18 octobre 2012

Même à Venise, la démocratie se délite ou Le Geste d'Hector

Quand j'ai créé ce blog, au retour d'un des derniers voyages avec tous mes enfants réunis, les peuples du continent européen étaient en effervescence. Les élites au pouvoir voulaient à tout prix nous faire accepter leur idée d'une Europe technocratique, celle des banques et du profit, une Europe ultra-libérale. D'instinct les peuples ont dit non pour la plupart, et leur non a été voué aux gémonies par ces lobbies coupés des réalités et incapables d'envisager un autre espace de pensée que le cadre dans lequel leur quotidien à eux évolue. Des années plus tard, il faut être sacrément bouché et malhonnête pour ne pas reconnaître le flair des opposants à cette Europe, la catastrophe étalée sur plusieurs années qui avec l'Euro bouleverse nos sociétés et ruine des millions de gens. En parallèle, se profile à l'horizon, de moins en moins cachée, une tendance autoritariste qui ne laisse présager rien de bon. De là à dire que nos démocraties sont sous surveillance et artificielles, il y a un pas que Tramezzinimag ne saurait franchir. Cependant... Mais laissez-moi vous conter cette petite histoire vénitienne (véridique) à titre d'exemple.

Photographies © Steven Varni - Tous Droits Réservés
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..Il est à Venise une petite librairie indépendante qui fait bien plus que vendre des livres. Elle accueille depuis dix ans un public fidèle, mais aussi les touristes de passage. Lieu de vie, de débats et d'échanges, elle est installée à deux pas de la cour où se dressait autrefois la maison de Marco Polo, au pied du Teatro Malibran. On y pratique la décroissance et l'économie soutenable. 
 
Chaque semaine on peut y récupérer un cageot de fruits et légumes récoltés par des fermiers écologistes. On y trouve sur 30 m² des livres neufs et d'occasion, en italien, en anglais, parfois en français (pas de concurrence avec la sympathique et institutionnelle librairie française de la calle Barbaria delle Tole - de mon temps située à San Barnabà à côté de la mensa étudiante où nous prenions nos repas) et elle vient de fêter (en septembre dernier) son dixième anniversaire, dans la joie et la bonne humeur avec une petite fête comme les vénitiens en ont le secret : Musique in live, bonnes choses à boire et à manger et un public très éclectique fait d'étudiants, de familles venues avec les enfants et de voisins.
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..Mais ces derniers jours, l'humeur n'était plus tellement à la fête. Jugez-en par vous-même : La gouvernance de l'Université de Venise avait choisi le Teatro Malibran, près du Rialto, pour le lancement en grande pompe de la nouvelle année universitaire. De nombreux invités étaient attendus parmi lesquels le ministre de l'éducation du gouvernement Monti, l'ingénieur Francesco Profumo
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Comme le raconte sur son blog (ICI), le libraire, Claudio Moretti, ce 13 octobre était un jour normal à Venise, avec son flot habituel de touristes qui arrivent par vagues à l'assaut de San Marco et du Pont du Rialto. A deux pas de là, de l'autre côté d'un pont et dans la rue menant au théâtre Malibran, se tenaient des étudiants venus manifester leur grogne et, sur le campo du théâtre, à deux pas de l'entrée où se succédaient d'éminents personnages du monde de la culture, des arts, de la politique et de la finance, la petite librairie Marco Polo avait ouvert ses portes comme d'habitude. Entre le théâtre et les étudiants, une masse de policiers (carabiniers, policiers, guardia di Finanza), tous en tenue anti-émeute et armés jusqu'aux dents, formaient un cordon qui rendait impossible l'accès à la boutique et empêchait les gens de passer, sauf les invités. Les policiers et les gendarmes, forts de la supériorité que leur confère l'uniforme, s'amusent à en imposer. Les quelques passants surpris rebroussent chemin. On sent la peur sur les visages. 
 
Cela rappelle de mauvais souvenirs et on ne peut s'empêcher de frémir à l'idée que les forces de l'ordre, qui devraient n'être là que pour protéger le peuple souverain sont désormais, et chaque jour davantage, pareils à des miliciens, les chiens de garde d'un pouvoir technocratique et déshumanisé,  définitivement noyauté par les banques et les puissances industrielles. Dieu sait que je ne suis pas un révolutionnaire. Seulement un démocrate légaliste et légitimiste. Or, la seule légitimité que je reconnais est celle du Peuple. Nos ancêtres qui se sont battus pour sa souveraineté et pour la liberté doivent pleurer dans leurs tombes... Car l'histoire ne s'arrête pas là.
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Le campo del Teatro, les rues adjacentes, tout le périmètre jusqu'à l'église San Giovanni Crisostomo est envahi par les forces de l'ordre. C'est un peu surréaliste cet imposant déploiement pour quelques étudiants pas vraiment méchants et pas vraiment partis pour tout casser et attenter à la sécurité du ministre. Avec un cordon de molosses en tenue de combat, les passants ne trainaient pas et encore moins les clients potentiels de la librairie.

