18 octobre 2016

Un jour lointain, au bar de l'Arsenal

Archives tramezzinimag I : Texte publié le 09/09/2009

Crédits photographiques : http://venise.blogs.sudouest.fr
C'était un jour de septembre comme aujourd'hui. Il faisait très beau mais l'air était frais. Je venais d'arriver à Venise. Enfin. Mes bagages défaits, rangés dans la minuscule chambre que m'avait attribué la Signora Biasin dans son alloggi fantasque, j'avais rendez-vous avec mon destin. C'est du moins ce que mon cœur qui battait la chamade semblait me signifier.

Castello, 2423, Fondamenta di Fronte l’Arsenale, Cours d'italien pour les étrangers de la Dante Alighieri. Le rendez-vous avait été pris pour 9 heures. Je pris le vaporetto. C'était alors la ligne 5, la plus longue, qui partait de la Piazzale Roma et allait jusqu'à Murano en passant par le bassin de San Marco, l'Arsenale et les Fondamente Nuove. 

L'air marin, les senteurs si pures de la lagune au lever du jour me comblèrent de joie. Après des mois difficiles, la mort de mon père, le départ de la grande maison, tous les changements qui marquèrent, sans que je m'en rende compte alors, le terrible passage entre l'enfance et l'âge adulte, j'étais de nouveau dans la joie. La lagune était magnifique ce matin-là, la lumière diaphane pleine encore des teintes de l'aube... J'arrivais avec beaucoup d'avance. Assez pour m'arrêter au petit café de l'Arsenal. Celui qu'on voit sur cette photographie dénichée sur le site d'un autre fou de Venise, bordelais lui aussi. 

Le patron s'affairait derrière son comptoir. Il préparait des tramezzini. Une grande planche en bois, un énorme pot de mayonnaise, un saladier avec du thon haché... Le voir faire me fascina, sa dextérité, la beauté des sandwiches une fois terminés qu'il alignait sur de grands plats de céramique blanche, avant de les recouvrir d'un torchon humide... J'ignorais encore que nous deviendrions des amis et que ma passion pour les tramezzini déboucherait un jour, presque trente ans plus tard sur ce site où j'écris mes souvenirs. Le cappuccino que je dégustais ce matin-là, avec un croissant fourré encore tiède, assis à l'une des tables de la petite terrasse (à cette époque, le bar peu fréquenté par les touristes bien moins nombreux qu'aujourd'hui, ne disposait que de trois ou quatre tables sur le campo). 

C'était un jour sans école, car des enfants jouaient devant l'entrée de l'Arsenal. Un marin au regard triste était en faction en haut des marches. On aurait dit un enfant puni. Peut-être enviait-il ces gens qui pouvaient aller et venir librement quand lui, engoncé dans son uniforme, devait monter la garde. Peu à peu la vie s'insuffla sous mes yeux et la place devint une sorte de scène de théâtre. Un palcoscenico pour la comédie humaine qui pendant des années et aujourd’hui encore fait mon régal à Venise et me fascine. Des ouvriers débarquaient d'une barge bleue des barres de métal destinées à un échafaudage, un peintre chantonnait en peignant des volets dans ce vert si caractéristique qu'on retrouve partout ici. Un groupe de religieuses toutes de blanc vêtues, traversaient en diagonale, des ménagères bavardaient, leur panier sous le bras, un chien reniflait le bas d'un poteau... 

Je savourais toutes ces images mises en valeur par un éclairage parfait. Le soleil était déjà haut, le ciel presque sans nuage. Le bonheur. Peu à peu, le bar se remplissait. Les gens allaient et venaient. Un vieux prêtre lisait le journal au coin du comptoir. Je surveillais les abords de la Dante, située de l'autre côté d'un petit pont qui menait directement à la porte d'entrée. Des gens y pénétraient. Certainement le personnel administratif. Il n'était pas encore neuf heures. 

C'est alors que je les vis. Quatre silhouettes d'abord sombres qui arrivaient du côté de San Martino, la belle petite église du quartier. Trois filles et un garçon. Ils venaient au cours, c'était évident. Le garçon, grand, mince, les cheveux blonds se dirigea vers le pont quand une des filles l'arrêta en lui montrant le café. Ils vinrent dans ma direction. Annette, Anna, Christine et David s'installèrent à la table en face de moi. L'une était rousse avec un visage très fin et les yeux verts, l'autre, un peu plus âgée, était brune avec une peau très blanche, presque maladive. Son sourire était très doux. La troisième était anglaise, cela était certain. Les tâches de rousseur, la moue, les attitudes. Quant au garçon, il devait être anglais lui aussi à cause de ses manières un peu ampoulées comme on en attrape dans les bons collèges d'Albion. 

J'étais à Venise pour six semaines avec pour seul objectif de savoir l'italien que je m'étais toujours bêtement refusé d'apprendre. Une sorte de réaction épidermique d'adolescent contre mon père et notre famille... Mais ma passion pour Venise, cette obsession qui me tiraillait sans cesse, rendait obligatoire la pratique de l'italien. Avant sa mort, mon père aurait voulu m'envoyer à Florence, la ville de sa jeunesse. Je ne voulais entendre parler de rien d'autre que de Venise. Je ne connaissais encore personne en dehors de la matrone qui me logeait sur la fondamenta delle Guglie, son fils le ténébreux Federico et Gabriele, le garçon de Mogliano Veneto qui servait d'homme à tout faire dans la pension. Les vieilles parentes de mon père étaient en villégiature quelque part dans le Haut-Tyrol et ne reviendraient à Venise que bien après mon départ. Cela m’avait rassuré, je n’avais aucunement envie d’aller faire bonne figure auprès de vieilles dames sévères que je ne connaissais pas. 

J'observais ce petit groupe et je redoutais de n'être pas à la hauteur. Ils parlaient apparemment tous l'italien puisque c'est dans cette langue qu'ils discutaient entre eux. J'allais être ridicule avec mon sabir encore mêlé d'espagnol. L'heure arriva. La directrice de l'école nous accueillit avec gentillesse. Une fois les formalités remplies, nous étions tous réunis dans une grande salle dont les hautes fenêtres donnaient sur la fondamenta. Le soleil éclairait les murs blancs et donnait à la salle un petit air de fête. J'étais assis entre Anna l’allemande de Stuttgart et David, le jeune anglais. La première matinée passa, puis les jours.

Nous devinrent des amis. Chaque jour nous nous retrouvions de bonne heure au petit café de l’arsenal pour un cappuccino et un croissant. Tous les clients nous saluaient comme de vieilles connaissances. Nous n’étions plus des étrangers... A la fin du stage, David et sa cousine Christine repartirent en Angleterre. Nous avons entretenu une correspondance un temps, puis nous nous sommes perdus de vue. Anna et Annette, en revanche, restèrent à Venise. L'une était inscrite à l'université et l'autre avait été engagée comme nanny dans la famille d'un magistrat près de l'Accademia. 

