21 février 2007

La barcheta et l'éléphant

Connaissez-vous "la barcheta" ? Cette merveilleuse chanson en dialecte vénitien, immortalisée par Reynaldo Hahn en 1901 (Venezia, n°2. Chansons en dialecte vénitien), est en fait un poème de Pietro Buratti (1772-1832) surtout connu pour son poème lyrique et satirique intitulé "elefanteide" qu'il écrivit en 1815 et dont le manuscrit est conservé à la Marciana. L'auteur y raconte en 800 vers épiques, le fameux épisode de ce pauvre éléphant qui dans les années 1780 effraya tout Venise en s'échappant d'une ménagerie pendant le carnaval. Mais avant de vous raconter cette histoire assez drôle, laissez-moi vous donner les paroles de cette belle chanson superbement mise en musique par le compositeur français.

Il en existe une transcription pour sextuor de violoncelle qui vient d'être publiée chez Maguelone dans une magistrale interprétation de Roland Pidoux avec le Quatuor Gabriel. Il existe un enregistrement de Reynaldo Hahn lui-même qui s'accompagne au piano, sur le site consacré au compositeur, et ce très beau disque paru chez Hypérion que j'ai découvert sur le forum du Campiello, intitulé "Souvenirs de Venise" avec le ténor anglais Anthony Rolfe Johnson. J'ai écouté la première fois cette mélodie à Venise, dans les années 80 grâce à Annette Hahn, étudiant alors avec moi la langue italienne. Je ne connaissais le compositeur que par le roman de Roger Peyrefitte "l'exilé de Capri", dont je venais de trouver l'édition originale chez le vieux bouquiniste de la Strada Nova qui a fourni la plupart des rayons de ma bibliothèque. 

Il y était question d'une mélodie de Hahn sur un texte du romantique Jacques d'Adelsward-Fersen "Chantez-moi doucement, la douleur d'être fou sur la terre, Chantez-moi voulez-vous, la douceur d'un amant solitaire". Cet Adelsward-Fersen esthète richissime, aujourd'hui oublié, publia de nombreux recueils de poésie dont certains sont réellement de qualité, chez Messein, l'Editeur de Verlaine. Il fut l'ami de Reynaldo Hahn, de Jean Lorrain et de tant d'autres brillants esprit de la Belle-époque. Il écrivit le premier roman sur Venise du XXe siècle : "Notre Dame des mers mortes". Annette Hahn était la petite fille (ou bien la petite-nièce, je ne sais plus très bien) du compositeur. Elle en parlait souvent et de là naquit mon intérêt pour le musicien. Je découvris des partitions dans la bibliothèque du Conservatoire Marcello, et parfois de vieux gondoliers chantaient des mélodies qu'il composa à Venise. Dont cette barcheta merveilleuse.
......
La note è bela,
Fa presto, o Nineta,
Andemo in barcheta
I freschi a ciapar !
A Toni g'ho dito
Ch'el felze el ne cava
Per goder sta bava
Che supia dal mar.
Ah!
...
Che gusto contarsela
Soleti in laguna,
E al chiaro de luna
Sentirse a vogar!
Ti pol de la ventola
Far senza, o mia cara,
Ghè zefiri a gara
Te vol sventolar.
Ah!
.
Se gh'è tra de lori
Chi troppo indiscreto
Volesse dal pèto
El velo strapar,
No bada a ste frotole,
Soleti za semo
E Toni el so' remo
Lè a tento a menar.
Ah!
.............
Après cet intermède musical, voyons cette histoire d'éléphant. Je vous la rapporte telle que mon ami Umberto Sartory la présente. Nous sommes dans les années 1780, peut-être un peu avant ou un peu après. Des forains installèrent sur la Riva dei Schaivoni leurs roulottes. Parmi les attractions présentées, il y avait un jeune éléphant d'Inde que ces romanichels exhibaient contre un sequin. Cette merveille de la nature jamais vue dans la cité des Doges devint tellement à la mode et suscita un tel enthousiasme qu'il fallut organiser la circulation autour du campement avec force gens d'armes. Les spectateurs accouraient de partout pour voir l'animal dans sa baraque de toile et de bois. Une nuit, le pachyderme, peut être lassé de tant de bruits et de mouvements autour de lui, peut être énervé par l'air marin de la lagune, décida de reprendre sa liberté. Il cassa les chaînes qui le retenaient et défonça l'une des parois de la baraque. Il s'offrit un tour de Venise "by night" en semant la panique sur son passage. Toutes les tentatives de la maréchaussée pour l'arrêter dans ses divagations restèrent vaines et ne firent que l'agacer davantage. Tout le monde sait que les éléphants sont des animaux débonnaires mais la patience à ses limites et l'animal n'en pouvant plus de tout ces hurlements, ces coups de feu, ces êtres humains qui s'enfuyaient de tous côtés, tout échevelés et poussant des cris de sauvages, eut un geste de colère qui parut bien déplacé : il enfonça d'un coup de tête la porte de l'église San Antonio (à moins que ce fut San Iseppo) à Castello et pénétra dans l'édifice au grand dam du curé et des bigotes qui s'y trouvaient. Il recherchait certainement un peu de paix dans ces saints lieux. Mais les vénitiens ne le comprirent pas ainsi et les cris et la panique redoublèrent. L'infortuné animal, aussi déplacé à cet endroit qu'un chien dans un jeu de quilles, posa malheureusement ses énormes pattes sur une pierre tombale qui céda sous son poids. Emprisonné dans cette cage insolite, il fut vite solidement enchaîné de bronze.

Les magistrats de Venise qui n'avaient ni pitié ni commisération à l'égard des merveilles de la nature quand elles sont susceptibles de troubler l'ordre public, décrétèrent dans une procédure d'urgence (contrevenant à tous les usages de la République qui se voulait toujours juste, et réfléchie en tout), la condamnation à mort de la bête rebelle et sacrilège, deux défauts très mal vus par la magistrature en général. La sentence fut aussitôt exécutée sur la Piazza San Marco par un coup de canon tiré à bout portant, devant une foule ravie et qui cette fois n'avait pas eu à payer pour assister au spectacle.
Cette histoire tragi-comique inspira donc le poète satirique Pietro Buratti pour son célèbre poème épique "Elefanteide" (référencé à la Marciana sou le numéro : LEO A 0616), L'histoire revue par Buratti se passe en 1815 et sert de prétexte à l'auteur pour dénoncer les exactions et les bêtises de la nouvelle administration vénitienne, mise en place par l'infâme caporal corse puis par l'occupant autrichien. Le pauvre éléphant victime de la bureaucratie et des petites peurs des médiocres petits bourgeois qui administraient alors Venise, devient dans les vers du poète le symbole d'une vis naturalis spontanea injustement persécutée.
.
Mais la note de présentation du squelette conservé au musée d'Histoire Naturelle du Fondaco dei Turchi ne dit pas la même chose. Le jeune éléphant d'Inde avait effectivement été exhibé dans toutes les rues et campi de la ville. Le spectacle terminé, il fut mis dans une barque pour quitter Venise mais pris de frayeur il piétina son gardien et regagna la rive où il fut pourchassé par des soldats. Il se réfugia dans l'église S. Antonio ou les troupes le contraignirent à rentrer dans un espace étroit d'où il ne put s'échapper et là ce fut le massacre puisque on découvrit plus de 50 douilles de balles dans ses flancs... Et la scène ne se déroulait pas au XVIIIe mais dans les premières années du XIXe, pendant l'occupation autrichienne.

Je préfère pour ma part la légende racontée aux enfants qui rappelle le tableau de Pietro Longhi où l'on voit des masques visiter la baraque d'un pauvre rhinocéros bien ennuyé par tout ce tapage et ce voyeurisme de mauvais aloi !

