métier existant à Venise depuis toujours par fabricants de rames.
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Jusqu'à la fin de son existence, Gigio taillait, sculptait, façonnait des rames, comme sur la photo, mais aussi ces fameuses forcole qui sont un des symboles de la Cité des Doges, sous le regard des passants. Et ce spectacle fascinant d’un artisan en pleine possession de son art attirait beaucoup de monde, spécialement des étrangers en visite à Venise, peu habitués à voir l' extraordinaire spectacle d'un très vieil homme aux gestes habiles et précis. Un orfèvre vraiment.
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Malheureusement, il ne nous est plus aussi souvent donné aujourd’hui de pouvoir contempler l’extraordinaire habileté de ces artisans, détenteurs d'un savoir-faire millénaire. Les habitudes et les modes de notre monde moderne nous poussent à toujours aller plus vite et à préférer le moindre effort. Ainsi, il y a de moins en moins de bateaux à rames à Venise et ces charpentiers d'un genre très particulier se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une main. A l'artisanat traditionnel se substitue chaque jour davantage le produit manufacturé à la chaîne made in China. Combien l'âme et la poésie y perdent.
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© veniceXplorer.net, 2005
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07 septembre 2006

Venise au quotidien

Le voyageur qui réfléchit se doute bien qu'il y a une vie à Venise en dehors du tourisme. Les enfants vont à l'école, les retraités se retrouvent pour bavarder ou jouer aux cartes. Il y a les ménagères qui font leurs courses, les ouvriers sur leurs chantiers, les artisans, le balayeur des rues, le boulanger, le boucher, le marchand de journaux, le facteur...

Tout un peuple qui vit et se déplace dans un décor magique qui fait leur quotidien. Comme je le répète toujours, on vit à Venise comme partout ailleurs. Parfois plus difficilement à cause de ces contingences particulières qui rendent chaque chose différente ici : pas facile de changer une baignoire, de se faire livrer des surgelés, d'être à l'heure à un rendez-vous.

Il y a les vaporetti, le transport en commun le plus beau du monde mais aussi le plus lent. Il y a les ponts qui cassent le rythme de la marche et, s'ils donnent depuis toujours aux vénitiens une démarche unique, ne permettent pas d'aller vite. Il y a aussi les masses de touristes toujours agglutinés à l'endroit où la rue se resserre, devant le sottoportego où il ne faut pas être et qui encombrent...

Mais en dépit de tout cela, il fait bon vivre à Venise. Capitale de la beauté et de la culture, c'est aussi une petite bourgade de province finalement, où tout le monde se connait, où il y a peu de malfrats, peu de bruit.

certains diront qu'il y a aussi beaucoup d'ennui. Mais moi je vous confirme qu'il n'existe au monde aucun lieu urbain où la vie soit aussi douce et paisible. Un seul endroit au monde où chagrins et soucis prennent la même dimension...

Il y a une vie quotidienne à Venise comme n'importe où ailleurs dans le monde. En voici quelques exemples glanés dans ma photothèque ou au gré de mes découvertes sur le net :

























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05 septembre 2006

E la nave và...

 
Voilà la rentrée est consommée. Chez nous, les enfants sont tous à l'école. Pour la première fois, chacun dans un établissement différent. Paperasseries à n'en plus finir, fournitures selon les nombreuses exigences des professeurs et des maîtres, emplois du temps à coordonner et le rythme régulier des jours de classes à retrouver : lever tôt, coucher tôt... Venise est loin avec son doux farniente. Pour un temps en tout cas. Vogue le navire jusqu'aux prochaines vacances... Bonne route à tous !

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04 septembre 2006

Cameriere, un Gianduiotto per cortesià !


  posted by lorenzo at 20:25

Avez-vous déjà goûté le merveilleux, l'extraordinaire, l'unique gianduiotto de chez Nico ? Il faut le déguster sur leurterrasse, sur la Fondamenta des Zattere. Après une journée de ballade, après une visite à l'Accademia ou à la Guggenheim, une excursion sur la lagune ou un doux farniente au Lido, cet appareil de glace chantilly fraiche et légère cachant un bloc de glace au gianduja, accompagné par un verre d'eau glacée, c'est l'idéal avant l'heure de l'apéritif, que ce soit le spritz sur la campo Sta Margarita ou un Bellini au Harry's bar ou dans un fauteuil du Danieli. Laissez la terrasse du Florian, du Quadri ou de Lavena pour les touristes paresseux. Si vous n'y êtes pas encore allés, vous vous y rendrez demain ou après-demain. Il y a le temps. Choisissez plutôt un soir après un excellent dîner ou un début d'après-midi pour le café, comme du temps de Goldoni. En revanche, chez Nico, le gianduiotto s'impose à n'importe quelle heure du jour ! Mais vous n'en consommerez pas deux à vous tout seul. Ce serait du mauvais goût et mal vu de votre estomac ! Allez-y et vous nous en donnerez des nouvelles !

