07 octobre 2007

COUPS DE CŒUR n°18

Maddalena ai piedi di Cristo de Antonio Caldarà
Maria Cristina Kiehr, Bernarda Fink, Andreas Scholl, Rosa Domínguez, Gerd Türk, Ulrich Messthaler. Orchestre de la Schola Cantorem Basiliensis sous la direction de René Jacobs
Harmonia Mundi -1996 (reédité en 2002).
Antonio Caldarà, musicien vénitien (1670-1736), a composé un oratorio merveilleux que diffusait ce matin Stephane Goldet dans son émission de France Musique. A l'heure où j'écris ce papier, la radio diffuse l'aria où s'affrontent l'amour terrestre et l'amour céleste. Quelle brillante énergie pour faire éclater la colère de l'amour terrestre qui doit s'effacer devant l'amour céleste dans ce "Marie-Madeleine aux pieds du Christ". C'est aussi dense et pur que du Vivaldi. Ce qui me confirme que la très belle musique du prêtre roux que les amateurs adorent, si elle reste sans conteste particulièrement inventive et talentueuse n'en est pas moins une parmi d'autres qui sont peut-être moins souvent géniales mais tout aussi grandioses. Ces violons déchaînés, cette harmonie si particulière, ce rythme, ces nuances qui se fondent dans rebondissements sonores incroyables, ce n'est pas que Vivaldi, c'est l'école de Venise. La musique vénitienne. Longtemps l'auteur des "Quatre Saisons" fut oublié, sa musique perdue ou égarée. On continue d'en retrouver parmi les rayonnages des grandes bibliothèques du vieux monde. Mais Legrenzi, Caldarà, Marcello, tant d'autres encore furent longtemps joués et inspirèrent toute la musique allemande du XVIIIe siècle. 

Voici un extrait déniché sur internet : http://opus100.free.fr/fr/choral2.html
Une pure merveille. Plus abouti que le premier "le triomphe de la continence", long mais jamais ennuyeux, cet oratorio est classiquement formé de récitatifs et d'arias d'une densité incroyable où les passions s'affrontent, où les sentiments humains sont décortiqués pour être restitués par de nombreuses trouvailles musicales et faire le bonheur des auditeurs. Une merveille vraiment que je vous invite à découvrir. Le livret est consultable sur le site du contre-ténor Andreas Scholl (cliquer sur le lien) qui est fabuleux aux côtés de la soprano Maria-Cristina Khier.

Ce Caldarà eut une carrière imposante, en Italie tout d'avord puis à Vienne où il s'installa et mourut. Elève de Legrenzi, ami de Corelli, Scarlatti et Haendel, on dit qu'il a davantage influencé Haydn et Mozart que Vivaldi. Avant de quitter Venise, où il faisait partie de la confrérie de Santa Cecilia, (sorte de syndicat professionnel qui réunissait plusieurs centaines de musiciens, compositeurs et interprètes, réunis en fraternité et société d'entraide comme les autres corps de métiers à Venise), Il fut très apprécié. Sa musique, caractérisée par un usage de l'aria répétitif, toujours accompagné d'une basse continue et de cordes à 4-5 parties, reprend les éléments du concerto grosso et emprunte ses rythmes aux danses et aux mélodies populaires. Elle est ainsi très caractéristique du style vénitien que le Vivaldi du Stabat Mater a popularisé. Dans cet oratorio, on sent aussi de douces parentés avec la musique de Pergolese. Cela confirme bien qu'en dépit des difficultés de communication de l'époque, les écoles, les modes et les tendances circulaient aussi bien que de nos jours et que la musique à Venise ne se résume ni ne se limite au génial Antonio Vivaldi.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…
l’émission est en podcast sur France Musique depuis ce matin.
Lorenzo a dit…
Très bonne émission admirablement commentée par la productrice et les extraits choisis sont simplement divins. je vous recommande l'émission et le disque.
Fanfan a dit…
Vous m'avez donné envie de découvrir ce disque...et c'est le coup de foudre! Les voix sont magnifiques et l'ambiance sonore très touchante.Merci!

Que le silence y est doux !

Mitsou, le chat le plus photographié de Bordeaux, se languit comme ses maîtres de Venise. Il reste des heures durant sur le rebord des fenêtres, descend dans la cour, s'endort au soleil dans la rue et semble attendre le prochain départ, comme nous, impatient de retrouver son univers. Bien que tout ici nous rappelle la vie vénitienne, il reste toujours une différence majeure, terrible et ineffaçable : le bruit. Nous vivons à Bordeaux dans un quartier agréable et pourtant très calme, à deux pas du plus beau jardin que le XVIIIe siècle des Intendants du roi ait donné à une ville française. Les rues sont larges et ensoleillées, les maisons comme la nôtre ont connu le siècle de Louis XV, certaines remontent même aux premières années du règne du bon roi Henri... Une sérénité liée aux siècles de tranquille atmosphère, rend la vie de la maison paisible et apaisante. 

Mais il y a le bruit des voitures, cette rumeur terrible qui ne cesse jamais ou presque. Une rue passante est à deux pas. Très animée le jour avec ses commerces, ses cafés et ses restaurants, elle devient une autoroute la nuit pour les gens pressés de rentrer chez eux et qui ne veulent pas être arrêtés par un feu rouge. Le pire, ce sont les motos. Et puis comme il fait encore chaud, les fenêtres restent ouvertes la nuit et le bruit monte. Les portières qui claquent, les démarrages un peu vifs, les voyous qui aiment faire pétarader le moteur de leurs pétrolettes, les bus qui roulent à vive allure...