20 février 2007

Xe brucia el carnival !

Cette fois c'est fini. Demain c'est le mercredi des Cendres et ce soir, le grand feu d'artifice a attiré plusieurs dizaines de milliers de badauds sur la piazza San Marco. Mercredi, la chrétienté entre dans le temps du Carême. Évidemment on va moins en parler que du ramadan dont le monde entier nous rabat les oreilles. Comme ce mardi-gras de la septième année du XXIe siècle, Venise fêtait dans l'allégresse son dernier jour de carnaval qui mettait un terme à plusieurs mois de festivités car en ce temps là, Carnaval durait pratiquement toute l'année. En fait, sauf pendant le temps de Noël, pendant le Carême et durant l'été, lorsque la chaleur torride de la lagune poussait les familles patriciennes vers leurs villas de l'intérieur. Ce n'était pas comme on le dit trop souvent parce que Venise était la patrie de la licence et de la débauche, mais parce que les masques permettaient à la République de connaître la paix sociale. Sous le masque et la bauta, le pauvre devenait patricien et le patricien trop connu devenait n'importe quel plébéien libre de ses mouvements. Chrétiens, juifs et maures pouvaient jouer ensemble aux cartes jusque dans les salons du Doge, les jeunes gens riches pouvaient courtiser leur belle dans l'arrière boutique du savetier ou dans la cour de l'auberge du coin sans risquer leur renommée, l'apprenti boutiquier de San Polo comme l'ouvrier de l'arsenal pouvait assister aux bals et aux spectacles à côté des plus jolies jeunes filles de la noblesse. Chacun sortait du rôle que la naissance, la fatalité et les lois lui avaient assigné. Ainsi la République limitait les risques de revendication et de mécontentement. Des fortunes se faisaient et se défaisaient chaque soir durant le carnaval. On pouvait aussi plus facilement se débarrasser d'un ennemi de l’État, d'un espion devenu gênant, d'un témoin trop bavard ou trop gourmand... Cynisme et pruderie commandaient cette licence institutionnalisée. Pendant plusieurs centaines d'années, tout le monde s'en porta bien.
Carnaval est mort donc. La ville peu à peu va se vider de cette foule joyeuse venue des quatre coins du monde. Les rues et les campi se sont faits plus tranquilles. Plus d'embouteillages aux abords de la piazza. On peut enfin prendre le vaporetto sans risquer de mourir étouffé et les cafés comme les restaurants se font plus agréables. Mais ce calme sera de courte durée. Dès le weekend de Pâques, les hordes reprendront la ville d'assaut et ce sera la cohue sur la piazza, au Rialto et un peu partout jusqu'aux premiers frimas... Mais on s'adapte. Il suffit de ne pas prendre le même chemin que le touriste moyen. Il suffit d'éviter la piazza, le pont du Rialto et leurs environs entre 10 heures du matin et 20 heures le soir. Mais bon, on va encore dire que je râle tout le temps quand il s'agit du sujet épineux du tourisme à Venise.

19 février 2007

Connaissez-vous la petite église de San Giovanni Elemonisario ?

Perdue parmi le dédale des boutiques du Rialto, on passe et repasse devant elle sans la remarquer, dans la ruga degli orefici ou ruga vecchia S. Giovanni, dans l'antique quartier des orfèvres et des drapiers. Longtemps fermée, elle retrouve peu à peu sa beauté. Car l'église dédiée à ce Saint Jean l'Aumônier, natif d'Alexandrie, est splendide. Sa discrète façade lui a permis d'être préservée des hordes de touristes et on y respire une paix très agréable après l'ambiance de hall de gare au moment des grandes migrations estivales qu'est devenue la basilique San Marco... .

Incroyablement dotée par les nombreuses guildes de marchands du quartier (notamment celle de "corrieri", les messagers, à qui on doit les tableaux de Saint Roch et de Sainte Catherine), cette église est une des plus anciennes de Venise. Construite en 1071, elle ne résista pas au terrible incendie qui détruisit pratiquement tout le quartier de Rivo Alto. On pense qu'elle fut reconstruite par Antonio Lo Scarpagnino qui fut chargé de la reconstruction de pratiquement tout le quartier, sous le dogat d'Andrea Gritti.

Elle était "jus patronato" du Doge qui la visitait en grande pompe chaque année pour le mercredi saint. On ne sait pas trop pourquoi l'architecte ou les commanditaires ont pris le parti de la fondre complètement dans le corps de bâtiments. Peut-être pour respecter la nouvelle unité architecturale de la rue. Je pense davantage, avec certains historiens vénitiens, que le clergé voulait continuer à louer les devants de l'église à des boutiquiers, ce qui leur procurait des revenus substantiels puisque le produit des offrandes allait aux œuvres du Doge, et pour cela il fallait une façade sobre et surélevée par rapport à la rue. Le campanile que l'on a du mal à voir quand on est proche de l'église s'est écroulé au XIVe siècle et a été aussitôt reconstruit.

Cette petite église est un véritable petit bijou, typique de la Renaissance, qui sert d'écrin aux plus beaux tableaux du Titien et du Pordenone. La représentation du saint-patron de l'église par le Titien, située sur le maître-autel est un de ses plus beaux tableaux du maître. Tintoret, Pollaioli, Vecellio et d'autres ornent l'église, son presbytère et sa sacristie. Un autre autel est orné d'un magnifique tableau de Pordenone représentant Sainte Catherine, Saint Roch et Saint Sébastien. On raconte que parmi les nobles vénitiens qui voulaient réduire les prérogatives du Titien devenu à leur goût bien trop omniprésent au détriment d'autres artistes, certains poussèrent Pordenone à défier le maître qui venait de terminer le tableau du saint patron de l'église. C'est en revenant d'un voyage à Bologne que le Titien se rendant compte du grand succès de son élève en aurait pris ombrage et demanda l'intervention du Doge pour que les tableaux de son adversaire soient placés dans un coin reculé de l'église... C'est apparemment une légende car on date le tableau de Pordenone des années 1530-1535 et celui du Titien de 1545-1550. Il y a aussi à San Giovanni Elemosinario un très beau tableau de Palma le Jeune restauré il y a peu.



18 février 2007

Ciacole sur le campo Sta Margherita

Elles discutent sec ces sympathiques vénitiennes assises sur un banc du campo Santa Margherita. C'est qu'on ne parle que de ça en ce moment sur la campo : les riverains se plaignent de tout ces concerts qui se succèdent sur la place, avec leur inévitable cortège de nuisances sonores. Et pendant le temps du carnaval, cela ne s'arrange pas vraiment.
  C'est vrai que ce campo pittoresque se transforme peu à peu. Moins de boutiques. Elles ferment les unes après les autres et sont remplacées par des bars à la mode qui attirent étudiants et touristes. Ouverts tard le soir, ils génèrent tellement de bruit que de nombreuses plaintes ont été enregistrées à la Questure... Pourtant comme elles sont agréables ces terrasses où vénitiens et touristes se retrouvent, jeunes et moins jeunes, dans une convivialité que le monde peut envier à notre cité.

