24 novembre 2016

Journal. Eté 2016. Extraits


Mardi 19. 
9 heures. Il fait doux dans le jardin des chats, petit lieu secret ou j'aime venir depuis mon retour ici. Chaque jour ou presque, j'y viens passer un moment. Les chats commencent à me connaître et sont moins méfiants. Un jeune félin presque noir s'est installé sur le même banc que moi, sans aucune crainte. Il se lèche avant de commencer sa sieste. Toujours le chant des grillons qui semble vouloir se mesurer à la soufflerie de la climatisation. J'aime cet endroit loin des touristes et de l'animation du monde. Il y a certes des visiteurs mais, ils ne font jamais que passer et rares sont les gens qui s'attardent. Je peux y lire et écrire dans la plus grande tranquillité et même y somnoler. Comme mes amis chats qui eux aussi somnolent. 


Parmi eux, il y a un vieux matou que j'aime beaucoup. Il a dû été particulièrement beau avec son pelage écaille de tortue. Pas assez long pour être un persan, un angora dirions-nous. Il est vieux et malade. Ce matin, bien qu'il soit toujours à l'écart des autres, le poil sale et emmêlé, qu'il ne lèche plus depuis longtemps. Mais il a l'air un peu mieux ce matin. Accroupi plutôt que couché à l'ombre près de la barricade de pierres de l'ancien bâtiment, il m'a honoré d'un regard quand je suis arrivé. Avant, il se serait enfui. Il fait ainsi provision, encore davantage que ses congénères en parfaite santé, d'énergie et de force pour lutter contre le mal... Les chats malades ont cet air particulier du patient résigné qui attend la prochaine piqure. Il souffre c'est visible, mais davantage d'un dérangement général du corps que d'un mal-être, d'une angoisse qui malheureusement s'emparent le plus souvent des humains gravement malades. Lui sent qu'il approche de la fin. Pourtant, tout en lui semble vouloir résister. Le regard qu'il a levé sur moi n'était en rien implorant. Plutôt déterminé. 


Ne dit-on pas que les chats ont plusieurs vies ? En voilà bien la preuve : il sent que ça ne va pas mais il continue, fatigué mais toujours déterminé. Je ne crois pas une seconde que il ne s'agisse que d'instinct. La bête est diminuée, plus ou moins bannie de la colonie des bien-portants mais sans subir aucune hostilité. Les plus jeunes parmi les chats s'approchent même de lui et tentent de jouer avec lui. Il ne réagit pas. Ni violence, ni indifférence. Il n'a pas mal physiquement, plutôt une difficulté à été parmi les autres. Tous les grands malades sont ainsi, leur souffrance les éloigne du reste des humains même de ceux qui leur sont proches et qu'ils aiment. Le vieux chat observe, il aspire tout ce qui est la vie comme si tout ce qui vit et existe autour de lui lui était un supplément d'existence. 



Quand la vie s'échappe peu à peu, un simple rayon de soleil, le rire d'un enfant ou le chant d'un oiseau nourrissent bien mieux qu'un bouillon de viande. C'est ce qui se passe pour ce pauvre vieux chat. Et puis, il doit revoir les moments joyeux de son existence. On sent bien à le regarder qu'il n'a pas eu une vie toujours très facile. Ni heureuse. Mais il y a dans son regard autre chose que la fièvre. Une lumière qui laisse présager la fin imminente et la résignation qui l'accompagne, ou alors la manifestation de la vie qui aura le dernier mot une fois encore, qui reste plus forte que tout et anime encore ce vieux corps. 


Le chat qui dort à côté de moi vient de changer de banc pour se mettre au soleil. Une jolie petite chatte blanche et grise passe devant moi, tête et queue bien droites. Elle court après un papillon. Les grillons se sont tus. Il est presque dix heures, je continue ma promenade. 

22 novembre 2016

Venise inconnue : Le Punk Museum, un musée unique au monde !

On croit tout connaître de Venise, son histoire, ses monuments, ses légendes, ses habitants et tout ce qui a fait son histoire au cours des siècles. Pourtant, derrière les façades somptueuses ou misérables, derrière la communication parfaitement rodée et orchestrée de l'office du tourisme et les informations proposées dans les guides du monde entier, il existe des lieux inconnus, plus faciles à visiter que le monde parallèle de Corto maltese que Hugo Pratt n'a eut de cesse de vouloir nous faire découvrir mais que peu ont su trouver en réalité. Depuis longtemps, Tramezzinimag voulait vous parler d'un musée unique au monde, un lieu confidentiel et privé mais qui s'ouvre parfois pour notre plus grand plaisir. Un lieu étonnant. Détonant aurai-je envie d'écrire : le Venice Punk Museum. Et en plus, ce musée se paie le luxe d'être le plus grand du monde à ce jour ! 


Mais, pour être totalement honnête, vous ne verrez jamais de file d'attente devant l'entrée de ce musée. Pas de réservations individuelles ou de visites guidées pour les groupes. Si la collection existe bien et fait de ce musée le plus important existant à ce jour sur la thématique punk, s'il rayonne dans le monde entier, c'est qu'il rassemble la plus vaste collection de disques, d'affiches, d'ouvrages, de photographies et autres témoignages de cette culture underground devenue une part importante des arts et de la culture du XXe siècle. 

Cette culture, je n'en suis pas un adepte et donc encore moins connaisseur. Le monde du rock et ses succédanés m'est absolument inconnu et cette musique représente seulement un rythme et des sons sur lesquels j'ai aimé danser frénétiquement dans ma jeunesse. Rock around the clock et autres titres plus swing que rock. Rien à voir avec tout ce qui est conservé dans ce musée vénitien et qui s'avère former une véritable culture. En avril dernier, Rock.it envoyait à Venise, Giulia Callino, pour découvrir ce lieu extraordinaire. Un jeune lecteur, étudiant vénitien francophile, à qui je dois plusieurs découvertes dont j'ai pu faire profiter les lecteurs de TraMezziniMag (*) m'informa de la parution de son article. Cet excellent rabatteur ne savait pas à l'époque que ce musée unique au monde ne pouvait accepter de visiteurs puisqu'il s'agit d'une collection privée installée dans l'appartement du collectionneur et directeur du musée. Seuls des musiciens et quelques chanceux sont admis à l'intérieur et cela semble normal. Pour rendre la visite virtuelle du musée, plus vivante et agréable aux lecteurs, je vous propose la journaliste vénitienne Giulia Callino comme guide, via son excellent article. Suivons-là :
 "Les Pistols sont tous ici. ceci est la version anglaise de “Anarchy in the U.K.”, ici la française, ici l'allemande, là l'italienne. Là, la version nigériane et la thaïlandaise. Toutes les versions existantes sont là. Toutes. Où trouver quelque chose de plus exotique ?" 
Ce sont les propos du directeur de cet étonnant musée, en guise d'introduction. Un appartement bourgeois situé en plein Venise, quelque part non loin de la Piazza, avec le lion de San Marco veillant sur la porte d'entrée. Chaque paroi de chaque pièce, du corridor au salon en passant par placards et remises abrite l'immense collection : 75.000 disques (parmi eux des pièces uniques, matrices de disques de groupes célèbres jamais édités, des essais mais des trésors rarissimes), des tas de revues et de fanzines, près de 10.000 posters et affiches, des centaines de photographies et de livres, et des tas d'autres objets de la culture punk, avec notamment la collection complète des t shirts de Vivienne Westwood le tout parfaitement classé et catalogué qui forment un fabuleux trésor à la Ali Baba. Il a fallu près de quarante ans au maître des lieux pour réunir cette fabuleuse collection d'archives qui racontent, comme l'exprime le directeur :
"Toutes les racines du punk, son fil rouge des années soixante jusqu'à nos jours, toutes ses ramifications”...


