13 juin 2012

C'est officiel : le Traghetto à 2 euros en janvier prochain !

Le traghetto est le plus ancien moyen de franchissement du Grand Canal. Du temps où seul le pont du Rialto relayait les deux rives, l'usage de la gondolina da parada permettait de traverser l'artère principale de la Cité des Doges. Aujourd'hui encore chaque jour les passeurs effectuent des centaines de voyages chaque jour. Il suffisait autrefois d'un simple appel depuis l'autre rive, et une barque venait vous chercher. Le cri de "Pope" retentissait et l'embarcation glissait sur les eaux pour vous faire franchir les eaux qu'encombraient déjà de nombreux navires de toutes les tailles, galères et gondoles, barges amenant fruits et légumes, ballots de tissus précieux, épices d'orient et barriques, sacs de farine et bois de chauffage. Le trafic n'est plus tout à fait le même, mais le service existe toujours et c'est un élément fondamental non seulement du paysage urbain, mais du fonctionnement de la cité. Aujourd'hui, cet usage millénaire s'apprête à être révolutionné par les impératifs économiques ou plutôt par la dictature du profit véhiculée par cette idéologie ultra-libérale qui gangrène nos sociétés et oblige les administrations à rogner sur ses missions fondamentales.
En effet, il a été décidé en haut lieu de doter prochainement les pontons de ces traghetti des mêmes bornes Imob qui permettent le contrôle des titres de transport aux arrêts de vaporetti et d'autobus. On pourrait sourire de ce carambolage entre un transport en commun venu de la nuit des temps et la technique sophistiquée inventée par l'homme moderne. Hélas l'affaire est grave et elle a deux facettes qui sont loin de réjouir les vénitiens et qui ne devraient pas non plus plaire aux touristes. Aujourd'hui, pour traverser le Canalazzo et faire cette brève mais superbe traversée d'un boulevard unique au monde, il faut débourser 50 centimes (ce fut longtemps 200 lire ou un jeton de téléphone - ce qui avait la même valeur). Ugo Bergamo, Adjoint chargé de la Mobilité et du Trafic lagunaire, l'a annoncé dans une conférence de presse : l'administration a décidé qu'il faudra désormais 70 centimes. 40% d'augmentation ! Pour les touristes et tous ceux qui ne disposent pas d'une carte Imob, ce sera... 2 euros ! Cette augmentation qui interviendra à partir du 1er janvier 2013, ne vient pas d'une demande des gondoliers, mais leur Consorzio qui gère ce service dit da parada va devoir assumer seul la charge de ce service, suite au désengagement de la municipalité qui ne versera bientôt plus les 600.000 euros annuels qui servaient au fonctionnement de ce service, ouvrant la route à une sorte de privatisation, puisque se constitue une société de gestion des traghetti heureusement entre les mains des seuls gondoliers.

L'ultra-libéralisme n'a honte de rien ! Depuis des mois, en réponse à la rumeur, les pouvoirs publics - et les gondoliers eux-mêmes - clamaient haut et fort que le tarif pour les vénitiens ne serait pas augmenté d'un centime ! Seuls les touristes seraient ponctionnés... Il a été annoncé aussi que les recettes des emplacements publicitaires sur les pontons seraient partagées entre les caisses de la ville et celles de  l'organisation qui veille à l'entretien et à la conservation des gondoles.
Autre volet de l'affaire qui attire les foudres des vénitiens : il faudra faire valider sa carte avant que de monter sur l'embarcation. Sans carte ce sera le prix fort. On peut comprendre la démarche dans une logique de rationalisation des transports urbains dans un univers aussi particulier que le centro storico mais ces bornes de validation sont un peu ce que la diabolique carte Monéo est à nos porte-monnaies : un outils de pistage, de contrôle de nos mouvements. Car les données enregistrées sont conservées par le services. On sait ainsi quels sont les horaires et les habitudes de déplacement des titulaires de la carte. Sous prétexte de statistiques utiles au maintien et à l'amélioration de la qualité des services proposés, on sert Big Brother sans que personne ne s'en rende vraiment compte. Les vénitiens l'ont bien compris qui se révoltent contre ce flicage qui correspond bien à la dureté et à la rigueur d'esprit de l'actuel président du Conseil, l'économiste Monti et de cette Europe technocrate qui semble n'avoir toujours rien compris et s'entête sur les chemins de la croissance à outrance pour créer l'illusion de richesses et nous enferme dans un matérialisme suicidaire. Des plaintes ont été déposées par des associations de vénitiens. On attend la suite.

La rogne qui est relayée par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête depuis la conférence de presse semble ne pas devoir servir à grand chose. Hors la Tesserà Imob, point de salut pour votre portefeuille, et les amis vénitiens résidents que j'ai interrogé sont assez désabusés. Pareille à la trombe d'eau qui s'est abattue l'autre jour comme une tornade de Floride sur le Nord Est de Venise, la nouvelle vient s'ajouter à tous les motifs de désenchantement qui gagnent les habitants de la Sérénissime. Les vénitiens sont bouche bée à l'idée de devoir montrer leur carte IMOB pour pouvoir monter sur le traghetto s'ils ne veulent pas être contraints de payer 2 euros comme les touristes ! Comme l'écrit Alberto Toso Fei sur sa page Facebook : " Finalement, on a compris à quoi sert la carte IMOB... à monter sur le traghetto !" Décidément, nous vivons une époque moderne comme disait Philippe Meyer chaque matin sur les ondes de France Inter !

12 juin 2012

Tornade sur Venise

 
Cela pourrait être le titre d'un livre de Donna Leon, mais la trombe d'air qui s'est abattue sur la lagune un peu avant midi n'est hélas pas de la science-fiction. En quelques minutes l'ouragan a tout balayé sur son passage comme en Floride. Pas de blessés, mais d'importants dégâts matériels. Le Sestiere de Castello, et particulièrement les environs de Sant'Elena, a été particulièrement touché, ainsi que les îles. La Certosa a perdu tous ses arbres, comme une grande partie de Castello. Mazzorbo a eu de nombreux dégâts.  Le chantier naval de Castello n'est plus qu'un amas de ruines. A Sant'Erasmo, la quasi totalité des potagers et des vergers a été décimée en un instant. Les édiles ont promptement réagi, d'autant que la tempête avait été annoncée, évitant des victimes parmi la population. Le maire adjoint s'est rendu sur les lieux et a annoncé la sollicitation des fonds spéciaux réservés aux catastrophes naturelles. .. 
 