Un bout de paradis

 
Il y en a beaucoup comme cela à Dorsoduro,
à Cannaregio, à San Polo ou plus loin encore à Castello.
Comment ne pas aimer la vie et la vie à Venise 

quand on a la chance de vivre là ? 
 
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1 commentaire: 

    lucie h a dit… 

    c'est mon rêve 

     04 septembre, 2006

 

Calle del vento

Dans mon précédent billet, c’est Henry de Régnier qui chantait la louange des Zattere, cette Fondamenta qui longe Dorsoduro de la Pointe de la Douane aux hangars de Santa Marta. Il mentionne à la fin de son texte l’ultime rue de ce quartier de San Trovaso, loin de tout et peu fréquentée par les touristes : la Calle del Vento.
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Eté comme hiver, la ruelle porte bien son nom, le vent y est toujours présent comme chez lui. C’est un endroit plein de poésie. Partie des Zattere, elle débouche sur le petit campo San Basegio, non loin de l'église San Sebastiano. Un des lieux les plus pittoresques de Venise. Encore préservé et peu fréquenté.
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L’écrivain vénitien Diego Valeri (l'auteur du seul vrai guide sentimental sur Venise et qui habitait à deux pas, sur la fondamenta Cereri, à côté des Carmini), a écrit à son sujet un poème que j’aime bien. Calle del vento, c’est aussi le titre d’un recueil de poésie paru l'année de sa mort, en 1976 chez Mondadori, qui mériterait d’être traduit en français pour les amoureux de Venise. Les anglais ont la chance d'avoir My Name on the wind, paru en 1989, dans une belle traduction de Michaël Palma (Princeton University press). En voici un extrait, dans une traduction personnelle que j'espère fidèle à l'esprit de ces vers inspirés :
Qui c’è sempre un po’ di vento
a tutte l’ore, di ogni stagione:
un soffio almeno, un respiro.
Qui da tanti anni sto io, ci vivo.
E giorno dopo giorno scrivo
il mio nome sul vento.
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.

Diego Valeri
Calle del Vento,
Mondadori, 1976

posted by lorenzo at 07:30

03 septembre 2006

Venise en septembre

Cette mosaïque réalisée avec Picasa, le logiciel de gestion d'image de Google (que je vous recommande en passant si vous ne l'avez pas encore adopté) comme une impression de Venise en ce début de septembre. L'été semble installé pour quelques semaines encore et il fait ici aussi bien meilleur qu'en août. A Venise non plus il n'y a plus de saisons. La Mostra bat son plein, les plages du Lido sont très fréquentées. Il fait beau. Il fait doux. Venise est resplendissante. Catherine Deneuve aussi. 
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02 septembre 2006

Les Zattere

Je vous aime, ô Zattere, pour toute votre longueur lumineuse ou nocturne, de la pointe de la Dogana, où vous commencez, à la calle del Vento où finit votre quai de pierre, bordé de façades diverses ! Je vous aime dans toute votre étendue parce que, sur votre dalle, il fait bon marcher vite ou doucement ou s'arrêter, selon l'heure ou la saison, à l'ombre ou au soleil, ô Zattere !
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Souvent, je viens à vous par le rio San Trovaso. Oh ! la maison qui est au coin avec ses arcades et sa glycine, – jaunissante, cette année, quand je la revis ! Pourtant un clair soleil de novembre brillait au ciel de Venise. L'air était frais et limpide, et quel plaisir de le respirer à pleine bouche sur votre promenoir, ô Zattere, devant le canal large, en face de la Giudecca aux trois églises et aux jardins de sauge et de cyprès !
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Me voilà donc. Tournerai-je à droite ou à gauche ? Je ne sais, car je vous aime toutes, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento ! Je vous aime aux Incurabili comme aux Gesuati et au Ponte Longo et à cet endroit où il y a un vieux palais dont le marteau de porte est un Neptune de bronze qui dompte des chevaux marins. C'est là, je crois bien, que j'irai m'adosser pour fumer un de ces âcres et minces cigares que l'on coupe de l'ongle par le milieu avant d'en allumer une moitié.
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Oui, car il fait doux, ce matin, et le ciel est pur. Les bateaux que l'on décharge sur le quai gémissent sourdement à leurs amarres. Partout ailleurs qu'ici la vue d'un port et de ses navires donne des pensées de départ et de voyage. Mais qui songe à quitter Venise ? En vain, les coques enflent leurs flancs et les mâts balancent leurs cordages. Où pourrait-on être mieux que le dos à ce marteau de bronze et les semelles à votre sol, ô Zattere ?
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J'ai entendu le canon de midi. Les cloches sonnent. J'ai reconnu celles des Gesuati, de San Trovaso et de la Salute. Celles du Redentore, de Santa Eufemia et des Zitelle s'y joignent, d'au delà du canal. L'air vibre. Le temps de ma promenade est passé. Demain je ne resterai pas là, en paresseux, et je vous parcourrai tout entières, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la calle del Vento, tout entières, ô Zattere !
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Henry de Régnier
posted by lorenzo at 00:23