Visiter le musée, c'est aussi pénétrer un état d'esprit, et apprendre ce que veut dire l'esprit punk. " Se poser la question et uniquement celle-là : qui suis-je ?". Mais il serait trop long de rentrer dans ces détails. La jeune journaliste poursuit :
C'est le plus grand musée du mouvement punk au monde, la plus grande collection existante sur cette terre. Il n'est ni à Berlin, ni à Londres, ni à Los angelès. Au-dessus d'une des portes du corridor siège le lion doré de San Marco, garde silencieux de l'extraordinaire patrimoine conservé en ces lieux, dans cet appartement de Venise. Une lueur brille dans les yeux du directeur quand il parle de son musée : " Ce que vous voez est l'affiche réalisée à la main pour le premier concert de Joy Division. Il a été peint par une étudiante des beaux-arts, qui s'est servie d'une grande feuille de carton où elle était ébauché auparavant l'esquisse d'une paysage. C'est une pièce unique." 
Des trésors donc sont conservés dans cet incroyable musée. Les amateurs seront bluffés d'apprendre que les rushes et la maquette originale de la couverture de Rocket in Russia des Ramones avec le logo d'Arturo Vega, comme la collection 1976 des t-shirts de Vivienne Westwood et ces matrices rarissimes de disques jamais publiés et que l'on ne peut entendre qu'à travers ces échantillons. Le directeur du musée explique :  
"Un collectionneur célèbre dit que même en réunissant l'ensemble des reliques punk conservées partout dans le monde, on n'arriverait pas à un ensemble aussi complet que celui conservé à ici !  Nous avons eu de la chance car au fil des années nous avons pu acquérir des lots complets d'archives. Beaucoup d'artistes ou les familles de certains artistes ont vendu aux enchères toutes leurs archives et nous avons tout récupéré. Cela nous a vraiment aidé à compléter en un temps record des pans entiers de l'histoire du mouvement punk. mais, je vous assure que ce fut une folie."
Que l'on se trouve ici devant quelque chose de fou est indéniable. Tout le confirme quand on parcourt cet appartement rempli jusqu'aux plafonds d'objets dévolus à la musique punk, une quantité impressionnante de memorabilia de ce mouvement musical, quand on découvre les silhouettes en cartons des Sex Pistols entreposées dans la baignoire entourés par des œuvres incroyables, artworks et posters totalement avant-gardistes pour l'époque.
Les premières productions où apparaissent des couleurs fluo, où pour la première fois le nom des groupes masculins étaient en lettres roses, travail de bénédictin de découpage et de collage . Ici, nous avons X3, ici le graphisme des Twilight Zoners...
Mais cette folie est magnifique. née d'une volonté sincère des créateurs du musée : mettre à disposition des curieux et des passionnés un travail de très haut niveau, offrir une documentation unique au monde :
Il y a tout sur chaque période, chaque courant, même les plus infimes et souvent oubliés, mais qui ont compté et ont été à leur niveau constitutifs du mouvement. L'idée est que quiconque voudrait écrire une thèse ou approfondir certains arguments, soit d'un point de vue iconographique que d'une point de vue musical ou historique, puisse trouver ici tout ce qui existe et sur tout ce qui y est rattaché."

Vous l'aurez compris, cette collection si elle est disponible, reste privée et normalement elle ne se visite pas. Elle s'adresse avant tout aux musiciens, aux chercheurs et aux collectionneurs. En dépit de sa richesse, la collection n'est pas exhaustive, aussi le musée continue d'agrandir son fonds, par le biais des grandes ventes de Sotheby’s et Christie’s entre autres... La collection est née par le biais de clubs londoniens rejoints depuis Venise par de longs trajets en train (plus de vingt cinq heures de voyage à l'époque !), les bourses d'échange et les marchés, en fréquentant assidument ceux qui ont fait l'épopée du punk ou y ont contribué...
Tout est né d'un simple petit pas en avant.Même les Sex Pistols et es Ramones, qui semblent la révolution, ne sont que des détails de cette histoire... Il est important de relier entre eux tous ces groupes, tous ces degrés pour comprendre l'importance du mouvement. C'est passionnant. Il faut savoir qu'en 76, le punk n'existe pas et qu'un an plus tard, tout le monde en parle...


Remerciements à Rock.it et à Giuliano Callino.
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(*) : ...Je lui dois notamment la découverte du feuilleton totalement vénitien Ruga Giuffa, du blog de l'étudiante vénitienne qui m'a accusé de plagiat suite à une distraction - la seule en 15 ans d'existence mais cette génération est sans pitié et je la comprends - des lieux que je n'aurai pas forcément découvert seul..., etc.
(**) : ..Lien vers le site de la revue en ligne : ICI 
(***) :.Lien pour le site du musée : ICI

21 novembre 2016

Venise hier et Venise aujourd'hui : combien les choses ont changé !


Si Ambroise Tardieu, archéologue et généalogiste, qui fit de son long séjour à Venise un récit parue dans la revue de Lyon en 1884, puis dans un ouvrage regroupant le récit de tous ses voyages en Italie et Afrique, pourrait dire encore aujourd'hui que "A Venise la belle société parle français" et que "Les artistes, les hommes de lettres, les savants sont recherchés, fêtés." 

Il ne reconnaitrait plus rien de la ville qu'il a fréquenté et aimé durant sa vie vénitienne ; "tout est d'un bon marché sans égal. A Venise, la vie coûte moitié comme en France"...
  
