23 janvier 2011

La Venise que nous aimons. Chronique gourmande

Quand on rencontre sur la lagune une de ces embarcations traditionnelles au gréement aurique, que l'on appelle aussi gréement latin, et si un heureux hasard fait qu'on navigue soi-même sur un sandolo, si le ciel est clair, les chenaux silencieux, si une cloche au loin se met à sonner et que devant nous des oiseaux s'envolent en poussant leur cri, il est facile de se croire revenu aux temps anciens, quand un peuple laborieux sillonnait les eaux de la lagune pour pêcher, chasser, pour transporter bêtes et marchandises. Aucun des bruits caractéristiques du monde moderne ne vient troubler le silence des eaux. Le glissement des barques, la rame qui s'enfonce dans l'eau, le vent dans les herbes... C'est un bonheur extraordinaire qui se renouvelle à chaque fois. Parfois, lorsque nous faisons halte au beau milieu de nulle part, le vent nous porte des senteurs incroyables, d'herbe et de terre, de fleurs et de vase. Je n'ai jamais retrouvé cela ailleurs, sauf parfois en hiver sur le Bassin d'Arcachon. 

Ces émotions esthétiques creusent l'appétit. L'humeur exacerbée par tant de sensations, la beauté des lieux, la fatigue aussi, suscitent vers le milieu du jour une ferveur venue de très loin en nous. On est pris soudain d'une envie de nourritures roboratives. Heureux hasard : certains plats traditionnels, mitonnés à l'ancienne, nous attendent à chaque fois. Pasta e fagioli bien sûr, mais aussi Guazzetto de foie de volaille et de champignons, Bigoli au ragoût de canard sauvage, Anguilles marinées, Fritelle et Torta di mandorla... 

Souvent, nous déjeunions dans une de ces baraques de bois et de briques, bâties sur des îlots il y a longtemps pour la chasse. Toutes en rondeurs avec la cheminée au centre, elles se dressent au milieu de nulle part. Une vieille cuisinière à bois ronronnait doucement et, très jeune, j'imaginais que le retour d'une expédition polaire, quand l'équipage regagnait l'igloo où attendaient chaleur et nourriture, devait ressembler à cela. Plus tard, à la lecture du festin que l'Ami Fritz organise pour ses amis dans le roman d'Erkmann-Chatrian, je ressentais le même plaisir, cette sensation qui vous prend tout entier, réchauffe et apaise. Ces petits riens qui font la vie bonne et le bonheur tranquille. Mais il serait cruel de vous parler de ces plats délicieux sans vous en communiquer la recette. C'est aujourd'hui dimanche, jour où l'on peut s'arrêter un peu et laisser de côté les préoccupations qui nous assaillent et nous empêchent de vivre. Alors, aux fourneaux ! 

Guazzetto de ma grand-mère 
Ce plat est très ancien. A l'origine, il était mijoté dans les familles modestes pour utiliser les foies de volailles qui se perdent vite. A l'automne, on utilise les funghi porcini qu'on trouve dans les forêts de Vénétie, il en existe plusieurs variétés toutes très parfumées. Peu à peu, ce plat s'est ennobli, on trouve même des recettes utilisant des truffes blanches, autre produit des forêts de la Sérénissime. Je sers ce plat avec de la polenta. Avant la découverte du maïs, on faisait de la bouillie d'épeautre, de millet ou de pois chiche pour aller avec. 

Il faut : 4 à 6 foies de volaille (canard ou autre), 1 gros oignon, 250 à 300 grammes. de cèpes frais ou séchés), 1 gousse d'ail, du persil, du sel et du poivre et de l'huile d'olive et du beurre frais. 