La date fixée pour mon départ approchait et cela m'était un déchirement. J'allais devoir quitter Venise et mes nouveaux amis. Il me faudrait repartir et commencer en France une vie nouvelle, sans mon père, sans la grande maison, sans l'insouciance d'avant... Quelques jours avant mon départ, je croisais la signora Biasin sur le pont des Guglie. Elle revenait de je ne sais où et sa silhouette me faisait toujours sourire. Son sac plaqué contre elle, la tête un peu penchée en avant, le buste recourbé comme quelqu'un qui va se mettre à courir, elle semblait toujours di fretta. Je pensais au Shylock de la comédie de Shakespeare, ou à une sorcière de contes pour enfants. "Ah vous voilà" me cria-t-elle essoufflée, " je suis ravie de vous voir. Justement je voulais vous parler. J'ai une proposition à vous faire". Gabriele ne pouvait s'occuper de tout et le jeune étudiant colombien qu'elle employait clandestinement préférait souvent faire la sieste dans une des chambres plutôt que s'affairer à repeindre les volets ou déboucher les canalisations. "Vous parlez l'anglais, l'espagnol, et le français. Vous apprenez l'italien. C'est tout à fait ce qu'il me faut. Si vous voulez, je vous propose de travailler pour moi en échange du gîte et du couvert". Cette offre me fit bondir de joie. Non seulement je pourrai rester à Venise, mais j'aurai un appartement à moi. Je ne songeais pas aux à-côtés qu'il faudrait résoudre tôt ou tard : le permis de séjour, la rémunération, l'avenir. Je ne voyais qu'une chose, j'allais m'installer à Venise !

Je me précipitais chez Anna et Annette vint nous rejoindre. Le juge et son épouse furent sollicités. Pouvais-je accepter ? Devant mon enthousiasme et après s'être renseigné sur la dame-aubergiste, il ne trouva pas d'inconvénient majeur à ce que je fasse un essai jusqu'à Noël, prenant certainement mon enthousiasme pour une foucade d'adolescent. J'écrivis à ma mère pour l'informer de ma décision. Elle m'invita sagement à réfléchir et à rentrer quelques jours pour rassembler mes affaires et prendre un peu d'argent. C'est ainsi que, mal logé, sans un sou, parlant mal l'italien mais heureux comme un pape, je devins vénitien... 


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17 octobre 2016

Saint Marc ou Alexandre ? Qui repose sous l autel de la basilique San Marco ?

Archives du blog Tramezzinimag I : article paru le 20 août 2013.

Il y a quelques jours, dans une atmosphère digne des films d'Indiana Jones, un archéologue inconnu présentait à un parterre de journalistes et de spécialistes médusés des images de ce que le mystérieux personnage décrit comme la plus extraordinaire découverte archéologique depuis la découverte du tombeau de Toutankhamon. Quelque part en Jordanie, il aurait découvert rien moins que le tombeau d'Alexandre Le Grand. Des photos un peu floues et sombres montraient au public des objets brillants, des formes, des sculptures. Il s'agirait du trésor de Ptolémée qui aurait conservé là outre de mirifiques œuvres d'art, le catafalque contenant la dépouille du grand empereur mort en 323 avant notre ère à Babylone. Aucune autre précision pour conforter ses dires mais des propos mystérieux, la découverte protégée par une société secrète depuis toujours, la protection des lieux confiée au roi de Jordanie... De quoi ranimer les polémiques qui existent depuis l'invasion des musulmans, au VIIe siècle puisque c'est à peu près à cette époque que l'on perd la trace de l'empereur et de sa sépulture. 


..Adolescent, d'Alexandre, la vie et l'histoire me fascinait. Son génie, son intelligence, les conquêtes de des armées, sa vision du monde qui dépassait largement la mentalité de son époque, le renouveau de l'art grec et son ambition, tout ce qui lui était attaché occupait mes rêveries, guidait mes lectures, se traduisait dans mes dessins, les poèmes que j'écrivais. Sans l'épopée d'Alexandre, l'enfant rêveur que j'étais n'aurait jamais découvert les auteurs grecs et latins, les arts et l'architecture, tout ce qui nous vient de l'antiquité hellénique puis romaine. Cette assimilation au héros macédonien a construit ma personnalité et ma culture. Lorsque le journal pour lequel je travaillais me demanda d'interviewer Hugo Pratt à l'occasion d'une grande exposition organisée Piazza San Marco, notre échange porta à un moment donné sur l'influence de la culture gréco-latine sur le monde moderne. Le père de Corto Maltese se pencha vers moi et me dit comme une confidence "Il y en a qui disent qu'il est ici !" Je pris ces propos comme une fantaisie supplémentaire, liée à tout ce qu'il m'avait dit au nom de Corto, sur les mystères de Venise, sa passion pour les celtes, la magie et sa propension géniale à transporter son interlocuteur dans des mondes parallèles et fantastiques. Je notais cet échange et n'en fit pas mention dans mon article. Aujourd'hui, trente ans après, j'ai voulu en savoir un peu plus. 

..Ils sont nombreux les grands témoins qui ont pu voir la dépouille de l'empereur dans son tombeau d'Alexandrie. Plusieurs récits font foi. Hélas de tremblements de terre en tsunami, de guerres en invasions, la mémoire des lieux s'est perdue. On sait seulement que le mausolée dont on possède plusieurs descriptions certainement exactes, a été ruiné par les catastrophes naturelles qui se sont abattues sur Alexandrie. On sait aussi que le tombeau de l'empereur a été souvent pillé, non pas par des bandits mais par les rois et les reines qui lui succédèrent quand ils manquaient d'argent. Longtemps les empereurs romains venaient s'incliner et se recueillir devant la dépouille. Ce rite fut interrompu sous le règne de Constantin. La dernière visite importante est celle de l'empereur Caracalla en 215, qui n'hésita pas à s'approprier la tunique, la bague et la ceinture du Macédonien, la cuirasse, quant à elle, ayant probablement déjà été volée par Caligula... Sous prétexte de piété et de respect, on s'emparait de ce qui était demeuré en contact avec la dépouille du grand empereur et puis, il n'était plus là pour réagir... 

 Le christianisme s'imposa peu à peu sur le monde et, si Alexandre demeurait respecté par tous, il ne pouvait être question de laisser ses restes sans sépulture. Or pour les chrétiens de cette époque, le corps devait être enseveli dans la terre. Nombre d'historiens et d'archéologues pensent que suite à une émeute chrétienne, sous le règne de Théodosius, le corps d'Alexandre fut porté en terre, certainement avec tous les égards dus à la considération du peuple pour son ancien maître. Le seul cimetière chrétien qui existait à l'époque est celui de Terra Santa, situé à l'extérieur du téménos (l'espace sacré ou Sanctuaire chez les anciens). C'est là qu'en 1906, des archéologues découvrirent un somptueux catafalque d'albâtre richement sculpté et décoré mais vide. Mais pourquoi était-il vide quand nombre des sépultures alentour abritaient encore au moment des fouilles, les restes des défunts qui y avaient été déposés ? 


..Une rumeur devint une idée, après tout fort plausible : et si ce tombeau d'albâtre, de fameux tombeau de verre qui remplaça le tombeau d'origine qui était en or massif , était bien celui du Sôma, le monument funèbre dressé au beau milieu de la grande cité, la sépulture d'Alexandre le Grand ? A ce jour, on n'a trouvé aucun tombeau de cette qualité nulle part dans les fouilles pourtant nombreuses depuis le début du XIXe siècle. 