Je ne sais si vous vous en souvenez mais il y a quelques années, un plasticien du nom de Matej avait imaginé une performance assez originale et très symbolique. Il avait habillé le bâtiment qui siège au milieu de la place avec des morceaux de tissus et des vêtements de toutes les couleurs. Joli travail qui égaya le campo pendant plusieurs semaines. Cette "casa vestita" fut perçue comme un appel à l'espérance, comme redonner vie à l'échange entre les gens, les peuples, les générations. Le choix de Santa Margherita ne s'était pas fait au hasard. C'était pratiquement le dernier endroit de la Cité des doges où cet état d'esprit se manifestait encore. chaque jour, au milieu des étals des poissonniers, des fleuristes et des marchands de fruits et légumes, tout un monde se retrouvait, enfants qui venaient jouer, mamans avec leurs bébés venus prendre le soleil, personnes âgées, étudiants de la Ca'Foscari. Quelques touristes un peu intimidés devant ce spectacle intime, cette ambiance familière comme s'ils surprenaient un moment de vie familiale, s'aventuraient sur le campo. Ambiance bonne enfant. Agora, place de village, cour de récréation, réunion d'amis... Tout les qualificatifs étaient bons pour décrire cet agréable lieu. L'exposition de Matej voulait exprimer tout cela en l'appliquant à une échelle universelle. Le "united colors" de Benetton et ses campagnes publicitaires assez controversées semblent s'en être inspiré.


Pourtant s'il est de notre devoir de préserver le plus possible ce trésor du passé qu'est Venise, nous devons aussi savoir l'ouvrir aux temps modernes, la faire évoluer avec le monde. Venise n'est pas une vitrine remplie de formol où marquises et polichinelles des anciens temps continueraient d'évoluer bien protégés des bactéries du XXIè siècle. Au contraire : autrefois en permanence à la pointe de la nouveauté, politique, esthétique, économique, artistique, elle a encore ce rôle à jouer. Montrer au monde qu'il existe une parfaite adéquation entre les rythmes issus de son passé que sa structure urbaine impose, le sens de l'autre que cela implique, et les inventions du futur qui ne sont pas forcément liées à la technique comme on veut nous le faire croire ailleurs. 

A Venise on ne meurt pas seul abandonné, à Venise on ne peut rester au coin d'une rue sans personne à qui se confier. A Venise, l'autre existe et il fait partie de notre vie. Dans un monde pressé et solitaire, c'est un concept révolutionnaire. A Venise, la solidarité est une tradition. Le mélange des milieux sociaux, des races, des générations est un fait réel que le campo Santa Margherita a toujours démontré. Si les vieux vénitiens qui ne dorment plus se plaignent du bruit fait par les jeunes qui s'amusent, alors quelque chose ne fonctionne plus ici. Peut-être faut-il qu'ils soient associés à ces festivités et que de nouveau à Santa Margherita on se considère comme en famille, toutes générations confondues...

17 février 2007

Marionnettes à Santa Margherita


L'ancienne église Santa Margherita, située comme son nom l'indique sur la campo du même nom a été en partie restaurée et sert depuis d'auditorium. concerts, conférences et spectacles se succèdent sous la direction de l'Université de Ca'Foscari qui en est l'administrateur responsable. Quand j'étais étudiant et que le bar des Do Draghi, situé juste en face de l'entrée d'origine du bâtiment? me servait de quartier général, je m'étais lié d'amitié avec une vieux monsieur qui avait été projectionniste à Santa Margherita. En effet pendant de nombreuses années l'ex-église fut un cinéma. Dans les années 50, lorsque ce vieillard prit sa retraite, c'était devenu une salle spécialisée dans les films... pornographiques et autres pellicules interdites aux moins de 18 ans ! Les gamins du quartier essayaient de se faufiler par les côtés pour apercevoir des images interdites, pourchassés par le digne curé de San Pantalone, la paroisse voisine, qui les réquisitionnait pour faire d'interminables parties de football dans la cour de l'église et les détourner du pêché.

Mauro Pagan y a présenté plusieurs spectacles de marionnettes très appréciés des enfants, avec notamment une version de Cosi Fan Tutte qui a eu un énorme succès. Ce vénitien de naissance qui a longtemps vécu à Paris, anime avec dextérité et humour ce Théâtre des Figures qui fit son apparition sous l'égide (et la participation) de Dario Fo au carnaval de 1985, avec un spectacle intitulé "Hellequin, Harlequin, Arlecchino". Je trouve le lieu parfaitement adapté à ce type de spectacle. Si mon vieux projectionniste revenait, il serait surpris !

15 février 2007

Gourmandise : les fritoe comme à San Girolamo

En ce temps de carnaval, si nous goûtions à ces beignets typiques que l'on sert à Venise depuis la nuit des temps. Chacun à sa recette. En voici deux.  

La première se retrouve avec quelques variantes dans tous les livres de recettes vénitiennes. La seconde est celle que j'utilise, et qui me vient de ma grand-mère. C'est paraît-il la seule véritable. Ce serait celle de Zamaria, le célèbre fritolin dont on voit l'enseigne sur un tableau de Canaletto "qui lavora Zamaria" avec le môt "bigné"... Les fritelle qu'on déguste du côté de San Girolamo, à San Alvise ou à San Giobbe ont exactement ce goût-là. Essayez-les, c'est absolument délicieux. A consommer sans modération, accompagnées d'un Prosecco Valdobbiadene brut de Silviano Follador à petites bulles raffinées. C'est selon moi le meilleur vin de prosecco qui puisse se trouver actuellement sur le marché. L'azienda Follador produit des vins de belle qualité à des prix très abordables.. ....... ....
FRITELLE VENEZIANE
Ingrédients :
500 gr de farine blanche,
40 gr. de levure de bière,
2 œufs,
2 verres de lait,
100 gr. de raisins de Corinthe,
100 gr. de pignons, 50 gr. de cédrat, le zeste d'un citron, 1 cuillère à café d'anis moulu, vanille, sel, eau tiède, grappa, huile ou saindoux, sucre glace ou sucre semoule,
...........
Mettre dans un bol la levure et deux cuillères à soupe de farine délayées dans un peu d'eau tiède. Couvrir avec un linge et laisser gonfler près d'une source de chaleur. Faire tremper les raisins et le cédrat dans un peu de grappa. Dans une terrine assez grande, mélanger la farine, le sel, le sucre vanillé, les œufs, le lait, les raisins, le zeste, le cédrat, les pignons. Ajouter le levain gonflé. Remuer le tout énergiquement pour bien mélanger. On peut éventuellement ajouter un peu d'eau si la pâte semble trop dense. Couvrir la pâte obtenue, remettre près d'une source de chaleur et laisser monter au moins deux heures (certains prescrivent 5 heures de levée !). Faire chauffer à vif l'huile ou le saindoux et y jeter des morceaux de pâte de la taille d'une cuillerée à soupe. Laisser dorer. Égoutter les fritelle sur un papier absorbant. Saupoudrer de sucre glace ou de sucre semoule avant de les servir, disposées en pyramide. Déguster chaud. ....
BEIGNETS DI ZAMARIA
Préparer une pâte genre pâte à pain la veille avec levure, farine et un mélange lait, eau et grappa, sucre et sel. Quand elle est bien levée (le lendemain) , ajouter une poignée de pignons et une autre de raisins, des morceaux d'écorce d'orange et de citron, de l'anis moulu. Mouiller avec un verre de grappa et pétrir à nouveau. Laisser reposer pendant que l'huile chauffe. Y jeter la pâte en morceaux du volume d'une cuillère à soupe. Saupoudrer de sucre.

3 commentaires:

Nadine a dit…
hum ça a l'air bon je vais en faire ce week end.Je cherche la recette des baicoli ces biscuits secs qu'on trempe dans du champagne. Merci lorenzo pour ton blog qui me fait voyager !
guillaume a dit…
ciao lorenzo, ma sei a venezia in questi giorni? io sono "partante" per uno sprizzeto insieme! fammi sapere...buon fine carnevale intanto!
Rhea a dit…
You write very well.

Un gatto travestito !