Enthousiaste, il semble n'avoir pas connu la venise aux remugles nauséabonds qui incommodèrent tant Thomas Mann et son professeur Ashenbach : "On se figure généralement que l'air de Venise est malsain ; qu'il doit y avoir une atmosphère humide  aux personnes atteintes de phtisie ; on le recommande spécialement aux anémiques ; à ces derniers, le calme de la ville convient à merveille car on n'entend aucun bruit de voiture". Que dirait-il aujourd'hui du bruit des moteurs de bateau qui pétaradent sur le grand canal ?

"On ne rencontre aucun chien dans les rues de Venise. Cela tient, dit-on, à la taxe élevée qui leur est appliquée." je me suis pris à rêver en lisant cela, que remettre une taxe et revenir à l'obligation de la muselière comme il y a encore trente ans pourrait faire cesser cette invasion. Surtout quand peu à peu le chat, animal souverain à Venise, grand allié de sa salubrité, disparait des rues de la Sérénissime.

19 novembre 2016

Pasolini à Venise

Pasolini et son acteur fétiche à San Barnaba, non loin du siège du PC de Dorsoduro.

Ecrire toujours et sans cesse ! Journal d'automne (extraits)

Vendredi 4 novembre. 
Écrire. En dépit de tout, du doute, de la peur. Écrire pour vivre. Comme un cri lancé au monde, un chant, une prière. Écrire comme on respire. Dire au monde ce qu'on a sur le cœur, ce qui nous fait vibrer, trembler ; ce qui nous pousse à nous lever le matin ; Hurler sa foi, son désespoir ou sa joie. Aligner les mots qui jaillissent du fonds de notre être et se répandent presque malgré nous,s ans retenue parfois, comme pour échapper à notre vigilance, à notre censure. Ils sont libres ces mots et rusés. Ils s'emparent de l'idée qui germe timidement dans notre tête et éclatent au grand jour. Parfois maladroits, déplacés ou obscurs. Je crois que je pourrais tout accepter sauf l'interdiction d'écrire. J'en mourrai. Pourtant je n'écris que pour mon plaisir. Certes la joie d'être lu et apprécié compte beaucoup dans ce bonheur-là. Mais l'écriture est le seul moyen que j'ai trouvé en moi pour rendre grâce, pour répandre ce que mon âme contient de joie. C'est tout ce que je puis donner. Tout ce que je sais donner. 

[...] Venise est un élément important de ce qui me permet de fonctionner ainsi. Sa beauté, ses mystères, la relation que j'ai avec la ville depuis toujours, ce qu'elle signifie pour moi, ce qu'elle me communique et qui se répand dans mon sang et s'y répandait déjà bien avant moi, tout cela est unique. Je m'en nourris pour en nourrir mes mots. Bien pauvre est le résultat bien que beaucoup de lecteurs semblent y trouver du plaisir.Ils sont bien indulgents. J"ai toujours été sans complaisance avec ce que j'écris. Combien de pages brûlées, déchirées. Combien de larmes et de grincements de dents avant que de me satisfaire de quelques lignes. Souvent, pressé par le temps, je m'efforce de ne pas relire. Je jette en pâture ce que mon cerveau a éructé. De toute manière cela ne me plait pas ou rarement... Cette incapacité parfois - souvent ? - à exprimer vraiment ce qu'on a à dire. Ces mots qui se dérobent, ces expressions qui sonnent faux comme un mauvais jeu. Mais écrire et écrire encore...


6 novembre. 
Il y a trente six ans aujourd'hui mon père quittait ce monde. Je suis plus vieux que lui aujourd'hui mais il me manque comme au premier jour. 

Commencé le magnifique opuscule de C.S. Lewis, (l'auteur de Narnia et de Surpris par la Joie), Diario di un dolore (A grief observed) que j'ai longtemps cherché en français sans le trouver. Écrit après la mort de sa femme, j'y retrouve des sentiments vécus avec la mort de mon père, puis celle de ma mère. 

Je devrais être à Venise mais des impondérables ont eu raison de ma détermination. Ma valise n'est pas défaite pourtant et le chat semblait s'être fait à l'idée de repartir.Je me demande en fait si j'ai envie de repartir ; si j'ai vraiment besoin désormais d'être physiquement à Venise. la ville a tellement changé. Rien finalement n'est plus vraiment pareil. "Un nouveau Pompéi" comme le clamaient il y a quelques jours les vénitiens et dont Libération se fait aujourd'hui l'écho. 

Mes deux derniers séjours, en mai et en juillet m'ont glacé le sang. Une ville livrée aux barbares, à un tourisme de masse qui devient impossible à supporter. La Venise virtuelle que je côtoie chaque jour à distance avec mes études et mes lectures n'est-elle pas plus authentique finalement ? La vrai est écartelée entre des visiteurs low-cost qui saccagent, polluent et encombrent et des snobs étrangers méprisants et prétentieux qui se croient vénitiens plus vrais que les vrais vénitiens, ne sortent qu'entre eux et de plus en plus de parvenus de la jet-set mondialisée qui consomment du luxe à haut niveau et n'apportent rien à la ville. Quelle place pour les vénitiens au milieu de tout cela ? 

18 novembre.
Loupé la Table-ronde organisée sur le thème Venise : fascination à l'Institut Bernard Magrez, un des mécènes de l'ouvrage commenté sur ce site où ont écrit mes amis Francisco Rappazzini, Alain Vircondelet, et d'autres sous la direction de delphine Gachet ( Venise, chez laffont, collection Bouquins). Heureux d'y avoir été invité alors que, pensant être à Venise à cette période, j'avais laissé l'information de côté. Finalement  une toux infernale et la migraine qui suivit m'ont fait rester chez moi avec le chat sur mes genoux et Diario di un dolore de CS. Lewis que je n'avais jamais trouvé et que j'ai découvert cet été à la librairie de la Toletta. en tout cas, quel joli travail de promotion (et l'ouvrage mérite qu'on parle de lui tellement il est excellent, bien fait, agréable et complet) : après la première présentation au teatrino du Palazzo Grassi en mai, où j'ai fait la connaissance de Delphine Gachet, il y a eu la rencontre avec les bordelaisà la librairie Mollat, puis de nouveau à Venise, à l'alliance Française en octobre, et jeudi chez Magrez, dans son merveilleux petit château Labottière dont je rêvais enfant. Planté dans un joli parc quasiment en plein centre de Bordeaux, il était alors presque à l'abandon et mon père songeait à l'acquérir au grand dam de ma mère que l'ampleur des travaux et la taille du palais effrayait. Jolis souvenirs d'enfance. J'y retourne toujours avec beaucoup de plaisir et puis le vin qu'on y déguste est très bon. Ce fut la demeure de fameux libraires et typographes bordelais au XVIIIe siècle. Déjà le livre et ses lieux m'attiraient... Mais comme dirait un libraire de Venise qui me connait peu, " il est curieux ce Lorenzo !"...
 