Par solidarité ce matin les vénitiens se sont rendus en masse au marché et sur les points d'approvisionnement des Amap qui ont à Venise de plus en plus de succès pour se fournir en masse auprès des maraîchers très touchés par la tornade. Décidément, après les secousses, le spectre d'une catastrophe écologique avec les grands navires ultra-polluants et cette autre forme de pollution que sont les 30.000 visiteurs qu'ils débarquent chaque jour dans le centre historique, les herbes-algues qui ont menacé d'asphyxier les eaux de la lagune ces derniers jours, et l'augmentation du traghetto, Venise semble vivre un drame permanent. Les mauvaises langues disent qu'il faudrait peut-être que Monti reste en Ukraine ou retourne dans un des châteaux où le groupe Bidelberg travaille à régenter le monde au profit de l'argent-roi en se moquant du changement climatique comme de la première Rolex de ses membres.
 
 

08 juin 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 29) : Le Lapsang Souchong


Les lecteurs de Tramezzinimag connaissent bien mes préférences en matière de café et j'ai fourni à plusieurs reprises dans ces colonnes les adresses où, selon moi, on trouve les meilleures variétés de café à emporter chez soi. Puisque nous sommes à l'heure anglaise avec le jubilé de la Reine, ce coups de cœur spécial est consacré au thé. Je ne suis pas un expert mais, en consommant plusieurs tasses par jour depuis ma plus tendre enfance, j'ai quelques variétés que je souhaiterai vous recommander. Encore une fois il ne s'agit pas là d'un publi-rédactionnel. cependant, si les entreprises citées veulent m'envoyer quelques échantillons des variétés que j'ai omis de citer, qu'ils se sentent libres de le faire !

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Lapsang Souchong Imperial Grade
Tea Adventure Ltd
www.tea-adventure.com
10/10


Le fameux Lapsang Souchong, Cet extraordinaire thé fumé aux grandes feuilles longues délicatement repliées en séchant, accompagne très bien les mets salés mais aussi des mets sucrés. il est agréable à n'importe quelle heure de la journée. Désaltérant, ce thé noir quasi sauvage doit être parfait pour éviter de laisser en bouche un goût amer de charbon. Les Établissements Tea Adventure ont déniché le must du must dans les montagnes de Tongmu, au Nord de la Province de Fujian, plus précisément dans le district de Wuyishan vaste espace préservé sur les pentes et dans les vallées des Monts Wuyi, aujourd'hui protégé, à l'abri des déprédations qui partout désormais détruisent et polluent la nature en Chine. L'endroit où pousse le meilleur thé noir de Chine, est situé à 1.200 mètres d'altitude, dans un paysage à couper le souffle.


Les feuilles récoltées là-bas sont fumés au feu de bois. Son goût très fin provient des aiguilles de pin, de l'écorce de cerisier nain et d'autres essences de la région qui sont utilisées. Un peu âpre en entrée de bouche, il s'adoucit sur le palais pour donner une impression soyeuse, une onctuosité raffinée. Un thé de grande classe qu'on dit masculin. Son goût très fumé rappelle effectivement les volutes du tabac écossais.
La légende dit qu'un jour, à cause des intempéries, les paysans n'avaient pu faire sécher à temps leur récolte. Pour ne pas subir les foudres des négociants et parce qu'ils leur fallait à tout prix vendre leur production, ils eurent l'idée de le mettre près d'un feu de bois. Quand ils arrivèrent à la ville, les émissaires de l'Empereur qui bataillait non loin, achetèrent du thé à ces paysans. Le souverain le trouva tellement extraordinaire qu'il en commanda pour son palais. Ce serait depuis ce temps-là qu'on fait fumer le thé dans le Fujian.
 
Le thé actuellement à la vente proviennent de la récolte de l'an passé. On peut trouver des récoltes plus anciennes conservées dans de grandes jarres de faïence ou des caisses de fer hermétiques. Je conseille d'acheter ce thé en grande quantité, et de le conserver dans des jarres spéciales. Avec le temps, il se bonifie. A condition évidemment que la boîte soit hermétique et à l'abri de l'humidité et de la lumière.

Il est proposé en différents conditionnements, depuis le sachet de 50 grammes jusqu'à la boîte de 1 kilo. Le prix en est assez élevé mais il vous parviendra directement du lieu de production. On peut commander et payer en ligne sur le site.

D'autres maisons célèbres proposent leur propre variété. Chacun a son fournisseur favori. Il ne faut pas hésiter à comparer. On en trouve même en grande surface, mais je ne garantis pas la qualité, très secoué ces thés de la grande distribution arrivent chez vous avec leurs feuilles réduites en poussière, ce qui est dommage et très préjudiciable pour le goût du breuvage dans votre tasse !

Dans l'ordre de mes préférences et sur une échelle décroissante de 9,5 à 6,5/10 : 
1 Fortnum & Mason (http://www.fortnumandmason.com) : 9,5/10. 
2 Mariage Frères (http://www.mariagefreres.com) : 8/10.  
3 Dammann Frères ( http://www.dammann.fr) : 6,5/10.

A Venise, il n'existait pas vraiment de tradition en la matière et on ne trouve du thé en vrac que depuis peu chez Peter's Tea House, une franchise venue du Trentin je crois et qui a ouvert des boutiques un peu partout en Italie depuis quelques années. Vous y trouverez toutes les variétés de thé. Ils sont en général assez bon (nous n'avons pas encore tout goûté !) et les prix très raisonnables. On y trouve aussi pas mal de produits "dérivés" : boîtes à thé, passoires, théières, chopes, filtres, biscuits et bonbons. L'accueil est sympathique. C'est à Cannaregio, au 4553/a, dans la Calle dei Preti, à deux pas du campo Santi Apostoli (041.528.97.76). Pour ceux qui ont une voiture, je recommande la boutique Il signore del Té, à Montegrotto Terme, près de Padoue.

