N'est-ce pas l'aspiration de tous, cette idée d'une vie tranquille ? Vous connaissez peut-être les vers bucoliques de Boileau, qui souffrit du bruit et des embarras de Paris - au XVIIe siècle déjà - de son épître au président Lamoignon :
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" Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J’occupe ma raison d’utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construis,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui ;
Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,
J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l’air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique :
Là, sans s’assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu’on boit est bon, tout ce qu’on mange est sain ;
La maison le fournit, la fermière l’ordonne,
Et mieux que Bergerat l’appétit l’assaisonne.
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde ! "
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J’occupe ma raison d’utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construis,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui ;
Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,
J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l’air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique :
Là, sans s’assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu’on boit est bon, tout ce qu’on mange est sain ;
La maison le fournit, la fermière l’ordonne,
Et mieux que Bergerat l’appétit l’assaisonne.
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde ! "
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Ils
m'ont toujours inspiré tant le poète a su exprimer cette soif de paix
et donc de sérénité qui nous vient naturellement quand la vie et ses
nécessités s'emparent de nous et nous transforment vite en pantins
désarticulés qui suent sang et eau. C'est un rêve d'existence. Une
maison agréable, un paysage charmant, la douce promiscuité avec la nature et sa beauté... Lire, se promener, rêver, manger, dormir... Les
urbains que nous sommes auraient cependant - pour la plupart - beaucoup
de mal à demeurer ainsi longtemps et le bonheur des premiers jours se
transformerait certainement en une hébétude insupportable. Cela m'a
toujours étonné, mais j'ai parfois rencontré des êtres de grande culture
et remplis de qualités humaines et intellectuelles, se morfondre très
vite au contact prolongé de la nature. Je me souviens en particulier de cet ami,
aujourd'hui écrivain notoire et homme politique très engagé, avec qui
j'étais allé réviser les examens de Sciences po dans une vallée perdue
des Pyrénées.
Nous y étions comme des fils de roi. Les aubergistes nous
concoctaient de plantureux repas, notre chambre ouvrait sur la montagne.Réveillés par les oiseaux et les clochettes du bétail qu'on
menait en pâture, nous faisions de longues promenades au-dessus du
village, observant la route qui menait en Espagne. La frontière se
trouvait alors à quelques mètres de la sortie du bourg. Nous y restions
des heures à observer les quelques voitures qui s'aventuraient sur cette
petite route biscornue. J'aurai pu mourir là sans regret tellement je
me sentais en harmonie avec les lieux.
Un matin, j'avais amené mon camarade assez haut, par un de ces chemins qu'empruntaient les contrebandiers quand il se pratiquait ici le trafic de sel. L'endroit était d'une splendeur incroyable. Il faisait doux sous un ciel dépourvu de nuages. C'était à couper le souffle. Assis sur une pierre, nous demeurions là, contemplant l'horizon où se détachaient les plus beaux sommets du Pays basque, quand mon ami se mit à parler. "Je me demande quelle sera la tactique de Chaban-Delmas et celle de Servan-Schreiber si nous avons des élections anticipées" lança-t-il. Nous étions en 1973, peu de temps avant la mort du Président Georges Pompidou. En disant cela, le bougre s'agitait, faisait de grands gestes et, parlant haut, à la grande surprise des moutons qui paissaient non loin de là, tout échevelé, il s'était mis à faire les cent pas...
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Le voir ainsi avec en toile de fond ce paysage à couper le souffle m'horrifia littéralement. J'en ris maintenant, mais sur le moment je crois que j'aurai pu l'étrangler : Sa voix couvrait le chant des oiseaux et ses propos me semblaient tellement incongrus sur cette montagne, par ce magnifique après-midi de printemps. Nous nous sommes disputés tout le long du chemin jusqu'au village. Le lendemain, il reprenait l'autocar pour Bordeaux, m'avouant qu'il n'en pouvait plus du silence, de la paix de ces montagnes et du chant des oiseaux... Je restai seul une longue semaine, appréciant ma solitude, me demandant si cette vie-là pouvait être sacrifiée à une carrière ou une ambition... "Tu finiras notaire au fin fond d'une province et tu t'ennuieras de l'éclat des villes" me disait-il souvent. Je ne suis pas devenu notaire, mais je ne me suis jamais lassé de la vie tranquille. Vivre en ville reste pour moi une obligation que je supporte tant bien que mal et de moins en moins...
.