Bordeaux est une belle ville et notre quartier un bonheur, mais ce bruit... Ce bruit ! A Venise, nous entendons les merles dans les arbres et le clapotis de l'eau du canal voisin, les pas qui résonnent sur les dalles de pierre. Parfois une sirène dans le lointain, un avion qui transperce le ciel. Et puis les cloches des églises qui carillonnent toutes les heures, avec en tête la Marangona qu'on entend de partout, et quatre fois par jour, les cris des enfants qui sortent de l'école ou jouent pendant la récréation dans l'école voisine. A ces sons jamais agressifs correspondent aussi des odeurs dont j'ai toujours la nostalgie quand je ne suis pas là-bas : l'odeur de la glycine dans le jardin, celle très particulière de la lagune, mélange de senteurs marines, d'algues et de terre et puis soudain, fugace, le délicieux parfum du café qu'on torréfie ou du pain qui vient de sortir du four. Ici, dans notre exil, ces odeurs parfois nous parviennent aussi. Elles projettent alors notre âme vers notre chère lagune, comme la bonne odeur des canelés de Baillardran quand on passe près du marché des Grands hommes ou le café grillé de la Maison du Café, les bords du fleuve quand la marée remonte. Délicieux remugles qui font chavirer les papilles et nous transportent en pensée vers la Sérénissime. Mais le bruit est toujours là.

© photo Dominique M. - Le Campiello
Même les terrasses ensoleillées qui nous rappellent tellement nos longs moments de délicieux farniente vénitiens ne sont jamais plongés dans ce silence incroyablement plein qui caractérise Venise et fait d'elle, loin de toute autre considération esthétique ou artistique, un lieu unique où la ville semble être campagne et où la campagne pourtant partout repoussée par la nécessité de la vie humaine semble dominer et imposer ses droits. Voilà ce qui rend Venise unique, cet union parfaite entre la nature et l'anti-nature. Quand on connaît bien la cité des doges, on comprend combien il est vain et hors sujet de souligner le peu de présence végétale dans la ville. La nature est partout, sous nos pieds par la terre des îlots et les forêts de pieux des fondations, autour de nous avec l'eau des canaux, au-dessus par ces ciels magnifiques, à chaque instant par la lumière incroyable. Alors peu importent le manque d'arbres et de verdure quand les pierres et les briques elles-mêmes avec leurs tons si particuliers, sont aussi une part de nature domestiquée par le savoir-faire de l'homme. Ah! combien par cette soirée de victoire de la France au rugby (ne nous aura-t-on pas cassé les oreilles avec cet évènement depuis des semaines !), comme notre chat, j'ai hâte de revenir et goûter à nouveau à ce silence si plein, à ces nuits merveilleusement paisibles et tranquilles...

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7 commentaires:

condorcet a dit…
Le silence : une vertu pour une civilisation qui ne sait pas vraiment ce que ce terme signifie. Ces manifestations bruyantes ne renvoient pas au "rite d'inversion" étudié par Emmanuel le Roy Ladurie dans "Le Carnaval de Romans". Ces promeneurs nocturnes défilant bruyamment dans les rues sont de farouches routiniers durant la journée. La nuit est une récompense : pour le salarié, elle coincide avec le repos et pour le travailleur intellectuel, elle aiùe l'ode à la vie et à l'esprit.
AG a dit…
Le silence est un luxe. Le silence peut aussi être une prison. Je pense aux malentendants qui n'ont plus le grand bonheur d'écouter de la musique... ou plus prosaïquement la possibilité de participer à la moindre conversation. D'où un isolement certain. La nuit est une récompense, mais la nuit est aussi synonyme de travail pour quelques-uns afin que notre bien-être (hôpitaux, pompiers, etc...) soit garanti... ou nos envies de distraction satisfaites (spectacles divers et variés). Nous sommes loin de Venise. Mais Venise est bien la seule ville italienne, par sa "physionomie", à ne pouvoir bénéficier du bruit si doux et agréable des "motorini" et conversations interminables et très tardives des jeunes (ou moins jeunes) italiens, surtout en période estivale. Quant au foot et au rugby qui suscitent des réactions aussi passionnées que bruyantes, et peut-être disproportionnées, je vous l'accorde, soyons indulgents. Intellectuels ou pas, favorisés ou pas, certains sont "tétanisés" par la victoire ou la défaite de leur équipe favorite. Voilà, c'était mon "coup de gueule" du jour, une réaction épidermique... alors que je suis si souvent d'accord avec vous, au travers des articles de vos blogs (qui me font découvrir tant de choses que j'ignore). AG
Constance a dit…
Qu'il est merveilleux, cet hymne à Venise! Oui, le silence est roi à Venise, surtout comme "toile de fond" de tous ces sons que l'on entend, que l'on entend vraiment soudain. L'eau, et toutes ses notes différentes, du clapotis au bruit un peu sourd du bois qui bat l'eau quand une gondole passe et semble taper une surface de fond ( est-ce possible ? c'est l'impression que le son donne ), on apprend qu'il y a un son particulier de l'eau qui se fend, un son soyeux et prolongé... Et la musicalité absolue des "ciao-ciao", lorsque deux vénitiennes se croisent, l'une prononce comme en chantant, "Ciao Giustina, ciao" et l'autre répond en mesure "Ciao, Roberta!" et la première qui est presque passée déjà ajoute un "ciao, ciao", sur une tonalité decrescendo, avec parfois un léger écho de la deuxième, "ciao"... Ciao Lorenzo, merci du bonheur de m'avoir replongée dans cette partition sonore du silence, tandis que mes voisins ont mis la techno à fond et que tous mes meubles vibrent, qu'ils hurlent pour couvrir le bruit sur leurs quatre enfants qui hurlent, tous surexcités par cette nuit à clamer de tout leur saoûl. Qu'importe, puisque j'ai été transportée à Venise!
condorcet a dit…
Je trouve que la possibilité de dormir est un des droits les plus élémentaires qui soit. Etre dérangé à 1, 2 ou 3 h du matin par des fêtards est une véritable agression physique sachant que bien souvent, le sommeil sera difficile à retrouver.
Tietie007 a dit…
Chat sur damier ...
Lorenzo a dit…
AG et tietie007, soyez les bienvenus sur TraMeZziniMag, car sauf erreur, lecteurs silencieux venant souvent sur le site, ce sont vos premiers commentaires. Ce blog - comme tous ses semblables - ne vit et n'évolue que par ses lecteurs. Leurs avis, leurs critiques aident à avancer au service de notre passion commune : Venise. Je remercie au passage tous ceux qui depuis plus de deux ans non seulement me font l'honneur de me lire, mais apportent leur contribution par leurs idées, leurs connaissances et leur indulgence. TraMeZziniMag est à eux aussi.
AG a dit…
Bonjour Lorenzo, NON NON, je ne suis pas si silencieuse. Je me suis déjà manifestée (en italien) le 12 septembre dernier. Bonne journée. Agnès