Il est bientôt 17 heures. Constance va bientôt rentrer du collège. La bouilloire siffle. Faire provision de plaisir et d'énergie avant de partir écouter dans la chapelle de l'école Saint-Genès le département d'instruments Anciens du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud, qui fête aujourd'hui l'arrivée du nouveau clavecin commandé au grand et sympathique facteur Emile Jobin. Ce sera un grand moment que présidera Alain Juppé notre maire et où l'ensemble des professeurs - Aurélien Delage, Kevin Manent, Guillaume Rebinguet-Sudre, Paul Rousseau, Cécile Orsini pour ne nommer qu'eux - joueront avec les élèves du département, les plus grands, quasi professionnels mais aussi les plus jeunes. Nous en reparlerons.

07 juin 2012

La visite.(work in progress)

Une journée comme les autres. Le temps resté maussade n'encourageait pas vraiment à la promenade. Pourtant les glycines embaumaient et parfois le soleil éclatait, transformant la grisaille de la rue en une atmosphère de fête. Mais cela ne durait guère. Il se remettait à pleuvoir puis la pluie cessait et recommençait.
 
Philippe ne parvenait pas à écrire. Il aurait pu ranger, faire un peu de ménage. Le chat semblait partager son humeur, allant et venant, grattant à la porte puis se ravisant, miaulant de dépit sur le canapé, tournant et retournant sur lui-même sans trouver la bonne position. Ni le maître ni l'animal n'avaient mis le nez dehors depuis deux jours. La pluie, le vent, cela incite davantage à se lover dans un bon fauteuil avec une tasse de thé et des biscuits. Depuis le matin, ce jour n'était qu'un grand soupir. Cette sensation de vide, rien ne venait la remplir. Pas une idée, une préoccupation, un désir. Rien. Le néant. Venise au-dehors restait muette et sombre. Parfois des voix montaient jusqu'à lui puis s'éloignaient et le silence de nouveau emplissait l'atmosphère. Philippe s'était même assoupi un long moment. Réveillé en sursaut par le chat qui venait de sauter sur ses genoux, il râla, hurlant après la pauvre bête qui ne comprit pas ce mouvement d'humeur. Lui qui avait tellement voulu quitter sa vie d'avant, laisser la grande ville tentaculaire et bruyante pour le calme et le silence des rues de Venise, il se prenait souvent à regretter Paris. 
 
Il avait longtemps rêvé d'un petit terrier à lui, immergé dans cet autre monde qu'est Venise en hiver, où il se serait installé avec ses livres et sa théière. N'ayant trouvé en arrivant qu'un minuscule rez-de-chaussée humide, il regretta soudain la grande maison de famille dans la campagne normande avec sa haute cheminée, ses boiseries cirées et ses trésors. Il aurait pu y passer l'hiver comme son oncle lui avait proposé. Un feu de cheminée, il en rêvait aujourd'hui. Il en existe peu à Venise, le risque d'incendie. Il y avait bien la maison de ce peintre où brûlait en permanence un joli feu de bois à deux pas de chez lui, mais il ne pouvait sans cesse aller s'y ressourcer. L'appartement qu'il occupait depuis quelques mois avait le mérite d'être clair et ensoleillé, mais la cheminée de la cuisine - une construction en pierre sûrement de la fin du XVIIe, n'était plus que décorative. La pluie redoublait. Ses pensées se faisaient très noires. Le mauvais temps le rendait nerveux et idiot.
 
Soudain il entendit le facteur. Le bruit des boîtes aux lettres, des pas, quelques paroles indistinctes, la sonnette. Il se leva, regarda par la fenêtre. "J'ai du courrier pour vous" criait l'homme en uniforme au bas de l'escalier. Graziella, la grosse dame du premier nettoyait les marches. Un parfum agréable parvint à ses narines quand il ouvrit la porte. Cette odeur qu'on retrouve souvent ici, mélange d'huile de lin, de cire et de térébenthine. l'idée d'avoir du courrier et la délicate odeur ravivaient par bouffées sa joie naturelle. Ce n'était pas un esprit triste. Il ne savait pas bouder, ni se mettre en colère. Tout avait toujours été du bonheur dans sa vie. : son enfance paisible, son adolescence curieuse, la tendresse de ses parents, de solides amitiés, la lecture, la musique et par-dessus tout la présence d'un petit groupe d'aïeuls chez qui il passa beaucoup de temps. Ce temps d'apprentissage qui forge une vie. Tout cela l'avait armé de joie et de certitudes heureuses.  
 
Puis vint le moment du Grand Tour. Comme les voyageurs des siècles passés dont il avait lu tous les carnets, Philippe parcourut l'Europe. Il découvrit émerveillé, l'Italie puis la Grèce. Ce fut une véritable révolution. Jamais auparavant, il n'avait ressenti une pareille émotion. Il confia ses impressions à ses parents qui eurent l'intelligence de l'encourager. C'est ainsi qu'il accosta sur les rives de la Sérénissime. Un peu par défaut, tant il aurait voulu pouvoir s'installer à Alexandrie, à Constantinople ou même à Smyrne. Venise s'avérait plus raisonnable. Mais la passion qu'il éprouva bien vite pour la cité des doges effaça tout regret. Le temps de mettre ses chaussures, il dévala l'escalier, suivi par le chat ravi de la distraction. Dehors la pluie tombait dure.
 
Le vieux facteur, pas fâché de s'abriter un instant, papotait en dialecte avec la grosse dame. "Une lettre et un paquet pour le jeune monsieur" lança l'homme à Philippe qui salua la voisine, remercia le facteur et rentra vite chez lui, son trésor serré contre sa poitrine. Il faisait toujours aussi sombre sur la ville, mais ce qu'il tenait dans les mains éclairait son chemin, comme un rayon de soleil inespéré qui se serait faufilé derrière lui dans l'escalier, sublimant la délicate odeur d'encaustique par un parfum de curiosité.
 