Lors d'un des premiers carnavals, je me souviens d'une anecdote qui avait fait rire tous ceux qui en furent les témoins. La scène se passe sur le pont de l'Accademia. Il faisait terriblement froid et le brouillard très dense ne s'était pas levé de la journée. Les débuts du Carnaval s'avéraient bien moroses. Quelques masques, des costumes très clairsemés aux alentours de San Marco mais ailleurs, le calme plat. Un groupe de jeunes vénitiens se dirigeait vers les Zattere, des touristes passaient. Nous venions de croiser une toute jeune fille déguisée en Mickey Mouse (...), "Topolino" en italien, puis deux travestis devenus deux marquises felliniennes en rose barbie et jaune fluo à vous donner mal au foie.



Soudain, une vieille dame arriva en haut du pont tenant en laisse un petit chien, une espèce de roquet minuscule et vraiment très laid. Il portait autour du cou une sorte de fraise en tissu soyeux. L'animal avait froid et semblait assez mécontent de cet encombrant ornement qui remplaçait son habituel collier. Un des garçons qui avançait dans l'autre direction s'écria joyeusement : "varda, un gatto travestito ! " (regardez, un chat déguisé !)... Et tout le monde éclata de rire. Un rire qui résonna sur le pont et aux alentours pendant quelques minutes. La vieille dame vexée hâta le pas, les deux travestis qui avaient d'abord cru qu'on parlait d'eux ricanaient avec les autres et Topolino, effrayé par le bruit partit en courant, semblant confirmer ainsi l'allégation du jeune homme spirituel. 

Cette photo reçue ce matin (datée du 11 février) m'a remis en mémoire cette petite histoire que je revois encore parfaitement. Il faisait un froid de gueux ! Maurice Béjart et sa compagnie dansaient au son du Boléro de Ravel sur la Piazza, le campo San Polo accueillait un extraordinaire bal macabre et I solisti Veneti jouaient emperruqués et poudrés à la Fenice.

Carnaval 2007 : Les réjouissances continuent


Le Doge et la dogaresse étaient là, parmi le peuple rassemblé sur la Piazza San Marco, pour accueillir les masques les plus originaux et le cortège traditionnel des Maries, conduites par le Maestro Bruno Tosi. La pluie avait bien voulu cesser. On notait moins de costumes que les autres années. Moins de monde aussi semblait-il. Mais la fête n'est pas finie, il y en a encore pour une semaine. jusqu'à mardi gras. Le temps de gonfler les effectifs au fur et à mesure des attractions nouvelles.

Je reçois de nombreux clichés. Tous ne pourront pas être publiés. Merci en tout cas à ceux qui ont pensé à Tramezzinimag. Je ne suis pas particulièrement attiré par cette manifestation, vaste défoulement collectif, où aux somptueux et très originaux costumes de certains, très élaborés, véritables pièces d'art, se mêle de plus en plus des déguisements ridicules, grotesques qui tiennent davantage du travestissement obscène que de l'esthétique traditionnelle des fêtes vénitiennes. Vieille polémique en vérité. Michey, Pierrot et les travelos font ils partie du paysage carnavalesque vénitien où doit on les laisser à Munich ou à Rio ? Les reconstitutions historiques mises en place depuis quelques années ne sont-elles pas des défilés à la Walt Disney pour touristes gogo en quête de dépaysement ? Et si les travestis, les costumes sans attache avec l'histoire de la Sérénissime étaient le dernier rempart contre la commercialisation et la Lasvegasition de Venise ? 
L'essentiel est de s'amuser. De se bien amuser. Et tant pis q'il y a du grotesque, du vulgaire et de l'obscène. Derrière les masques, laissons les foules de laisser un peu aller. Contre la grisaille et la tristesse des jours ordinaires...

14 février 2007

Traghetto



Le traghetto de Santa sofia qui permet de rejoindre le Rialto en prenant une gondole devant le Palais Sagredo. Un moyen de monter en gondole sans jouer au touriste nippon et se faire plumer pour 45 minutes de rêve au son du "sole mio" qui fait chavirer le cœur de bien des dames, la nuit au clair de lune...

13 février 2007

Bobo Ferruzzi, un homme de lumière

Sauf erreur de ma part, Bobo Ferruzzi aura 80 ans cette année ! Il peint toujours autant, se passionne toujours autant pour les antiquités vénitiennes et demeure un vrai grand authentique vénitien. Je suis fier d’avoir travaillé pour lui (j'ai tenu sa galerie de San Vio, sur la Fondamenta Venier, là où se trouve aujourd'hui la boutique de la Guggenheim), de l’avoir exposé à Bordeaux (seulement une dizaine de jours hélas, en 1985), heureux d’avoir pu assister à certaines séances de peinture, à San Giorgio ou à Burano où tel les védutistes du XVIIIe siècle, il s’imprégnait de toutes les sensations que Venise offre à chacun de nos sens, avant de transcrire sur la toile sa vision d’un des plus beaux lieux du monde. Heureux aussi d'avoir partagé quelques temps l'intimité de sa famille, dans sa ravissante maison du campo dietro gli incurabili... On y croisait d'authentiques figures vénitiennes, des anonymes comme de célébrités... J'habitais alors à deux pas, au 445 de la calle Navarro, au dernier étage de la maison de Federico Allegri, à côté de chez l'architecte De Michelis.

Je me souviens de cette belle phrase de Pablo Neruda, écrite en 1966 : “[...] La pittura di Bobo Ferruzzi ha rotto le serrature e illuminato gli angoli con una luce azzurra.” ("La peinture de Bobo Ferruzzi a brisé les carcans et éclaire les recoins d’une lumière bleue"). Elle illumine toujours mon quotidien, puisque j'ai la chance d'avoir sous les yeux une vue du rio delle torreselle, appelé aussi rio delle Piere Bianche sur certaines cartes plus anciennes.

12 février 2007

Aimez-vous le Spritz ?

Aimez-vous le Spritz ? Question à la mode puisque, désormais, cet apéritif typiquement lagunaire se répand dans le monde à la vitesse de la lumière... Mais est-ce bien raisonnable, cette popularisation d'un trésor local inventé pour le plaisir de la soldatesque (les officiers et l'aristocratie à l'origine) qui n'aimait pas les vins du Veneto qu'ils trouvaient trop rudes à leur goût. Le génie des publicitaires, par le biais de la marque Apérol, et le label Venise, ont cependant fait dans le prodige : faire d'un produit local un must mondial !
 
Mais le spritz, Chère Danielle, n'a jamais, selon moi, le même goût quand on le réalise loin de Venise. C'est comme les tramezzini. Est-ce l'air de la lagune, l'humidité si particulière qui ne fait pas souffrir comme par chez nous (il y a moins de rhumatisants dans la cité des doges que dans n'importe quelle ville de même importance ailleurs dans le monde) ? Où bien est-ce simplement le miracle de la ville, milieu urbain grouillant de vie et dont l'air qu'on respire pourtant, miraculeusement - mais pour combien de temps - reste aussi peu pollué que le sommet d'une montagne enneigée au Tibet... 

Spritz au Select ou à l'Aperol, avec ou sans la petite olive, il n'est jamais aussi bon qu'accoudé au comptoir du bar Ai Artisti, à la Fenice, vers midi sur le campo San Luca ou chez Rosa Salva,  assis au pied du Colleone dans ce café sympathique de Zanipolo, à Santa Maria Formosa, au café de l'horloge, sous les fenêtres du vainqueur de Lépante, sous la glycine enivrante du café du Paradis à Castello... Il est l'esprit de Venise, comme le populaire Prosecco, le noble Clinto, le bohème Fragolino, le très distingué Bellini du cher Arrigo Cipriani, la grappa de derrière les fagots qu'on ramène de Bassano, d'Asolo ou de Mogliano.