Préparer la polenta, la réservez au chaud. Hacher l'ail et le persil. Tailler les champignons en lamelles au couteau, les faire revenir pendant 5 minutes à la poêle préalablement nappée d'une à deux cuillères d'huile d'olive avec l'ail et le persil. Saler et poivrer. Il faut veiller à ce que les cèpes n'attachent pas et puissent dorer tout en restant mous. Couvrir et réserver au chaud. Découper les foies en lamelles assez fines. Éplucher un oignon. Le mettre à fondre dans une poêle avec un mélange d'huile et de beurre, puis ajouter les lamelles de foie. Saler et poivrer. Bien surveiller, et remuer souvent, pour que obtenir un mélange rissolé et non pas grillé. Ajouter ensuite les foies rissolées avec les oignons dans la poêle des cèpes en mélangeant jusqu'à obtenir un ensemble homogène. vérifier la température et s'il le faut remettre à chauffer à feu doux tout en remuant. Le mélange doit être crémeux avec de la sauce. Vérifier l'assaisonnement et servir sur un lit de polenta en purée. décorer avec le reste de persil et d'ail haché. On peut aussi présenter le plat d'une manière plus rustique avec des losanges ou des lanières de polenta grillée et le ragoût à côté. J'ai parfois ajouté de la grappa ou du cognac dans la cuisson des foies, cela donne bien mais ce n'est plus le guazzetto traditionnel. 

Bigoli au ragoût de canard 
C'est un des plats les plus raffinés qu'il m'est été donné de goûter à Venise. A ma connaissance un seul restaurant (clandestin ou privé devrais-je dire) le réalisait il y a encore quelques années comme on le faisait chez moi. D'abord parce qu'il faut de l'anatra, la femelle du canard sauvage, à la chair plus tendre que celle du papero, le mâle, toujours plus gras, et que ce gibier se fait plus rare. Et puis parce que les bigoli, cette sorte de spaghetti plus petits et plus épais, ne sont vraiment bons que fabriqués à la maison. Ce sont des pâtes à base d'œuf contrairement aux véritables spaghetti. Pour 700 g de farine, il faut deux œufs, du sel et 10 cl d'eau de source. Comme à Venise, j'utilise pour les fabriquer un torchio, appelé aussi communément bigolaro. C'est une sorte d'emporte-pièce muni d'un poussoir-manivelle en bois. Une machine à pâtes pourra faire l'affaire mais la taille sera différente. Autrefois à Venise comme dans les campagnes, tout le monde ne possédait pas cet engin. Les femmes se réunissaient alors chez l'heureux propriétaire de la machine et tout se terminait par un repas festif pris en commun. C'est pour cela que chez les très vieux vénitiens (il en reste encore), les bigoli sont toujours comme un appel à la fête. 

Il faut : (pour six à huit personnes), un canard, 1 kg de bigoli, ,2 oignons, 2 gousses d'ail, du romarin frais, du laurier, du persil, du parmesan fraîchement râpé, 25 cl de bon vin blanc, de l'huile d'olive, du sel et du poivre. 

Il faut tout d'abord préparer le canard. On ne conserve ni la peau ni le gras. Ouvrir dans la longueur par le ventre et détacher la chair de la carcasse. Tailler les morceaux obtenus en petits dés (environ 5 mm de côté). Hacher l'ail, l'oignon, le romarin et le persil. Faire chauffer deux bonnes cuillères à soupe d'huile d'olive, ajouter le hachis ail-oignon-persil. Faire fondre puis ajouter le romarin haché. Mélanger et laisser revenir. Quand le mélange est vert transparent, ajouter les dés de viande et faire revenir en remuant souvent pendant un quart d'heure. Il ne doit plus y avoir de liquide. Quand la viande a pris une jolie couleur , ajouter le vin blanc. Saler et poivrer au moulin. Laisser mijoter quelques minutes en remuant. On reconnaît que le mélange est prêt à la délicieuse odeur qui se répand dans la cuisine. Réservez au chaud. Mettre les bigoli dans un grand faitout d'eau bouillante salée. laisser cuire 10 minutes environ. Prélever les pâtes sans trop les égoutter et les ajouter au ragoût. Mélanger. Ajouter le parmesan râpé et servir aussitôt. Ce plat se mange très chaud. 