Un policier s'était même permis, peu avant l'arrivée des officiels, de prendre à partie la libraire qui était en train de placarder avec application des tracts sur la vitrine. Rien de bien méchant ni de dangereux pour les institutions. Acte militant accompli en toute liberté et sans atteinte à la loi... Comme elle refusait d’obtempérer,  il lui ordonna de le suivre. Ce qu'elle refusa de faire... Quelques minutes plus tard, un policier en civil vint pour excuser ce policier trop zélé. Excuses acceptées. Après tout, on sentait une vraie tension chez les forces de l'ordre, l'homme avait seulement voulu faire son travail...
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Un peu plus loin sur la campo San Bartolomeo, plusieurs centaines d'étudiants manifestaient. Sur la vitrines des banques, des affichettes « No Banks ». Soudain ce fut la bagarre. Des projectiles lancés sur les policiers décidèrent de l'assaut. Venise rejouait les barricades du Quartier Latin en 68. Inattendu. Ce fut assez violent. Surréaliste toujours. Quelle histoire. Pendant ce temps, les invités écoutaient le recteur de l'Université et le ministre. Les alentours étaient bouclés, le quartier transformé en camp retranché !
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Dans la soirée, après que le cortège des officiels se soit dispersé, le policier en civil revint à la librairie. Il s'adressa à la libraire :
- Comment ça va ? demanda-t-il.
- J'ai connu des journées meilleures, celle-ci ne fut pas extraordinaire. Pour vous non plus j'imagine.
- C'est clair. Ce fut vraiment lourd. Mais c'est vrai que ces étudiants ont raison finalement et la population aussi. Je n'avais pas compris la teneur de vos tracts. On m'a expliqué. Ce n'est pas possible de donner tout cet argent à ceux qui en ont déjà. les gens ont raison de se mettre en colère», dit le policier. Et il s'éloigna.
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Sur son blog, le libraire conclut le journal du 13 octobre  par ces mots « Voilà peut-être la seule justification d'être resté à la librairie même sans un seul client : se dire que l'on a pu ouvrir une brèche...»
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La multiplication des interventions musclées des forces de l'ordre donne à réfléchir. Quand il s'agit de réprimer la délinquance, de mettre fin à des trafics ignobles et à une violence inacceptable, l'imposant corps de la police joue pleinement son rôle. Quand il s'agit juste de défendre une élite de privilégiés qui s'enferre dans ses erreurs et mène les peuples vers le gouffre, d'empêcher les jeunes et la population en général de crier son désarroi et sa colère, il y a un problème. A Venise ce 13 octobre, les étudiants ont mis une fois encore le doigt là où ça fait mal, prouvant s'il en était besoin, combien nos démocraties sont malades.


Le titre fait allusion à l'ouvrage de l'italien Luigi Zoja, « Il gesto di Ettore, preistoria, storia, attualità e scomparsa del padre », (Torino, Editions Bollato Boringhieri, 2001), qu'une cliente de Claudio Moretti était venue lui demander la veille. Allusion à la confusion qui semble se généraliser quant aux rôles dévolus à chacun dans notre société en crise, où la répression prend peu à peu la place du dialogue, où de plus en plus d'incidents révèlent l'inévitable confrontation entre ceux qui subissent les effets de la crise et ceux qui exercent le pouvoir réputé responsable de la situation, incapables de répondre aux attentes des peuples au nom de qui ils sont censés gouverner, confirmant en quelque sorte l'effondrement du rôle et de l'image du père dans notre société, et le désarroi général qui en découle.

12 octobre 2012

Tout ce que vous voulez savoir sur l'acqua alta


Fondamenta Rio dei Servi, Cannaregio - © Tramezzinimag - 2005 - Tous Droits Réservés.
 
Vous préparez un voyage à Venise, vous êtes sur place et vous inquiétez des marées et des risques d'acqua alta ? E-Venise.com est à notre connaissance le seul site en langue française est assez complet pour vous donner toutes les informations sur ce phénomène récurrent qui oblige les passants à chausser bottes et cuissardes : cliquer ICI

11 octobre 2012

Le petit peuple de Venise

 
Ceux-là, je ne crois pas qu'ils prennent part aux prochaines élections, mais s'ils votaient ce ne serait certes pas pour un autre gouvernement Monti pas plus que pour l'inénarrable - et suicidaire - Traité européen ! Mais cela n'engage que moi.

10 octobre 2012

L'anniversaire de mon père

Nous fêterions aujourd'hui son quatre vingt onzième anniversaire. Notre père se serait rasé de près, laissant à notre mère le soin «d'inaugurer sa barbe», comme il disait à chaque fois avec un sourire gourmand. Quand c'était à nous, un des enfants qu'il proposait ce rite, nous étions fiers et ravis. Sa peau était douce. Le bleu de ses yeux pétillait souvent. De ce regard émanait toute la bonté et l'empathie dont un homme est capable. Cet optimisme ne s'appliquait qu'aux autres pour qui il était toujours plein d'indulgence et de considération. Laïc virulent, il connaissait la Bible, le Talmud, le Coran et le Tao sur le bout des doigts. C'était un homme de foi, au sens vrai du terme. Sa culture nous paraissait infinie (sauf en musique où ses goûts et ses connaissances ne dépassaient que peu l'époque de Beethoven, avec quelques incursions dans l'opéra italien, et en art contemporain qu'il disait ne pas vouloir chercher à comprendre). Nombreux étaient ceux qui venaient l'écouter pérorer, lui demandant le plus souvent avis et conseils. Toute sa vie, il donna sans compter et se tua littéralement au service des autres. 

C'était médecin. Un vrai. Nous étions habitués depuis toujours à le voir s'absenter même les jours de fête et pendant les grands moments familiaux. A chaque fois un malade l'appelait en urgence où une famille démunie appelait son attention. « Ils ont bien plus besoin de moi que vous, qui m'avaient toujours à disposition » nous  disait-il en réponse à nos reproches. Combien de Noëls, d'anniversaires, de simples repas de famille se passèrent sans lui. Mais quand il était là, sa présence éclairait nos vies. A l'adolescence, son charisme, le plaisir qu'il avait de rencontre mes amis - et mes petites amies - m'agaçait prodigieusement. J'étais jaloux de sa faconde, de son ironie, de son aisance et je le traitais de cabotin. Je méprisais un peu son allure, ses discours, ses emportements. Il se moquait des apparences et en rajoutait souvent. Par contradiction je me drapais dans un conformisme outré. Tout était bon pour m'opposer à lui : face à ce père italien, méridional, je m'entichais de tout ce qui venait du Nord de l'Europe. Il avait été champion universitaire de natation, avait joué au rugby à Bègles et rêvait de yachting avec ses fils, je m'obstinais à manquer les cours d’éducation physique au lycée (sa bonté était telle qu'il me signa sans rechigner toutes mes dispenses de la 6e à la terminale...). Je prétendais détester monter à cheval alors que je ressentais depuis toujours une attirance profonde pour les chevaux et rêvait de promenades avec lui, de chasses et d'attelage... Bref, tout était bon pour le contredire et le défier...