Libellés : Gourmandises

11 février 2007

Voilà le temps du Carnaval

Et bien nous y sommes, Carnaval est revenu. Aujourd'hui le vol de l'ange aura lieu sous la pluie comme cette soirée de samedi noyée par les eaux. Une habitude à Venise me direz-vous mais bon, 40.000 visiteurs sur la Piazza San Marco, trempés et détrempés, ce n'est pas forcément joyeux.

Et pourtant si, ce fut une grande et mémorable soirée festive, pleine de chants et de cris joyeux. Si on reste loin très loin des carnavals d'antan (on va penser que j'ai vécu ceux du temps de Casanova si cela continue !), la foule est toujours aussi bon enfant et les costumes somptueux. Revers de la médaille : plusieurs centaines d'autocars de tourisme sont arrivés du côté de Cavallino créant une réelle panique et des embouteillages monstres. Il a fallu réquisitionner des bateaux pour trimballer toute cette foule imprévue vers le centre historique. Inutile de vous expliquer l'embarras de la municipalité et des services de sécurité... L'après-midi était hier très vénitienne : cortège de bateaux à Cannaregio avec un grand apéritif offert ou les ciccheti circulaient de groupe en groupe, musique al vivo sur les campi et le soir, grandiose soirée au Palais Vendramin (le Casino) ou se déroulait la première grande fête de l'année en l'honneur du jumelage Venise-Saint Petersbourg, sur le thème de Pierre le Grand. A la Fenice, les loges avaient été louées presque entièrement par un milliardaire libanais qui donnait dans les foyers un dîner après la représentation pour une cinquantaine d'invités triés sur le volet. Le Carnaval 2007 sent le luxe international - très nouveaux riches hélas - plus que jamais.

Dans les rues, la fête populaire est malgré tout au rendez-vous : estrades traditionnelles avec des comédiens de la Commedia dell'arte, danse à la verticale avec une chorégraphie pour le moins originale sur les parois du Campanile, le vol de l'ange à midi aujourd'hui par la championne italienne de natation, Federica Pellegrini, défilé des enfants masqués et costumés, fanfares, maquillage et costumes à chaque coin de rue... Il ne manque que le beau temps.

Vendredi la traditionnelle fête des Maries réinventée par mon ami Bruno Tosi, qui garde bon pied bon œil en dépit de ses 80 ans, conduite par la Banda di Venezia, a ouvert les réjouissances avec le défilé en costume de San Pietro à San Marco. Au fur et à mesure de l'avancée du cortège, s'ouvraient çà et là des stands, des petits marchés, des scènes publiques. Il y a cette année encore la Frittolera, un marché de friandises du Carnaval où on peut trouver les traditionnelles confiseries et pâtisseries vénitiennes d'avant Carême. De quoi satisfaire les petits vénitiens qui ne sont pas les derniers à se (bien) costumer. Et puis bien entendu, époque moderne oblige, sur le Campo Bella Vienna, les concerts de rock pour les jeunes.

La mondialisation est à l’œuvre ici aussi puisque on pourra danser comme à Rio sur la Fondamenta de Cannaregio avec des Mambo, Merenghe, Chachacha et autres Salsa tandis que Bollywood sera Piazza San Marco répandant le son de la musique anglo-indienne comme si vous y étiez (dans les jardins du Vice-roi cela s'entend)... Et boire des bières comme à Munich...

Voilà, c'est parti pour onze jours de délire et d'embarras de toutes sortes, notamment dans les rues environnant la Piazza, jusqu'au bouquet final, le spectacle pyrotechnique et musical de mardi gras devant le Palais des Doges.

Si ça vous dit malgré tout (il faut l'avoir vu une fois ce carnaval), il reste des chambres à louer dans quelques auberges où dans les grands hôtels. Mais d'une minute sur l'autre, les possibilités se font rares. Trains et avions sont complets? sauf à ruser : billet pour Milan ou Turin puis pour Venise avec le risque de voyager debout dans les couloirs. Mais avant de vous lancer dans l'aventure, assurez-vous de pouvoir trouver un lit quelque part, il ne fait pas très bon dormir dehors en cette saison... Vivement le Carême ! Moi en attendant, je vais faire des fritelle et des galettes irlandaises que nous dégusterons avec un bon thé chaud au coin du feu, où nous attend déjà notre bon gros Mitsou, le chat de la maison.

La photographe photographiée


Le regard original du studio Immagino de Venise.

Quand Nicolas vit Luisa. Récit.

Quand Nicolas vit Luisa, il fut suffoqué. La jeune femme avançait un sac sur le dos, un livre à la main vers la sortie de la gare. Elle venait de descendre du train de Rome apparemment et faisait étape à Venise. Un jean, un polo bleu sous une veste de velours. Brune, les yeux verts, elle portait ses lunettes de soleil sur la tête. Un air nonchalant et décidé à la fois. Il venait comme presque chaque jour acheter des cigarettes et bavarder un peu avec son ami Gabriele qui attendait dans le hall l'arrivée des touristes pour leur proposer son hôtel comme une dizaine d'autres drogmans. Ce soir là il ne songea pas à discuter, ni à acheter son paquet de MS. Il venait de la voir et il fut subjugué.

Luisa était espagnole, étudiante, fille d'une grande famille d'aristocrates de Malaga. Elle venait de faire un long périple solitaire en Italie. Après Naples, la Sicile, Rome et Florence, elle terminait son voyage par Venise. Elle devait y rester quatre jours avant de prendre le ferry pour Corfou et rejoindre là-bas ses parents. Tout cela Nicolas devait l'apprendre plus tard. Pour le moment, il ne voyait que cette belle fille brune, la peau hâlée, joliment faite et l'allure altière. Il fallait qu'il l'aborde. Il était perdu dans ses pensées quand Gabriele lui tapa sur l'épaule en lui disant "Nicolas, tu parles espagnol non ? Viens donc avec moi je dois récupérer une fille espagnole qui a réservé à l'albergo, j'ai préparé un panneau pour ne pas la louper". Il brandit aussitôt sa pancarte sur laquelle le nom de la jeune fille était noté au marqueur noir. "Vous êtes le monsieur de l'Albergo Mignon ?" La jeune femme s'adressait à Nicolas. "Euh, non, pas moi lui" dit-il bêtement en désignant son ami. Il se sentit devenir rouge. Elle le regarda en souriant et lui dit dans un italien quasiment parfait "vous devez avoir chaud, vous êtes tout rouge". "Il n'est pas italien, il est français" répondit Gabriele en italien, "mais vous parlez notre langue ?". Elle esquissa un sourire charmeur "je parle un peu l'italien, le français, l'allemand, l'anglais et l'espagnol naturellement". Cette fille avait de l'esprit et en plus elle était splendide. Nicolas était complètement sous le charme. C'est ainsi que Luisa rentra dans sa vie.

Depuis son arrivée à Venise Nicolas avait eu quelques aventures. Rien de très sérieux. Des filles qu'il croisait à la faculté. Betty, Anna, Irene la danoise. Des copines tout au plus. Cela ne durait jamais vraiment. Il avait laissé en France sa petite amie. Anne-Elisabeth l'attendait. Il ne supportait plus le poids de cette relation et fut soulagé lorsqu'il obtint cette bourse pour venir terminer sa maîtrise à Venise. Il pourrait naturellement s'éloigner d'elle sans rompre. Sans lui faire de mal. Elle voulait qu'ils vivent ensemble. Elle voulait qu'ils se marient. Elle désirait des enfants. Lui aussi aspirait à cela mais plus tard, bien plus tard. En attendant, il voulait vivre, découvrir le monde, les gens et rêvait d'écrire. L'amour vrai, profond, idéal c'était pour lui un horizon lointain. Comme un île au large où il accosterait un jour, après un long voyage. En attendant il vivait à Venise, heureux de son sort et ravi de tout ce qui pouvait lui arriver. Mais soudain, il suffit que cette fille espagnole se présente dans son champ de vision pour qu'il sente que tout venait d'exploser en morceaux. Rien ne serait plus jamais pareil. Mais il n'était pas capable encore de définir tout cela. Ils sortirent de la gare.