..Après la stabilisation du christianisme qui se fit peu à peu et en douceur après avoir été imposée sous la contrainte et la violence, Alexandrie et tout l'empire d'Orient connut de nouveau des vagues d'intransigeance religieuse. Tout ce qui rappelait les anciennes croyances devait être détruit sans une seule considération pour leur qualité artistique. La barbarie succédait à la civilisation. C'est à ce moment-là que des marchands vénitiens ramenèrent le corps présumé de l'évangéliste Saint-Marc, volé au nez et à la barbe des arabes qui occupaient Alexandrie. Et si ce cadavre momifié qu'ils transportèrent sous de la viande de porc séchée n'était pas celui du saint mais bien plutôt la momie d'Alexandre ? Curieux hasard : le corps d'Alexandre disparait quand celui de Saint-Marc apparait... 

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10 octobre 2016

Franz Kafka à l'Hôtel Gabrielli-Sandwirth, c'était il y a cent ans aujourd'hui

Archives de TraMeZzinimag I 
(billet paru le 13/09/2013)


Le 15 Septembre 1913, Franz Kafka est à Venise. Il loge à l'hôtel Sandwirth, dont les fenêtres donnent sur le Grand canal. La journée a été chaude, belle. Le jeune homme écrit à son aimée, Felice Bauer. C'était il y a exactement cent ans aujourd'hui. L'hôtel où il descendit, devenu le Gabrielli-Sandwirth fête cet anniversaire. Ce n'est qu'une simple lettre parmi les deux cents qu'il écrivit à la jeune femme, mais elle a été rédigée sur le papier à lettres de l'hôtel qui n'a pas changé depuis. Toute une histoire. 

..La manifestation consacrée à l'auteur de La Métamorphose se déroulera sous l'égide de l'éditeur allemand Klaus Wagenbachgrand, grand connaisseur et collectionneur en même temps qu'éminent expert de l’œuvre de l'écrivain dont il est le grand spécialiste. Des lettres de l'écrivain seront lues par l'acteur et musicien Ulrich Tukur, qui vit à Venise et a eu l'idée de cette manifestation. 


..C'est en 1912, dans la maison de la famille de son ami Max Brod que Franz Kafka rencontre Felice Bauer. Elle a 25 ans, un visage pur, les yeux un peu mélancoliques, le nez légèrement aquilin. C'est elle qui donne pour la première fois l'envie de se marier à ce jeune homme presque trentenaire, qui partage sa vie entre le travail dans une caisse d'assurance et l'écriture. Il est profondément atteint par cette rencontre car, se faisant une haute idée du mariage, il n'avait jamais jusqu'à ce 13 août 1912, rencontré une femme qui semble correspondre autant à son idéal d'épouse. 
"Se marier, fonder une famille, accepter tous les enfants qui arrivent, les soutenir dans le monde incertain et même les guider un peu, c'est, j'en suis persuadé, la tâche la plus élevée qui puisse réussir à un homme."
..Lui vit à Prague, la jeune femme à Berlin. Une correspondance abondante s'engage alors. Au début tout flotte dans l'indécision. Felice hésite. Le caractère de Franz lui semble trop singulier. elle le pense inapte à la vie de tous les jours. Elle aimerait ne plus avoir de rapports avec ce garçon tellement imprévisible. Lui, quand il prend la mesure des réticences de son aimée, redouble d'effort pour la persuader de l'épouser. Ils vont ainsi se rapprocher, s'éloigner, se fiancer, rompre, se retrouver...  
"Ma vie a quelque chose de l’asile d’aliénés… Je suis enfermé non pas dans une cellule mais dans cette ville… J’implore la plus chère des jeunes filles… Mais en fait je n’implore que les murs et le papier."
..Kafka adresse une première lettre à Felice Bauer quelques jours après leur rencontre. Cette lettre aura un double effet immédiat pour son auteur. En une nuit, et en plein état d’exaltation, Kafka écrit Le Verdict, texte considéré comme inaugural de sa vocation d’écrivain. 

..Cette première lettre à Felice marquera l’interruption de son Journal, qu'il ne reprendra qu’en février 1913. Dans les lettres qu'il écrit à la jeune femme, on découvre un Franz Kafka levant le voile sur ses sentiments les plus intimes. On y trouve des considérations sur l'écriture comme sa lettre du 20 décembre 1912 : 
"Je sens que lorsque je n’écris pas, une main inflexible me repousse hors de la vie". 
Il est perpétuellement en proie à des désirs opposés, balancé entre le désir de l'épouser, parce que cela correspond à son devoir de fils et de juif, que le mariage pourrait l'installer dans la vie sociale, et la conviction que cette union sera sa chute et formera un obstacle terrible à sa liberté d'écrire. Mais lorsqu'elle ne lui écrit pas, il est malheureux. Lorsqu'elle lui écrit, il est saisi de doute... Il se demande comment il pourra organiser sa vie avec cette femme. Lourd dilemme :  
"Il est même improbable que je m'entende à vivre avec quelqu'un, mais je suis incapable de supporter seul l'assaut de ma propre vie, l'offensive du temps et de l'âge, les timides incitations à écrire, les insomnies, l'imminence de la folie - tout cela je ne puis le supporter seul. Peut-être, ajouterai-je naturellement, l'union avec Felice donnera à mon existence davantage de force pour résister." 

 Mais un peu plus loin il avoue sa peur de se lier, de se perdre dans un autre être, car il ne serait plus jamais seul et il sait qu'il a besoin de la solitude pour écrire. 
"Devant mes sœurs j'ai été souvent, surtout par le passé, un homme tout autre que devant les gens. Hardi, aventureux, puissant, étonnant, ému, comme je ne le suis d'ordinaire qu'en écrivant. Si grâce à ma femme je pouvais être tel devant tous ! Mais ne serait-ce pas autant de pris sur mon art ? Tout, mais pas cela, pas cela ! Seul, je pourrais peut-être un jour abandonner vraiment mon poste. Marié, je ne le pourrai jamais."
..Finalement, le 12 août 1913, Franz envoie la première lettre de rupture à la jeune femme. Elle lui répond par trois lettres successives qui le font changer d'avis. Le 18 août il annonce à son ami Brod qu'il a demandé la main de Felice. Une nouvelle crise éclate l'année suivante, en 1914. Felice ne veut plus entendre parler de lui. Il notera dans ses carnets : 
"S'il était possible d'aller à Berlin, d'être son maître, de vivre au jour le jour, en mourant de faim aussi, mais en donnant libre cours à mes forces, au lieu de lésiner ici ou plutôt de dévier vers le néant. Si Felice le voulait, si elle venait à mon secours."