Bon Anniversaire mon fils !


Jean, tu as vingt-trois ans aujourd'hui  ! Combien le temps a passé vite depuis ces premières heures où je t'ai tenu pour la première fois dans mes bras. Tu n'avais pas une heure. Mon émotion, ma joie, le bonheur de ta mère, celui de tes sœurs. Je te revois dans le berceau de verre, entouré de peluches plus grandes que toi. Ce nounours bleu qui ne te quittera pas pendant des années faisait presque figure de géant ce premier jour ? 
Joyeux Anniversaire mon fils.

18 novembre 2016

La Venise d'avant


L'église de la Pietà que l'on peut voir aujourd'hui sur le quai des Esclavons n'est pas celle où Antonio Vivaldi dirigeait les jeunes musiciennes du couvent. L'église qu'il connut et où eurent lieu les nombreux concerts qu'on venait écouter de toute l'Europe a été démolie et reconstruite entre 1745 et 1760, donc après sa mort (survenue en 1741 à Vienne. L'Ospedale où vivaient les jeunes filles que faisait travailler le prêtre roux a été remplacé par un palais aujourd'hui transformé en hôtel, l'Albergo Metropole. La gravure ci-dessus montre l'entrée de la chapelle de l'Ospedale della Pietà telle que Vivaldi et ses jeunes musiciennes l'ont connue et la première église démolie. Entre l'église d'alors et le bâtiment de l'hôtel, la calle della Pietà existe encore, peu ou prou telle que Vivaldi l'aura connue. Jusque dans les années 1740, deux passages communiquaient entre l'Ospedale où vivaient les enfants et l'église exactement au niveau de la tribune des choristes. L'ancien passage au fond de la ruelle, qui liait les bâtiments de l'institution sert toujours. 

L'oratoire qu'on voit sur la gravure, à droite de cette ruelle donnait sur le parloir. La porte-tambour qui contenait un berceau (à l'origine une sorte de lavabo) existe encore. Appelée la ruota dgli Innocenti. Cylindre de bois tournant sur des rails qui permettait de déposer un bébé sans être vu mais aussi de enfants un peu plus grands. On peut la voir ouvrant sur le mur de l'hôtel qui est celui de l'ancien orphelinat. Placée à l'origine directement sur la Riva degli Schiavoni, puis près du ponte dei Bechi, endroit plus discret mais surtout adjacent à la salle des nourrices où on allaitait les nouveaux-nés. Autres vestiges visibles désormais par le public : la cour du couvent avec son puits et le magnifique escalier hélicoïdal avec sa rampe ancienne qu'empruntaient les jeunes filles pour rejoindre leurs dortoirs. Cour et escalier font partie de l’hôtel depuis les années 90, quand il a été agrandi. 


On peut encore voir aussi deux simples colonnes de pierre, vestiges de l'ancien oratoire, dans le hall de l'hôtel. Est-ce l'esprit du prêtre roux qui fit décider Pierluigi et Elisabeth Beggiatole, propriétaires de l'hôtel depuis la fin des années 50, d'organiser régulièrement des concerts de musique de chambre ou des récitals de chant dans un salon à côté du hall ? Certainement. D'autant que l'esprit de la musique y vibre en permanence puisque la salle se trouve à l'emplacement exact de l'ancien oratoire où Vivaldi retrouvait ses élèves. Mais ce fut surtout à la mémoire de leur fils, jeune musicien au talent prometteur, mort dans un accident de voitures.


Il y aurait mille autres choses à dire sur l'Ospedale. Expliquer comment ces orphelins vivaient, comment tout était organisé. Des trois institutions similaires de la République intra-muros, seule la Pietà accueillait les enfants abandonnés. Il fallut en 1548 le rappel d'une bulle du pape Paul III, gravée dans la pierre près de l'entrée, pour rappeler à l'ordre les gens tentés d'abandonner en toute discrétion leur enfant alors qu'ils avaient les moyens d'assurer leur subsistance. Loger et nourrir, élever, soigner, éduquer, tout cela coûtait fort cher et la république, bienveillante, ne pouvait tolérer qu'on profite des œuvres charitables quand on pouvait soi-même faire face aux besoins des autres. 

Lorsqu'il m'arrive de faire visiter à des amis cette partie de Venise, je constate que mes hôtes ont toujours la même réaction dans ces lieux. Est-ce la personnalité du musicien et le fait que ses compositions soient si populaires ? Est-ce l'émotion que provoque l'idée de ces abandons systématique d'enfants pauvres ou illégitimes ? Mais tous mes visiteurs ressortent assez émus de leur passage dans ces lieux. Plus que ça, ils en repartent avec la sensation que les lieux sont peuplés, vivants et qu'il ne serait pas surprenant, par une de ces failles spatio-temporelles dont rêvent les romanciers et les enfants, de croiser un jour de jeunes orphelines dans leur uniforme rouge de l'époque,dont le rire diaphane contrasterait avec la tristesse de leur condition ou, bien plus triste, une femme cachée par sa bauta qui actionnerait la porte-tambour pour y déposer furtivement un tout petit être avec comme seul bien la moitié d'une image sainte ou d'une carte à jouer (seul signe permettant si besoin était un jour de rompre l'anonymat de l'enfant et lui rendre son nom et son état légitime)... 
 

09 novembre 2016

Message aux fidèles lecteurs de Tramezzinimag et aux autres


Poursuivant notre travail d'archéologues, nous ajoutons chaque jour des billets parus entre 2005 et ce fatidique 28 juillet 2016 où le blog a cessé d'exister après qu'un robot ou un employé imbécile de Google aient décidé de supprimer onze ans de travail, de recherches et des centaines de commentaires des lecteurs. 

Inutile de remuer tout cela. L'élection américaine de ce matin qui ne réjouit en France que les réactionnaires lepénistes (mais la dame Clinton valait-elle mieux après tout ?), nous rappelle que pas grand chose nous vient de ce pays qui n'en n'a jamais été un, conglomérat d'états qui pourraient devenir un jour de vraies poudrières, fait de culture empruntée et dont les meilleurs esprits - et il y en a beaucoup, si, si - sont nourris de culture européenne, judéo-chrétienne autant que gréco-latine Nos racines. Je connais un certain nombre d'intellectuels et d'artistes qui envisagent d'aller s'installer à Québec ou sur le continent européen...