01 septembre 2006

Poor poor Mister Andrew Conte. Poor poor Venice !

Andrew Conte est un sympathique citoyen américain de Pittsburgh. Marié, père de deux enfants de 6 et 3 ans, il a eu le bonheur et la chance de passer quelques jours à Venise cet été. Ce n'était pas son premier voyage, non. C'est à Venise qu'il fit avec beaucoup d'originalité, son voyage de noces. Il y retourna quelques années après une deuxième fois, un anniversaire en quelque sorte, visitant avec passion églises et musées. Mais c'était la première fois qu'il y venait avec toute sa petite famille.
 
Avisé, il avait renoncé à réserver une chambre d'hôtel avec toutes les contraintes que cela suppose quand on a des enfants en bas âge. Il avait donc loué un appartement. Une sorte d'ersatz d'appartement dirai-je plutôt. Nickel chrome : tout neuf, tout propre, rassurant. Aseptisé comme un décor de cinéma. Si vous aimez le genre, j'ai l'adresse. Juste ce qu'il faut de couleur locale. 
Voilà notre famille Conte qui débarque à l'aéroport. Point de bus ou de vaporetto, un taxi (il en relève d'ailleurs le prix prohibitif mais pour un américain !) car les chers petits auraient souffert, l'heure du dîner approchant et les dernières tartines de peanut butter trop loin, il craignait une rébellion insupportable (chers petits anges). On passe sa vie chez un psy pour moins que ça de l'autre côté de l'Atlantique ! Le voilà donc en taxi se prenant pour l'ineffable Georges Clooney (vous savez le néo-bellâtre qui se promenait à Hollywood avec son cochon dressé et fit longtemps croire à la gent féminine de la planète qu'il maniait le bistouri comme un dieu...). La lagune, le grand canal et c'est l'arrivée, la remise des clés, l'installation. On notera au passage que l'appartement a l'air conditionné (nécessité absolue pour un américain) et que, bien que complètement aménagée la cuisine ne leur a jamais servi...
Pour le confort des enfants, entre les pigeons de Saint Marc et les toboggans des Giardini Publici, Monsieur Andrew Conte préféra pendant toute la durée de son séjour se faire servir un petit déjeuner très neutre. Impossible pour lui d'imaginer que se rendre chez le boulanger du coin ou chez le petit épicier, d'écumer le marché du Rialto pour ramener fruits et légumes frais, poissons et viandes, serait pour les enfants une expérience culturelle défrisante et somme toute éducative. Non, ce pauvre Monsieur Andrew Conte aura préféré nourrir sa famille de panini et de pizza tourista (c'est ainsi que j'appelle ces pizzas de la taille d'une tarte au sucre en général peu cuites garnies de sauce tomate épaisse et parfois de dés de jambon blanc industriel...) arrosés de Fanta pour les gosses et de bière pour leurs géniteurs ! 
Il raconte ainsi un mémorable pique-nique sur un campo où trône un monumental lion ailé  (les lecteurs avisés auront reconnu). Assis sur le piédestal, la tribu Conte a délicieusement déjeuné puis, pour aider à la digestion certainement, les chers petits sont ensuite partis escalader le lion vert-de-grisé (selon l'expression même de Andrew Conte). Pour ceux qui ne l'ont pas reconnu, il s'agit du monument à Daniele Manin, sur le campo du même nom, derrière San Luca... 
Notre héros vante cette péripétie comme une joyeuse aventure à imiter, sans se rendre compte qu'il y a là de quoi donner des palpitations à l'Avocat Augusto Salvadori, le courageux assesseur au tourisme, parti en guerre contre la sauvagerie des touristes qui compissent les murs, s'installent pour pique-niquer au pied de la basilique Saint Marc, jettent leurs canettes de Coca-Cola vides dans les canaux et prennent la ville pour un Luna-park géant... 
De quoi aussi renforcer l'offensive des patrons de Disney qui souhaitent mettre la main sur Venise pour en faire, justement, un gigantesque complexe touristico-ludique comme ils en ont le secret. Un accord dans ce sens a d'ailleurs été signé avec les financiers de Las Vegas...
C'est un début... Après tout, en bon yankee qui se respecte, ce pauvre Monsieur Andrew Conte ne pourra que s'en féliciter : ses chers petits pourront se gaver de bouffe industrielle à chaque coin de rue et grimper sur les monuments - après avoir fait la queue bien sûr - en toute impunité...