..Peu après, les fiançailles de Franz et Felice ont lieu à Berlin et un appartement pour le jeune couple est loué à Prague. Une nouvelle rupture survient en juillet de la même année également à Berlin suivie d'une explication pénible avec les parents de Felice. Mais le silence ne dure que deux mois et la liaison se rétablit peu à peu et le projet de mariage resurgit. La Grande guerre éclate et Franz espère se marier après la fin du cataclysme. Les secondes fiançailles ont lieu. Franz ne cesse de se tourmenter par des doutes et par des remords à l'égard de Felice, mais il poursuit avec acharnement son œuvre littéraire. En août 1917, il est pris pour la première fois d'une forte toux accompagnée de crachement de sang. On diagnostique très vite une tuberculose pulmonaire. Il explique sa maladie psychiquement, comme liée à sa fuite devant le mariage. Il la nomme capitulation définitive. C'est pour lui comme une délivrance. En décembre 1917, Felice arrive à Prague et cette fois-ci la rupture est définitive. Il raccompagne Felice à la gare et se rend ensuite au bureau de son ami Max devant qui il éclate en sanglots. 
"Ce fut la seule fois que je l'aie vu pleurer, écrira Max Brod, je n'oublierai jamais cette scène, l'une des plus émouvantes qu'il m'ait été donnée à vivre." 
..Le combat entre le besoin d'amour et la peur de l'amour est fini, mais c'est la littérature qui gagne. Ce sera elle qui sera désormais la véritable maîtresse de l'écrivain et ne cédera sa place privilégiée dans son existence qu'à la Mort... Finalement, la rencontre avec Felice Bauer aura libérée toute la puissance créatrice de Kafka. Nous lui devons de magnifiques lettres. 


30 septembre 2016

C'est demain le grand jour, ma fille se marie !


Je la revois, si petite, si fragile sous le regard étonné de sa grande sœur qui n'avait que deux ans et quelques mois de plus qu'elle. Venue très discrètement, en douceur, à l'heure du thé. Alix-Victoria-Marie-José. C'était en 1990 et voilà qu'aujourd'hui la plus mignonne des petites souris, la petite fille rêveuse, l'écolière mal assurée, la jeune guide rieuse est devenue une jeune femme déterminée. Classique et posée, elle n'a pas jamais hésité à se lancer et à aller de l'avant. Conventionnelle, elle n'a pourtant rien fait dans l'ordre. Voilà qu'aujourd'hui elle se marie. C'est avec joie que je vous annonce cet évènement, le premier mariage dans la fratrie. Nous sommes encore dans la fièvre des préparatifs, la dernière ligne droite avant le grand moment. Joie et bonheur aux jeunes mariés. Vivent Alix et Xavier !

 

29 septembre 2016

La fille du consul en son joli palais

Billet publié initialement le 23/10/2007 sur TraMeZziniMag I

Avant que l'inanité des décisions bureaucratiques de Bruxelles ne nous pousse à la suppression de nos nombreux consulats et autres légations diplomatiques implantées depuis toujours dans les villes d'Europe, la République française occupait pour son administration le magnifique et imposant palais Clary sur les Zattere.
 
Appelé aussi palais Priuli-Bon ou Michiel, cette vaste demeure est depuis longtemps la propriété des qui du temps du Consulat s'étaient réservés le dernier étage de l'immeuble. La Princesse Clary fut dit-on la maîtresse de Mussolini Le palais date vraisemblablement des premières années du XVIIe siècle. Récemment restauré, il retrouve peu à peu sa splendeur passée. Inutile de préciser que du temps de la France, il n'y avait pas de budget pour opérer une restauration de l'ampleur de celle qui vient d'être réalisée. Mais il était plein de charme et j'y ai bon nombre de très heureux souvenirs.

Le consul de mes années vénitiennes s'appelait Christian Calvy. Il vivait là avec sa femme Nicole et leur fille Agnès. Ancien consul de France à Chicago, ancien Premier Secrétaire à Ankara, des ennuis de santé et la chasse aux sorcières de l'administration Mauroy après 1981 l'avaient amené à ce poste. C'était avant la chute du mur de Berlin et ce consulat gardait encore une certain importance stratégique. Sa circonscription consulaire comprenait Trieste, Vérone et Padoue. Parfois les dépêches continuaient de rejoindre Paris en code, informant le monde libre des mouvements suspects des supposées puissantes forces soviétiques. 

Son adjoint, le Vice-consul, Dillemann était un diplomate dans toutes la tradition du Quai d'Orsay, célibataire, mondain, raffiné et cultivé. Il habitait un magnifique appartement en haut du Palais Sagredo, sur le Grand Canal. Au-dessus du Consulat ou était-ce à côté, l'Alliance Française avait ses locaux. Elle était tenue avec une poigne de fer par Lucienne Couvreux-Rouché, qui laissa à sa mort une énorme bibliothèque remplie notamment d'éditions originales de la plupart des romans à succès des cinquante dernières années le plus souvent dédicacés.

C'est le hasard qui me permit de rentre au Palais Clary et d'en devenir un habitué. Mais peut-être l'ai-je déjà raconté. J'étais jeune, étudiant, désargenté et seul. L'hiver est terrible à Venise quand on est mal logé. Je passais des heures le soir au bar Do Draghi, dit aussi le baretto, juste en face du campanile de Santa Margherita. A l'époque c'était le seul bar moderne. Tous les étudiants du quartier le fréquentaient. Les propriétaires étaient sympathiques. il y faisait chaud et j'y avais un crédit. Un soir dans la petite salle du fond nous étions cinq ou six. J'étais assis sur la banquette, dévorant le magnifique texte "L'erreur de Narcisse" de Louis Lavelle que j'avais déniché à la Querini Stampalia. A côté de moi, un petit groupe de poivrots sympathiques faisaient des paris idiots. A l'autre bout de la banquette, il y avait une jeune fille, brune, pas très grande, assez jolie qui lisait Françoise Sagan. En français. Elle venait elle aussi assez souvent dans ce bar. Nous ne nous étions jamais adressé la parole. Le pari des poivrots tomba sur nous : "une coupe de champagne si je parviens à les faire se rencontrer ce soir" clama l'un des buveurs. Il réussit. Nous avons fait connaissance  et partagé le champagne.

Quand vint l'heure de rentrer, je lui proposais de la raccompagner. Elle m'avait dit ne pas habiter très loin. Nous avons bavardé de choses et d'autres. Puis, arrivés devant l'énorme porte du Palais Clary avec son marteau géant, elle m'a dit embarrassée "je suis arrivée". Elle a ouvert la porte (je crois qu'il y avait un portier à l'époque qu'il suffisait de sonner). Devant la beauté du cortile mon envie d'en voir plus était grande. La jeune fille me fit rentrer. Nous nous sommes promenés dans le petit jardin au bord du canal, puis nous sommes montés sur l'une des terrasses qui surplombent l'entrée d'eau. C'est là que le hasard a encore jailli dans ma vie. Elle m'avoua être la fille du consul. Nous avons parlé des pays qu'elle avait habité depuis son enfance. Elle venait de Chicago mais avant elle avait séjourné à Ankara. Je lui parlais de mon oncle diplomate qui y occupa un poste pour une organisation internationale. Il est italien, sa femme danoise et a deux filles. "Tiens" me dit-elle, "maman jouait au bridge avec une danoise dont le mari était représentant de l'ONU et sa fille aînée sortait avec mon frère. Elle faisait du baby-sitting"...Nous parlions des mêmes. Cette coïncidence m'ouvrit à deux battants les portes du consulat. J'allais devenir le sigisbée de la fille du consul, son grand frère, son protecteur, son surveillant. Elle fut ma petite sœur, la compagne de mes peines et de mes doutes et l'instigatrice de mon introduction dans la société vénitienne. Dîners, soirées, réceptions, je connus dès lors une vie bien douce au Palais Clary où j'étais souvent convié en dépit de ma misérable garde-robe et de mes poches souvent bien vides.