Mais je vais arrêter là, Google serait capable de supprimer à nouveau Tramezzinimag. Sait-on jamais ! Donald Trump est président désormais et, comme chez nous, la fonction est sacrée si l'homme n'est rien et le choix des électeurs lui aussi est sacré...

Et puis, que vaut un site comme Tramezzinimag pour des bouffeurs de hamburger et de café délavé, de sodas et qui ne savent plus ce que marcher veut dire et n'ouvrent jamais de livres sauf des manuels d'auto-défense ou de maniement des armes à feu... Ceux pour qui Venise est en Californie et qui croient encore que nous n'avons pas l'électricité partout et que les parents du président Obama grimpaient aux arbres... Mais je ne vais pas faire mon petit Gaspard Proust ! Lit-il seulement Tramezzinimag, le bougre ?

Bref, chers lecteurs, vous constatez bien évidemment que le blog est peu nourri de nouveautés, de billets d'actualité et d'écrits récents. En revanche, tout ce qui a pu être retrouvé des parutions de la première année du blog est en voie de republication. Nous avons décidé de cesser de publier les billets anciens à la date du jour en mentionnant qu'il s'agit de textes publiés en leur temps sur l'ancien blog que nous avons baptisé post mortem Tramezzinimag I.

De même, faute de temps, aucun lien n'a encore été mis en place sur le blog créé à titre provisoire et dans l'urgence en juillet dernier, depuis Venise, après que le couperet soit tombé. Oui chez Google, comme dans la plupart des états qui ont élu leur 45e président, on défend la peine de mort ! 

Mais chez nous, David l'emporte toujours sur Goliath. Histoire de morale et de foi !

La priorité est donc donnée aux archives à reconstituer. Fiers d'avoir été ces nombreuses années, une source d'information reconnue et souvent citée, outil souvent utilisé dans les CDI par les collégiens et les lycéens, et leurs professeurs qui avaient pris l'habitude de nous consulter pour organiser des voyages scolaires différents, comme des sociétés de production des télévisions francophones qui ont fait appel à nous à plusieurs reprises. (Que ceux qui ont eu la délicatesse de mentionner Tramezzinimag dans leur générique soient remerciés au passage). 

Bien sur nous ne sommes plus les seuls depuis longtemps. D'excellents sites et blogs francophones prolongent notre travail et le font souvent bien plus assidument que nous (ils sont sur place aussi, ce qui facilite la réactivité, quand votre serviteur et sa petite équipe, en sont encore à réfléchir sur le lieu et la date de l'installation définitive à Venise (Le Grand Retour !). 

Pour ne citer que, parmi les nombreux frères ou cousins plus jeunes de Tramezzinimag, les excellents et indispensables e-venise.com et destination-venise.net qui ont toujours eu l'extrême gentillesse et la correction de citer Tramezzinimag qui est aussi référencé sur la plupart des sites francophones consacrés à Venise. Je ne cesserai jamais de remercier tous ceux qui nous soutiennent et nous encouragent depuis 2005 ! 
Merci de votre patience. Les nouveaux billets se préparent et promis, nous allons essayer de publier des nouveautés en même temps que nous rechargeons les archives récupérées chaque jour.Merci de votre fidélité et de vos nombreux messages d'encouragement (en revanche, les commentaires se font rares. Nous en avions plusieurs milliers dans l'ancien blog !)

07 novembre 2016

Venise fascination : Table-ronde à Bordeaux à l'Institut Bernard Magrez

Jeudi 17 novembre, l'Institut Bernard Magrez propose aux aquitains de venir rencontrer Delphine Gachet, Marc Agostino et Alain Vircondelet, sur le thème de la fascination de Venise. Tramezzinimag y sera peut-être si votre serviteur n'est pas encore reparti pour Venise. Les protagonistes invités dans ce lieu merveilleux sont la directrice de l'ouvrage Venise, Histoire, Promenades, Anthologie & Dictionnaire paru en mai dernier chez Robert Laffont dans la collection Bouquins (cf. Tramezzinimag du 08/05/2016).

Comme le mentionne le site de l'Institut : 
Venise - "l’un des secrets les plus poétiques qui aient jamais existé sur cette terre", selon l’un de ses meilleurs connaisseurs, Dino Buzzati – ne cesse de fasciner ses innombrables visiteurs par sa splendeur architecturale et son mystère troublant et enchanteur. Fruit du travail conjoint de collaborateurs français et italiens venus d’horizons différents, le livre Venise, Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire plonge au cœur de cette ville mythique au fil d’une exploration minutieuse et originale qui contredit bien des clichés sans altérer sa légende. Une cité hors norme dont le prestige se nourrit de l’imaginaire qu’elle suscite. La ville de l’amour, de la séduction, de la sensualité, mais aussi le symbole de la fin d’un monde. 
Trois des collaborateurs, tous vivant et travaillant à Bordeaux, qui ont permis au livre d’exister. Delphine Gachet, docteur en littérature comparée, est maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, traductrice (et grande spécialiste) de Dino Buzzati et de nombreux autres écrivains italiens. Avec le Professeur Alessandro Scarsella, elle a co-dirigé et collaboré à l’ouvrage présenté. Marc Agostino, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de l’histoire des religions et de la papauté. Alain Vircondelet est écrivain et universitaire. Vénitien de cœur, il a consacré plusieurs ouvrages à Venise (dont Devenir Venise, Nulle part qu’à Venise, Le grand guide de Venise). La table ronde - conférence aura lieu jeudi 17 novembre à 20 heures et sera suivie d'une dégustation de vins Bernard Magrez en partenariat avec la Librairie Mollat. Les réservations se font en cliquant ICI 

Comme un chant qui monte dans la nuit

Fiat pax in virtute tua et abundantia in turribus tuis. Ces mots magnifiques du psaume 122 me sont venus à l'esprit ce matin. Comme un souffle de joie et d'espoir dans un monde de plus en plus empêtré dans une obscurité nauséabonde... 

Rassurez-vous, TraMezziniMag ne va pas joindre à ses rubriques des leçons de morale spirituelle ni de cours de religion. Jusqu'à la suppression de mon compte en août dernier, il y avait un blog pour cela né quelques années après celui-ci à la suite de la mort du Frère Roger, le prieur de Taizé, qui fut un de mes guides spirituels. Un de ces maîtres des âmes à qui je dois de ne m'être pas égaré. La beauté de ce chant illustrait parfaitement ce matin à l'aube, l'air vif rempli de senteurs, la lumière naissante qu'un vent froid faisait danser sur les façades, jouant avec le reflets sur les fenêtres, la laissant se poser sur les branchages et se projeter sur la pierre des façades de ce vieux quartier où je vis. Partout le silence. Puis soudain un chant d'oiseau suivi presqu'aussitôt du tintement d'une cloche. Saint-Michel ? Saint-Paul ? Saint Eloi ? Sainte-Croix même ? Comme libéré par ces deux sons qui ont depuis toujours pour moi un effet magique, les bruits de la ville se sont emparés des lieux. Voix humaines, grincement des rideaux de fer des boutiques, clochette du tram et l'inévitable sirène des pompiers ou des cow-boys toujours pressés et bruyants. Les bruits de la ville. Ceux-là même à peine différents et plus forts en décibels que ce vacarme qui faisait tant souffrir Sénèque dans la Rome de ou Boileau dans le Paris de Louis XIV... 