"¡Es maravilloso!" cria la jeune femme en arrivant en haut des marches de la stazione, face au Grand canal. Il faisait beau, la lumière était splendide, l'animation joyeuse. Ces bruits, ces odeurs qui vous prennent à chaque fois que vous sortez de la gare et que vous vous retrouvez face à ce paysage urbain incroyable qui ne ressemble à rien d'autre. Elle semblait suffoquée. Quand elle se tourna vers les garçons, son visage en était comme illuminé. Ses yeux brillaient. La bouche ouverte formait un rictus presque comique. Elle semblait heureuse comme quand on retrouve une personne aimée perdue de vue pendant trop d'années. "Je ne m'imaginais pas cette ville aussi belle. C'est encore mieux que dans mes rêves" dit-elle.

C'est ainsi que la vie de Nicolas fut transformée à jamais. Quatre jours incroyables qui bouleversèrent ses idées, sa pensée, son quotidien. Après le typhon Luisa, il ne respira plus jamais pareil. Il ne fut plus jamais le même. Cette jeune femme lui donna l'impression de naître vraiment. Tout avec elle prenait un goût de première fois. Dîner dans un petit restaurant au clair de lune, faire une promenade en barque, aller nager au Lido, voir un film au ciné-club, faire les boutiques, visiter un musée. Tout se colorait d'une palette nouvelle. Il était amoureux. Cela se fit très vite.

Le long du chemin qui mène à l'auberge de son ami, Nicolas parla beaucoup. De Venise, de l'université, des livres qu'il aimait, de la cuisine italienne, de Pinocchio, des étoiles, de la mer, du cinéma. Elle riait, montrant ses belles dents blanches. Il adorait cette manière qu'elle avait de secouer ses cheveux bruns légèrement bouclés en remuant la tête sur le côté. Elle avait deux anneaux d'or aux oreilles qui tintaient quand elle bougeait ainsi la tête. En arrivant à l'hôtel, distancés par Gabriele qui devait repartir pour l'arrivée de l'express de Milan, ils avaient déjà décidé de se revoir le soir pour une promenade nocturne et un dîner. Nicolas allait lui montrer sa Venise, les recoins qu'il adore, les lieux que peu de touristes connaissent.

Quand il passa la chercher, elle l'attendait sur un banc du campo SS Apostoli. Elle avait revêtu une robe verte à bretelles. Elle portait un châle noir. Sa peau hâlée respirait la paix. Elle semblait totalement en harmonie avec les lieux. Elle lui sourit. Ils marchèrent pendant des heures. Il parla beaucoup. Trop. Vers dix heures, ils s'arrêtèrent dans un bàcaro où on faisait de la musique. Il y allait souvent avec ses amis. Ils dînèrent dehors, à une table au bord du canal. Il y avait peu de monde qui passait. La soirée était douce. Une de ces soirées d'été où tout semble apaisé après la moiteur du jour. Ils rirent beaucoup. Ils étaient un peu saouls. Il rêvait de coucher avec elle. Elle se laissa embrasser et répondit avec fougue à ses baisers. Ils montèrent chez lui. Elle se laissa caresser, répondit à ses caresses par d'autres caresses. Mais elle refusa d'aller plus loin. Il la raccompagna. Luisa était espagnole, catholique et pleine de principes. Il n'en prit pas ombrage. Ils se virent ainsi très souvent, poussant leur flirt jusqu'aux limites qu'elle avait imposé. Ils ne firent jamais l'amour mais les heures passées ensemble, sur les murazzi au Lido, le soir dans la chambre de Nicolas où une nuit dans la barque de Nicolas au milieu de la lagune restèrent gravées dans la mémoire du garçon comme les moments les plus intenses, les plus excitants, les plus forts sexuellement qu'il ait jamais vécu. Aucune extase, aucune nuit d'amour ne fut aussi dense que ces chastes corps à corps .

Le quatrième jour, elle prit le bateau pour Corfou. C'était un paquebot tout blanc battant pavillon grec. Il l'accompagna. Elle pleura. Lui aussi. Elle lui promit de revenir. "En septembre, quand mes parents repartiront à malaga, je repasserai sinon ce sera en octobre, vers le 20"... Il regarda longtemps le navire s'éloigner dans ce magnifique décor pour romans d'amour. Il lui semblait voir Luisa sur le pont qui agitait sa main. Bientôt le bateau dépassa la pointe de San Elena et ne fut plus qu'une trait noir à l'horizon, près du Lido. Il marcha toute la nuit. Vers deux heures du matin, il s'installa tout au bout de la pointe de la douane, devant ce majestueux spectacle qu'est la piazzetta et San Giorgio la nuit quand tout est calme et que seul le clapotis de l'eau confirme qu'il ne s'agit pas d'un tableau mais d'un lieu vivant. Il se sentait vide et comblé à la fois. Il avait aimé cette fille comme un fou mais ne savait presque rien d'elle, de ses aspirations, de ses désirs. Ils avaient parlé d'art, de littérature, de cinéma, de cuisine, d'enfants, de musique, de voyages, du roi d'Espagne et des basques et des catalans, de Mitterrand, de de Gaulle et de Franco... Mais qu'avaient-ils dévoilé d'eux-même ? Il avait touché chaque centimètre de sa peau dénudée, douce, parfumée. Elle avait caressé son corps. Ils s'étaient longuement embrassés. Ils avaient nagé des heures. Ils étaient partis une nuit en barque sur la lagune et n'étaient rentrés qu'au petit matin. Mais elle demeurait pour lui un mystère. Plusieurs mois passèrent. Elle ne revint pas. Il oublia sa promesse. Les examens approchaient. L'hiver avait été rude. Le printemps ramenait la joie de vivre et les soirées se succédaient avec les copains. Gabriele lui avait procuré un petit boulot à l'hôtel. Il faisait les chambres, tenait le registre des entrées quand la patronne était au marché et Gabriele à la gare. Anne-Elisabeth avait annoncé son arrivée dans quelques jours. Nicolas était décidé. Il allait bien la recevoir. Elle passerait un agréable séjour. Mais, il romprait avec elle. Il ne pouvait se faire à l'idée qu'elle l'attende là-bas en France lui qui s'épanouissait ici et ne voulait plus rentre. Il ne voulait plus la faire souffrir et l'empêcher d'être heureuse, sans lui. Il savait intuitivement que s'il ne le faisait pas là, cette fois-ci, il n'aurait plus jamais le courage de partir. Ils en souffriraient toute leur vie. Leurs étreintes étaient devenues mécaniques. Elle l'aimait beaucoup c'est certain. mais plus que tout elle ne voulait pas rester seule et ce garçon brillant, gentil, drôle et différent des autres, bien fait et si doux lui apparaissait comme l'homme de sa vie. En elle tout était décidé. Pourtant, lors de ses rares et pressés séjours en France, il ne cessait de la maltraiter, souvent sans le vouloir. Il repartait vite. Fuyant ses appels, ses implorations. Combien de fois l'avait il fait pleurer. Pourtant, elle était toujours là à chaque fois et il l'aimait, il le savait. Avec Luisa, rien n'était pareil. Il se sentait totalement, complètement en harmonie et savait que physiquement aussi leur union serait parfaite.