Anguilles marinées 
Voilà un autre plat typique de la lagune qui se retrouve aujourd'hui sur les meilleures tables de Vénétie. C'est je crois l'un des premiers poissons que j'ai goûté à Venise. Auparavant, je ne connaissais que les truites des Pyrénées (encore le souvenir de Fritz Kobus), les soles des Noailles ou Dubern de mon enfance à Bordeaux. Le souvenir de la mort de ces pauvres bêtes m'horrifiait car elles possèdent une grande force et sont capables de sauter hors du panier toutes seules et continuent longtemps de s'agiter même quand on leur a tranché la tête. Car l'anguille ne se conserve pas plus de 24 heures et elle n'est vraiment délicieuse que cuisinée aussitôt après sa mort. Pauvres bêtes, elles sont tellement délicieuses que leur sacrifice est vite oublié. 

Il faut : 1 kg d'anguilles vivantes, une branche de céleri, une gousse d'ail, des oignons, du laurier, 500 g de tomates bien mûres, du vin blanc, de l'huile d'olive, sel et poivre. 

La veille de la préparation, enlever la peau des anguilles, les couper en tronçons de 6 à 8 centimètres de long. mettre à mariner le poisson dans un plat creux avec le céleri taillé en bâtonnets, un oignon, l'ail en lamelles, des grains de poivres noir et du vin blanc. Laisser au frais pendant 24 heures. Le lendemain, saler les morceaux et les mettre à dorer dans une grande poêle avec de l'huile d'olive très chaude. Compter environ 10 à 15 minutes. Couvrir et réserver au chaud. Faire revenir ensuite les oignons hachés à feu très vif avec les tomates coupées en lanières et les feuilles de laurier. Bien remuer pour éviter que le mélange n'attache. Délayer avec un peu d'eau et une cuillère à soupe de vin blanc. Saler et poivrer. Laisser cuire à feu moyen pendant 5 minutes. Passer la sauce au chinois. Disposer dans un plat creux la purée de tomates ainsi obtenue sur le plat, déposer dessus les morceaux d'anguilles, garnir les côtés de carrés ou losanges de polenta bien chaude couverte de beurre et de parmesan râpé, arroser avec la sauce. Un délice ! 

 _________________  

2 commentaires (archivés par Google sur Tramezzinimag I) :
VenetiaMicio a dit…
J'ai connu la balade dans la lagune à bord du Sior Bépi, ressenti tout ce que vous savez si décrire et ce souvenir restera l'un des plus beaux de ma vie...
Merci pour les explications des recettes qui ressemblent beaucoup à celles de Corse ou ici en Provence, simples, parfumées et savoureuses.
Bon dimanche Lorenzo
a presto
Danielle

23 janvier, 2011
 

21 janvier 2011

Pora Venessia adorata !



La sagesse veut que l'on soit de son temps. La nostalgie n'apporte jamais rien de bon, sauf aux poètes qui savent en extraire une substance magique pour nous transporter au-delà des réalités. Venise n'est pas seulement un des hauts lieux de la Beauté, une vitrine géante où s'exposent quelques unes des plus belles créations esthétiques de l'homme. C'est un symbole. Quand partout ailleurs les villes par nécessité, se sont adaptées à la vie moderne, aux contingences imposées par des rythmes nouveaux, et où les vestiges du passé ne sont plus que des vestiges plus ou moins respectés, entretenus ou mis en valeur, Venise a gardé l'infrastructure, l'organisation, l'environnement d'il y a deux cents, trois cents ou cinq cents ans. C'est l'homme urbain - et le visiteur - qui jusqu'à présent s'est adapté à la ville et non pas le contraire. 
 
Ce qui fascine à Venise, ce n'est pas seulement ce qu'elle est physiquement, ses canaux à la place des rues, ses bateaux à la place des voitures. C'est qu'on s'y retrouve comme propulsé dans le passé. Non pas dans un univers révolu et figé. Bien au contraire. On y vit comme cinq ou dix générations avant nous on y vivait. D'autres ont bien mieux dit cela que moi. Des peintres, des poètes, des architectes - et pas des moindres. Ce rythme unique qu'impose au passant les ponts et les méandres des ruelles, cette lenteur qui vient de la proximité de l'eau calme des canaux, cet environnement sonore qui n'est jamais stressant comme ailleurs à Paris, New York, Berlin ou Milan. On y respire comme à la campagne et cette vie de village est additionnée en permanence d'une vie sociale très internationale. Venise depuis toujours mélange les genres, les mondes, les milieux, les cultures et les spiritualités. Ce fut son fonds de commerce en quelque sorte. Tout cela fascine et attire, et c'est bien. 
 