Peu à peu, devenant homme à mon tour, je pensais en savoir autant que lui. Je passais mon temps à le juger. Je refusais aussi de voir qu'il était malade et que ses jours étaient comptés. J'avais presque vingt-cinq ans mais j'étais encore un enfant dans ma tête. Inconscient, je vivais avec tout l'égoïsme dont on est capable quand on grandit dans un milieu fortuné, avec une grande maison hors du temps, des domestiques... Il tenta souvent de me parler, de me ramener dans la réalité. Je croyais qu'il voulait m'empêcher de rêver.
 
Sa mort fut un révélateur. Le chagrin ne vint pas tout de suite. Il était depuis tellement longtemps absent. Il ne sortait plus de l'hôpital que pour quelques heures le weekend, et sa présence bouleversait le calme ordonnancement de nos jours. Quand il était à la maison, une angoisse terrible nous étreignait tous. Sur la maison auparavant joyeuse et bruyante flottait un sombre silence palpable comme un brouillard glacé. Nous reprenions enfin notre respiration quand, le lundi matin, il reprenait le chemin de l'hôpital.

Une semaine avant sa mort - j'allais fêter mon anniversaire - il insista pour que nous allions nous promener en voiture. Seuls, tous les deux. Il roula le long des quais de Bordeaux pour arrêter la voiture finalement à l'entrée des Bassins à flots. Il faisait doux, avec une petite brise parfumée qui donnait envie de prendre le large. Là, en marchant, il me parla. Pour la première fois, je n'étais plus à ses côtés le petit enfant qu'on protège de la vie : nous étions deux adultes, lui au terme de sa vie terrestre, moi son fils cadet, au seuil de tous les commencements. De tous les possibles. Je sentais son émotion. Elle me prenait peu à peu. Il savait sa fin proche. Je ne sentais rien qu'un malaise et la lourdeur de l'atmosphère à la maison. 
 
Longtemps je ne me suis plus souvenu des paroles qu'il m'adressa ce soir-là, face à la base sous-marine. Le lendemain, jour de mon anniversaire, il passa la soirée seul dans le grand salon, incapable de se lever. Surtout parce qu'il voulait cacher sa peine. Il savait que c'était notre dernière réunion de famille avec lui. Quand je suis allé le remercier pour les cadeaux, il m'a embrassé et nous nous sommes dit bonne nuit. C'était la dernière fois que je le voyais vivant. 

Une semaine après, il m'appela à son chevet. C'était le soir. J'avais du travail à finir pour la fac avant d'aller retrouver mes amis au cinéma. Je refusais d'accompagner ma mère et mon frère... On ne me fit aucun reproche mais je vois encore le sourire triste de ma mère et le regard désapprobateur de Madame B., sa secrétaire. Il mourut en milieu d'après-midi ce jour-là. C'était le 6 novembre 1980. 
 
Vers 17 heures, alors que nous allions prendre le thé dans le grand salon. Nous attendions des nouvelles. La secrétaire demanda à me passer une communication. Je pris le combiné. C'était mon oncle, le plus jeune frère de papa, au bout du fil. Sa voix tremblait. Elle était comme cassée. Je me souviens avoir respiré profondément en fermant les yeux. La nouvelle me transperça. Je sentis confusément qu'un monde s'écroulait soudain, là dans ce joli petit salon aux boiseries blanches et qu'en même temps il me fallait naître à la vie. Sa mort m'y aidait. Madame B. comprit en me voyant pâlir. Je m'entendis lui dire «mon père vient de mourir ». Elle fondit en larmes. Il y eut aussitôt une sorte de confusion dans le salon d'attente, le remplaçant sortit du cabinet suivie d'une patiente. Maria, notre bonne, se mit à sangloter.  «"Moussiou lou doutor est mort, moussiou lou doutor est mort»" répétait-elle écroulée sur une chaise, cramponnée à son tablier de taille en dentelle qu'elle portait pour le service. Dans sa douleur elle le déchira. J'avais presque envie de rire en la consolant. Je la revois quelques heures plus tard,  assise dans la grande cuisine en train de le recoudre, pleurant toujours. René, à l'autre bout de la table fumait une cigarette. Il se leva quand j'entrais dans la pièce et, les yeux rougis, il me prit dans ses ses bras sans un mot.Peu après ma mère rentrait de l'hôpital avec mon frère.Leurs yeux rougis et leur mine défaite parlaient pour eux. Je ne me souviens plus de rien après cet instant où je les vis pénétrer dans le salon d'attente...
 
Les jours qui suivirent passèrent comme un mauvais rêve. La maison ne désemplissait plus. Télégrammes et lettres s'entassaient sur le bureau de la secrétaire. Beaucoup de gens appelaient, on recevait des fleurs... Je mesurai combien il était aimé. Puis la vie reprit son cours. Les amis revinrent à la maison, je recommençais de sortir, abandonnant ma mère à sa tristesse résignée. Je redevenais une sorte de Peter Pan, toujours guilleret et superficiel. Je ne pensais presque plus à tout cela. Un soir pourtant, un mois après son enterrement, la réalité dans sa dureté allait m'éclater à la figure. j'étais dans mon lit. La maison était silencieuse. C'était l'heure où mon père, montant se coucher passait dans le couloir devant ma chambre. Comme un rite, chaque soir, je lui criais un «bonne nuit papa» auquel il répondait toujours de la même manière et au même endroit, juste derrière ma porte, en éteignant la lumière du couloir. Ce soir-là, je réalisais que jamais plus je n'entendrais ses pas sur le long tapis du couloir, que plus jamais le déclic du vieil interrupteur de faïence ne ferait le lien entre nos deux cœurs et je fondis en larmes, son image devant moi, imposante et rassurante, comme lorsque j'étais petit et que sa silhouette apparaissait dans l'encadrure de la porte et qu'il venait m'embrasser avant dormir...