5 commentaires :

Danielle (Campiello) a dit…
Quelle belle histoire et si joliment racontée. J'y sens comme une note de nostalgie ...c'est vrai qu'être amené à fréquenter les aîtres de ce palazzo a dû vous laisser d'impérissables souvenirs.
Puis-je vous poser une question? Il y a dans l'église de San Trovaso une chapelle qui est d'ailleurs la pièce maîtresse de l'église : la chapelle Clary , dédiée à **** Elisabetta Alessandrina Clary et un bel autel avec un bas-relief en marbre blanc(1470) représentant des anges est attribué à l'école de DONATELLO ( j'en ai parlé sur les pages que j'ai consacrées à San Trovaso ) Je ne suis pas parvenue à situer cette Elisabeth Clary....
Je serais bien heureuse si vous pouviez me donner des renseignements sur elle. Dès maintenant,un tout grand MERCI
25 octobre, 2007
Lorenzo a dit…
La princesse Elisabeth Alexandra était la fille du comte de Ficquelmont, diplomate autrichien ami de Metternich qui fut en poste à Naples et joua aussi un rôle important auprès du vice-roi face à Daniele Manin. C'est à Naples qu'elle naquit le 10 novembre 1825. Elle épousa SAS le prince Edmund von Clary und Aldringen, conseiller de l'Empereur dont elle eut quatre enfants. Son unique fille, Edmée se maria à Venise avec un diplomate italien, Charles Felix Nicolis de Robilant. Elisabeth mourut de Phtisie le 14 février 1878. Elle est enterrée au cimetière des étrangers à San Michele.
28 octobre, 2007
Danielle ( Campiello) a dit…
Merci à vous Lorenzo.d'avoir pris le temps de me répondre et sans doute aussi d'avoir fait quelques recherches.. je tiens bonne note de votre réponse...:-)
28 octobre, 2007
anita a dit…
Vous racontez si élégamment qu'il est aisé de se faire son cinéma ...juste en fermant les yeux après lecture .
( en confidence : dès que mes activités me laissent un moment , je clique ici et là ...et à chaque fois je m'évade avec bonheur ! )
24 janvier, 2008
géraud a dit…
Le consulat d'aujourd'hui n'est certes pas aussi beau. Et la place de la république française pas bien grande à Venise.
23 mars, 2008

27 septembre 2016

Connaissez-vous Angela Bacchini ?

Quand elle m'est apparue, par un de ces matins d'été si particuliers à Venise, avec cette lumière un peu voilée qui annonce les grosses chaleurs alors que l'air est encore frais ; avec derrière elle, ce ciel dégagé, d'un bleu vif à faire chavirer les âmes endurcies, et l'eau frétillante, je ne me doutais pas que se dressait devant moi une grande poétess vénitienne. 

Elle était vêtue d'un manteau qui avait dû être vert pomme. Un détail qu'on ne pouvait pas ne pas remarquer, ce manteau, en été, quand nous étions en bras de chemise et que très vite le souffle du sirocco fait fondre les corps alanguis... Ce ne pouvait être qu'une folle ou un être d'exception. Je détaillais cette femme sans âge, tenant un sac de cuir noir entre ses mains. Elle était rentrée en soufflant, chargée d'une grosse valise comme on en voit dans les films. Chaussée de mocassins, défraichis comme son manteau, elle portait une robe sombre. Quelque chose de vague émanait de son regard qui contrastait avec son allure décidée. Une odeur de laque mélangée aux effluves d'un parfum bon marché entourait chacun de ses mouvements.
 - C'é la signora Biasin ?  me demanda-t-elle avec un accent vénitien très prononcé. Non, la Signora n'était pas là. Elle avait été convoquée une fois de plus à la Questure ce matin-là. Toujours ses démêlés avec l'administration. Les chambres aménagées sans autorisation, les certificats de l'hygiène jamais validés, la comptabilité assez flottante et le registre des pensionnaires pas vraiment tenu à jour. Rien de malhonnête en vérité, juste une façon de travailler. Et pour la grande satisfaction de tous les clandestins qui passaient par l'Alloggi Biasin, des tarifs vraiment "étudiés", une grande mansuétude de la part de la maîtresse des lieux et toujours l'assurance d'un accueil convivial et d'une oreille attentive. 

Souvent on retrouvait ses jeunes locataires attablés avec Federico, le fils cadet de la maison, tous en train de se régaler d'une pastasciutta à se damner que la locandiera leur servait généreusement. Combien furent-ils ces jeunes venus d'Amérique du sud qui ne pouvaient s'offrir un appartement faute de visas ou le plus souvent faute d'argent. Piégés - comme nous l'étions tous - par la beauté fascinante de la ville dont ils ne pouvaient se libérer, n'ayant jamais pu se contraindre à repartir... Anna (Matilda de son vrai prénom) Biasin gérait les chambres de l'albergo sur la Fondamenta de Cannaregio, qu'on appelait encore à l'époque Fondamenta della Pescaria, mais aussi celles installées dans son appartement de la calle dell'Aseo ainsi qu'une demie-douzaine de chambres calle del Forno, près du Ghetto, où la ville logeait ces malheureux qu'on avait baptisé en vénitien I Sfratai.

Angela Bacchini en étai. Elle n'avait plus de maison. Locataire, comme tant d'autres elle avait dû quitter l'appartement où elle vivait avec sa mère. Elle en fit un un poème. Car la dame était une poétesse. Elle faisait imprimer elle-même de petits recueils de vers toujours ornés de son portrait en noir et blanc, qu'elle tentait de vendre chaque fois que l'occasion lui était donnée. Régulièrement, elle adressait un nouvel opuscule aux journalistes. Parfois un de ses textes était publié.  Tout le monde la connaissait, à Cannaregio mais aussi du côté de San Marco. Car, venezianissima comme elle se définissait, elle était toute entière dans la défense de sa ville. Sur son séjour dans une des maisons de la Signora, relogée à la hâte par les services sociaux de la municipalité, comme des centaines d'autres expulsés, elle a écrit ces lignes en vénitien, qui en disent long sur ses états d'âme d'expulsée :

 La Camera dea pension (La Chambre à la pension)  