Malheureusement l'essentiel aujourd'hui tend à disparaître : la vie quotidienne n'est pratiquement plus rythmée que par le continuel va et vient des hordes de touristes. Le vénitien, suite à un tas de difficultés dont nous avons souvent parlé, s'exile. Les entreprises qui avaient leur siège dans le centre historique déménagent et il n'y a pratiquement plus d'emploi qui ne soit dévolu au tourisme. Pourquoi pas ? Mais quitte à passer pour un indécrottable râleur, je ne pourrais jamais me faire à ces comportements bouffis d'incivilité qui déjà quand j'étais étudiant horripilaient les vénitiens et qui nous faisaient préciser partout où nous allions «NON SONO UN FORESTIERO, VIVO QUÀ» sono un forestiero, vivo quà» (je ne suis pas un étranger, je vis ici !). Quelques exemples récents et flagrants :
 
 
Doit-on se plaindre qu'à Venise aussi la déliquescence des mœurs, la décadence et la vulgarité prennent le pas sur le respect et la bonne éducation ? J'avoue ne plus trop savoir. Le maire Orsoni effaré par les comportement de moins en moins respectueux des visiteurs réclame davantage de policiers sur la Piazza... Un vieil arrêté municipal interdit tout véhicule à roue à San Marco sous peine d'amende... Y pique-niquer comme désormais nourrir les pigeons sont interdits. Mais rien ne semble fait pour remettre un peu d'ordre . Le touriste a tous les droits. Et je défie quiconque de me contredire quand je décris le ras-le-bol des vénitiens dont les enfants ne peuvent jouer au ballon ou s'amuser avec leurs petits vélos sur les campi sans se faire gourmander par les policiers... Mais c'est certainement ringard et trop politiquement incorrect que de refuser que la plus belle ville du monde souffre ainsi. Peu importe, il faut continuer là-aussi de s'indigner !
 
Pourtant, il faut rester optimiste. A force d'éducation, de messages et d'information, les barbares se civilisent toujours. La beauté de Venise transforme et sidère. Ne minimisons pas le pouvoir de la beauté. N'est-ce pas elle qui sauvera le monde ?
 
 6 commentaires : non enregistrés par Google.

15 janvier 2011

ASSEZ ! MAINTENANT IL FAUT AGIR !

Destination magique, part du rêve universel, lieu unique, Venise est en train de sombrer ! Derrière les clichés transmis depuis des lustres : les gondoles, les pigeons, le pont des soupirs il y a une réalité que peu de gens veulent voir. Devenue une étape obligée des Happy Few du monde entier, elle accueille des manifestations prestigieuses où le bling-bling peu à peu a remplacé la culture et la spiritualité. 21 millions de touristes débarquent chaque année dans Venise et de nouveaux projets comme la sublagunare, le fameux métro qui devrait relier Tessera (l'aéroport), le centre historique, Murano et le Lido ne viendra-t-il pas grossir encore ce chiffre ?
 
Pendant ce temps les vénitiens sont contraints de quitter le centre pour trouver refuge sur la terre ferme, les écoles ferment, les commerce de proximité disparaissent. Moins de 60.000 habitants - 59.800 exactement à ce jour-  en 2011, un nombre d'habitants réduit comme Venise ne l'avait jamais connu, même après les grandes épidémies de peste. Mais le comble dans ce paradoxe : ce que viennent admirer les troupeaux de visiteurs, ces «hordes barbares» et inconscientes qui restent de moins en moins longtemps et s'agglutinent (heureusement finalement) toujours aux mêmes endroits, est en train de s'écrouler, de disparaître sans que rien ne soit fait vraiment.