05 octobre 2007

Chute d'ange, une vraie de vraie !


Vous allez dire que le sujet de ce petit film du talentueux Jamin Winans n'a rien à voir avec Venise et nos préoccupations habituelles ici sur TraMeZziniMag, mais depuis plusieurs mois que cette vidéo circule sur DailyMotion, je ne résiste pas à la joie de vous la faire connaître. C'est l'article posté récemment sur la chute d'un morceau du palais ducal qui ramène à la fameuse histoire du panneau  :
"Pericolo : caduta angeli" 
placé il y a des années sur l'échafaudage de la Salute que l'on restaurait à l'initiative de la France, qui m'y a fait penser... Bon, c'est truffé de bons sentiments, je vous l'accorde mais c'est le genre d'images qui en ce début de siècle tonitruant, revigore et rassure sur les infinies possibilités de la riche nature humaine. Et cela vaut pour tous les peuples du monde, de Venise à Rio, de Québec à Bordeaux !



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5 commentaires:

Tietie007 a dit…
Vive la France ! On vient de gagner les Black au rugby ...un peu comme la première fois que je suis arrivé à Venise ...Magique ....
Lorenzo a dit…
En tant qu'homme du Sud-Ouest,ancien élève d'un collège anglais où ce sport servait de laisser-passer, je suis ravi de l'intérêt que l'on semble prendre pour le rugby. Mais le battage médiatique, l'omniprésence dans les médias, dans la rue, les vitrines des magasins, les cafés et même les écoles de cette coupe du monde m’écœure parce que le fric et la mode se sont emparés d'un jeu d'amateur, resté longtemps pur honnête et magnifiquement esthétique. On a fait de ce rugby là un produit commercial, et ce sport n'est plus qu'un prétexte à laver les cerveaux des masses et remplir les comptes en banque de certains petits malines. Comme le foot ou le basket. Écœurant. Je ne me réjouis donc pas cher lecteur. Non pas que je ne sois pas content pour l'équipe de France mais parce que je suis triste de ce qu'on a fait de ce sport en le professionnalisant et en le médiatisant à outrance. Et puis je ne peux pas m'empêcher de me hérisser quand tout depuis des semaines tend vers un bourrage de crâne calculé, un lavage de cerveaux lamentable. Je reste dubitatif et méfiant quant aux intentions qui ont présidé à la mise en avant de cet évènement. Alors non je me réjouis pas plus particulièrement ce soir de la victoire de la France que de celle d'une petite équipe de poule Z ou Y (c'est bien comme cela n'est ce pas qu'on classifie les équipes amateurs) à Brive La Gaillarde ou à Triffouilly les Oies ! A propos, aviez vous lu mon article sur le rugby à Venise ? Un rugby amateur celui-là, un vrai quoi...
airaud a dit…
bonjour par un hasard de goggle je decouvre votre blog je suis christophe Airaud et nous avons vecu il Y a disons quelques années la mostra de venise souvenirs si vs le voullez contactez moi christophe
airaud a dit…
une adresse mail aiderait surement airaud@noos.fr christophe
Lorenzo a dit…
quelle merveille que le net : retrouver mille ans plus tard des êtres chers et renouer avec un passé encore présent dans sa mémoire !

04 octobre 2007

Promenade dans Venise





8 commentaires:

Constance a dit…
Enchantée... de découvrir ce blog, de pouvoir garder un oeil à Venise, dont je suis, comme tant d'autres, une amoureuse fervente. Je le mets tout de suite dans mes favoris ; j'y apprends ce que je n'avais jamais compris ( sans être dérangée par la bizarrerie! ), la logique étrange des numéros de ligne des vaporetti, j'y trouve matière à lecture et à réflexion. Je reviendrai y passer du temps, j'irai fouiller dans les liens nombreux que vous proposez, et je vous remercie de ce lien précieux avec ce lieu précieux. Je me permets de mettre ce blog dans mes liens, espérant que cela ne vous ennuie pas.
venise86 a dit…
Tes photos sont trop belles, et je te les emprunte régulièrement, en te citant bien sur... Le bonheur d'être à Venise au quotidien grâce à toi...
Lorenzo a dit…
ce ne sont pas toujours les miennes. Souvent des photos que j'emprunte moi aussi au hasard du net à des inconnus ou à mes amis qui ont la gentillesse de me les adresser. Dans la mesure du possible j'en indique la provenance et l'auteur.
condorcet a dit…
Je souhaite non pas "réagir" (ce qui constitue vraiment l'antipode de tout esprit véritablement enclin à réfléchir) mais évoquer cette nostalgie de la Venise d'antan qui vous habite. J'ai 29 ans : et ce regret du disparu qui transparaît dans vos souvenirs se retrouve parfois dans mes pensées historiennes. Je me souviens de cet enthousiasme pour l'histoire qui a bercé mon enfance, quelque puéril qu'il fût, et des décombres chronologiques et mémoriels dans lesquels on se repaît. Cette décrépitude des lieux intellectuels a ceci commun avec les "espaces vécus" qu'elle nous ôte un peu de notre mémoire collective ou plutôt de notre imaginaire mental.
Lorenzo a dit…
Nulle nostalgie en fait si ce n'est celle liée à un temps à jamais enfoui qui fut celui de mes jeunes années heureuses et pleines d'enseignements nouveaux quand je vivais, j'aimais et j'étudiais à Venise. Ensuite, nostalgie de ce que j'imagine avoir été la ville (et la vie dans cette ville) de mes ancêtres dont le sang qui coule dans mes veines s'échauffe depuis toujours quand j'approche de la lagune. Pour le reste, le quotidien, la vie courante, la Venise d'aujourd'hui vaut aussi parce qu'elle est d'aujourd'hui, palpable, ordinaire et en devenir. L'histoire ne doit pas nous être regret mais espoir n'est ce pas ! Espérer toujours que les nouvelles générations sauront tirer du passé les meilleures leçons et innover inventer bâtir pour réussir là où ceux d'avant n'ont pas su ou pas pu.
condorcet a dit…
Ce sottoporgo figure dans une séquence de "Mort à Venise" où Gustav Aschenbach suit Tadszio dans une Venise spectrale.
condorcet a dit…
Aie aie mon cher Lorenzo, vous venez d'associer deux mots dans une expression qui m'exaspère : les "leçons de l'histoire"... je vous expliquerai un jour pourquoi : ce soir, disons seulement que le déterminisme n'est pas une clé de compréhension du passé.
Si si le passé est regret et fol espoir puisque le regard de l'historien pas plus que celui de l'acteur ne peuvent en restituer la richesse. Toute la beauté de l'histoire réside dans cet aspect révolu du passé et l'impossibilité de le rendre tout à fait. D'où la nécessité d'avoir un regard plus riche.
Pour l'avenir, la question est plus personnelle qu'historienne.
Delphine R2M a dit…
Mais que c'est beau...
Merci Lorenzo!

Venise en travaux


De tout temps, les vénitiens devaient prendre eux-mêmes en charge le nettoyage des canaux et des rives. régulièrement les riverains effectuaient ce travail qui évitait l'envasement et les eaux stagnantes et saumâtres. C'est ainsi qu'avec le renouvellement des marées, si on ne pêchait plus depuis longtemps du haut de son balcon, on pouvait sans craindre la poussée de pustules eczémateuses, se baigner dans l'eau verte des canaux. Les enfants ne s'en privaient pas qui plongeaient du haut des ponts pour se distraire et puis pour amuser aussi les passants et les voyageurs contre quelques piécettes. Il aura fallu attendre plus de cent cinquante ans pour que la Magistrature des Eaux impose le curetage et le dragage des rii de la ville. Cela se fait année après année. On en profite pour refaire les réseaux de câbles et de canalisations, pour restaurer les fondations des bâtiments, des quais et des ponts. Finalement à voir travailler les ouvriers chargés de ce nettoyage mais aussi de ces rénovations, on se rend compte qu'en dépit de la mécanisation des tâches effectuées, le travail reste le même. Pendant des années on a cru, au nom du sacro-saint mythe du progrès, que les techniques modernes valaient toujours mieux que les procédés antiques. 
Mal en a pris les vénitiens (et surtout les italiens parachutés dans les administrations vénitiennes qui eurent en charge le dossier restauration) : on a vu par exemple que les briques de fabrication industrielle qui ont servi jusque dans les années 80 ne se conservaient pas très longtemps et attiraient des champignons qui s'attaquaient ensuite aux parties anciennes des bâtiments. En revanche la brique cuite au feu de bois et faite des matériaux identiques à ceux employés depuis toujours par les maçons vénitiens résiste parfaitement aux intempéries et à ces bactéries. La pierre d'Istrie, dure et résistante à l'eau ne peut être remplacée par aucune pierre de synthèse ou d'une autre provenance. Elle est totalement imperméable et sa densité convient parfaitement au contact prolongé avec l'eau de la lagune. Les bois des palli ne peuvent être remplacés par d'autres essences car le résultat n'est pas le même en terme de solidité par exemple. On ne le dira jamais assez, à Venise comme ailleurs : le passé a beaucoup à nous enseigner et demain n'existera pas sans une bonne connaissance d'hier. C'est valable pour tout, j'en suis convaincu...
1 commentaire:
condorcet a dit…
Votre conclusion me remplit d'allégresse, mon cher Lorenzo, car le souci du temps devient par trop évanescent : vous avez bien raison d'en réaffirmer tout l'intérêt.

Ciao fioi ! (*)

A deux pas de chez nous, il y a le campo Sta Margherita. Aujourd'hui c'est un lieu à la mode, très fréquenté par les touristes (les bobos parisiens notamment). Quand j'étais étudiant, c'était un lieu tout à fait authentique. .