Il avait annoncé à sa patronne que son amie française arrivait. Il était parti chercher un cadeau. Il voulait trouver ces fleurs qu'elle aimait et en avait profité pour passer au marché faire quelques emplettes pour leur premier dîner. Il s'absenta toute la journée. Il aurait dû se sentir heureux d'avoir la visite d'Anne-Elisabeth. Garçon normalement constitué, il aurait dû se réjouir de la nuit de retrouvailles qu'ils passeraient ensemble. Etait-ce sa décision de rompre qui la troublait ? Il savait sa mère malade en France et attendait comme ses frères le diagnostic avec appréhension. Était-ce cette inquiétude qui le perturbait ? Il ne se sentait pas bien.

Anne-Elisabeth devait arriver le lendemain matin par le train de Nice. Le soir, il avait rendez-vous avec la bande au Cherubin avant d'aller chez son copain Stefano qui fêtait son anniversaire. Il passa à l'auberge pour voir si Gabriele viendrait. Il trouva la patronne et son fils en train de dîner devant la télévision. "Ah, Nicolas, une jeune fille est passé ce matin. Tu sais cette espagnole qui était là l'été dernier". Nicolas se sentit défaillir "Luisa ? Luisa est à Venise ?"." Oh non, elle était juste de passage, elle allait à Trieste et s'était arrêtée pour la journée je crois. Nous avons parlé un bon moment car je pensais que tu allais arriver. Elle m'a posé beaucoup de questions sur toi. Je lui ai dit que ta fiancée arrivait demain de France". Nicolas sentit la sueur perler le long de son dos, ses mains devinrent moites, son regard s'embruma "mais pourquoi lui avoir dit ça, ce n'est pas ma fiancée". "Ah bon, mais je croyais" répondit avec indifférence la vieille femme en mâchonnant ses pâtes. Nicolas rentra chez lui. Il ne revit jamais Luisa.

Quelques semaines plus tard, mystère insondable des postes italiennes, il trouva une enveloppe portant le cachet de Malaga et datée de plusieurs semaines. Elle contenait une courte nouvelle d'Oscar Wilde en anglais et ces quelques mots : "J'ai lu ce texte qui m'a fait penser à toi. Désolé de n'avoir pas donné de mes nouvelles. Je t'expliquerai. L'Italie me manque. Je vais à Trieste le 30. Je passe à Venise. Je reste une journée ou davantage. Tu me diras. Je t'embrasse, Luisa". La lettre arrivait bien tard...

Il termina ses études et quitta Venise. Il souhaitait rester en Italie. Des amis de ses parents lui avaient procuré quelques pistes. Il pouvait prétendre à un poste à l'université ou au Consulat. Anne-Elisabeth ne voulut pas entendre parler d'une installation en Italie. Elle fixa la date du mariage et s'occupa de tout. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Ils ne furent pas vraiment heureux. Nicolas n'entendit plus jamais parler de Luisa. Elle ne répondit jamais à aucune de ses lettres.

Chaque fois qu'il va à Venise, il lui semble l'entendre et croit la reconnaître. Elle porte ses grands anneaux d'or et sa robe verte à bretelle fait se retourner tous les hommes sur son passage. Son rire retentit partout où il passe sur le chemin qu'ils empruntèrent pendant ces quatre merveilleuses journées. Jusqu'à son parfum qu'il croit sentir parfois. Un jour, accoudé sur le rebord de la balustrade, du côté du Caffé del Paradiso, près des jardins de la Biennale, il se souvint d'une de ses paroles qu'il n'avait pas relevé alors : "Je crois que si l'on perd un amour à Venise on doit se mettre à détester cette ville. Je ne pourrais pas y revenir si un jour je devais y souffrir d'amour"... Il sait maintenant qu'elle n'est jamais revenue à Venise.

10 février 2007

Toujours dans la rubrique gourmandise hivernale


Venice Daily Photo fonctionne dans le même sens que nous : au diable le ciel bas et gris, les frimas, les pieds gelés et le bas des pantalons mouillés par la pluie drue qui tombe sans arrêt ("aqua alta" crie ma fille Constance en pataugeant dans les flaques). Ce site super nous offre aujourd'hui une image gourmande, avec ce commentaire fort approprié : "Le Café, une charmante petite pâtisserie dans une rue étroite... Idéal pour un petit en-cas gourmand sur le chemin séparant le pont de l'Académie de la Piazza San Marco...". Pour ceux qui sont intéressés, en voici l'adresse : A deux pas du Campo Santo Stefano, au numéro 2797, dans la calle del Spezier, cette ruelle qui mène à San Marco en passant par San Maurizio, Santa Maria del Giglio (près du Gritti). En venant de l'Accademia, c'est sur votre droite que vous trouverez la pâtisserie et le café proprement dit, très chic, fréquenté par les élèves du Conservatoire Marcello qui est à deux pas mais aussi par les musicologues de la Fondation Levi, dont le palais est quasiment en face.

09 février 2007

Ou déjeuner bien, rapidement et à la vénitienne ?

Venise contient des centaines de bacari, d'osterie, chaque quartier a son enoteca ou sa birerria. Il reste encore quelques tavole calde disséminées dans les recoins les plus inattendus et plein de bars et de pasticcerie qui peuvent vous accueillir entre deux musées ou après une belle promenade. Je ne peux pas tous les citer ne serait-ce que parce que je ne les connais pas tous. Mais en voilà quelques uns que j'aime bien et où, sauf changements récents, on est bien accueilli, où on mange bien et pas cher. C'est aussi un critère important que celui du prix demandé. De quoi parfois vous empêcher de digérer. Mais au-delà des considérations financières, c'est aussi dans ces lieux qu'on voit vivre la ville et ses habitants. En y prenant ses habitudes, on se sent vite moins étranger et un peu plus vénitien. A vous d'en faire l'expérience. Voici une sélection d'adresses mais il y en aurait tellement d'autres à recommander aussi...
Avant tout, il existe un petit ouvrage qui à ma connaissance n'existe qu'en italien ou en anglais, un peu daté aujourd'hui, consacré aux osterie et aux bars de Venise. Le guide d'Ugo Pratt cite aussi pas mal de petits endroits sympathiques. Il y en a donc un grand nombre bien que beaucoup ont disparu ces dernières années. Certaines de ces adresses sont aujourd'hui des lieux trop propres, trop cosmopolites, neutres et sont seulement visités par les touristes. Évitez-les. Il est facile de les reconnaître : menus touristiques en plusieurs langues, photographies des mets en couleurs, pubs pour Coca Cola ou Fanta... Vous aurez beau tendre l'oreille, vous n'y entendrez pas parler en vénitien. En revanche, quand vous entrerez dans les endroits que je vais vous citer - sauf révolution de dernière heure dont on ne m'aurait pas encore informé - vous serez dans un véritable et authentique lieu casalinga. Vous y rencontrerez des vieillards sans âge, des dames élégantes, des hommes d'affaires affairés, des étudiants, quelques ménagères. Tous se connaissent et tous y ont leurs habitudes, saluant la serveuse par son prénom, n'hésitant pas à laisser leurs cabas ou même la poussette du bébé le temps de faire une course ou de bavarder avec la voisine... Les lieux photographiés dans les années 80 que j'ai présenté l'autre jour existent presque tous encore. Quelques-uns n'ont pas changé.

Je profite de l'occasion pour regretter l'une des osterie les plus extraordinaires que Venise ait connu : Il Milione, situé derrière le Théâtre Malibran, à l'entrée de la Corte del Millione, là où se trouvent les vestiges de la demeure de Marco Polo. C'était une grande auberge à l'ancienne. Un grand comptoir en bois, des tables, des chaises et des bancs. Jambons, salamis et saucissons pendus au plafond, une vitrine toujours remplie de délices. Le vin était dans des bonbonnes de verre et d'osier ou dans des barriques. Le prix des plats et les vins disponibles étaient notés à la craie sur des ardoises. Il y avait toujours du monde. Beaucoup d'étudiants. On s'y régalait de jambon cru, de haricots blancs au vinaigre, de sarde in saor, de crustacés ultra frais, de beignets de mozarella, de ragout d'aubergines, et de mille autres cicchetti à vous damner. Le vin était bon et pour 1000 ou 1500 lires, on faisait un vrai dîner de roi bien arrosé (l'équivalent sauf erreur de 9 ou 10 euros). Mais c'était il y a 20 ans. Avant la mondialisation, l'ère berlusconienne et l'invasion des barbares... Il existe toujours mais c'est devenu un restaurant chic qui a voulu garder des airs d'estaminet populaire. Mais ne soyons surtout pas négatifs : la vie reprend toujours le dessus et la joie d'aller de bars en osterie demeure.