Dans les mois qui suivirent, il fallut faire face à mille difficultés. Peu à peu la maison se vida. Le cabinet ferma faute d'un successeur. La grande tapisserie des Flandres de la salle à manger laissa la place un grand trou noir dans la boiserie d'acajou, des tableaux furent décrochés et vendus à leur tour. Nous nous préparions à quitter la grande maison du Pavé des Chartrons. Quelques mois plus tard, moi le jeune bourgeois snob et casanier, incapable de rien faire sans ma bande d'amis, je décidais de partir poursuivre mes études à Venise. 
 
Une phrase qu'il avait prononcé lors de notre ultime promenade m'était revenue soudain : « Surtout prends garde de ne choisir que le chemin dont tu as vraiment envie. Mais une fois engagé sur cette route, va jusqu'au bout, même si cela doit s'avérer difficile et douloureux. Il ne faut jamais renoncer à ce que l'on est. Cela nous fait souffrir et surtout cela fait souffrir les autres dont nous avons la responsabilité »... J'ai mis presque trente ans pour comprendre vraiment le sens de ses paroles et pour que je m'applique enfin à tenter de les mettre en pratique.

Il avait à peine 59 ans. J'aurai tant aimé mieux le connaître, mieux le comprendre, le soutenir parfois et lui dire combien je l'aimais et combien j'ai toujours été et suis plus que jamais fier de lui.
 
Parrocel, La Mort du vieux Tobie

 
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08 octobre 2012

La disparition d'un rescapé de l'horreur : Schlomo Venezia

Son nom de famille était Venezia. Juif italien né à Salonique (Grèce), Shlomo Venezia, déporté à Auschwitz-Birkenau à 20 ans où il fut affecté au Sonderkommando, ces équipes qui sous la contrainte, vidaient les chambres à gaz et alimentaient les crématoires. Il s'est éteint le 1er octobre. Il avait 88 ans. C'était l'un des derniers survivants de Birkenau. Il a laissé un extraordinaire et poignant témoignage dans un livre préfacé par Simone Veil.

Il n'y a rien de commun entre cet homme et la Sérénissime, sinon le patronyme que sa famille choisit de porter au début du XXe siècle, sauf que les siens avaient certainement vécu dans le ghetto de Venise autrefois. Tramezzinimag souhaitait lui rendre hommage car il était l'un des derniers survivants de ces Sonderkommandos que les nazis avaient chargé de la pire besogne, vider les chambres à gaz et transporter les cadavres vers les fours crématoires. Nous publions un entretien qu'il accorda à Jacques Fortier pour le journal Le Monde :

«- Vous dites dans votre livre que vous n'avez commencé à parler que tard. Pourquoi ?
- J'avais écrit avant. Mais je n'en avais jamais parlé. C'est en 1992, quand à Rome où je vis, sont apparus des signes d'antisémitisme, que je me suis interrogé et que j'ai pensé témoigner. J'ai été sollicité alors pour accompagner des juifs à Auschwitz. J'ai proposé d'y aller avec un ami italien, dont le père avait été dans les Sonderkommando avec moi à Birkenau. Nous avons accompagné des groupes. Le premier, je m'en souviens, c'était le 4 décembre 1992. J'ai commencé à témoigner dans l'autobus. Sur place, tout était blanc de neige. Quand nous sommes arrivés devant les crématoires, je ne les ai pas reconnus : les nazis avait tout détruit à leur départ. Mais, c'est depuis que je parle dans les écoles et dans des voyages aussi.
- Comment êtes vous devenu Sonderkommando ?
- Ils ont choisi des hommes jeunes et valides pour un travail alors que nous étions en quarantaine. Nous ignorions quel travail. Nous espérions seulement qu'il nous permettrait de manger un peu plus. Ils nous ont demandé nos métiers, j'ai dit que j'étais coiffeur... C'est un camarade qui m'a expliqué ensuite ce qu'était ce travail, et qui m'a dit aussi que, tous les trois mois, nous serions sélectionnés, donc que certains d'entre nous seraient tués.
- Comment réagissez-vous quand vous entendez des négationnistes nier la Shoah ?
- Je suis prêt à accompagner là-bas ceux qui n'y croient pas, à expliquer exactement ce que nous avons fait, à montrer les lieux. On a commencé dans un petit bunker, puis on en a construit quatre autres, une vraie fabrique. Les négationnistes disent que ce n'était que pour de la désinfection. Tout ça ! Sérieusement, on peut dire tout ce qu'on veut, moi, je l'ai vu et je dis ce que j'ai vu ! Un groupe de 1.500 personnes était tué, puis brûlé en trois jours...
- Vous êtes un témoin direct. Pour les nazis, vous étiez un homme qui devait mourir. Vous y avez échappé en vous confondant avec d'autres détenus. Vous avez vécu l'horreur. Au soir de votre vie, vous êtes optimiste sur l'être humain ?
- Par nature, je suis pessimiste. Et je me demande parfois si le monde n'est pas fou ! Après tout ce qui s'est passé, les hommes n'ont pas compris la brièveté de la vie. Mais, ceci dit, j'espère bien, pour mes enfants, pour mes petits-enfants, des lendemains meilleurs.»
 
La RAI a présenté ce soir (TG1 Speciale) le documentaire qui lui avait été consacré et qui devrait être montré inlassablement aux jeunes générations afin de ne jamais oublier ce que des hommes ont pu faire à d'autres hommes, en plein XXe siècle.
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Schlomo Venezia, Sonderkommando, dans l'enfer des chambres à gaz,
préface de Simone Veil, éditions Albin Michel.

30 septembre 2012

Le gardien du pont

  

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.«Holà, personne ne passe ! J'ai dit".
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Étrange, ai-je vraiment entendu ce chat parler ? Personne alentour. Juché sur la rambarde du pont de bois, un matou bien en chair me regarde. Le regard se fait sévère. Il veut faire le gros dur méchant, mais je sens bien qu'il a du mal à y faire croire. C'est un débonnaire, un brave félin. J'avance en dépit de l'injonction et monte quelques marches.  
«Halte-là ou je griffe !»
 
Cette fois-ci j'en suis sûr, c'est bien le chat en face de moi sur la rambarde du pont, qui parle Une voix à la sergent Garcia. C'est bien à moi qu'il s'adresse. Je ne suis pas Zorro. 
 