L'ancienne église n'était toujours qu'un ancien cinéma porno fermé pour vétusté. le seul bar sympa, c'était les "Do' draghi" de Renzo Ballarin, juste en face du campanile en allant vers San Pantalone. C'est un des lieux-phare de mon histoire vénitienne. Là où j'ai rencontré tous ceux qui ont compté pour moi pendant mes cinq années de vie à Venise. Et puis, jusqu'en avril dernier, il y avait la fameuse Trattoria due Torri, l'un des derniers restaurants casalinga de toute la ville. Cessation d'activité pour les propriétaires, Edoardo et Giusi. Ils étaient fatigués de tant d'années passées à recevoir vénitiens et touristes dans un restaurant (plus de 50 couverts en salle) qui certes ne payait pas de mine, mais où on mangeait délicieusement bien, surtout quand les patrons ou les serveurs vous connaissaient. C'est souvent le problème à Venise. Le même plat commandé et servi à deux tables différentes n'aura rien à voir selon que vous soyez habitué ou inconnu. On peut le regretter. Ceux qui bénéficient du traitement de faveur ne s'en plaindront jamais. Discrimination positive, j'en ai bien peur (clin d’œil en passant). 
Mais revenons à mon sujet : le due torri, connu aussi sous le nom de Trattoria Da Edoardo ou de Ristorante Ai Mureri, a fermé ses portes et j'avais omis de vous en parler. La dernière fois que j'y suis allé, c'était avec les enfants, au printemps dernier. Nous étions à l'intérieur (un peu triste, sans fioriture) car al sole, il y avait une table de voisins venus fêter un anniversaire. La salle était grande. Il y avait outre les patrons qui vous accueillaient, deux serveurs que j'ai toujours vu là et puis une dame toujours affairée qui dressait les tables. Une vraie ruche. Davide, le chef râleur comme tous les chefs passait souvent dans la salle. Il mitonnait une cuisine familiale à des prix plus que raisonnables. 
Même le menu turistico - que je passe mon temps généralement à dénoncer quand on me demande conseil pour se bien restaurer dans le centro storico -, était bon et abordable. C'est la vie, l'authentique disparaît un peu chaque jour. Je ne sais même pas ce qu'il y a la place aujourd'hui. Un piège à touristes, agressif et artificiel certainement. C'est triste car c'est vraiment un morceau de la Venise authentique qui a disparu. Comme le magasin de jouets (juste en face d'ailleurs). 
Sur la photo ci-dessus, Edoardo et la Signora Giusi (la Signora), Gianluca le serveur et Davide le chef. Il manque Susy et la belle dame aux cheveux blancs qui s'occupait des tables. Loredan, Betti, Stefano, Antonio, je les ai tous connu ici. Et d'autres que j'ai oublié. Nous passions du bar des Do' Draghi à la trattoria. A l'époque on pouvait commander des plats et du vin à emporter. Quelques uns d'entre eux sont devenus de vrais amis même en dehors du restaurant. 
Le dernier soir, en plus de l'honnête petit vin habituel servi au pichet, ils ont offert plusieurs tournées de pâtes. On a pu ainsi manger - pour la dernière fois - la pasta paesana (tomate fraîche, basilic et crème de lait) et puis la fameuse pasta alle due torri à base de sardoni (ces grandes cousines des sardines qu'on pêche dans l'Adriatique) et tomates fraîches. Tout ça va bien nous manquer. Voilà depuis le mois de mars dernier, il manque quelque chose Campo Santa Margherita. Je suis un peu triste en y pensant. Mais qu'est ce qu'on y peut ? Je garderai comme beaucoup de mes amis vénitiens le souvenir ému des pommes de terre rôties (ils en faisaient toujours peu et il fallait prévenir d'avance quand on en voulait), le ragù à la saucisse avec des gnocchis, leur bacalà, les crevettes frites avec de la polenta. Délices, délices.
Mais s'il n'y avait que ce local. Le “Clodia”, un bar mythique de la calle delle razze à Castello, que tenaient deux vieux couples délicieux a changé de gestion et de décor. Finis les tramezzini format familial et leur extraordinaire “aranceta” à un prix pré-ère moderne. Un lieu authentique avec une clientèle authentique. Des gens du coin.  Au lieu de ça on trouve désormais un décor qu'aime décrire le satiriste Stefano Benni (lire son roman Bar Sport, paru chez Feltrinelli qu'il écrivit à 26 ans) : une pointe de chic, du rustique moderne, de fausses vieilles briques qui transparaissent de ci-de là pour faire usé ; nappes et serviettes rouges en lin, pringles à volonté, petits pains lilliputiens avec du saucisson nain et autres micro-produits à des macro-prix, le tout avec une musique Loundge bien entendu... Nous vivons une époque moderne comme le répétait Philippe Meyer... J'ai un peu l'impression de tourner au vieux machin, mais tant pis ça fait du bien. 

(*) "Salut les potes" en vénitien.

03 octobre 2007

Accidenti ! Il palazzo crollà ! *



On a envie de sourire mais cela aurait pu être tragique : samedi un morceau de pierre d'Istrie d'une cinquantaine de kilos s'est détaché de la façade du palais des doges, côté Schiavoni, tout près du ponte delle Paglie à une heure de haute affluence touristique. Un passant n'était pas loin du pont d'impact et a fini son séjour à l'hôpital avec des plaies et des bosses mais rien de grave. Des souvenirs originaux à raconter... Serait-ce le fantôme d'un doge particulièrement rétif devant cette foule désordonnée qui se presse devant le pont des soupirs ? C'est plutôt le résultat des combinazione habituelles qui ont dû présider à la conception des travaux de restauration de cette partie du palais pourtant apparemment parfaitement effectuée. Si les pierres se rebellent maintenant...

(*) : Mince ! Le palais s'écroule !

02 octobre 2007

News : De nouveaux numéros en 2008 pour les vaporetti


© Photographie Yves Phelippot. Tous droits réservés.