Non pas que Venise soit physiquement en train de sombrer dans les eaux saumâtres de la lagune, la catastrophe maintes fois annoncée n'est pas à priori pour demain, mais la démultiplication de ces petits maux, ses plaies plus ou moins voyantes qui semblent ajouter au pittoresque pour les regards distraits, mais qui feraient grimacer de dégoût dans n'importe quelle autre ville d'Occident, devient ici un décor apprécié ; l'immobilisme des autorités et l'incompétence des fonctionnaires de Rome, tout concourt à la catastrophe imminente. Car c'est par bribes que Venise s'effondre, au propre comme au figuré. 
 
Les photos de Marco Zanon qui illustrent ce billet d'humeur le prouvent. Bâtiments qui pour leur malheur n'ont d'autre valeur que d'être les témoins d'un passé humble ou monuments grandioses qui se délitent à une vitesse accélérée depuis quelques années, partout il faudrait agir et entreprendre des restaurations urgentes. Mais l'argent public manque et les fonds privés vont davantage au spectaculaire publicitairement efficace.
 
Mais même là les choses vont mal. Ne dit-on pas que le Palazzo Grassi est en vente ? Rumeur idiote, puisque l'édifice appartient à la ville de Venise et non pas au millairdaire français... Ne vient-on pas d'apprendre que Monsieur Pinault ferme les salles de la Punta della Dogana pendant plusieurs mois ? Finalement, les mauvaises langues n'avaient pas forcément tort qui disaient que toute cette opération n'avait pour but que de faire parler du milliardaire, faire enrager Paris et le ministère français de la Culture, et permettre au collectionneur de disposer d'un vaste entrepôt qui lui rapporte loin de l'administration française ?

Quant aux projets pharaoniques comme le M.O.S.E., ils demeurent le fait d'apprentis-sorciers qui jouent chaque jour avec l'avenir de la lagune. C'est désormais une question de vie ou de mort dont il s'agit. Personne ne peut le nier. 
 
Creuser le sous-sol de la lagune sans que personne soit capable de maîtriser les risques, n'est-ce pas prendre le risque d'accélérer la destruction d'un écosystème déjà moribond ? Et pour quel impérieux motif ? Permettre aux habitants de se rendre dans divers points de la lagune plus rapidement ou bien faire affluer quatre à cinq millions de touristes supplémentaires chaque année dans le centre historique et dans les îles déjà submergées par les hordes de visiteurs ? Et pourquoi pas, comme nous en plaisantions il y a quelques années, une station de métro un jour sous la Piazza ? « Le progrès, mon bon monsieur, le progrès ne s'arrête pas ! » 
 
Venise est en danger comme jamais elle ne l'a été au cours des siècles. Les ravages de la pollution, les travaux ruineux qui sont projetés, l'exode massif qui s'accélère et les commerces qui disparaissent remplacés par des vendeurs de pacotille chinois, tout s'inscrit dans la même logique. celle du pognon. Ce peuple de commerçants et de boutiquiers périra-t-il par là où il a pêché ? La différence aujourd'hui n'est pas des moindres. Quand Venise s'emparait d'un territoire ennemi, elle l'asservissait, lui imposait sa loi et son système économique et politique. Le commerce reprenait vite le dessus et les échanges avec le nouveau suzerain souvent consacrait l'enrichissement des vassaux nouvellement inféodés. 
 
Athènes, Sparte et Rome ne procédèrent jamais autrement. Aujourd'hui, les puissances d'argent, ces fameux Marchés, aveugles et à l'honnêteté toute particulière, font fi des existences humaines, de la qualité de l'eau et de l'air. Venise écroulée, il se trouvera des petits malins pour exploiter les vestiges et les ruines et faire beaucoup d'argent avec ce qui restera d'une civilisation. Après tout, elles meurent toutes un jour.
 
La mort de Venise, Mesdames et Messieurs, est programmée. Inéluctablement. Le compte-à-rebours est commencé. Sauf miracle, les jeux sont faits. J'ai lu récemment un roman épique qui se déroule dans un proche avenir. La ville a été évacuée par les forces de sécurité internationales. Quelques irréductibles résistent, se cachent dans les méandres de la ville ruinée... Plaise à Dieu qu'il ne s'agisse jamais que de fiction. 
 