Le paquet arrivait d'Angleterre. Du Surrey exactement. Sa vieille amie Dachine, auteur de romans policiers à succès, chez qui il avait séjourné lorsque ses parents l'avaient consigné une longue année durant, dans un de ces collèges huppés à l'architecture improbable et qu'on dit hantés. Il y avait adoré l'échantillon de campagne anglaise qui entourait la maison et surtout le thé devenu depuis lors sa boisson favorite. En trouver du bon à Venise relevait du miraculeux. Partout de la poudre en sachets. Quelque fois un négoce de café proposait des thés aromatisés en vrac. Les grandes boites en fer dans lesquelles on les conservait avaient beau se donner des airs britanniques, il restait médiocre et trop cher. Le paquet contenait du thé justement et pas n'importe lequel. Son favori. Du Lapsang Souchong Imperial. Des larges feuilles noires et lisses au parfum de bois de hêtre et de pignes de pins brûlées. Le mot expliquait la raison de cet envoi. 
 
Noriko Kakura, qu'il avait souvent vu à Benton chez son amie romancière désirait voir Venise avant de rentrer au Japon. Philippe avait connu la jeune fille quand il était au collège. Ils avaient le même âge. Son père était diplomate et sa mère artiste. Ils vivaient à Hampstead, préférant la douceur des collines de cette douce banlieue aux appartements confinés de Kensington Grove où on cantonne les fonctionnaires des différentes légations. Philippe et Noriko se virent beaucoup dans la maison de Dachine. ils devinrent de très bons amis. Puis Philippe regagna la France et passés deux ou trois échanges de lettres, ils perdirent le contact. Noriko avait continué ses études à Oxford. Puis elle était partie aux États-Unis. Son doctorat en poche, elle retournait chez elle pour y travailler. 
 
La lettre expédiée six jours plus tôt annonçait l'arrivée de la jeune fille le jour même, par l'avion de 15 heures. Elle serait là pour le thé songea Philippe soudain affolé. La pluie dehors s'était enfin arrêtée et le ciel semblait vouloir s'éclaircir un peu. Les oiseaux s'étaient remis à chanter. Il fallait ranger un peu et préparer un peu la maison, mettre des draps dans le divan, changer les serviettes. Philippe se mit au travail sous le regard placide du chat toujours aussi ennuyé de ne pouvoir aller dormir sous le soleil. Quelques minutes plus tard tout était en ordre et la maison sentait bon le papier d'Arménie. Sur la table de la cuisine le plateau en bois et son napperon bleu, deux tasses, une assiette de biscuits, la théière. La bouilloire chauffait sur la vieille cuisinière. Douché, changé, Philippe attendait avec impatience son amie japonaise.

Il était un peu plus de 17 heures quand la sonnette retentit pour la deuxième fois de la journée. Philippe se pencha par la fenêtre. Il aperçut deux étages plus bas une jeune femme traînant une valise à roulettes. Elle portait un petit chapeau de pluie d'un joli vert. "le vert des feuilles de thé" se dit-il en allant ouvrir. Il descendit pour accueillir Noriko. Ils ne s'étaient plus revu depuis sept ans. Avaient-ils encore quelque chose à se dire ? Se retrouveraient-ils comme si de rien n'était ? Quand il ouvrit la porte il resta un instant comme tétanisé. Il avait devant lui une ravissante jeune femme au visage très doux et au sourire charmant. 
 
Comme lui, Noriko avait tout juste vingt-deux ans. "Hello Philippe my dear" lança-t-elle le regard amusé. Un peu gêné, il se pencha pour l'embrasser. Elle n'avait pas grandi mais son corps s'était épanoui et son visage était plus fin, ses yeux pétillaient comme avant et elle semblait entourée de lumière. Il prit sa valise et l'entraîna vers l'appartement. La bouilloire sifflait. La vapeur embuait les vitres de la fenêtre. Philippe enleva le couvercle de la théière, il s'approcha de la cuisinière et versa un peu d'eau chaude afin de chauffer la théière. Il vida l'eau dans l'évier puis de retour devant la cuisinière, il ajouta le filtre rempli de thé et couvrit d'eau, posa la théière sur le plateau et retourna dans le salon. Noriko caressait le chat en feuilletant une revue. Elle sourit à Philippe. Le chat se lova sur un coin du canapé et se mit à ronronner.

Ils se servirent et parlèrent longtemps. Au fur et à mesure que remontaient les souvenirs de leur adolescence londonienne, ils sentaient tous deux que quelque chose d'inhabituel se faufilait en eux en même temps que les gorgées de ce thé fumé aux senteurs délicieuses. Quand Philippe voulut se lever pour refaire chauffer de l'eau, ils s'aperçurent que la nuit était tombée. Ils avaient parlé plus de deux heures sans sentir le temps passer. Tant de choses à se dire. Ils reprirent du thé. Noriko avait apporté un disque. Ils l'écoutèrent en boucle. La pluie reprit, dense, bruyante. La nuit était noire et la ville silencieuse. Une cloche parfois résonnait dans le vide de la nuit. Et le bruit lancinant de la pluie sur les vitres. Son regard clair pénétra celui du garçon. 
 
Il eut soudain très envie de l'embrasser. La nuit fut un rêve de douceur et de joie. Ils ne se quittèrent plus. Noriko trouva un emploi de traductrice et de lectrice à la Ca'Foscari. Philippe a eu un peu de mal à faire accepter au chat leur nouvelle vie à trois. Chaque jour quand ils se retrouvent, ils boivent du thé. De l'Imperial Lapsang Souchong bien sûr, expédié tous les deux mois depuis une petite poste anglaise au fin fonds du Devon par leur amie Dachine. Sur la boite dans laquelle ils conservent ces feuilles précieuses, un poème de Kobori Enshu que Noriko a calligraphié :
Un bouquet d'arbres, l'été,
Un éclat de mer
La lune pâle du soir.