"De dodese metri quadrai :
Questa se la nostra stanza da sfratai.
Sicome ogni camera ga el so aredamento ; 
anca su sto buso ; 
qualcosa ghe se dentro.
I ghe ga meso la tola, 
un leto per dormir e riposar ; 
un scabeo, un armaron.
E anca do careghe dentro sto salon.
Ma una comodità atenua i nostri mali...
Gavemo i servisi, per i bisogni corporai.
Cossa volemo ancora !... De cossa 
Se stemo lagnar.
Ne resta quatro metri
Anca per caminar.
E quando mi e mia mama;
Semo dentro quà ; 
dovemo pur divider, sto spazio per metà.
Ne ghe se problemi
A far sta operazion.
Do metri a mi... e do a ea
Ne resta in conclusion.
De soldi ghe ne demo anca bastanzeta
Per ste poche robe e sta stanzeta.
Mia mama se nervosa, 
cose vole far. La ga otanta ani 
e fora no la vol andar,
la ghe vede poco ; le ganbe 
ghe fa mal.
Bisogna aver pazienza
Bisogna soportar...
Sentimo ste parole, de quei 
che ne comanda.
Ma iori ga la casa
E anca co la veranda.
Per pasarse el tempo, sta mia vecia mama 
la furega le strasse :
mama lasa perder e se quatro scoasse.
Ma ea no lasa perder, qualcosa 
la ga da far... intanto co la so calma 
la continua a furegar.
E anca la me invidia ; la me ciama fortunada.
Mi so senpre quà : 
ma ti ti va anca in strada !
Se vero ! Ma cossa vusto 
che no fassa nianca
un giro per la piazza
Che no me ciapa l'aria dentro el vaporeto,
e con l'ingresso libero ; no varda 
el Canaletto.
Che no me insemenisa davanti ae boteghete,
dai vasi colorai... co statue e medagete...
o su quea madona in cupola 
che par che la varda le stele :
ala Giudecca nel colegio dele 
Zitelle !
Ognuno se consola a sto mondo 
come pol.
Epur no avendo niente 
ringrazio anca el Signor.
De cossa ! I me dirà. 
De star quà a veder la mia cità.
No da esser rica, o per farme 
Schei : ne per far imbrogessi 
al dano dei fradei.
Ma per esser onesta e aspetar 
la carità... Da chi ? Dal Comune.
Che el se ricorda questo : 
che forse no lo sa.
Le case ghe va prima 
a chi se nato quà.
Che nostre le se lore... e nostra se la cità...
E no se veda più ste comicità
come go visto geri.
Che i se ga da el sfrato
fra foresti e stranieri.

Un poco lo go dito de queo
che go da dir.
doman el discorso lo faro finir.
Davanti l'assessor, davanti ai zuconi...
e se me fosse lecito... a tuti queiche
a Venezia fa i parono."
(Traduction personnelle ICI

Après plusieurs mois - presque deux ans - de bons (et loyaux services) chez la Signora à faire les chambres, accueillir les touristes, faire les courses, aider aux lessives et désinfecter les pièces de la calle del Forno dévolues aux expulsés les plus démunis, je quittais mon petit appartement de la vieille maison de la calle dell'Aseo pour d'autres aventures. Ayant donné ma démission, déménagé mes meubles, je n'ai plus revu la signora Bacchini ni sa mère. Je l'ai croisé quelques fois du côté de San Alvise et un jour devant le Cucciolo où j'avais mes habitudes. 

C'est seulement en 1997 et au moment d'un évènement presque passé inaperçu ailleurs qu'à Venise, que j'ai eu de ses nouvelles. J'étais depuis longtemps retourné vivre en France, pour me marier et travailler. Quatre enfants étaient nés et je venais moins souvent sur les bords de la Lagune. Ce rêve d'y construire ma vie et de voir y grandir mes enfants n'avait pu se réaliser, celle que j'avais épousé ayant catégoriquement refusé de venir y vivre (ou peut-être n'ayant pas su être assez convaincant pour l'en persuader). C'était à l'occasion d'un court séjour avec des amis. Quelques jours avant le triste anniversaire de la chute de Venise, période bien triste où le Sénat abandonna, sans aucune résistance et avec beaucoup de lâcheté, le destin de la Sérénissime à l'infâme général corse et aux pouilleux des armées de la révolution qui s'empressèrent de la mettre à genoux et la pillèrent. 

La nuit était douce. Je n'avais pas sommeil. Nous repartions le lendemain. J'avais décidé de faire un dernier tour de la ville comme à mon habitude. J'arrivais par le ponte della Canonica, juste derrière le palais du patriarche. A ma grande surprise il y avait partout des policiers et même des militaires en tenue de combat. Le silence était pesant et les soldats nerveux. Si ce spectacle aujourd'hui nous parait ordinaire depuis que le mot "sécurité" sert à nos gouvernants pour égratigner en douceur les libertés fondamentales en jouant sur la terreur, cette vision d'apocalypse sur la piazzetta était alors surprenante. 

Je pensais comme d'autres à une très forte acqua alta en prévision et je frissonnais à l'idée qu'on s'attende peut-être en haut-lieu à une marée catastrophique... Il faisait lourd. On m'expliqua que l'accès à la Piazza était interdit, des terroristes s'étaient enfermés dans le campanile et disposaient d'un blindé et de tout un attirail militaire... On a très vite appris qu'il ne s'agissait que d'un engin de chantier maquillé en char d'assaut et que seul deux ou trois des huit (présumés) terroristes possédaient un fusil... Je m'approchais d'un groupe de vénitiens parmi lesquels il y avait le maire de l'époque, le philosophe Cacciari et un peintre que je connaissais bien pour avoir travaillé avec lui du temps de la galerie Graziussi

Et je la revis, un peu vieillie, le visage marqué, les cheveux moins soignés. Elle allait de groupe en groupe avec à la main ses plaquettes auto-éditées qu'elle proposait aux gens. Militante de la première heure pour une Venise libérée du joug de Rome et des banques, naturellement du côté de la population qui depuis la trahison de Buonaparte et l'impitoyable domination des Habsbourg a toujours dû s'incliner, témoin trop longtemps muet de la destruction et la confiscation de leur lieu de vie pour le profit de quelques uns. Nous ne nous sommes pas parlés. Je me contentais de l'observer de loin, puis on nous fit reculer hors de la piazza avant que l'assaut soit donné. Lorsque je tentais de m'approcher d'elle, Angela Bacchini était déjà repartie rejoindre des manifestants qui soutenaient les révoltés du campanile. La farce se termina sans trop de grabuge et je n'en sus davantage que le lendemain, en allant à la gare prendre notre train. Le Gazzettino narrait en première page l'incroyable évènement et les commentaires allaient bon train. Un poème de la Bacchini, en page intérieure parlait des deux Venises. Celle des vénitiens et celle de l'argent... 



Quelques pauvres diables naïfs et ardents y ont laissé leur liberté. Ils auraient pu y laisser leur vie et rien n'aurait vraiment changé. Pathétique... Il y a vingt ans déjà l'impéritie des élites politiques dégoulinait en les salissant sur les masegne de la cité des doges. La Sibylle hurlait sa colère et la douleur de son amour trahi pour la Sérénissime. Je ne sais si elle vit toujours mais elle doit se réjouir de voir combien la majorité des vénitiens semble vouloir bouger et prendre en main son destin... 

25 septembre 2016

Sur mes pas d'autrefois...

Réédition d'un billet publié sur TraMezziniMag I, le 9 mai 2007 :


Cette photo empruntée au magnifique site Venice Daily Photo, montre le portique de la Corte del Sabion, qui permet de passer de la fondamenta où se trouve aujourd'hui la boutique de la Guggenheim (à mon époque la galerie de Bobo Ferruzzi où je travaillais) au campiello qui débouche sur la calle Navarro, où j'ai habité jusqu'à mon retour en France en 1986. 

Au bout de la corte vivait une vieille femme qui nourrissait (et abritait) une nombreuse colonie de chats. L'écrivain Dachine Rainer, aujourd'hui disparue, attendrie par ces chats abandonnés souvent faméliques, m'avait chargé de distribuer à la vieille femme une assez forte somme d'argent pour veiller à l'entretien des petits orphelins. Puis la dame a été expulsée. 