Dans le cas contraire, nous serons un certain nombre à choisir de sombrer avec elle car sa disparition signera aussi la chute de la civilisation. Le coup de grâce sera donné par ceux qui ne peuvent envisager d'autre cheminement intellectuel que le progrès, la croissance, le matérialisme exacerbé de notre temps et la course désespérée à toujours davantage d'argent, ce sont finalement les facettes de la même ineptie suicidaire. Mais, ne baissons pas les bras. Il ne faut pas se résoudre à cet inéluctable-là. Il faut alerter l'opinion, réagir, bouger, râler, soutenir toutes les actions même symboliques qui ont pour but de sauver Venise. Celle des vénitiens. Celle des arts et de la culture, de l'Histoire.


Crédit photographique © Marco Zanon

22 commentaires:

dominique a dit…

noooooooooooooooooooooooo
et alors que proposez-vous ?

Nathalie a dit…

Je suis certaine, Lorenzo, que tous vos lecteurs seraient prêts à faire quelque chose pour cette ville qu'ils aiment tous, et que nous, les habitués de Venise depuis longtemps, voyons le coeur serré se dégrader d'année en année. Mais quoi faire? Avez-vous une idée de ce que nous pourrions entreprendre pour sauver ce qui peut encore l'être? Comment faire entendre notre voix et surtou,t faire pression? Il doit bien y avoir un moyen: Venise n'appartient pas exclusivement aux italiens et pas exclusivement non plus aux hommes d'argent.Mais lequel?
Amitiés

michel78 a dit…

Comment ne pas partager ce cri du coeur et de colère.
Tout évolue et doit évoluer, c'est ainsi, mais ce qui se passe depuis un certain temps là-haut n'a rien à voir avec une évolution normale.
que faire à notre niveau ? appuyer toutes les actions des amis vénitiens (comme ceux de venessia.com) pour que VeniceLand ne voie jamais le jour ?
Merci Lorenzo
Amitiés

Danielle a dit…

Je comprends votre cri d'alarme, voilà quelques années déjà que je dis la même chose sur la chute de Venise. Le palazzo Grassi appartient à la ville, Pinault n'en est que locataire... Un métro sous la lagune, c'est impensable...c'est vrai Venise se dégrade de partout et ses habitants qui louent leurs maisons aux touristes, quittent la ville...

Mais l'Italie ne délaisse pas seulement Venise, des milliers de fermes sont abandonnées dans le pays, la désertification des campagnes est en oeuvre, depuis de longues années, Pompéi tombe en ruine sans que rien ne soit fait... On pourrait faire la liste...

Je n'ai pas de solution à proposer, il y a trop d'intérêts en jeu sur cette ville.

Je me posais la question d'un prochain voyage à Venise, cet été, mais je n'ai presque plus envie d'y retourner...(J'y vais depuis plus de 10 ans)

Quel avenir pour cette ville ? vraiment je n'en sais rien...

Amicalement.

Anonyme a dit…

Il ne suffit pas de s indigner...Encore faut il un plan d actions...Venise c est en Italie, L italie c est la corruption a tous les etages .....Y a du pain sur la planche!

Anonyme a dit…

Venise va disparaitre...Vite mettez la en vitrines
http://petitepropriete.canalblog.com/

quel talent!
A part cela Lorenzo, tres beau blog.Continuez ...Y en a bien encore pour 50 ans...

Anonyme a dit…

Cmment rejoindre une association de Vénitiens voulant protéger leur ville en lui conservant sa beauté naturelle,??
Quelles personnalités françaises et européennes influentes sont prêtes à y participer?

Il faut AGIR mais comment? avec qui?

FRANCOIS a dit…

Cmment rejoindre une association de Vénitiens voulant protéger leur ville en lui conservant sa beauté naturelle,??
Quelles personnalités françaises et européennes influentes sont prêtes à y participer?

Il faut AGIR mais comment? avec qui?