Dès janvier, c'est la révolution à l'ACTV, les lignes de vaporetti et de motoscafi changent de numéros. Pour se mettre à la page, les lignes vont être renumérotées comme le font peu à peu chaque grande ville. Comme Venise a terriblement peur de n'être qu'une petite provinciale endormie, elle reprend à son compte les innovations des capitales européennes. Finis donc les 82, 61, 51, 62 et tutti quanti ! C'est vrai qu'il était curieux de n'avoir pas de ligne 2 et de passer allègrement du 5 au 82. En fait par exemple le 82 n'est que le regroupement de l'ancienne ligne 8 et de la 2... Il fallait y penser. 
Dans quelques mois donc, les lignes iront de 1 à 12 en se suivant comme la logique des chiffres le veut. C'est le début de grandes modifications au sein de la société des transports publics de Venise. De nouveaux pontons vont être installés, plus pratiques et puis cette fameuse discrimation positive entre les accès réservés aux touristes et ceux pour les riverains (personne n'a encore tranché sur la meilleure méthode), les panneaux affichés en plusieurs langues vont être traduits en italien ce qui a souvent été omis (...), et les abords des arrêts seront mieux indiqués avec des panneaux semblables à ceux qu'on trouve devant les bouches de métro (plans de la ville et du réseau des transports et plans du quartier). On attend aussi la décision de l'ACTV de remplacer peu à peu les anciens modèles de vaporetto par des engins non polluants dont les hélices ne produiront que peu de ces remous tellement néfastes aux fondations de la cité. Mais rien n'est simple dans la Sérénissime d'aujourd'hui. 
Nous en reparlerons.


4 commentaires:

condorcet a dit…
Mon cher Lorenzo,
Quelle que soit la méthode de ségrégation spatiale, elle est toujours détestable. Il me semble, avoir appris, à l'école que Rosa Parks était à l'origine d'un mouvement d'opposition à la ségrégation raciale à Montgomery (Alabama) dans Le "Sud" (Etats-Unis).
Elle a choisi de commencer son combat dans... un bus puisque les Noirs ne pouvaient monter à l'avant du bus (réservé aux Blancs).
Lorenzo a dit…
Je ne serai jamais membre d'un quelconque Klu Klux Klan mais il faut bien dire que mettre à disposition des touristes des lignes spécifiques et en réserver d'autres pour les résidents du moins à certaines heures de la journée n'est pas en soi une mauvaise chose. notre époque est devenue hyper-sensible à tout ce qui peut ressembler à de la ségrégation au point de refuser parfois ce qui peut faciliter la vie. Les frontières que j'ai connu enfant dans chaque pays permettait d'aller plus vite. Là où il pouvait y avoir une mauvaise interprétation c'était en Angleterre avec la file réservée aux étrangers baptisée en lettres blanches sur fonds noir "ALIENS". Je ne me suis jamais senti infériorisé par cette appellation ! De grâce ne confondons pas tout. Il s'agit ici d'essayer de pallier le mieux possible les aléas de l'invasion chronique de Venise par les visiteurs, qui perturbe le fonctionnement normal des services mis à la disposition de TOUS les publics. Quelle solution alternative trouver ? Séparer les gens par catégorie : touristes et travailleurs usagers résidents c'est pas terrible, mais c'est certainement la seule possibilité. En revanche là où il va falloir être vigilantissime, c'est dans le projet de transport rapide entre Marco Polo Mestre et l'Arsenal. Nous en reparlerons. Ouvrez le débat sur le forum ! Dur sujet.
Tietie007 a dit…
Merci pour l'info !
condorcet a dit…
Mon cher Lorenzo,
Les hommes me surprendront toujours par leur faculté à désigner comme inéluctable des événements avant même qu'ils ne se produisent pas. En ce qui concerne, elle a tellement de fois été hantée de fois été hantée par sa mort qu'elle y arrivera peut-être : pour une ville, quelle mort plus certaine que le refus de la vie en commun. Mais je ne jette pas la pierre à Venise : en France aussi, la méfiance vis-à-vis de l'étranger se généralise. Vous vous souviendrez, j'en suis sûr, étant donnée la très bonne éducation que vous avez reçue dans un "college" anglais et à laquelle vous faites honneur de la différence que faisaient les Romains entre la "turba" et la "plebs".
D'un côté, la foule, le troupeau,
De l'autre, l'ensemble des citoyens romains.
J'ai toujours été attaché à la notion de citoyenneté ouverte et pour être passé une fois à la préfecture de mon département par la file d'attente des étrangers.
L'idée même d'un accueil différencié selon l'origine est contraire à tous les principes.
Je n'ouvrirai pas de débat sur le forum car ma réputation est celle d'un trublion et que l'on m'attend dans ce rôle. J'ai envie de papiers de fond, de réflexion distanciée et plus de ces joutes qui n'apportent que fort peu à mon lecteur. Si j'y suis mêlé, ce sera à mon corps défendant.

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 3) : "L'Architecture du bonheur" de Alain de Botton

Je viens de terminer la lecture du dernier livre d'Alain de Botton, jeune philosophe très érudit dont j'avais particulièrement aimé "L'Art du voyage" et j'en suis imprégné comme cela arrive avec les ouvrages de qualité qui vous laissent toujours une impression qui de dilue peu à peu dans votre esprit comme l'humeur d'un grand vin dans nos veines après avoir enchanté nos papilles. Si je regrette que ce suisse de Zurich ne s'exprime qu'en anglais – il enseigne la philosophie à Londres, « L'Architecture du bonheur » a été un grand moment de plaisir.
 