Prudent, je m'arrête net. J'hésite. Le chat me fixe, hautain. Silence. Nous nous observons. Soudain je vois comme un sourire illuminer sa belle tête, ses moustaches frémissent de contentement.

« Bon allez je rigole. Faut bien qu'on s'amuse ici, il ne passe presque jamais personne. C'est rare à Venise mais ici c'est comme ça. Alors je m'ennuie un peu. caresse moi si tu veux passer ! Je ne vais pas te griffer !» .. 
 
Aussitôt dit, aussitôt fait, le matou-sergent se met à ronronner de plaisir.  Un de ses copains un peu plus loin, le chat gris, maître du squero voisin, semble se marrer :
 
« Tiens, le sergent a encore fait le coup à un passant ! »
 
Il nous regarde un moment avec bonhommie puis se retourne pour mieux s'endormir sous le doux soleil de septembre. Instantané du quotidien à Venise, quand on sort des sentiers battus par les hordes de touristes et qu'on se promène le coeur et l'esprit disponibles...
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Clichés © Yves Bauchy -Tous Droits Réservés.  




 

Les 7 commentaires: n'ont malheureusement pu être retrouvés. La Wayback Machine a cessé d'enregistrer les pages de commentaires à partir de janvier 2009. Quelques uns des messages envoyés directement sur le site par les lecteurs étaient dirigés vers la boîte mail du site jusqu'n 2013 mais peu ont été archivés. Jusqu'en 2010, les blogs étaient avec FaceBook, le medium le plus lu et suivi. Les commentaires créaientd e véritables forums d'échanges d'idées et parfois aussi de polémiques. C'était vivant, constructif et instructif de l'opinion générale et du mélange d'idées, de générations et de sensibilités. Tramezzinimag a été pendant ces années un espace très lu, devenu en quelques années une référence et un outil pour les enseignants, les journalistes. Nous en sommes terriblement fiers , reconnaissants et heureux.

28 septembre 2012

Venise au quotidien


©  Enzo Pedrocco - Venise au petit matin.

 

1 commentaire :  

 

Nathanaëlle 

Cette photo est touchante, on se croirait en un temps indéterminé du XXe siècle, peut-être les années 50 ou 60, mais pas en 2012. C'est ce contraste qui est touchant, nous utilisons un caddie à la déco super sympa, mais plus pratique et maniable que le "diable" des religieuses (désolée, cela se nomme ainsi) pour aller au marché, tandis qu'elles utilisent ce qui leur permettra de ramener leurs courses, même si leur caddie n'est pas "tendance". J'aime beaucoup cette photo. Bon week-end !

29 septembre 2012 

27 septembre 2012

« I Nua», un petit moment de paradis

C'est un véritable trésor que Tramezzinimag a la joie de vous présenter aujourd'hui. Remastérisé, ce documentaire retrouve toute la fraîcheur particulière du cinéma italien de l'après-guerre. 
 
Après avoir visionné ce merveilleux petit film de Francesco Pasinetti, primé à la Mostra en 1952, on ne peut que se sentir bien. Un peu nostalgique aussi à la vue de cette Venise désormais disparue, engloutie par les temps modernes et son cortège de maléfices : pollution, tourisme de masse, exode et perte des traditions... Les images défilent sur une musique de Virgilio Chiti et la belle voix qui récite le magnifique poème de Domenico Varagnolo (1882-1949) qui a inspiré le film, est celle de Cesco Baseggio, un acteur très connu en Italie qui se rendit célèbre pour ses interprétations du personnage de la Commedia dell'arte, le fameux Pantalon.

Comme on le voit un moment dans le film, avec un plan fixe sur un panneau, la baignade dans les canaux était déjà interdite dans les années 50. Déjà du temps de la République les plongeons n'étaient pas autorisés et les autrichiens renforcèrent, sans grand succès, l'interdiction. Lorsque le temps se fait si lourd et humide que l'on ne tient plus même à l'ombre dans les maisons, les enfants de Venise ont toujours apprécié de se rafraîchir, même lorsque les bains de mer n'étaient pas en vogue. Au XIXe siècle, quand une grande partie de la population vivait dans la misère, les gamins des quartiers pauvres s'amusaient à plonger pour attirer les touristes qui leur jetaient des pièces. 
 