Certes mes propos sont un peu outrés. Ce sympathique américain livre aux gens de Pittsburgh des adresses pour un séjour réussi à Venise vu sous l'angle du mode de vie américain et c'est cela que Tramezzinimag cherche à dénoncer. Cette main mise de plus en plus prégnante d'un style de vie, où tout doit être à portée de main, facile, surtout pour les enfants qu'il ne faut jamais forcer, et le monsieur ne donne de Venise qu'une idée tellement proche d'un parc d'attraction. Pourtant c'est un lettré, un homme de culture... Mes enfants m'accompagnent toujours dans les musées et les galeries, les églises et les salles de concert. Ils ont la liberté de jouer, de courir et de réclamer des glaces ou des limonades mais nous n'avons jamais, leur mère et moi, cédé aux sirènes de l'américanisation des mœurs. Ils savent ce que Non veut dire quand les parents prononcent ce mot et ils ont appris tôt les règles et les usages. Délurés et épanouis comme le sont les enfants en bonne santé, ils sont aussi sages et calmes quand cela est nécessaire, polis et respectueux avec le reste du monde comme ils le sont en famille, avec nous et entre eux. Comme des milliers d'autres enfants élevés et aimés. Ils transmettront un jour cela à leur tour.

Pour la lecture du texte d' Andrew Conte, publié dans le Pittsburgh Tribune Review, le 06/08/2006 sous le titre (alléchant avant lecture) "The Sounds of Venice", il est à la disposition des lecteurs de Tramezzinimag en cliquant sur le lien ICI
Crédits photographiques : © Andrew Conte & The Pittsburgh Tribune Review.

posted by lorenzo at 00:55

30 août 2006

Esquisses vénitiennes

J'ai dormi, cette première nuit, dans un tel silence qu'il me semble que je ne me réveillerai jamais tout à fait. Cependant l'air matinal rafraîchit mes yeux, mais les choses qu'ils voient contribuent à me maintenir, dans un demi-rêve : ces eaux muettes, ces pierres taciturnes, ce ciel lumineux, – tout le décor de la ville enchantée où la noire gondole qui me mène paraît signifier, par sa forme funéraire, qu'on est mort au reste du monde.
N'est-ce pas, en effet, ici un lieu étrange par sa singulière beauté? Son nom seul provoque l'esprit à des idées de volupté et de mélancolie. Dites : "Venise", et vous croirez entendre comme du verre qui se brise sous le silence de la lune.... "Venise", et c'est comme une étoffe de soie qui se déchire dans un rayon de soleil... "Venise", et toutes les couleurs se confondent en une changeante transparence... N'est-ce pas un lieu de sortilège, de magie et d'illusion ?

Ce ne sont pourtant ni des ombres, ni des fantômes qui l'habitent, mais des hommes, et des hommes qui naissent et meurent, qui vivent et qui mangent, car ma gondole croise des barques chargées de légumes et de fruits, et l'eau roule des feuilles et des écorces. Sur les marches de ce petit quai, on entasse des paniers de poissons et de coquillages. Des gens marchandent ces nourritures. Ils n'ont l'air ni étonnés ni anxieux d'être là. Je voudrais leur parler et leur avouer mon angoisse. Ah ! qu'ils m'apaisent et me rassurent, qu'ils me convainquent que tu n'es pas un rêve fragile et vain, ô Ville enchantée, que tu ne vas pas, comme une vision de sommeil, te dissoudre et t'évaporer; que tu n'es pas seulement un mirage passager de ta lagune, un peu de lumière et de couleur entre le ciel et les eaux, - car j'ai peur, j'ai peur, si je fermais un instant les yeux, de ne plus, en les rouvrant, retrouver à ta place, ô Ville marine, que l'étendue des ondes désertes au-dessus desquelles planerait le vol de bronze, Venise, de ton Lion ailé !
Henry de Régnier
"Esquisses vénitiennes",
in - Revue de Paris, 1er août 1905
posted by lorenzo at 00:17