On m'a dit qu'elle s'était installée à Cannaregio, non loin du Teatro Italia avec ses chats. Parmi eux, Rosa, ma jolie petite chatte grise aux beaux yeux verts, jamais retrouvée quand je suis revenu Calle Navarro pour la ramener en France avec moi... Venise est ainsi remplie de lieux pittoresques qu'il faut apprendre à découvrir. Ouvrez l’œil, visiteurs ! 

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23 septembre 2016

François Mitterrand le vénitien, par Jean d'Ormesson

Billet initialement publié le 10 mai 2011 sur TraMezziniMag (l'original).
   
Le jour de la passation des pouvoirs entre le président Mitterrand et Jacques Chirac, et en dépit d'un emploi du temps chargé, Jean d'Ormesson fut invité, tôt le matin, par le président sortant. Pendant deux heures les deux hommes bavardèrent. Quelques mois plus tard, après la mort du président, l'académicien, qui partageait avec lui le même amour pour la littérature et pour Venise, a écrit pour l'Express un article où il décrit l'amoureux de Venise. Tramezzinimag avait cité naguère l'entretien d'Ida Barbarigo avec Mazarine Pingeot expliquant cette relation intime du chef de l’État avec la Sérénissime (lien ICI). 
 
«L'épithète homérique et italienne accolée le plus souvent - depuis François Mauriac - au nom de François Mitterrand est celle de «florentin». Il y a, dans l'opération, une connotation péjorative, et presque une intention de nuire: on voit des dagues, du poison, des conspirations en pagaille et de la trahison dans l'air. Rappelons, pour tenter de garder un peu d'objectivité et serrer en même temps la réalité de plus près, qu'il y a une autre ville d'art en Italie à laquelle Mitterrand n'a jamais cessé de témoigner son admiration et son attachement. Ce n'est pas Florence; c'est Venise. 

François Mitterrand se rendait régulièrement à Venise. On le voit, sur des photos, accompagné de quelques amis, à bord d'un «motoscafo» ou en train de se promener sur la Riva degli Schiavoni ou sur les Zattere. Des rumeurs ont longtemps assuré que le président avait acheté une maison à Venise. On allait jusqu'à la montrer aux passants, ébaubis. Je ne sais pas du tout, pour ma part, ce qu'il y a de vrai dans ces bruits. On raconte que, lassée sans doute par les rumeurs, la propriétaire actuelle de cette maison aurait fait imprimer une carte de vœux de Noël. Avec trois volets: sur le premier, Mitterrand contemple la maison ; sur le deuxième, Mitterrand et la propriétaire sont ensemble devant la maison ; sur le troisième, Mitterrand s'éloigne et la propriétaire rentre seule chez elle. 

Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il a longtemps habité, entre le campiello San Vio et le pont de l'Accademia, un palais du XVIIe siècle qui donne à la fois sur un jardin et sur le Grand Canal: le palais Balbi-Valier. Et que plusieurs trattorias ont eu l'honneur de recevoir à déjeuner ou à dîner le premier des Français. J'ai souvent pris des repas dans une trattoria de la Giudecca qui s'appelle Altanella et dont la terrasse s'ouvre sur un de ces canaux qui débouchent à deux pas de la belle église du Redentore, édifiée par Palladio, en 1577-1580, juste après San Giorgio Maggiore, juste avant le théâtre olympique de Vicence : François Mitterrand était un habitué de cet endroit très simple, très calme et très délicieux. 

Pour Noël 1994, dans la plus grande discrétion, entouré d'êtres qu'il aimait - et aussi de trois gardes du corps qui l'aidaient parfois à franchir quelques marches ou à enjamber un obstacle - le président est revenu une fois encore à Venise. La presse a évoqué une retraite tenue secrète. C'était à la Sérénissime qu'il avait tenu à rendre une dernière visite. Hanté par la mort, tenté par un mysticisme qui perçait jusqu'à travers ses discours officiels, il a retrouvé la ville du plaisir et du déclin. 

Il s'était installé, une fois de plus, dans ce palais qui jouxte San Vio, entre le pont de l'Accademia et la pointe de la Salute et de la Douane de mer. De temps à autre, il poussait jusqu'aux Zattere et prenait un repas au restaurant Riviera, en face de la Giudecca, un des meilleurs de Venise. Mais, moins disposé à de longues marches, il s'installait surtout plus près, à deux pas de San Vio, à côté de la boutique d'un encadreur, le long d'un canal qui mène jusqu'aux Zattere, dans une trattoria populaire et très simple, le Cantinone storico.

On voit bien ce qui pouvait attirer François Mitterrand à Venise. Il aimait la beauté, la littérature, les femmes. Plus que Rome, reine majestueuse et altière, plus encore que Florence, princesse écrasée sous les ors et la prospérité, Venise est une ville-femme. On pourrait dire: une ville-femme-femme. Le Grand Canal est son écharpe. Les ponts sans nombre sont ses bracelets. Et les églises, les palais, les puits sur les petites places, les maisons ocre ou rouges sont les bijoux dont elle se pare. Aucune ville au monde n'est plus littéraire que Venise. Pour un admirateur du romantisme, de Chateaubriand, qui mêle Venise à ses amours passionnées pour Nathalie de Noailles et pour Juliette Récamier, dont il écrit le nom sur le sable du Lido, de Musset,
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge, 
Pas un pêcheur dans l'eau, 
Pas un falot... 
Mais qui, dans l'Italie, 
N'a son grain de folie ? 
Qui ne garde aux amours 
Ses plus beaux jours ?... 
Comptons plutôt, ma belle, 
Sur ta bouche rebelle 
Tant de baisers donnés 
- ou pardonnés! 
Comptons, comptons tes charmes, 
Comptons les douces larmes 
Qu'à nos yeux a coûtées 
La volupté !  

et de Barrès: « Avec ses palais d'Orient, ses vastes décors lumineux, ses ruelles, ses places, ses traghets qui surprennent, avec ses poteaux d'amarre, ses dômes, ses mâts tendus vers les cieux, avec ses navires aux quais, Venise chante à l'Adriatique, qui la baigne d'un flot débile, son éternel opéra », Venise est incomparable. 

Grand amateur d'histoire, connaisseur averti de la littérature, François Mitterrand, quand il passait de la statue de Goldoni, au pied du Rialto, à la statue du Colleoni, devant San Giovanni e San Paolo, ou de la Madonna dell'Orto et de la maison du Tintoret à l'Arsenal, gardé par ses quatre lions de pierre, pouvait s'imaginer qu'il n'était plus entouré de Jack Lang, de Michel Charasse ni de Patrice Pelat, mais de Casanova, de Byron, de Thomas Mann et de Visconti. J'imagine assez bien Mitterrand en train de rêver devant la plaque de marbre apposée sur le beau palais Dario (dont on raconte qu'il porte malheur, mais Woody Allen envisage de l'habiter) pour célébrer la mémoire d'Henri de Régnier, qui y vécut et y écrivit à la vénitienne : « In questa casa antica dei Dario visse et scrisse venezianamente Henri de Régnier, poeta di Francia. »

J'imagine surtout - je n'imagine pas, je le sais - que le président se promenait longuement et de jour et de nuit le long des canaux de Venise. Venise est une ville qui entraîne. Mitterrand se laisse entraîner. Florence est une ville immobile. On s'arrête longuement devant les portes du baptistère ciselées dans le bronze par Ghiberti ou devant Or San Michele ou devant la «Bataille de San Romano », où Uccello a peint quelques-unes des plus belles croupes de cheval de l'histoire de la peinture. 