Le texte, I Nua (les nageurs) composé en dialecte vénitien, est une pure merveille. L'auteur a su avec les mots de son peuple, faire surgir des images que le cinéaste a cherché à matérialiser et que la magnifique diction de Baseggio embellit : cette nuée d'enfants rigolards, la force suggestive du noir et blanc rend encore plus forte la sensation de chaleur pesante, et on retrouve cette atmosphère unique qui disparait peu à peu à Venise, quand tout le monde savait se réjouir des petits bonheurs du quotidien, comme batifoler dans l'eau qui n'était pas encore empoisonnée ou remplie de pantegane, ces énormes rats marins qui sont parfois plus gros que des gros chats. 
« Xe un zorno de lugio, el tempo xe beo, no core na nuvola la suso nel cielo, no tira un fià d'aria, ma un sol malignaso dal qual no xe caso poderse salvar, ne passa el capeo, ne arde el cervelo, ne fa delirar, xe l'ora del sofego e della brusera, gh'è i muri che boje e scota ogni piera, i oci che lacrima, vien seca la gola, le gambe se incola, le stenta a obedir, al moto più picolo se ansa, se sua, se supia, se spua, me par de morir.»
«C'est un jour de Juillet, le temps est beau, pas un nuage ne court dans le ciel, pas un souffle de vent, mais un soleil insistant auquel personne ne peut échapper, qui pénètre à travers les chapeaux, brûle les têtes et pousse au délire. C'est le temps où l'air stagne et la chaleur devient étouffante, les murs sont brûlants et les pierres bouillantes, les yeux pleurent, la gorge est sèche, les jambes collent et ont du mal à obéir, le moindre mouvement rend la respiration haletante, on transpire, on souffle, on crache, on croit qu'on va mourir.»
«I rii che internandose fra campi e calete i taja Venexia in cento isolete i ga l'aqua tiepida e cossa assae rara, l'è bela, l'è ciara, la cresse pianin, xe proprio la colma, e la sula riva de boto la riva al quinto scalin, se vede un fio picolo a poca distansia, streta na corda atorno a la pansa, ch'el par na bondola molada nel brodo, che cerca ad ogni modo de sora restar, a trati afidanse a un toco de tola, ch'el sternse, ch'el mola, ch'el torna a ciapar...»
«L'eau des canaux qui se faufilent entre campi et ruelles de Venise,  la découpant en une centaine de petites îles, est belle. Elle est chaude et, c'est très rare, elle est claire.  Elle monte peu à peu. La marée est presque haute, elle déborde sur la rive et touche presque la cinquième marche sur le quai. Non loin de là, on peut voir un enfant avec une corde nouée autour de sa taille. On dirait une saucisse qui trempe dans un bouillon. Il essaie de rester à flot par tous les moyens.  de temps en temps, l'enfant s’appuie sur ​​une planche, la tenant serrée, puis la lâchant, la reprenant...»
«Un altro po' capita più svelto, più scaltro, e a quelo fa seguito un altro e po' un altro, insoma into un atimo la riva xe piena, i xe na trentena parola d'onor, de grandi, de picoli, de mogi, de suti, de bei e de bruti, de ogni color, el rio se scombusola, l'è tuto un misioto de brasi, de gambe, de teste in cramboto, chi quieto se snanara, … chi soto se cassa e beve salà, chi va come el fulmine par drito e par storto, chi invece fa el morto la ben destirà,»
«Arrive alors un autre enfant plus habile, plus intelligent qui est suivi par un autre, puis encore un autre. En fait, instantanément la rive est pleine d'enfants.  Parole d'honneur, ils sont une trentaine, des grands, des petits, des tous mouillés ou des déjà secs, des mignons et des très laids, des garçons de toutes les couleurs.  Le canal est perturbé, ce n'est plus qu' un mélange de bras, de jambes, de têtes. Il y en a qui crapotent, d'autres qui nagent paisiblement comme le font les canards, d'autres qui plongent et avalent de l'eau salée, certains filent en zig zag comme des anguilles, un autre fait la planche bien à plat sur l'eau...»
«Dal ponte i più pratici se butta vardando chi l'aqua buta più alta, tre quatro se struscia intorno a un palo, i monta a cavalo, i va a rodolon, e altri co impeto se buta in schenada, sguazzando la strada con un gusto baron...»
«Les plus intrépides plongent du pont regardant à qui fera jaillir le plus d'eau, trois ou quatre s'enroulent autour d'un poteau, se mettent à califourchon et se lancent dans l'eau, d'autres se jettent en arrière, éclaboussant la rue comme le font avec délice tous les gosses... »

© Traduction (approximative) Tramezzinimag.


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Les Idées Heureuses

Il y a une plaque commémorative de ce grand artiste, Cesco Baseggio à la fondamenta di Borgo où il vécut de 1911 à 1934.

Une Venessia que l'on aurait aimée connaitre.

Martine de Sclos  

29 septembre 2012

Les Idées Heureuses

Serait ce trop vous demander en temps bien sûr...de continuer d'écrire le texte avec la traduction, j'ai cherché veinement sur le net le poème...ce qui m'a fait passer par de jolis chemins de "traverse" mais nenni sur le poème.

C'est tellement agréable d'écouter, de lire et de comprendre cette prose si chantante dans ce dialecte si particulier....et puis j'apprends ainsi quelques rudiments!

ça y est je me suis inscrite à des cours d'italien, enfin, je commence jeudi.

Merci de tout coeur.M de Sclos

29 septembre 2012

24 septembre 2012

Un lundi sans histoire


La Ve Variation dans le style italien de Johan Sebastian Bach résonne dans l'escalier. Un ritornello guilleret, qui n'est pas sans rappeler Antonio Vivaldi, accompagne le soleil de cette matinée. Le premier jour de la semaine. Pallier le manque d'entrain après un dimanche trop court, d'heureux moments trop vite passés, par la joie du renouveau, la liberté d'une page blanche. Passer l'aspirateur, faire un brin de poussière - elle revient tellement vite - sortir la planche à repasser et le panier de linge pour ne plus remettre à plus tard l'inévitable corvée. La liste des courses qu'on aurait dû faire samedi. Il faisait tellement beau, l'air était chaud comme au beau milieu de l'été. Le ciel pourtant n'est plus tout à fait le même. Le bleu s'est fait plus clair, des nuages se rapprochent. Il pleuvra sûrement aux alentours de midi. En attendant, par les fenêtres ouvertes, le vent nous porte les bruits familiers, le chant des oiseaux, le roucoulement d'une colombe, le bruissement des feuilles, le bavardage des ménagères en bas dans la rue, le cri du facchino qui pousse son lourd chariot rempli de victuailles... 
 
 
Le son des cloches du campanile voisin rappelle à l'ordre. Le temps passe et nous sommes en Automne. J'aime le terme utilisé par les américains, the Fall qui est toujours associé dans mon esprit à la beauté de New York quand les feuilles jaunissent et que la lumière devient plus douce, enrobant toute la ville de faisceaux dorés que la pluie renforce et embellit. Le paysage urbain qui s'offre à la vue des passants devient comme une laque précieuse. Mais je suppose qu'on peut dire cela de toute ville en automne. 