Cette aspiration à la beauté qui n'a d'autre but que de permettre à l'homme de mener une vie harmonieuse. Ce qu'il nomme la "bonne vie" : "L'espace autour de nous est l'un des facteurs de cette bonne vie", explique-t-il. Comme Alain de Botton, je crois que le bonheur (ou le malheur) tient à de tout petits riens - une simple trace de doigts sur un mur, un plancher ciré qui brille et embaume, un pan de mur au crépi chaleureux qui resplendit sous le soleil de midi, une cheminée vénitienne qui surgit d'un ciel bleu parfait... Ceux qui douteraient de l'influence de l'architecture sur notre personnalité, Alain de Botton les renvoie aux théologiens chrétiens et musulmans. Pour ces derniers, en effet, un bel édifice avait le pouvoir de nous rendre plus vertueux. Plus modeste, l'écrivain préfère cependant la phrase de Stendhal selon laquelle "la beauté n'est que la promesse du bonheur" : la promesse, non la garantie. Pourtant, son pouvoir est bien réel : que ressentons-nous, en effet, dans une maison dont les fenêtres sont pareilles à celle d'une prison? La beauté rend heureux. C'est ce que je me tue à dire, à écrire, à démontrer à mes enfants et à mon entourage depuis toujours. Le fameux "A thing of beauty is a joy forever" de Keats. Et comme j'aime l'architecture, cette capacité que l'homme a de bâtir et de bâtir des chefs-d'oeuvre, je buvais du petit lait. Je regrette seulement de n'avoir pas lu ce livre à la terrasse du café du paradis à Castello, face à l'une des plus belles vues de Venise, parmi les glycines du jardin de la Biennale ou assis à une table de ce nouveau café salon de thé de San Giorgio... Le philosophe a donc cherché à comprendre ce qui préside à l'élaboration d'un projet architectural . Et l'auteur cite Wittgenstein qui a un jour abandonné l'université pour construire la maison de sa sœur Gretl : "Tu penses que la philosophie est difficile", écrivait l'allemand, "mais je t'assure que ce n'est rien comparé à la difficulté d'être un bon architecte." Le fil directeur était simple puisque l'auteur de la "Petite philosophie de l'amour" voulait comprendre pourquoi partant de cette idée que l'homme recherche le bonheur et ce qui y contribue comme un devoir et une nécessité, tout semble avoir été de travers dans l'architecture du XXe siècle, n'en déplaisent aux modernes hagiographes ayatollahs de l'omnipotente création contemporaine. 
 
Il faut parler d'esthétique, comprendre l'esthétique si on ne veut pas être condamné à subir la défiguration définitive de notre environnement. Et là Botton met le doigt sur le point douloureux : on n'ose plus porter un jugement car "On nous a fait croire que le beau était une notion relative. Je ne le crois pas. Il existe une bonne et une mauvaise architectures". Nous le savons instinctivement : Pourquoi visiterait-on plus volontiers Venise que Detroit, Paris que Juvisy ? "Un bel immeuble possède beaucoup des qualités d'une personne", affirme le jeune philosophe, "Il a de l'équilibre, de l'harmonie, de la grâce, de la symétrie, un peu d'humour. Bien sûr, tout comme il existe différentes façons pour un individu d'être bon, il existe plusieurs manières pour un immeuble d'être beau".
 
Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce livre ne fait pas l'apologie du passé. Il n'y a rien de nostalgique dans l'Architecture du bonheur. "La beauté ne s'arrête pas aux bâtiments classiques. On ne peut pas aller en arrière. De nos jours", poursuit-il, non sans audace, "on a peur, donc on restaure, mais pourquoi restaurer Venise? Peut-être faut-il y renoncer et trouver les règles qui font que Venise est belle". Voilà posée là encore une idée majeure. Fondamentale. Une idée qui pourra ressembler à de la provocation aux amoureux de Venise qui se préoccupent de son état. Massimo Cacciari ne cesse d'y revenir - mais sa position de premier magistrat et les pressions ordinaires qu'il subit assourdissent ses propos - quand il dit par exemple qu'il faut protéger, préserver mais pas "muséer" (pardonnez-moi ce barbarisme) la ville en la refaisant à neuf à l'identique. Cette option du tout rénové, c'est Disneyland


Comme tout, les pierres meurent et disparaissent. On ne pourra jamais maintenir Venise figée et sous-vide comme l'objet rare des vitrines d'un musée. Où sont les chefs-d’œuvre des collections amassées par les empereurs romains ? Ou sont les impeccables statues des marbre peint que les grecs dressaient à Olympie ou à Epidaure ? Je ne veux pas insinuer qu'il faut laisser mourir Venise. Il faut au contraire la faire vivre. Re-vivre. Construire de nouvelles choses là où les anciennes ne répondent plus aux besoins ou bien plutôt là ou rien d'ancien ne répond au besoin actuel parce qu'à l'époque (quelle époque ? Il y a en a eu tellement depuis la naissance de la Sérénissime), il n'y a avait pas besoin de tel pont, de tel bâtiment. Il faut entre-tenir car c'est notre devoir. Mais nous devons cesser de préférer un palais reconstruit à neuf qui aura l'aspect d'un décor de carton-pâte à l'authentique construction qui sera belle de la patine et des accidents du temps qui passe. Mais cela encore une fois ne veut pas dire laisser ce palais se détériorer, s'y éclairer aux bougies et y grelotter de froid l'hiver. Cela ne veut pas dire abandonner Venise à son sort. Cela veut dire ne jamais considérer l'entretien et la restauration comme un sérum d'immortalité. Oui Venise est mortelle comme nous le sommes tous, Comme le sont toutes nos créations. Il s'agit de maintenir la vie. Toute la vie. Et de gérer en bon père de famille cet héritage esthétique pour qu'il s'inscrive dans le futur des générations à venir.
Et c'est ce qui transpire en fait de ces très bonnes pages du jeune philosophe (il n'a que 36 ans) : ce qui importe c'est la vie. La vie ordinaire. Ce qu'il faut maintenir et protéger à Venise c'est la vie ordinaire et tant pis si les murs ne seront jamais comme neufs, impeccablement enduits de couleurs harmonieusement choisies pour le plaisir des yeux des touristes. Qu'il demeure de la rouille, des briques patinées, des balcons de pierre d'Istrie usés par tous ceux qui s'y sont appuyés. Du moment qu'on préserve et qu'on construit. La seule vigilance qui est le devoir de tous, vénitiens et étrangers, hommes de la rue ou responsables politiques, c'est d'éviter qu'on la défigure.