Donc deux styles de restauration pour deux moments différents de la journée : les bàcari ("bàcaro" au singulier) pour le soir, pendant la passegiatta et pour boire une petit blanc le matin. Les tavole calde, enoteche et autres osterie pour le déjeuner, entre 11 et 14 heures. Attention, vers 13 heures il y a foule partout !

Osteria Do Mori
Campo Santa Marina 5911.
Commençons par une adresse "alternative", un local situé campo San Marina à Castello. Facile à trouver. Cet établissement a plus de deux-cents ans d'existence et plein d'histoire. On y trouve des vins blancs et rouges excellents accompagnés de délicieux tramezzini et de stuzzichini de la tradition culinaire vénitienne. Comme le veut la tradition, on ne peut pas s'asseoir. On entre d'un côté et on sort de l'autre, sur une ruelle latérale. Tradition vénitienne vraie de vraie, comptoirs en bois et grosses barriques poutres en bois . Le lieu parfait pour un casse-croûte rapide et gourmand ou en fin de matinée quelques grignotages avec le spritz. 
Rosticerria San Bartolomeo 
Calle della Bissa 5424/A
Mais la vedette demeure cette fameuse maison, située à quelques pas de la statue de Goldoni, sur cette place toujours très animée qui forme l'antichambre du Rialto. Depuis de nombreuses années on y trouve des dizaines de plats cuisinés vendus à l'assiette, à consommer sur place, debout ou niché sur des sièges hauts le long de la vitrine, plats cuisinés délicieux qu'on peut aussi emporter. La dénomination "tavola calda" (littéralement : table chaude) exprime bien les caractéristiques de ce genre d'établissement répandu dans toute l'Italie depuis l'antiquité (on en visite à Pompéi). A l'étage, une salle de restaurant vous accueille si vous préférez déjeuner traditionnellement, servis sur une nappe blanche. Vues l'activité et l'affluence au rez-de-chaussée, ne vous y étonnez pas de la lenteur du service. Les prix sont plus que raisonnables bien qu'ayant récemment augmenté d'une manière sensible comme me le signalait une lectrice. Le risotto comme les lasagne sont délicieux, les gnocchi méritent votre attention. Pour de plus rapides encas, le comptoir tout à fait à droite abrite les traditionnels tramezzini et autres panini, des croquettes et des beignets de toutes sortes. Le vin est bon et abordable. Les salades et les viandes sont quelconques. Mais je vous recommande vraiment tous les plats à base de pâtes et de riz...

Al Mascaron.
 Calle Longa Santa Maria Formosa, 5225.
Un lieu semblable au Milione,  d'autrefois, avec son grand comptoir de bois, ses tables et ses bancs de taverne. Cadre rustique, ambiance vénitienne garantie en dépit de la haute fréquentation des touristes depuis qu'un guide anglo-saxon a repéré l'endroit. On y trouve les meilleurs ciccheti du quartier et le vin servi à la tireuse est très convenable. Il y a parfois un excellent Raboso et je me souviens y avoir goûté l'année dernière un délicieux Moscato d'Alba, inattendu à Venise ( les vénitiens sont aussi chauvins que les bordelais quand il s'agit de vin!). C'est souvent plein, alors si vous passez devant et qu'il y a de la place, allez-y sans hésiter.

Da Zorzi. 
Calle dei Fuseri, entre San Luca et San Marco.
Ex latteria (littéralement : "laiterie", boutique où on servait du lait frais, des laitages et des pâtisseries, sorte de salon de lait). Quand je vivais à Venise, Da Zorzi avait deux caractéristiques sympathiques : c'était le seul vrai salon de thé de Venise rempli l'après-midi de dames chapeautées qui n'auraient pas déparé le très chic salon de thé du Ritz de Londres ou Angelina à Paris. C'était aussi un restaurant essentiellement végétarien. Le cadre est resté le même mais la carte a évolué. On y trouve toujours de délicieux légumes ai ferri, des pâtes et risotti de première qualité. Le bar est sympathique et bien situé quand on traîne dans le quartier de San Marco.
Al Bacco. 
Cannaregio 3054, Fondamente Cappucine.
Autre osteria bien connue des vénitiens, située sur la fondamenta la plus typique de Cannareggio. J'y ai habité un peu plus d'un an, tout au bout, juste avant le gymnase et les HLM qui donnent sur la lagune. Quartier pittoresque où vivent beaucoup de pêcheurs et de gondoliers. Al Bacco est toujours rempli de monde et, avant que la loi anti-tabagisme s'impose en Italie, le local était noyé dans le brouillard comme le port de Londres en hiver. Étape agréable quand vous irez vous promener dans le Ghetto et du côté de San Alvise.

Alla Bomba 
calle de l'Oca, 4297.
Dans ce même quartier de Cannaregio que j'aime beaucoup se trouve la Bomba. Une petite rue, une vieille bâtisse qui semble surgir des temps les plus reculés de la Sérénissime. C'est surement l'étroitesse de la ruelle qui fait cet effet. Ambiance typique là aussi et clientèle locale à 100%.

Paradiso Perduto 
Fondamenta della Misericordia, 2539.
Toujours dans le quartier, ne manquez pas ce paradis perdu. Un haut-lieu de la vie nocturne. Une véritable institution, au même titre que le Florian ou le Harry's Bar. Clientèle d'étudiants, de jeunes vénitiens. Feu de cheminée en hiver et tables au bord du canal à la belle saison (soit pratiquement de mai à octobre). Très bonne musique en live et ambiance parfois chaude, genre fêtes de Bayonne. Mais cela fait partie aussi de l'institution.

Busa alla Torre.
Campo Santo Stefano 3.
Lorsque vous serez à Murano, après la visite de l'église, du musée et des verriers, c'est une étape agréable. je n'y suis allé qu'une fois, mais si je me souviens bien, il y a une petite terrasse bien confortable et très calme.


Bon la liste est longue et pourrait devenir fastidieuse, je vais réfléchir à un moyen de vous la communiquer qui soit efficace et sans prétention. Un petit guide papier en souscription ? Nous y songeons à Tramezzinimag... Le choix des lieux n'engage que moi et ma gourmandise. Si mes lecteurs ont des suggestions et des recommandations, ou encore mieux des noms de lieux qu'il vaut mieux éviter désormais, qu'ils n'hésitent pas. En attendant, bon week-end à tous. Ici, il s'annonce venteux et pluvieux. Mais un ciel bleu semble vouloir faire son apparition. Il fait doux. Ballade à l'océan en perspective pour de nombreux bordelais. Mes amis vénitiens partent voir si la neige est au rendez-vous du côté de Cortina. Les veinards. Une de mes fille, guide marine, part en camp scout, l'aînée révise un concours blanc pour hypokhâgne, mon fils répète au Conservatoire les pièces de chant choral qu'ils donneront en juin et la petite dernière reste avec son papa pour mijoter de bons petits gâteaux pour le thé. Il y a aussi le vieux castelet de marionnettes à finir de restaurer et certainement mille autres trucs à faire. Un week-end bien chargé.