Anonyme a dit…

Moi qui me faisais une joie de la réouverture de la Douane de Mer que je n'ai jamais vue que fermée depuis que j'ai découvert Venise !!
Que faire Lorenzo ? Nous sommes prêts vous le voyez bien à défendre Venise.
J'ai déjà commencé à diffuser votre coup de G... en expliquant que les vrais amoureux de Venise, devaient aussi voir Venise dans cet état là, car de même que l'on aime l'être aimé même dans la maladie, on aime Venise même dans ce qui la défigure, pour la défendre.
Venise86

Anonyme a dit…

Rien n'est encore irréversible et je crois déjà que 40xVenezia et Venessia.com abattent déjà une besogne énorme, mais bien en-dessous du seuil critique nécessaire pour forcer les acteurs publics à enrayer la course effrénée au tout-au-tourisme-de-masse, la perte de sens de la ville, la dépendance accrue vis-à-vis de la terre ferme, de l'arrière comme de l'avant-pays, du pays. Venise a besoin de stabilité et de sérénité pour trancher des questions environnementales qui l'engagent sur plusieurs décennies voire des siècles dans un monde qui est profondément instable. Lorenzo a souvent souligné avec raison que le sort de Venise préfigure celui du reste de la planète. Les qualités scénaristiques du roman de Valérie Bettencourt qu'il évoque sont plus grandes que le volet littéraire et la première partie de l'épure mieux réussie que la seconde : c'est une idée qu'il aurait fallu creuser encore un peu plus à mon goût.
Mais Venise n'est pas encore perdue...
Condorcet

Lorenzo a dit…

Non Venise n'est pas encore perdue et des milliers de gens chaque jour travaillent aux solutions pour qu'elle survive ou simplement qu'elle vive, et avec elle ses habitants.
Que faire ? En parler, relayer les informations alarmantes, faire connaître les problèmes à ceux qui vont à Venise et ne se doutent pas, inonder les organismes responsables de pétitions, de courriels, de lettres...
Soutenir aussi les associations qui sont au travail.
Mais, soyons honnêtes en même temps : avec cette Venise décatie si poétique, si romantique, si pittoresque dans ses lambeaux et sa mélancolie, ne trouvons-nous pas aussi parfois un peu notre compte ? Les villes comme les civilisations vivent et meurent inexorablement. Notre époque qui fait l'homme épris de nouveauté, de vitesse, de technique prétend aussi beaucoup à la pérennité des choses. La mort fait partie de la vie, même pour les villes. Ce qui est inacceptable c'est que Venise souffre depuis trente ans de petites morts permanentes qui sont d'autant moins tolérables que nos techniques, nos savoirs, nos moyens permettraient de les éviter et de prolonger ainsi, et pas de manière artificielle, Venise en vie !

Anonyme a dit…

Il faudrait évidemment des décisions politiques et environnementales, locales et (inter)nationales, pour entretenir la ville, la protéger, limiter le tourisme « sale ». Mais est-ce qu’un début de solution ne serait pas dans une grève de tous les amoureux de Venise, d’une Venise en vie. Si nous n’y allons pas pendant quelques années, les appartements ne seront plus loués aux touristes, les prix baisseront, les Vénitiens reviendront… Gros sacrifice auquel je pense depuis longtemps. Un peu simpliste il est vrai, mais nous participons tous au phénomène, tout autant que les touristes déversés par les paquebots. Et il est universel, ce phénomène, Venise n’est pas la seule touchée, elle subit juste avec plus d’acuité ce que les lieux les plus beaux du monde connaissent.

Anonyme a dit…

Voila l'article que j'ai écrit sur le Post pour diffuser :
http://www.lepost.fr/article/2011/01/19/2375852_coup-de-gueule-assez-maintenant-il-faut-agir_0_5135046.html#reaction_5134460
Il y a des idées à prendre dans les commentaires peut-être.
Venise86

Anonyme a dit…

Hélas ! Ce n'est pas de gaîté de coeur que j'envisage la mort de Venise, Venise ville fantome, Venise morte, Venise victime de son succès...

Beaucoup de site très visités dans le monde périssent de leur gloire...

Venise devient une ville sandwiches/ bed and breakfast. La Dogana est vide la plupart du temps c'est vrai, Venise ne correspond pas à la nouvelle image que l'on veut lui attribuer : Venise ville de l'art contemporain. Les visiteurs viennent voir de l'histoire ancienne... On peut le regretter, mais c'est comme ça.