Quel rapport avec Venise ? me demanderez-vous. J'allais y venir. Quelques années plus tard, quand le hasard m'a permis de m'installer en Italie, j'ai ressenti la même plénitude que dans mes montagnes. Par un joli soir d'été et au beau milieu de la ville. Ce n'était certes pas n'importe où : J'avais été invité à visiter la Ca'Dario, cette fameuse maison où Henri de Régnier habitait quand il séjournait sur la Lagune. Après la visite du palazzo, on me permit de rester un moment dans le jardin. L'herbe venait à peine d'être coupée et un jardinier taillait les branches d'un arbre. D’innombrables oiseaux chantaient. Au loin des cloches sonnaient. Il n'y avait pas un signe d'agitation. Le vieux jardinier ratissait une allée, une corneille arpentait le haut du mur qui sépare le jardin du charmant campiello que les lecteurs de TraMeZziniMag connaissent tous. La douce chaleur, l'odeur de l'herbe coupée, le chant des oiseaux... tout contribuait à isoler mon âme de toutes les sottes préoccupations qui auraient pu s'emparer d'elle. Je savais déjà que j'avais trouvé l'endroit où mon être tout entier s'épanouirait, mais j'eus soudain la certitude que Venise était un miracle : une création non naturelle qui pourtant s'avérait totalement, incroyablement naturelle.
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Un matin, j'avais amené mon camarade assez haut, par un de ces chemins qu'empruntaient les contrebandiers quand il se pratiquait ici le trafic de sel. L'endroit était d'une splendeur incroyable. Il faisait doux sous un ciel dépourvu de nuages. C'était à couper le souffle. Assis sur une pierre, nous demeurions là, contemplant l'horizon où se détachaient les plus beaux sommets du Pays basque, quand mon ami se mit à parler. "Je me demande quelle sera la tactique de Chaban-Delmas et celle de Servan-Schreiber si nous avons des élections anticipées" lança-t-il. Nous étions en 1973, peu de temps avant la mort du Président Georges Pompidou. En disant cela, le bougre s'agitait, faisait de grands gestes et, parlant haut, à la grande surprise des moutons qui paissaient non loin de là, tout échevelé, il s'était mis à faire les cent pas...
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Le voir ainsi avec en toile de fond ce paysage à couper le souffle m'horrifia littéralement. J'en ris maintenant, mais sur le moment je crois que j'aurai pu l'étrangler : Sa voix couvrait le chant des oiseaux et ses propos me semblaient tellement incongrus sur cette montagne, par ce magnifique après-midi de printemps. Nous nous sommes disputés tout le long du chemin jusqu'au village. Le lendemain, il reprenait l'autocar pour Bordeaux, m'avouant qu'il n'en pouvait plus du silence, de la paix de ces montagnes et du chant des oiseaux... Je restai seul une longue semaine, appréciant ma solitude, me demandant si cette vie-là pouvait être sacrifiée à une carrière ou une ambition... "Tu finiras notaire au fin fond d'une province et tu t'ennuieras de l'éclat des villes" me disait-il souvent. Je ne suis pas devenu notaire, mais je ne me suis jamais lassé de la vie tranquille. Vivre en ville reste pour moi une obligation que je supporte tant bien que mal et de moins en moins...
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Quel rapport avec Venise ? me demanderez-vous. J'allais y venir. Quelques années plus tard, quand le hasard m'a permis de m'installer en Italie, j'ai ressenti la même plénitude que dans mes montagnes. Par un joli soir d'été et au beau milieu de la ville. Ce n'était certes pas n'importe où : J'avais été invité à visiter la Ca'Dario, cette fameuse maison où Henri de Régnier habitait quand il séjournait sur la Lagune. Après la visite du palazzo, on me permit de rester un moment dans le jardin. L'herbe venait à peine d'être coupée et un jardinier taillait les branches d'un arbre. D’innombrables oiseaux chantaient. Au loin des cloches sonnaient. Il n'y avait pas un signe d'agitation. Le vieux jardinier ratissait une allée, une corneille arpentait le haut du mur qui sépare le jardin du charmant campiello que les lecteurs de TraMeZziniMag connaissent tous. La douce chaleur, l'odeur de l'herbe coupée, le chant des oiseaux... tout contribuait à isoler mon âme de toutes les sottes préoccupations qui auraient pu s'emparer d'elle. Je savais déjà que j'avais trouvé l'endroit où mon être tout entier s'épanouirait, mais j'eus soudain la certitude que Venise était un miracle : une création non naturelle qui pourtant s'avérait totalement, incroyablement naturelle.
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J'ai su depuis que bon nombre d'auteurs avaient réfléchi sur cette opposition nature/anti-nature
pour l'appliquer à la cité des doges et à son environnement. C'est
bien cela le miracle de Venise : née d'une nécessité vitale pour l'homme
(échapper aux
barbares et se mettre définitivement à l'abri tout en organisant une
vie sociale et commerciale performante), la cité des doges est, de par
ses liens avec l'eau, celle des fleuves, celle de la lagune, des marais
et de la mer, totalement naturelle. Nulle autre ville au monde n'est
construite sur cette dichotomie. C'est pourquoi, Venise, même envahie
par les hordes de touristes qui débarquent chaque jour, reste au même
titre que cette montagne qui fit fuir mon brillant camarade, les polders
du Cotentin où nous avons notre maison ou les plages de l'océan, un
endroit paisible et serein où je puis déclamer sans ridicule, les vers
de Monsieur Boileau.