A Venise, la lumière est belle chaque jour. Avant l'orage quand tout devient orangé et métallique, sous la pluie, les couleurs se diluent et c'est presque une vision monochrome qui nous apparait. Quand il neige, le silence amplifie l'aspect magique des formes immaculées qu'une silhouette sombre fait irradier par contraste. Il est tellement difficile de décrire la ville quand on n'est pas peintre soi-même, ou simplement photographe. C'est vrai qu'ici tout devient différent à cause du silence. Non pas que Venise puisse être considérée comme une ville sans bruit. Bien au contraire, mais l'absence de véhicule dans les rues modifie notre perception de l'espace. Seul parfois, le grand canal et son trafic peut rappeler la ville moderne avec ces nombreux bateaux de toute taille et de toute sorte qui vont tous à une allure différente. Car les gondoles ont exactement l'allure et le rythme des gens qui marchent.  Je ne crois pas qu'il existe au monde une autre ville dont la vie s'écoule à ce point à une allure unique. Ce rythme commun à tous influe forcément sur le regard que nous posons sur la ville elle-même. Cela dérange parfois et je connais de nombreux esthètes qui préfèrent à Venise l'effervescence de Trieste ou de Florence. Rome, c'est encore autre chose qui parfois selon moi s'assomiglia à la Sérénissime.


..Le ménage se ralentit. Une altercation en bas dans la rue entre un gondolier et un livreur. Je ne sais pas le motif de leur dispute, mais cela semble fondamental puisque tout le monde s'en mêle. A chaque fenêtre, une tête se penche, parfois quelques uns se mêlent au débat. Les cris ne durent qu'un moment. Le calme revenu, on entend de nouveau le chant des oiseaux et le souffle du vent dans les arbres du jardin. Nous irons déjeuner à la Rosticceria San Bartolomeo, cette tavola calda où j'ai mes habitudes depuis le temps où j'étais étudiant ici. Leurs polpette sont divines. un plat de lasagne et un verre de vin blanc, nous irons ensuite prendre un café sur le campo Santa Maria Formosa, délice toujours renouvelé d'un macchiato pris tranquillement sur la terrasse, si la pluie, bonne fille, veut bien attendre encore un peu. Sinon nous le boirons debout au comptoir ce café. Et si on se laissait tenter par leur grappa. Nous la boirons en l'honneur du vainqueur de Lépante qui vivait là, quelque part au-dessus du bar. 

Nous irons ensuite farfouiller dans quelques librairies, mais le meilleur de l'après-midi sera le temps passé à la bibliothèque de Querini Stampalia. L'atmosphère unique de ces lieux si calmes, remplis d'un silence plein de vie. Cette sensation de plénitude, on la ressent bien davantage encore les soirs d'automne, quand la nuit recouvre la ville et que, par les fenêtres ouvertes les odeurs du jardin se répandent dans les grandes salles, se mêlant à l'odeur des livres et au parfum de la cire qui fait briller les sols et les meubles.


L'art et la beauté sont partout ici. Le dire une fois de plus après les plus grands poètes semble incongru. Même la laideur de certaines façades abandonnées, les plus ordinaires bribes de vie prennent une dimension esthétique que l’œil ne peut manquer de remarquer. Mes lecteurs le savent bien qui me lisent  souvent et savent combien je me régale de tant de petits riens, parfois drôles, parfois sordides que la lumière, l'air, le silence ou les bruits de la ville magnifient. Un couple qui marche dans une ruelle tranquille éveille en moi le souvenir d'un tableau de Guardi. La tâche rouge du vêtement de la femme en est certainement l'élément déclencheur. on trouve souvent dans les petits tableaux que le védutiste réalisait dans son atelier, pour les touristes de son époque, une tâche rouge qui donne vie à toute la composition et met en valeur le reste du décor, fait de bruns, de jaunes et de verts. La cape d'un passant ou le store pourpre qui pend d'une fenêtre et un joli ciel d'azur nimbé de petits nuages pommelés se retrouvent souvent. 
 
 
Penser à Guardi un lundi matin, avec la musique italienne de Bach fait vagabonder mon esprit. je ne suis plus dans cet appartement moderne où peu d'objets rappellent la grande époque de l'art de vivre vénitien. Pourtant, je m'imagine bien vite dans un salotto du settecento aux parois tendues de velours de soie - l'annonce d'un certain XIXe avec son goût pour le chaleureux et l'intime - de grandes fenêtres ornées de ce verre soufflé en forme de cul de bouteille qui renvoie avec la lumière de fascinants rayons de toutes les couleurs. De gros meubles en marqueterie, un miroir peint. Et, près de la cheminée, devant un guéridon d'acajou, une jolie jeune patricienne qui joue aux cartes avec un vieil abbé ami de la famille. La jeunette songe au garçon bien fait qui lui fait un brin de cour à la messe... Là encore, d'autres ont bien mieux que moi su décrire ces scènes qui s'éveillent en rêves dans nos cœurs rendus fantasques par l'air qu'on respire à Venise.
 

 

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14 septembre 2012

Qui saura dire où a été prise cette photo ?


Un cadeau surprise pour la première personne qui saura retrouver le nom et l'emplacement des lieux photographiés ici.

6 commentaires:  

  Malheureusement non retrouvés au moment de la republication de ce billet 

12 septembre 2012

Touristes solidaires : Signez la pétition contre les grands navires à Venise !

Amis lecteurs, c'est la guerre et nul ne peut se voiler la face : Venise est vraiment totalement et à chaque instant menacée et nous devons tous réagir avant qu'il ne soit trop tard. J'invite tous ceux qui seront à Venise le 16 septembre à se regrouper à la pointe de la Douane et aux Zattere pour participer à la grande manifestation organisée par le peuple de Venise contre les navires de croisière qui circulent chaque jour par dizaines désormais dans les eaux de la lagune représentant un facteur de pollution énorme et un danger pour les monuments comme pour les populations. 

La Régate Historique à peine achevée, les premiers paquebots se présentaient devant la place Saint Marc, avançant au milieu des frêles esquifs des vénitiens venus participer à la fête, au risque de faire chavirer ou couler une des barques. Forts du laxisme des pouvoirs publics, de la protection qu'ils reçoivent des institutions financières régionales et du gouvernement italien (propriétaire du port et des eaux lagunaires), les compagnies maritimes concernées affichent un mépris scandaleux pour la protection de la cité des doges, de son environnement et de sa population.
 