Les habitants, les commerçants de proximité s'en vont, on ne peut plus vivre à Venise de façon ordinaire, tout le monde le sait.

Le rouleau compresseur de l’investissement rentable est passé par-là, 22 millions de touristes ça fait beaucoup, beaucoup d'argent...

Râler, bouger, hurler, réagir, soutenir des actions mais lesquelles ?

Amicalement.

Gérard a dit…

Quelle est la différence entre F. Pinault et Léonce Rosenberg ? Ce dernier fit décorer sa suite à Paris par Chirico ( et quelle décoration , je l'ai vue ! ) au même titre que jadis le Labia par Tiepolo . C'est toute la différence . L'attachement profond . C'est ce qui relie pour toujours les éléments éternels du tryptique géniteur des rêves les plus fous : un lieu , un possédant , un virtuose . Un enracinement définitif ! L'éphémère culture n'a d'éphémère que ce côté magnifique de sa sauvagerie paysanne de survie ! Magnifique ! Vive Venise à tout jamais !

Nathanaëlle a dit…

Triste constat, une si merveilleuse ville que l'on laisse aller à la décrépitude, il y a urgence, comment sensibiliser les pouvoirs internationaux ? Il y a bien un bureau de l'Unesco à Venise ?
Que vive la Sérénissime !

Lorenzo a dit…

Bien entendu, il se passe des choses et énormément d'initiatives privées locales et internationales se mettent en place depuis des années. Le danger existe et la sonnette d'alarme a été tirée depuis bien longtemps. Ce billet en forçant un peu le ton, n'avait pour but que de nous secouer tous, nous les Fous de Venise, pour éviter de nous habituer. Pour que nous ne nous laissions jamais enfermer dans nos délices d'amoureux transis. Pour que nous ayons bien conscience que toutes ces merveilles peuvent nous être enlevées et que nous en sommes tous responsables. Hauts les coeurs, nous la sauverons cette Venise que nous aimons !

Veneziamia a dit…

Ce qui, à mon avis, manque c'est une volonté politique pour entreprendre ce qui doit l'être pour sauver cette ville unique et permettre à ceux qui souhaitent y vivre de pouvoir le faire. Où est passé l'argent de l'Unesco ? Trop de corruption, d'intérêts pécuniaires immédiats ? Mais ne perdons pas courage, ceux qui veulent sauver Venise existent et l'union fait la force ...alors unissons-nous et parlons-en.
Merci Lorenzo pour vos coups de gueule. Ils sont utiles.

Gérard HENRY a dit…

Sur PINAULT :

J'avais lu que deux nouvelles expositions étaient en préparation :
A la punta della dogana :Eloge du doute à partir du 10 avril 2011
Au palazzo Grassi : Le monde vous appartient à partir du 4 juin 2011.
Est-ce inexact ?

douille a dit…

"Que faire ? En parler, relayer les informations alarmantes, faire connaître les problèmes à ceux qui vont à Venise et ne se doutent pas, inonder les organismes responsables de pétitions, de courriels, de lettres..."

Ben, non... Si on veut sauver Venise (enfin si c'est possible) je pense qu'il faut faire l'inverse...

Tietie007 a dit…

Comment Venise gérera le réchauffement climatique et la montée des eaux ?

Lorenzo a dit…

Plusieurs organismes travaillent à la question depuis de nombreuses années et leurs travaux scientifiques font de Venise (cela devrait être son rôle et sa vocation !), un laboratoire de pointe dans la recherche. Les travaux de surélévation de la ville, ceux (que l'on peut critiquer car on n'a encore aucune idée du résultat) du M.O.se, les études sur les matériaux à employer, tout participe de ce combat pour la survie de la cité lacustre et de sa lagune. Mais bien des points nous échappent de toute manière. Si la montée est effectivement telle qu'on la présente aujourd'hui, nous avons tous intérêt à apprendre la plongée sous-marine ! Mais Venise a toujours survécu en s'adaptant...