05 juin 2012

Prendre le thé au Florian

 
Prendre un thé au Caffé Florian après avoir admiré les fastes de la Couronne britannique à l'occasion du Jubilé de Diamant de Sa Majesté la reine Elizabeth II et la liesse de tout un peuple en dépit du mauvais temps et de la crise, c'est assez revigorant, ne trouvez-vous pas ? Demain est un autre jour, il y a des valeurs pérennes qui rassurent et réconfortent, valeurs refuges. Le Florian fait partie de ces valeurs-là qu'on nomme civilisation et qui existent encore, mais pour combien de temps ?
 

Café Florian : Restauration de la Salle des Hommes Illustres

Le 15 septembre prochain, une grande réception aura lieu au Caffé Florian, le célèbre établissement installé sous les arcades de la Piazza San Marco depuis 1720, pour fêter la splendeur retrouvée de la Salle des Hommes Illustres, un des plus beaux salons du célèbre café vénitien. La salle va subir quatre mois de travaux exceptionnels qui rendront à ces lieux mythiques toute leur splendeur.
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Au nombre de dix, les portraits réalisés au XIXe siècle par Giulio Carlini et qui représentent d'illustres vénitiens de tous les temps, vont être déposés pour être nettoyés, les stucs et les fresques vont être réparés, redorés et repeints. Les lieux étant inscrits au Domaine Public (l'équivalent de notre Patrimoine National), les travaux ont commencé discrètement il y a quelques semaines, mais il fallait le permis officiel de l'autorité de tutelle pour lancer officiellement la campagne de restauration qui sera entièrement financés par le Caffé Florian avec l'aide de mécènes et sponsors privés. Pas un centime des 200.000 euros nécessaires ne seront pris sur des fonds publics. Le Groupe UBS Italie (une banque pas encore dans le rouge dans la péninsule...) finance la restauration des toiles, les Bijoux Pomellato paieront les cadres et les dorures tandis que les Tissus Rubelli fourniront le velours damassé, baptisé Velours Florian inspiré du revêtement de l'époque mais adapté aux exigences actuelles de sécurité et d'hygiène.
La Salle des Hommes Illustres "est un trésor public qui appartient à la ville et au monde entier" a souligné lors de la conférence de presse qui présentait le projet, le directeur du Florian, Marco Paolini, qui est depuis 2009 le nouveau propriétaire du café de la Piazza, en association avec les Frères Fendi et quelques autres entreprises privées, toutes vénitiennes. Chaque année, 700.000 personnes viennent s'asseoir dans ces lieux historiques, situé sur cette place unique que Jean Lorrain appelait "le plus joli salon du monde". Ils viennent consommer un chocolat ou une coupe de Champagne, comme l'ont fait avant eux des milliers de célébrités, depuis l'ouverture du premier estaminet en 1720, sous le règne du doge Giovanni Cornaro par un certain Floriano Francesconi. Beaucoup en ont parlé dans leurs livres depuis Goldoni qui en était un habitué, comme Silvio Pellico, Tommaseo, Goethe, Proust, Henri de Régnier, Jean Lorrain, Maurice Barrès, Hemingway... Ces lieux que Casanova avait transformé en terrain de chasse puisque c'était le seul établissement de toute la république qui acceptait les femmes. Autres temps autres mœurs.
"Notre projet apporte la preuve que, malgré la crise, il existe encore des initiatives dont l'objectif final n'est rien d'autre que la conservation et le respect de notre patrimoine culturel" observait Paolini en précisant que la restauration de cette salle terminera le chantier de restauration initié ces dernières années et dont le but était de rendre au Florian la beauté et le charme des lieux quand Ludovico Cadorin en entreprit la rénovation dans les années 1890, amenant aux locaux tels que nous les connaissons aujourd'hui mais singulièrement défraîchis. Un semblant de polémique semble pointer son nez quand le directeur du Florian regretta devant la presse l'absence du maire Giorgio Orsoni. « Nous espérons que le maire sera des nôtres le 15 septembre. Nous ne demandons rien, mais son soutien nous ferait plaisir ». Dans l'entourage du maire, on souligne le caractère privé de l'entreprise et la volonté de l'équipe municipale de ne pas interférer dans les initiatives privées... On est bien loin de l'administration Rigo où rien de ce qui se faisait en matière de rénovation, même privée, d'envergure ou minuscule, n'échappait aux contrôles et aux vérifications précautionneuses des élus communistes. Cela avait parfois du bon mais les temps changent.

La salle sera de nouveau ouverte au public et aux consommateurs en septembre. Nous redécouvrirons les portraits des illustres vénitiens, Pietro Orseolo, Marco Polo, Paolo Sarpi, Enrico Dandolo Francesco Morosini, Vettor Pisani, Benedetto Marcello, Le Titien, Palladio et Goldoni, en son temps grand habitué des lieux. En attendant, les artisans restaurateurs de l'entreprise Libralesso se sont mis au travail, sous la direction de l'architecte Barbara Pastor pour restituer à la cité des doges la beauté originelle de ce joli salon. On peut regretter que le mobilier reste le même, juste réparé et nettoyé. On ne retrouvera donc pas les sièges et les tables d'avant Cadorin, dont quelques exemplaires se trouvent parfois dans différents petits cafés de la ville. Je me souviens du petit bar situé sur la Fondamenta Zorzi Bragadin, en face de la galerie Ferruzzi où je travaillais (aujourd'hui boutique de la Guggenheim). Les trois ou quatre tables que le propriétaire disposait devant son café provenaient de l'ancien Florian. C'est du moins ce que disait le peintre Bobo Ferruzzi, fils et frère d'antiquaire, lui-même un peu antiquaire et collectionneur.



Bel objet vénitien en vente cette semaine à Drouot

En couverture cette semaine sur la Gazette de l'Hôtel Drouot un objet rare dont on sait peu de choses. Comme l'énonce la notice, il s'agit d'une "Imposante gourde de pèlerin ou flacon d’apparat, cet objet en verre, monté de cuivre ajouré, présente un délicat décor de pampres feuillagés, agrémentés sur la panse de grappes de raisins. Mais ce qui attire le regard, c'est le médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise, figurant le lion de saint Marc." 