A Venise, chacun court le long du Grand Canal. On se précipite du Ghetto Vecchio à l'isola di San Pietro et des Gesuiti aux Gesuati. Ce n'est pas François Mitterrand qui aurait confondu, comme tant d'autres, les Gesuati, sur les Zattere, avec les incroyables draperies en marbre vert et blanc de l'église baroque des Gesuiti. 

Il ne rêvait pas seulement à toutes ces splendeurs de l'art entassées à Venise. Venise est une leçon de beauté. C'est aussi une leçon de politique. De la grandeur, des triomphes, des échecs, et de la cruauté. Quels talents, quelle énergie, quelle patience avaient dû déployer ces gens venus se réfugier dans des marais hostiles - et sur des bords un peu plus élevés, dits Riva alta, d'où Rialto - avant de régner sans partage, plutôt par l'intelligence que par la force brutale, sur une bonne partie de la Méditerranée ! Tous les matins, surtout vers la fin, n'étaient pas triomphants : Bragadin, le défenseur héroïque et malheureux de Famagouste, avait été écorché vif par les Turcs, qui avaient promené par la ville sa peau bourrée de paille. Et Othello, et Casanova, et Marco Polo, et l'autre président, le bon vieux président de Brosses, qui détestait Saint-Marc ! Seul le pavement de mosaïque trouvait grâce à ses yeux : il était si bien jointé qu'on pouvait y jouer à la toupie. Venise est une machine à susciter des rêves de beauté, de pouvoir et de mort. 

Je suis prêt à parier que ce qui amusait Mitterrand et l'attristait en même temps - mais à quoi bon lutter contre une histoire qu'il vaut mieux accompagner qu'essayer en vain de contrer ? - ce qui l'intéressait, en tout cas, c'est qu'il savait l'année, le mois, le jour où le déclin de Venise était devenu inéluctable: le 12 octobre 1492, Christophe Colomb découvrait l'Amérique. Lentement, mais fermement, l'océan Atlantique poussait la Méditerranée hors de la scène de l'Histoire. Le monde basculait. Ce n'était pas la première fois. Ce ne serait pas la dernière. Le tour viendrait du Pacifique. L'Histoire ne reste jamais immobile.

J'aurais aimé me promener à Venise avec François Mitterrand. Nous aurions parlé de cette république aristocratique, de cette démocratie élitiste, si pleine de contradictions, qui a inventé l'impôt sur le revenu, qui a élevé le masque à la hauteur d'une institution, où les lions ont des ailes et où les pigeons marchent à pied. Nous aurions évoqué tant de beauté, tant de crimes, tant de pouvoir, tant de génie. Nous aurions parlé de la politique, de l'argent, de «La Tempête», de Giorgione, et du petit chien blanc aux pieds de saint Augustin dans le tableau de Carpaccio à San Giorgio degli Schiavoni. Je lui aurais posé des questions. Sur Venise. Sur la vie, qui lui avait tant donné. Sur les arbres, qu'il aimait tant et qui font défaut à Venise. Sur la mort, qui ne fait défaut à personne. Et sur Dieu, dont les peintres de Venise se sont tant occupés. Mais, quoi ! je ne me suis jamais promené avec Mitterrand à Paris, où nous habitions tous les deux. Pourquoi diable lui serait-il venu à l'esprit de se promener avec moi à Venise ? »

Jean d'Ormesson
© L'Express - 1996.

20 septembre 2016

Tramezzinimag, une renaissance : le chantier avance, peu à peu...

Les fidèles lecteurs de Tramezzinimag le savent, le 23 juillet dernier, Google a supprimé purement et simplement et sans aucune explication, le blog et toutes les publications réalisées depuis 2005 (ainsi que les autres blogs hébergés sur le compte Google+, les archives photos de chacun de ces sites, celles de mes différentes activités associatives, et de nombreux documents de famille...). 

Le combat juridique s'amorce et nous ne lâcherons rien. En attendant, des fidèles, férus d'informatique qui soutiennent ce combat viennent de trouver une page du blog piratée par un site pornographique américain... Ainsi un billet de juin 216 et un autre de juillet s'ouvrent sur des images vulgaires et vraiment disgusting avant de présenter l'article original de Tramezzinimag... Est-ce la raison de la suspension du compte et la suppression du blog ? L'enquête est ouverte. De quoi devenir républicain et s'inscrire au Tea Party (c'est une plaisanterie !) mais tous les yankees ne sont pas des enfoirés seulement âpres au gain et férus de pornographie. Ce sont les aléas du net et le manque de prudence en ne surveillant pas davantage nos sauvegardes. 

Par ailleurs, nous travaillons - vous l'aurez peut-être constaté - à la republication des anciens articles. pour l'instant, il s'agit d'éditer ceux qui étaient le plus lus. Le plus long et compliqué est la reconstitution des illustrations, images, vidéos et sons. Ceux appartenant à Tramezzinimag ou ceux dont le copyright n'était enregistré dans l'adresse du lien ne sont pas toujours rechargeables. Pour les autres, on les retrouve sans difficulté sur les sites d'archive du net voire même dans le cache de Google

Republier un article avec ses liens, ses illustrations, sa mise en page, peut prendre plusieurs heures. C'est du temps en moins pour publier de nouveaux articles. Que nos fidèles lecteurs veuillent bien nous en excuser et qu'ils soient une fois encore, remerciés. pour leur patience et leur soutien !
Cela retarde aussi le lancement des Éditions Tramezzinimag dont nous vous reparlerons dans ces colonnes en octobre. En attendant cette sympathique chanson interprétée par Logan Heftel.

16 septembre 2016

venezia by rené Caovilla



Une vision de Venise telle qu'elle surgit à l'esprit de ceux qui l'aiment et parfois la quittent et qui souffrent toujours un peu d'en être éloigné. Un regard de poète et d'amoureux.Mais qui est René Caovilla ? Certains d'entre vous se rappelleront Edoardo, son père, un artisan chausseur de talent du Veneto, qui entre 1928 et 1934 a fait de sa manufacture de chaussures de Fiesso d’Artico, le lieu magique où prenait forme sa vision de la beauté et du luxe. Il chaussa les personnalités les plus célèbres de l'entre deux-guerres. C'est son fils qui depuis quelques années a repris le flambeau, transformant l'entreprise en une maison de haut niveau d'où jaillissent de somptueux modèles. 

Les images qui défilent ne sont pas un argumentaire publicitaire, elles traduisent l'esprit même de la marque. René Caovilla est depuis 2001 chevalier du Mérite italien, reconnaissance de l’État pour la qualité des productions, pour la philosophie qui y préside de cet ambassadeur du luxe et du goût italiens. Déjà, la troisième génération s'apprête à poursuivre et déployer l'esprit et le style Caovilla.