Ces impressions matutinales souvent déterminent mon état d'esprit du jour. Encombré par une bronchite qui n'en finit pas, avec une liste trop longue de choses à faire sans faute, je pourrais avoir l'humeur sombre et rester couché. Un thé brûlant et des biscuits, de la musique, un bon livre... De quoi tenir et oublier le reste du monde... Pourtant le psaume qui m'est venu ce matin au lever comme un souvenir lointain m'a étrillé le cœur. Je ne suis pas à Venise mais ce sera pour bientôt. je ne suis pas en haut des collines de La Réole, admirant le lever du soleil se reflétant sur les méandres de la Garonne loin en bas, mais je suis. Rempli d'idées et de joies, d'espoirs et de volonté. Le cri de joie du psaume, je l'identifie à tout cela. Au souvenir de la joie des matins solitaires dans une Venise vide encore de tout ce qui l'encombre. Sous une lumière unique que nul endroit au monde ne parvient à égaler. Et même éloigné d'elle, tout ce qui constitue celui que je suis est avec elle, en elle. Et je dis avec le roi David : "Que la paix soit dans tes murs, et la tranquillité dans tes palais !"

Lien pour écouter le psaume : ICI

06 novembre 2016

Journal - novembre 2014 (extraits)



2 novembre 2014.
Le brouillard ce matin quand j'ouvre mes fenêtres, le silence approximatif dû aux vacances, les préparatifs du marché voisin, ce ciel gris rempli du cri des mouettes et des corneilles qui se mêlent, cette odeur particulière qu'on sent ici, près du port parfois avec la marée et qui rappelle tellement les effluves de la lagune le matin quand je me promène le long des Zattere ou sur les Fondamente Nuove. Et puis ce désir de La revoir, ce besoin impérieux de me fondre de nouveau dans ses ruelles sombres, de me délecter du chant des cloches à midi, du bruit que font mes pas sur les masegne millénaires où tant des miens avant moi ont marché... 

Mardi 4. 
Joli soleil ce matin après la brume. Odeurs délicieuses d'humus et de feu de bois.

Mon amie Catherine qui vit à Munich y sera dans quelques jours avec une de ses amies américaines, Darlene que j'ai reçu autrefois dans notre maison de l'impasse Guestier. Elle a un fils de vingt ans dont mon amie est la marraine. Elles ont convenu de se retrouver à Venise mais Catherine, persuadée que j'y vivais à l'année, m'a écrit pour que nous nous y voyions... Vais-je pouvoir me libérer et aller moi aussi à Venise ? Vais-je pouvoir l'accueillir et leur faire découvrir mes endroits favoris, leur faire ressentir ces impressions uniques qu'on ne peut ressentir qu'à Venise ? Nous en avons tellement souvent parlé autrefois, lorsqu'elle vivait en Californie et que j'avais abandonné les rives de l'Adriatique pour celles de la Garonne... 

Elle sera logée à la Ca' del Campo, sur le campo della Guerra du 18 au 21 mai. Si j'y allais du 18 au 26 par exemple ? Le 17 je serai à Lyon pour l'Assemblée Générale annuelle du Refuge. Lyon-Venise cela ne doit pas être trop compliqué, de jour ou de nuit. Passer trois jours avec Catherine et ses amis californiens (ils logent au Hilton Stucky à la Giudecca - ce qui n'est pas du meilleur goût hélas) puis rester seul - où avec Constance ou Jean s'ils peuvent me rejoindre - afin de chercher comment je pourrais bientôt être logé régulièrement et poser mes malles une fois pour toutes, faire les démarches nécessaires pour obtenir ce statut de résident auquel j'aspire depuis si longtemps, revoir mes anciens amis restés ou revenus à Venise. 

Mieux connaître Julien et voir selon lui ce que je puis faire à Venise. Pour Venise ; parler avec lui de Delvaille aussi... Revoir Roger et sa peinture ; faire la connaissance de son épouse... Et puis Manfred, Gabriel, Federico, Pippo... Tant d'autres encore... Et puis Antoine va bientôt rentrer d'un de ses énièmes reportages. Aller à Venise avec lui ? Faire enfin ce documentaire dont il me parle tant ? 

Questions, hésitations, doutes. Confusion aussi. Face à tout cela, je me sens perdu comme un oiseau tombé de son nid... 

Lecture de Joseph Joubert. Passionnant personnage dont les pensées font mouche mais qui me laisse parfois une drôle d'impression tant je ressens une grande proximité avec lui. Du moins avec son mode de penser et les critères qui l'ont motivé sa vie durant... Je l'ai découvert en lisant Alain par qui je me suis ouvert autrefois à la philosophie. Tous deux ont parlé à mon adolescence.Je retrouve aujourd'hui Joubert dont personne jamais ne parle. Dommage. 

Pourtant, il a ouvert la route aux plus grands, aux plus neufs. A Rimbaud quand il écrit "La poésie est fantastique" Et quand il écrit "Je n'ai jamais appris à parler mal, à injurier et à maudire", je me retrouve tout entier, autant que lorsqu'il affirme "Ce qui est beau est bien" !

Jeudi 6.
Ce même jour, en 1980, mon père s'éteignait après une longue maladie. J'avais à peine vingt-cinq ans. Je n'en faisais que vingt, sur mon visage et bien moins encore dans mon cœur. Pourtant sa disparition soudaine a fait de moi un homme, avec ses souffrances et ses ardeurs. La mort de mon père a été un révélateur dont j'aurai certes aimé faire l'économie, mais qui m'a propulsé dans le monde des vivant. Rien après ce jour n'a jamais plus été comme avant. 