Le soin porté à la ciselure du décor de la monture de cette "fiasca da pellegrino" (gourde de pèlerin) est assurément l’œuvre d’un orfèvre de talent. Certains spécialistes évoquent même le Florentin Antonio di Salvi (1450-1527), dont les décors gravés très similaires de pièces liturgiques sont conservés au Bargello à Florence. Cependant la figure du lion de saint Marc, tenant le livre entre ses pattes, importe plus. Dans cette posture hiératique, le félin incarne la majesté de l’État. Il est finement gravé, la crinière et des ailes laissées en réserve, l’auréole et les fonds étant émaillés de deux bleus différents. Ont-ils été appliqués au moment de la fabrication de l’objet ou plus tard, pour masquer par exemple des armoiries nobiliaires ou faire de cette fiasque un cadeau diplomatique de la cité des Doges ? il faudrait de longues heures d'études dans les salles des Archivi delle Stato derrière les Frari ou à la Marciana pour en apprendre peut-être davantage sur ce bel objet qui va partir dans une collection privée puisque à ce jour aucun musée italien ou français ne semble vouloir s'y intéresser.

J'ai souvent tendance à penser, quand de tels objets du passé resurgissent des collections privées où ils étaient conservés, que nous devrions organiser des souscriptions publiques pour acquérir ces objets et en faire ensuite don aux musées vénitiens. Encore faudrait-il être informé assez tôt pour pouvoir lancer la souscription. Même en période de crise, tout ce qui concerne le patrimoine du passé mérite d'être protégé et conservé comme bien de l'humanité toute entière et non pas disparaître dans des collections privées où ils sont souvent considérés seulement pour leur valeur marchande...
Venise, fin XVe-premier tiers du XVIe siècle. Gourde de pèlerin en verre soufflé dans une monture en cuivre gravé, ciselé, repercé, découpé, doré, champlevé et émaillé, fiasque en verre de Murano de couleur bleu cobalt, h. 47,1 cm. Estimation : 60 000/80 000 €.
Exceptionnelle pièce que cette gourde en verre, enchâssée dans une monture en cuivre gravé, ciselé, repercé, découpé, doré, champlevé et émaillé reposant sur un piédouche. La fiasque est en verre de Murano de couleur bleu cobalt avec un très long col et une panse circulaire aplatie. La monture qui recouvre entièrement la fiasque dépasse du col de la bouteille d'environ deux centimètres. En la démontant, les experts ont pu en restituer l'agencement : Elle se compose de deux coques, constituées chacune de deux parties métalliques soudées entre elles ; sans décor sur les pourtours, cette armature est repercée de motifs végétaux sur toute la hauteur des deux faces du col ; deux mufles de lion en fort relief sur l'épaulement sont retenus à l'intérieur de la monture par des écrous en étoile ; chacun de ces mufles conserve un maillon des chaînettes manquantes qui étaient reliées aux petits anneaux placés au milieu du col ; de chaque côté, un large motif de rinceaux, en forme de croix et fixé par deux vis ; ces deux éléments servent à consolider l'assemblage et masquent la séparation des deux coques, en faisant la jonction entre les mufles de lions et les deux disques repercés qui ornent les deux faces de la gourde. Ces deux disques au décor ajouré sont fixés aux parties métalliques de la coque par des rivets disposés sur leurs circonférences. Le centre de ces deux disques est orné d'un médaillon champlevé, émaillé bleu azur et turquoise représentant le lion de saint Marc en buste, les ailes relevées et tenant le Livre fermé entre ses pattes. Le piédouche, reprenant les motifs ajourés, est fixé à l'armature également à l'aide de rivets. 
En dépit de quelques légers manques et déformations, l'absence de chaînettes et du bouchon, l'objet est dans un état de fraîcheur incroyable. On peut penser que le médaillon en émail a pu être placé à une époque postérieure. Lors du démontage, on  observe des consolidations anciennes à l'étain, notamment à l'emplacement des soudures et des fixations des éléments décoratifs. Des petites pattes métalliques ont été rajoutées afin d'améliorer la solidarité entre toutes les différentes pièces de la monture. Le col a ainsi été doublé intérieurement à son extrémité afin de le rigidifier. Par un souci de protection du papier et du coton ont été glissés sous le fond de la fiasque entre le verre et la monture. La bouteille, en verre soufflé dans un moule, présente de nombreuses bulles et deux petits défauts de fusion. Des dépôts et des salissures sont visibles. On peut ainsi penser que l'objet fabriqué à Venise pendant cette période bouillonnante pour les arts que fut le début de la Renaissance, a ensuite été remanié - suite à un dommage ou pour être mis au goût du jour - ce qui le rend très vivant, laissant à notre imagination tout loisir pour lui inventer une histoire...

04 juin 2012

Un (grandiose) air de Venise sur la Tamise

Des milliers d'embarcation hier dimanche sur la splendide Tamise pour accompagner la barge royale sur laquelle le peuple de Londres a pu voir passer sa souveraine à l'occasion du jubilé de diamants de la reine. Soixante ans d'un règne fêtés comme à Venise on fêtait le doge par un long cortège naval. Du jamais vu depuis le XVIIe siècle et un régal pour les yeux : du canoë aux frégates de la Royal Navy, des gondoles aux vedettes à moteur, une foule nombreuse glissa le long des 16 kilomètres qui séparaient l'embarcadère de Greenwich au fameux Tower Bridge en haut duquel fut tiré un gigantesque feu d'artifice après le passage de l'embarcation royale, toute d'or et de rouge décorée. La reine était en blanc, et la barge avait des airs de Bucentaure. La toute puissante Angleterre montrait hier soir sa parenté avec Venise qui fut avant elle la reine des mers. Personnellement ce n'était pas pour me déplaire. Long Live the Queen !