C'est un très beau livre vraiment. Il ne parle pas que de Venise hélas, mais les propos qui y sont développés, vous le voyez par mon verbiage, s'adaptent totalement à la réflexion que nous devons avoir sur elle. Et puis ce qui est incroyable c'est la limpidité du langage employé. Les idées se font jour à chaque page de la même manière qu'on débite une recette pour réussir les oeufs aux plats. Tout le monde tout de suite assimile et comprend le raisonnement de l'auteur. J'ai lu quelques passages à hautes voix à la maison et mes deux derniers (14 et 11 ans, enfants normalement doués) ont repris naturellement les propos cités en les développant...Cette simplicité qui fait les grandes idées est une caractéristique d'Alain de Botton. Rejeton d'une riche famille suisse, transplanté à l'âge de 8 ans dans une public school anglaise (ce qui lui a laissé une aversion profonde pour le style gothique en architecture que personnellement j'adore – pour les mêmes raisons que lui le déteste mais j'avais 15 ans), est un admirateur de Roland Barthes. Il aime chez lui la capacité de s'intéresser à des sujets que la philosophie a pris l'habitude d'ignorer. "J'adore les sujets qu'il choisit, mais je n'aime pas la manière dont il les traite toutefois. Trop incompréhensible selon Botton dont la pensée et l'écriture sont vraiment limpides. 

Sans jamais être simpliste ni vulgarisateur, il développe une pensée du quotidien qui est loin d'être une philosophie ordinaire et simpliste destinée à des niais. "Je ne veux pas être un auteur inaccessible, c'est trop facile !"dit-il. Encore un point qui me réjouit chez lui ! Et d'évoquer aussi Nietzsche, qui s'est intéressé - notamment - à l'influence des légumes trop cuits sur le caractère du peuple allemand. "...Un homme très sérieux qui passe beaucoup de temps à réfléchir à de petites choses" écrit-il. Voilà encore Venise qui revient quand je cite ces propos : Je ne suis jamais plus esthétiquement ému quand je me promène à Venise que lorsque la délicieuse odeur d'une pastaciutta se répand dans une petite cour inondée de soleil avec, sur le puits de marbre qui en occupe le centre, un chat qui dort paisiblement. Même humbles les façades y sont belles, remplies de siècles d'histoire, de bonheurs et de malheurs, avec très souvent des détails d'architecture qui semblent évidents ici et paraîtraient déplacés dans l'ordonnancement de nos façades bordelaises ou parisiennes : un reste de blason, une colonnette striée avec son chapiteau corinthien, une mosaïque de marbre...

Si l'architecture peut nous aider à accéder au bonheur, un bel édifice peut aussi nous faire pleurer, parce que la perfection que l'on observe n'est pas à notre disposition dans la vie quotidienne. Mais ce n'est rien, la contemplation du beau ne doit pas générer l'envie. La vertu de ce livre est de montrer que quelques pierres et un toit nous permettent de recréer notre paradis sur terre. A condition d'y mettre un peu de beauté. Vous comprenez pourquoi l'envie de s'installer à Venise, pourtant décatie et envahie de touristes, est si forte pour beaucoup ! 
Le site d'Alain de Botton (en anglais) : http://www.alaindebotton.com/
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.Alain de Botton,
L'architecture du bonheur
traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin
Mercure de France

 

2 commentaires:


Gérard a dit…
Enfin quelqu'un qui fait la jonction d'un des arts d'avec un sentiment très particulier : le bonheur ! A l'heure où dans nos cités - que j'ai connues - on ne parle plus que de l'architecture ........ du malheur . Et c'est vrai ! Le bonheur , c'est la paix intérieure , le contentement , l'équilibre atteint , les horizons heureux : on le recherche . Son pendant diabolique : le malheur et son lot , la douleur . Alors donc , du bonheur . Alors donc René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. » (Rougeur des matinaux) Voici Venise décrite . Dans son plus intime et profond détail : sa gigantesque Histoire . Les Vénitiens - comme d'ailleurs les Italiens en général - trouvèrent ainsi ce qu'on pourrait définir par l'appellation : le bonheur de l'architecture . Nous sommes en dette . A suivre !
venise86 a dit…
Quel bonheur que cet article !!!! Merci..

01 octobre 2007

Vittorio Orio, le gondolier du bout du monde



Il a soixante six ans, vénitien de pure souche, c'est le seul gondolier à mener sa gondole aussi loin à travers les eaux de la planète et toujours pour une bonne cause. Vittorio après avoir porté au Saint Père un magnifique tabernacle entièrement réalisé en verre de Murano, va remonter le fleuve Hudson depuis Albany jusqu'au pied du Ground Zero pour participer à la grande parade du Columbus Day (le 8 octobre).
Avec l'aide de l'association "Il vero cuore di Venezia" présidée par Aldo Rosso. Il est parti aujourd'hui et devrait arriver à New York le 6 octobre. 155 milles marins avec une gondole traditionnelle à quatre rames pour se faire le porte-voix de Venise auprès du corps des sapeurs-pompiers de New York, mais aussi pour réunir des fonds pour permettre aux orphelins de ces pompiers de bénéficier de bourses d'études et pour les enfants du Togo. Six étapes dont une à West-Point, la fameuse école militaire américaine. parmi les rameurs, il y a trois gondoliers américains : Greg Mohr, Enzo Liszka et Giuseppe Rossi. Après la traversée de la Manche, le voyage à Rome et différents déplacements en Adriatique, c'est la première expédition de la gondole de la solidarité sur un autre continent. Comme l'a dit Valerio Ballarin, président de la corporation "c'est une grande fierté d'envoyer un des nôtres pour porter un message de solidarité aux américains. L'année prochaine nous serons en Chine pour une mission similaire". Pour saluer son départ, il y avait Don Ettore, le curé de San Martino (nommé à Torcello qu'il rejoindra dans les prochains jours) et l'assesseur Annamaria Miraglia (adjointe à l'éducation) qui a fait l'éloge de la passion et du dévouement de notre gondolier-missionnaire. Si vous êtes intéressés, il est possible de suivre l'aventure sur le site gondola solidale.