Chaque année, je repense à ces derniers jours dans la grande maison où plus rien n'allait. Je revois la soirée de mon anniversaire, le triste dîner où il fut à peine présent, son regard fatigué et absent. Il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Quelques jours avant, nous avions fait une promenade. Pour la première fois, nous avons réellement parlé ensemble mais il y avait tellement de choses à dire, tellement de temps à rattraper. Hélas, aux mots succédèrent vite un silence pesant. Trop de pudeur. Trop de silences... Nous sommes rentrés à la maison sans plus parler. Il est allé garer la voiture, je suis monté dans ma chambre... Je n'ai plus jamais eu l'occasion de m'entretenir avec lui. Quelques jours plus tard, mon oncle au téléphone m'apprenait sa mort... Il avait à peine cinquante neuf ans. 

"Un honnête homme meurt toujours jeune, c'est-à-dire trop tôt" (Joubert).


31 octobre 2016

LA GALERIE DE TRAMEZZINIMAG : La pétulante Venise d'Arbit Blatas (1)


Arbit Blatas a été jusqu'à sa mort, le dernier des grands artistes vivants de l'Ecole de Paris, membre de cet univers bohème qui éclaira la peinture contemporaine des premières années du XXe siècle jusqu'à son crépuscule dans les années 50. Après Paris, c'est à Venise qu'il a le plus travaillé, lorsqu'il quittait sa maison de New York pour retrouver la vieille Europe où il trouva refuge, après avoir fui un pogrom en Lithuanie, aux alentours de 1905... Quel roman que sa vie. Il aimait la raconter et sa peinture comme ses sculptures sont imbibées de son histoire personnelle, de l'Histoire tout simplement. Il a charmé mes années vénitiennes, lorsque je travaillais comme factotum chez Giuliano Graziussi, avant de devenir, grâce à lui, l'assistant du talentueux mais ténébreux galeriste, sur le campo San Fantin. C'est lui aussi qui m'aida à rompre mes chaînes pour rejoindre une autre galerie, à san Vio, un autre artiste, un autre état d'esprit. Mais j'ai déjà raconté tout cela. Parlons plutôt d'Arbit.

Un jour de 1985, Jacques Chaban-Delmas me recevait dans son bureau du Palais Rohan. J'avais obtenu une audience afin de parler au maire d'un projet qui pouvait intéresser la ville et que Christian Calvy, alors consul général à Venise, avait suggéré lors d'un dîner je ne sais plus où. Micheline Chaban-Delmas avait appuyé ma requête. Elle fut toujours d'un grand soutien et d'un dynamisme extraordinaire qui permit le développement des arts contemporains à Bordeaux, avec le CAPC mais aussi par de nombreuses autres initiatives. Un vrai ministre de la culture ! 

Blatas cherchait à montrer son travail sur l’École de Paris en France. Une exposition devait avoir lieu à New York, au Witney Museum. Les œuvres entreposées pour la plupart à Venise allaient voyager aux frais des américains. Il était facile de négocier une étape à Bordeaux, un catalogue commun. Le contenu était formidable : Blatas proposait de montrer l'ensemble des portraits qu'il a fait sur les membres de l'Ecole de Paris, peintures mais aussi sculptures. Splendides bronze en pied et en taille réelle. Il voulait ajouter à son travail des œuvres de chacun de ses amis artistes portraiturés qui forment une collection formidable. L'idée était intéressante. Mais ce qui l'était davantage c'est que le retour des œuvres financé par le Witney n'avait pas encore une adresse précise. Or Blatas ne voulait ni ne pouvait conserver entassées dans un hangar son travail. Il proposait donc à la ville de Bordeaux de récupérer l'ensemble de son travail ainsi que la plupart des œuvres des artistes portraiturés. C'était un moyen de doter Bordeaux d'une extraordinaire collection d'art moderne, de Suzanne Valadon à Picasso, en passant par Utrillo, Vlaminck, Marquet, Bonnard, Derain, Léger, Chagall, Soutine, Zadkine, enrichissant ainsi à peu de frais - l'organisation d'une exposition temporaire puis la conservation des œuvres dans un lieu spécifique et l'achat par la ville du portrait de Marquet, peintre d'origine bordelaise - le patrimoine artistique de la ville. 

Ce fut un véritable ballet. rencontres avec les conservateurs, entretiens avec les responsables, lobbying au niveau national. je n'étais pas connu, mon équipe bordelaise pas assez imbibée du sujet et le personnage moins connu en France qu'il ne l'était à Venise ou à New-York. Bref, après des semaines de travail, de négociations et des dizaines de rendez-vous, l'exposition ne se fit pas. j'ai su depuis qu'il y avait un petit noyau de prétendus spécialistes locaux des arts et de la culture que ma proposition gênait. Et puis en ce temps-là, le CAPC* dont on parlait partout était dirigé par un gourou, certes génial et visionnaire, qui avalait tous les budgets possibles et imaginables pour ses expositions-évènements pharaoniques. On venait du monde entier pour assister aux vernissages et les plus grands artistes contemporains passèrent par l'entrepôt Laîné, somptueux temple de l'Arte Povera, mais gouffre financier où on méprisait le concept même d'exposition permanente. Alors, pensez donc, un peintre classique de l'école figurative dont firent pourtant partie quelques uns des plus grands mais démodés aux yeux des snobs qui formaient la cour de la pourtant très avisée première dame de Bordeaux !

C'est finalement la ville de Boulogne qui récupéra l'exposition puis l'ensemble des œuvres du maestro lituanien. Mais revenons à notre petite exposition virtuelle. Blatas est tombé amoureux de Venise dès son premier voyage en 1935. Il a peint la ville pendant des années, revenant souvent, avec d'autres peintres, comme Marquet notamment puis avec sa femme, la cantatrice Regina Reznik. Ensemble, ils avaient acheté un grand appartement à la Giudecca, juste à côté de ce qui allait devenir dans les anes 80 le Harry's Dolce, un de mes endroits favoris (le meilleur club sandwich du monde avec du pain maison et en été le délicieux Bellini sans alcool pour les enfants, ainsi que les meilleures pâtisseries de la ville à déguster dès le printemps sur la terrasse face aux Zattere...). Voici quelques échantillons du travail vénitien du maestro : 




28 octobre 2016

Fondamenta par Ettore Tito



L'âme de Venise nourrit les doux et les poètes


"Venise est un poisson" écrivait Tiziano Scarpa. "Venise est une maîtresse fidèle mais difficile" me susurrait à l'oreille une bouche avinée un soir tard sur la terrasse d'un palais du grand canal. Certains prétendent que c'est une vieille reine morte et déchue, momifiée, délabrée, vendue dont on montre la dépouille et les frusques aux gogos venus du monde entier pour quelques roupies... Pour d'autres "Venise est une catin"  qui se sert habilement de ses problèmes pour attirer l'attention et l'argent... Qu'en est-il réellement ?