30 mai 2012

Gustav Klimt au Musée Correr

Venise avait acclamé Gustav Klimt lors de sa première venue à la Biennale de Venise en 1910. Revoilà certaines des œuvres présentées alors qui reviennent sur la lagune avec une extraordinaire exposition. Organisée à l'occasion du 150e anniversaire de sa naissance (14 juillet 1862), l'exposition est le fruit de la collaboration entre la Fondation des Musei Civici di Venezia et le Musée du Belvédère de Vienne, sous la direction d'Alfreid Weidinger, un des lus grands experts de l’œuvre du peintre autrichien.

"Gustav Klimt nel segno di Hoffmann e della Secessione" (Gustav Klimt sous le signe de Hoffmann et de la Sécession) tente de reconstituer la genèse et le cheminement de l’œuvre de Klimt et du mouvement de la Sécession viennoise. Peintures, dessins, mais aussi mobilier et bijoux très raffinés. On trouve des œuvres de Kolo Moser (1868-1918) de Jan Toorop, Minne, Fernand Khnopff, et reliant le tout la présence du grand ami de Klimt, le compagnon de toutes les aventures intellectuelles et de nombreux projets, Josef Hoffmann (1870-1956).

Le public peut découvrir dans les salles du Musée Correr, l'ancien palais impérial et royal, des peintures réunies pour la première fois ensemble, comme sa Judith I (1901) et la Judith 2 (1909) achetée en 1910 par la Galerie Nationale d'art Moderne de la Ca'Pesaro. La majeure partie des peintures exposées proviennent du Belvédère où sont rassemblées la plupart des œuvres majeures du peintre. D'autres proviennent de collections publiques et privées comme par exemple la Dame devant la cheminée (1897), Les Amants (1901), Hermine Gallia (1904)... Cela me ramène vingt-huit ans en arrière :


En 1984, une gigantesque exposition avait eu lieu au Palazzo Grassi, "Le Arti a Vienna, Dalla Secessione alla caduta dell'Impero asburgico" (Les Arts à Vienne, de la Sécession à la chute de l'empire habsbourgeois"). En feuilletant le magnifique catalogue (589 pages, paru aux Éditions de la Biennale, chez Mazzota) - une curiosité bibliophilique aujourd'hui -, on se rend compte de la qualité et de l'importance des expositions de l'époque. Autour de Klimt, se trouvaient les œuvres majeures de Kokoshka, de Egon Schiele, Moser, Gerstl, Hirschl-Hirémy, Blauensteiner, Kalvach, ainsi qu'une importante collection de mobilier, de bijoux, de céramique et d'orfèvrerie, de nombreux dessins et des photographies, le tout provenant de collections publiques et privées du monde entier. C'était longtemps avant la crise...

Pour en savoir plus, Tramezzinimag vous renvoie à l'excellent billet du blog Olia i Klod, ICI et au site de l'exposition : ICI.

"Klimt nel segno di Hoffmann e della Secessione"
Jusqu'au 8 juillet 2012
Museo Correr, piazza San Marco, Venise
Tous les jours de 10 heures à 19 heures
Entrée 16€ / Tarif réduit : 8€
(avec l'accès à tous les musées civiques)

 

29 mai 2012

La terre tremble aussi à Venise

 
Il était à peine 9 heures ce matin quand la terre s'est mise à trembler à Venise et dans les environs. Plus de peur que de mal sauf pour une des deux statues du grand portail d'entrée aux Jardins Papadopoli à Santa Croce, en face de la Piazzale Roma, par où les touristes passent pour rejoindre le Rialto et San Marco. La statue, dont les soutiens métalliques posés au XIXe siècle semblent avoir été complètement érodés par le sel et la rouille est le seul incident majeur survenu dans le centre historique. 
 
Par précaution, le ponte del Prefetto, très emprunté,qui relie la Piazzale Roma aux Jardins, a été fermé. La circulation pédestre est ainsi déviée jusqu'à nouvel ordre vers le ponte Zuccato un peu plus à droite qui débouche sur la Fondamenta del Magazen et rejoint la Fondamenta Condulmer, en face de l'église des Tolentini. Des écoles et des maisons de retraite, lieux "sensibles" ont été évacués, mais tout est rapidement rentré dans l'ordre. A la Fenice, pourtant dotée d'un système anti-sismique, la représentation de La Bohème a été annulée. Toujours le principe de précaution. Du coup, le Wifi de la ville disponible partout dans le centre historique mais réservé aux abonnés, a été ouvert librement à tous afin de permettre aux gens de rentrer en contact avec leurs familles et de se tenir au courant des évènements.
 
L'épicentre, toujours en Émilie-Romagne, a produit une secousse de 5,8 sur l'échelle de Richter faisant encore une fois de nombreux dégâts et des victimes. Le maire Orsoni a rendu hommage à tous ceux qui ont disparu. Les dégâts matériels sont assez importants parmi les monuments, touchant durement le magnifique patrimoine de cette région.
 
A Venise, c'est surtout dans les étages supérieurs que la secousse a été vraiment sensible. Quelques touristes affolés (mais ils sont moins nombreux le matin tôt qu'en plein jour, et le tenancier du kiosque à verroterie situé à l'entrée des jardins qui a eu la peur de sa vie. Plus de peur que de mal donc mais une alerte supplémentaire pour les autorités. Les pompiers et les services municipaux auscultent d'ailleurs depuis hier campaniles et façades des palais les plus susceptibles d'avoir souffert, même si cela ne se voit pas, certains ponts ont aussi été sondés comme aussi les cheminées des usines de Marghera. Des sondes ont aussi été placées dans certains points de la lagune pour vérifier qu'il n'y a pas eu de modification du sous-sol qui pourraient avoir des conséquences désastreuses pour l'écosystème.

Un évènement somme toute très mineur par rapport à ce que cette énième catastrophe en Émilie, mais qui conforte les opposants au projet de métro souterrain qui devrait relier la terraferma avec le centre historique... On peut rêver que les fous furieux qui défendent ce projet puissent être engloutis par un tremblement de terre et leur projet enfoui avec eux (et les milliards de bénéfices qu'ils supputent avec !). mais on va encore m'accuser de mauvais esprit !