On ne sait pas assez que ces vendeurs de rêve ne respectent rien, à commencer par les règles élémentaires de navigation (on l'a vu avec le naufrage du Costa machin), du sauvetage en mer (quand un passager tombe à l'eau, le navire continue sa route sans même ralentir se contentant d'avertir les autorités portuaires les plus proches de l'accident). Il suffirait d'une avarie technique au moment des manœuvres à l'entrée du canal de la Giudecca pour qu'un bateau s'échoue au milieu des immeubles des Zattere, voire même chavire sur la façade du palais des doges. Les fumées que ces navires produisent polluent autant que les cheminées des raffineries de Marghera heureusement presque toutes disparues aujourd'hui.


Peu à peu le monde entier se rend compte du danger que ces navires gigantesques font courir à la Sérénissime. Partout des articles fleurissent qui dénoncent l'immobilisme des autorités italiennes. On en parle même dans le couloirs de l'ONU Dit-on ! Une pétition internationale (ICI) circule sur le net depuis plusieurs mois, elle est adressée au gouvernement propriétaire et responsable du port de Venise et des eaux lagunaires. L'initiative récente d'un parlementaire italien, Felice Casson qui a déposé un projet de loi permettant à la cité de Venise de retrouver la pleine jouissance et gouvernance des eaux de la lagune et la propriété de son port, si elle aboutissait permettrait de revoir cette situation pericolosa. Encore faudrait-il que les édiles locaux aient une réelle volonté d'agir contre ces sociétés de navigation qui sont la honte de la profession, gigantesques machines à pognon pour qui le client importe autant qu'une huître au milieu de l'Adriatique. A Venise comme ailleurs, la dégénérescence des esprits et l'opportunisme des politiciens au pouvoir assujettis la plupart à ce délirant et abject lucrum infinitum, déjà dénoncé au moyen-âge - la poursuite indéfinie du gain sans raison morale et «absorbant toute l'activité des facultés humaines» comme l'écrivait un éminent historien de l'économie - qui est hélas devenu le leitmotiv absolu de notre monde. Chacun à notre niveau, agissons et agissons vite ! 
 

2 commentaires: 

 Veneziamia a dit :C'est David contre Goliath, mais finalement qui a gagné ? Il faut espérer que le trop court reportage aux JT de TF1 fassent réagir et que les choses changent rapidement. Je serai à Venise lundi, hélas trop tard pour manifester avec les vénitiens et j'espère aussi les touristes présents. J'ai bien sûr signé la pétition et l'ai fait signer à mes connaissances. Contre les puissances de l'argent, de l'inconscience et de la bêtise nous ne serons jamais trop actifs.

13 septembre, 2012

Veneziamia a dit : gelinotte : essayez par ce biaishttp://www.petitionenligne.fr/petition/petition-populaire-hors-de-la-lagune-les-navires-incompatibles/251213 septembre, 2012


10 septembre 2012

E finità la Mostra... Qui s'en est rendu compte ?

Peu d'éclat décidément dans cette 69e Mostra du cinéma. Les derniers projecteurs éteints, le tapis rouge enlevé, il ne restera pas grand chose de ce cru médiocre. Est-ce la faute au temps ? à la crise ? au monde qui change trop vite pour le doyen des festivals de cinéma. Le cœur semble avoir manqué aux festivaliers, même si les médias nous ont inondé de photographies de stars tous sourires et que les échos de certaines projections laissèrent à penser qu'il y avait du bon, du vraiment très bon. 

Mais ne soyons pas grincheux. La période est morose certes, mais l'espoir d'une sortie prochaine de la crise voire l'imminence d'un sursaut d'inventivité et de créativité dans tous les domaines ne doivent pas être exclues. L'homme a toujours été capable du meilleur autant que du pire. Et puis il y a eu de bonnes choses au Lido durant ce festival. Beaucoup d'artistes avaient répondu présent et le cinéma français était là, comme toujours, moins vif et ardent que dans les années 80, mais l'industrie cinématographique française tient son rang avec des acteurs vieillissants mais toujours valeurs sûres, même si cela n'a plus rien à voir avec la grande période Unifrance avec Daniel Toscan du Plantier et Jack Lang !

Le Lion d'Or décerné au sud-coréen Kim Ki-Duk est un bon choix. Le réalisateur du magnifique «Printemps, été, automne, hiver... et printemps» a présenté à la Mostra son magnifique « Pietà » qui a été très bien reçu par le public. A Venise, en dépit de la peopolisation de la manifestation, le public lambda qui peut voir les films pratiquement en même temps que les invités, les journalistes et le jury, se trompe rarement dans ses choix. Film dur que ce Lion d'Or 2012, histoire passionnelle d'amour et de vengeance filmé avec une grande maîtrise et beaucoup d'inventivité. Le coréen avait déjà reçu un lion d'argent en 2004, pour «Locataires», un autre très beau long-métrage. Mais le film qui a marqué les esprits restera «The Master» de Hoffman.

La venue de Gérard Depardieu pour le film «L'homme qui rit», m'a rappelé cette Mostra où Maurice Pialat présentait «Police». L'acteur était venu en compagnie de son fils Guillaume, à peine âgé de quinze ans, aujourd'hui disparu hélas.


Pour ceux qui ne seraient pas au courant du palmarès, parmi les 18 films en compétition, le jury, présidé par Michael Mann, a décerné les prix suivants :
  • Le Lion d'Or : Pieta, du réalisateur sud-coréen Kim Ki-Duk.
  • Le Lon d'Argent du Meilleur Réalisateur : Paul Thomas Hoffman pour son film The Master.
  • Prix du Meilleur Scénario : Olivier Assayas avec le film  Après-Mai.
  • La Coupe Volpi du Meilleur Acteur : ex-aequo Joaquin Phoenix et Philip Seymor Hoffman, pour leur rôle respectif dans The Master.
  • La Coupe Volpi de la Meilleure Actrice : Hadas Yaron pour Fill the Void.
  • Prix spécial du Jury : Ulrich Seidl pour Paradis : Amour.
  • Prix Marcello Mastroianni du Meilleur Espoir : Fabrizio Falco pour ses rôles dans La Bella Addormentata de Marco Bellochio et E' Stato il Figlio.
  • Prix de la Meilleure Composition technique : Daniele Cipri avec Mon père va me tuer.