Nous en avons débattu l'autre soir avec Alberto et Gianni, deux amis vénitiens. L'échange dura une partie de la soirée, caminando d'enoteca in enoteca. En rendre avec précision et fidélité le contenu n'est pas chose facile, mais je dois m'y essayer car je crois que l'échange rentre parfaitement dans la ligne et l'esprit de Tramezzinimag et ne laissera pas indifférent nos lecteurs.

Cela avait commencé du côté du Rialto. Au Banco Giro pour être tout à fait précis. Nous venions d'entendre, malgré nous, la conversation d'un groupe de touristes bruyants. Des bobos français, mécontents de la foule, des prix, des vaporetti engorgés par leurs semblables, qui prenaient tout de haut et se trouvaient bien mieux que leurs hôtes. " Tu vois, finalement ici il n'y a que des pecnots, cela se voit et leur dialecte vulgaire, quel cirque" avait lancé l'un d'eux entre deux gorgées de son spritz à l'Apérol.  Ils ont certainement raison ou plutôt tous doivent avoir des raisons pour pester ainsi et leurs propos ne font qu'exprimer le ressenti immédiat, épidermique, de la plupart des visiteurs. Autrefois, entendre des compatriotes s'exprimer ainsi m'aurait fait intervenir. Avec le temps, on se lasse de jouer les Don Quichotte.

Nous avons passé notre chemin. "Pour moi, ce ne sont pas ces qualificatifs-là, ce mode de concevoir Venise qui m'intéresse" ai-je commencé à dire en gravissant les marches du pont.  "Venise est bien plus qu'une ville, c'est un monde, un état, un lieu unique et tout cela forme un mythe. C'est avant tout un mythe et ce mythe nous le pénétrons, nous le sentons palpiter, nous le voyons se débattre et tenter de résister et de survivre en dépit de tout". 
"Tout à fait d'accord." répliqua Ettore, "je te rejoins totalement sur ce point" 

Gianni, dont le passage au séminaire a laissé quelques traces qui m'ont fait le surnommer le Ravi, a souvent une visions décalée de la vie et des gens. Sa manière de l'exprimer demeure impensable pour tous ceux qui baignent en permanence dans le politiquement correct. Pour Gianni, Darwin n'a jamais émis que des hypothèses et la Création est expliquée dans la genèse. Point besoin d'en débattre... C'est parfois compliqué d'aborder certains sujets mais tellement roboratif aussi. Gianni a gardé de ses années mystiques une grande fraîcheur et ce regard bon et tranquille des religieux : "Nous qui en sommes les  amoureux transis, nous l'intégrons en nous et Venise instille son doux poison dans notre quotidien. les écrits de Casanova, les adeptes de l'érotisme grotesque et répugnant de Baffo, la tradition des courtisanes scintillantes de bijoux les faisant ressembler à des sapins de Noël pour faire oublier les chlamydias et autres désespérantes saletés qu'elles transmettaient avec plus de facilité que les quelques secrets d'alcôve que de mauvais romanciers ont voulu nous faire croire être de graves secrets d’État, tout comme les jeunes mariés japonais en lune de miel qui se font photographier devant le pont des soupirs, tout ce grotesque n'a rien à voir avec la véritable Venise !"

Ettore abonda dans son sens : "Cette Venise-là pue la naphtaline et la lingerie en dentelle synthétique. Non, la puissance de cette ville-État est bien plus que le lupanar géant qu'on nous représente trop souvent. Mais laissons les obsédés dans la salle d'attente de leur psychanalyste et regardons la véritable Sérénissime, la Dominante, libre et fière, autocrate autant que démocrate, moderne et pourtant pleine de vieilleries qui avec un regard neutre pourraient faire fuir car le mauvais goût, c'est vrai, n'est jamais loin (voir plus haut l'allusion aux courtisanes et aux mœurs salaces de certains malades de l'entrejambe). "Pour évoquer la vraie Venise, j'ai toujours pensé qu'il fallait la libérer de ce sexisme délirant".  


Combien cela est juste. Représentons-nous plutôt le lion ailé, majestueux et tranquille et le saint Livre qu'il tient entre ses griffes, ouvert ou fermé selon le baromètre des relations diplomatiques des maîtres de la Cité lacustre. N'est-ce pas plus grand et noble que les ivrognes et les catins ? La douceur du regard des vierges de Bellini, l'aspect rassurant des drapés qui les habillent, l'enfant posé sur les genoux et les paisibles vedute de la campagne de Terraferma sont pour moi bien plus évocatrices de la beauté de Venise, avec ses couleurs changeantes, ses reflets, ses harmonies et ses silence. Mon adoubement à la Sérénissime est la conséquence de cette beauté débarrassée de toute attache sensuelle et de tout désir. Un sentiment d'appartenance et d'adéquation absolue qui ne passe pas par les draps brillants des gourgandines enrubannées ni des vénus à poil (et en surcharge pondérale) de Tiziano. Quel symbole pourrait mieux qualifier la Sérénissime ? A Venise, en dépit des tentatives de Buonaparte pour en éradiquer la présence quand en 1797 il se croyait Attila pour Venise, le lion est partout. 

Comme sont partout les jolies vierges à l'enfant. Elles président de jolis concerts, trônent en majesté sous des dais de tissus flamboyants ou apparaissent dans toute la délicatesse de leur flamboyante jeunesse, toujours fines, délicates, pures... Il faut aller dans les musées à la recherche des jolis pastels de Rosalba Carriera, pour retrouver plus tard cette joliesse simple et délicate et pure. Il y en aura pour ricaner et me reprocher ce goût pour la mièvrerie. Mais oui c'est vrai, notre époque aime le lourd, le hard, l'excès. Normal n'est-ce pas quand une civilisation entre en décadence après tout. Néron préférerait les catins imbibées d'alcool aux vierges chantant le Miserere. 

Aimer la beauté ne veut pas dire souhaiter en faire pitance à chaque instance. Elle n'est pas une proie que l'on chasse mais un moyen qui permet de transcender la misère et la médiocrité de nos vies, de nos vies, nos aspirations. Entendre résonner le Gloria Patris du Nisi Dominus  de Vivaldi, traduisant à la perfection cet abandon à la Grâce. C'est ce que j'ai compris très vite, la première année où j'ai vécu à Venise. Mes longues promenades solitaires au petit matin ou la nuit dans les rues désertes, les messes dominicales à San Giorgio du temps où la communauté bénédictine comptait plus d'une douzaine de frères, celles des franciscaines du côté de san Francesco della Vigna ou à Sant'Elena, les offices de la Pâque orthodoxe à San Giorgio dei Greci et le miracle souvent renouvelé de ces ciels flamboyants, de ces silences tellement remplis que déchirent soudain le cri d'une mouette où le chant des cloches.