27 mai 2012

Vogalonga 2012, premières images

© Antonio Dalla Libera - 27/05/12
© Antonio Dalla Libera - 27/05/12
© Antonio Dalla Libera - 27/05/12

La Vogalonga 2012, c'est aujourd'hui

La 38e Vogalonga a lieu aujourd'hui ! Gageons que ce sera une réussite sous un ciel splendide avec au moins autant d'embarcations que l'an passé où plus de 6.000 rameurs avaient pris place sue 1.650 bateaux en tous genres. Dans la joie et avec l'accent vénitien avant tout. Notons cependant que depuis quelques années de nombreux clubs nautiques viennent de toute l'Europe et spécialement de France. Mondialisation oblige. Tant que cela ne dénature pas la fête et son authenticité... En revanche le site officiel n'est plus qu'en italien et en anglais. Un bon sujet de réflexion pour notre (provisoire) ministre de la culture.

San Zaccaria, un matin de mai

San Zaccaria. Un matin de mai. Peu de monde dans l'église. Bellini. Le chef-d’œuvre. Le concert à la vierge. La madone assise en gloire sur un trône luxueux, entourée de saints, en extase vers son fils écoutant un ange lui faire de la musique. Tableau délicieux. Tant d'amour et de résignation dans ce regard de mère. Tant de douleur et de gloire dans ces sons qui le bercent. On ne fait plus de belle musique comme cela maintenant.

Joie et bonheur que ces retrouvailles matutinales avec la beauté. Dans la nef, une femme balaye le vieux pavement humide. Les cloches dehors sonnent à toute volée. La crypte résonne du clapotis de l'eau qui remonte des profondeurs du temps.  
C'est à chaque fois une grande paix, Venise, à l'intérieur d'une église. Quand la froidure de l'hiver rend la lumière de midi d'un blanc métallique, que les volutes de pierre et tous les ors s'animent et réchauffent le passant transi. Quand à la fin du printemps, lorsque le jour vient à mourir et teinte les vitraux de rayons roses qui rendent l'heure poignante et douloureuse alors que dehors tout n'est que rire et légèreté.
Autrefois, à San Zaccaria, on vendait à côté des cierges de jolies petites fleurs blanches appelées étoiles du berger. Les dames les accrochaient à leur revers quand elles ne les déposaient pas au pied de ce joli concert immortalisé par Bellini.

25 mai 2012

A Venise, l'Infini prend peu de place

"Comme toute œuvre mémorable, et comme aucune autre ville, Venise dit sa merveille et, en même temps, qu'elle aurait pu exister." Ces par ses lignes que le sud-américain Hector Bianciotti auteur de l'affirmation qui sert de titre à ce billet, montre sa conception de cette Venise des écrivains qui s'inscrit en bonne place parmi les nombreuses Venises : celle des peintres, celle des musiciens, celle des photographes, celle des architectes et depuis quelques années, celle des écologistes.
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L'écrivain argentin, devenu français et membre de l'Académie, qui est un grand et lucide amoureux de Venise dont il a fait le décor de plusieurs de ses écrits, avait publié en 1984 dans la revue Carré Magazine un texte repris l'année d'après par le Magazine littéraire (n°219, mai 1985). Tramezzinimag en publie quelques extraits - qui selon moi forment une jolie base de réflexion - où les lecteurs retrouverons l'esprit de ce blog.
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"[...] Enfin, un jour, il y a une vingtaine d'années, j'ai débarqué à Venise. Et j'ai cessé de rêver d'autres villes, d'autres pays. je n'ai même plus envie de voir les Pyramides, Égypte ; c'est comme si je les avais déjà connues. Alors que Venise me manque d'une façon physique, et que je pense à elle à chaque moment. Non seulement je regrette de ne pas m'y trouver mais il me semble incompréhensible qu'elle soit là-bas, sous son ciel toujours intime, que les gens entendent les pas d'autres gens qui s'approchent puis s'éloignent, ou leurs voix, tandis que moi, je suis ici.

Longtemps, je n'ai pas osé faire allusion à Venise, moins encore essayé de la décrire. J'avais peur de tomber dans le plus mièvre des lieux communs ; j'avais peur de cette rêverie que dispense toute chose insolite ; je n'avais pas encore le courage d'aimer ce qui me plaît en toute simplicité[...]

[...] Venise, je le compris alors, manque aussi de syntaxe. ville où les merveilles prolifèrent jusqu'à l'absurde - comment dire l'angoisse que suscitent ces façades admirables, parfois séparées l'une de l'autre par quelques centimètres, que nul regard ne peut entièrement saisir ? - Venise est une ville fermée, ou, plutôt qui se ferme à chaque pas, avec des profondeurs étroites où il y a comme un perpétuel engendrement de menaces, une distribution chaotique des attributions ; une ville qui se répète, se confirme et s'échappe à chaque coin de rue, et qui aboutirait à l'asphyxie s'il n'y avait pas l'eau : les canaux, la longue ondulation du Grand Canal, la lagune au-delà, la mer. Ville rebelle, dont la carte incessante cache toujours, même au connaisseur, d'autres plis et replis, et qui ne se laisse pas imaginer en entier.

A Venise, l'infini prend peu de place. Cela constitue un fait magique et aussi terrifiant que d'avoir la tête pleine de mots et de ne pas réussir à articuler une phrase. Heureusement, pour pallier la maladresse des dieux qui l'ont conçue ainsi échouée dans un lieu inconcevable, il y a les quelques architectures de Palladio, les façades blanches de ses églises, bien en vue sur la lagune, qui ponctuent le désordre somptueux, halluciné et auxquelles l'âme se raccroche. Que Venise soit mon ciel ou mon enfer, dépend uniquement de ce qu'elles se trouvent ou non dans mon champ de vision."

Hector Bianciotti
© Carré Magazine

22 mai 2012

La phrase du jour

La basilique Saint-Marc et la Piazzetta photographiées en 1854
"Venise ! Est-il un nom dans les langues humaines qui ait fait rêver plus que celui-là ? Il est joli, d'ailleurs, sonore et doux: il évoque d'un coup dans l'esprit un éclatant défilé de souvenirs magnifiques et tout un horizon de songes enchanteurs."
Guy de Maupassant