01 décembre 2008

Ronde du monde par Juliette Fabre

Juliette Fabre est une jeune bordelaise venue faire ses études à Venise. Installée depuis peu dans la cité des doges, elle partage son temps entre l'université, les expositions et le violoncelle, grâce auquel j'ai fait sa connaissance. Elle m'adresse aujourd'hui sa première contribution à Tramezzinimag : le vernissage à la Bevilacqua La Masa, de l'exposition-installation de William Kentridge, artiste sud-africain, plusieurs fois présent à la Biennale. Quasiment du direct.

À 11h30, la Fondation Bevilacqua La Masa ouvre enfin ses portes, et c'est les pieds humides que nous entrons. William Kentridge, plasticien, metteur en scène et scénographe sud-africain n'avait peut être pas prévu que ce dimanche 30 Novembre 2008, il y aurait acqua alta ! Le palazzetto Tito subit le flux et reflux de la foule qui se presse pour assister à l'inauguration de l'exposition (REPEAT) from the beginning/Da Capo. À l'intérieur, des sculptures en fer forgé, des peintures, de la vidéo. L'artiste varie les médiums mais toujours avec cette préoccupation/obsession du cycle, de la répétition et, à l'intérieur de celui-ci, l'instant de grâce, unique, explicite. On pourrait penser que le fait même de répéter rend l’œuvre uniforme, lisse. Il n'en est rien. Les sculptures, d'abord, de par leur matière et leurs agencements, demeurent rugueuses, déstructurées voire agressives. Présentées sur des chevalets mobiles, le spectateur est libre de faire tourner les structures. A première vue, elles semblent n'être qu'une composition abstraite, puis en se prenant au jeu, on cherche “l’œil du prince”, le point de vue parfait qui permet de voir se composer le visage d'une femme, un homme-cheval, un vieux phonographe.

Il est intéressant de voir combien le spectateur se réjouit lorsqu'il arrive à percer le secret d'une œuvre. Ici, le fond, le sens et la forme se confondent. L’œuvre nous manipule dans le sens où c'est elle qui nous impose le moment pour se dire “oui, ça y est, je peux m'identifier à cette œuvre”. Mais il est évident que la chose ne se trouve pas tout de suite. Pour cela, la scénographie (on voit bien que c'est une spécialité de l'artiste) est assez remarquable.

C'est d'abord par les sculptures que nous commençons. À part l'une d'elle vraiment explicite, le spectateur n'y voit qu'une production abstraite. Salle suivante : grâce à un procédé d'ombre projeté et de plate forme, la sculpture tourne sur elle même indépendamment. Puis, trois vidéos sont projetées. L'une d'elle en particulier donne des clés pour mieux comprendre le manège de ces êtres de fer, éclatés trouvant en un moment clé leur raison d'être dans l'échange avec celui qui observe. Au delà du rapport œuvre/spectateur, ces sculptures mobiles se font réellement peinture d'un monde déstructuré, en pièces, insensé dans sa ronde infinie mais aussi de la magie de l'ici et maintenant, dans la jouissance de l'instant présent.

Juliette Fabre
William Kentridge
(REPEAT) from the beginning/Da Ca
po
30/11/2008 - 16/01/2009
Fondazione Bevilacqua La Masa
Palazzo Tito, Dorsoduro 2826
(Fondamenta Rio San Barnaba)
Tél. : 041 520 77 97
Entrée : 3 € (tarif réduit : 2€)
de 10H.30 à 17H.30
Fermé Lundi et mardi
Catalogue édité par La Charta, Milano.
112 pp. 13,50 €

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

La BBC a filmé l'acqua alta : http://news.bbc.co.uk/2/hi/7759467.stm
impressionnant! Marie G.

La terrible Acqua Grande de 1966

Quelques clichés de 1966... Des images-choc conservées dans les archives de la ville, qu'on aimerait ranger définitivement au rayon des souvenirs !
 

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1 commentaire:

Florence a dit…

En 66 mes grands-parents se sont retranchés sur leur table de cuisine.
Dernièrement je suis allée regarder la station météo au pied du campanile.
L'acqua grande de 1966 est représentée et c'est impressionnant.
Florence

Montée des eaux d'un niveau exceptionnel aujourd'hui

Le Centre des Marées de Venise (nord-est de l'Italie) a lancé ce matin une alerte à l'aqua alta, car la mer devrait atteindre à la mi-journée une hauteur de 1,60 m au-dessus de son niveau normal, un record depuis trente ans, comme l'indique l'AFP dont la dépêche a été reprise par l'ensemble des médias aujourd'hui.
 
Pourtant, cela n'a hélas rien d'anormal et cette alerte reste malheureusement de saison. La hauteur prévue sous-entend une montée des eaux de près de un mètre dans certains endroits de la ville avec toutes les conséquences, visibles et invisibles que cela peut avoir. Ce qui serait vraiment inquiétant, c'est la conjonction des marées avec une tempête comme il y en eut une en 1966 sur l'ensemble de la péninsule. 
 
A priori, les prévisions météorologiques, si elles ne sont pas merveilleuses, ne prévoient pas de dégradation dangereuse dans les prochains jours. Mais, on ne sait jamais surtout avec le dérèglement climatique que nous vivons depuis quelques années. Le maire, Massimo Cacciari a recommandé aux gens d'éviter de sortir. Non pas tant parce qu'il y aurait danger à se promener en ville, mais pour éviter tout cafouillage car, en dépit de la saison, on dirait qu'il y a toujours autant de touristes et ceux-ci ont des réactions parfois inattendues devant l'acqua alta
 
De plus, comme le personnel de l'ACTV est en grève et les vaporetti pas plus que les bus de terre ferme ne fonctionnant, un afflux de piétons supplémentaires... Cela fait beaucoup. 
 
Le niveau de l'eau devrait diminuer d'heure en heure, pour revenir à la normale vers 19 heures. L'acqua alta reviendra cette nuit et devrait encore dépasser un mètre demain en fin de matinée. On est encore loin des deux mètres de la grande marée de 1966. Croisons donc les doigts, le mauvais temps sur la péninsule ne permet pas d'être totalement optimiste, mais les moyens de prévention et d'alarme qui existent aujourd'hui permettent d'anticiper les risques de catastrophe. 
 
Venise on le sait, est menacée depuis des années par la montée des eaux. L'écosystème lagunaire a été totalement bouleversé ces cinquante dernières années avec la percée du grand chenal amenant les tankers et autres énormes navires vers la zone industrielle de Marghera et le réchauffement augmente le niveau des mers. Venise est donc très exposée. 
 
Le projet MOSE qui devrait permettre de fermer les bouches d'accès à la lagune en cas de fortes marées est loin d'être terminé et personne ne saurait dire aujourd'hui si l'ouvrage pharaonique remplira son rôle...
 
La pluie et le vent se sont déchaînés la nuit dernière. Une cheminée est tombée dans la nuit, près du ponte delle Gate, à Castello. Les pompiers ont dû aussi récupérer quelques embarcations tentées d'aller voir au fond de l'eau. Rien de trop alarmant. La protection civile a tout de même été mise en alerte cette nuit jusqu'à nouvel ordre.

2 commentaires:

Marie a dit…

j'ai été informée de cette montée des eaux "record" et je suis de tout coeur avec les vénitiens..
Je croyais que le projet MOSE ( j'ai vu un mini reportage télé y'a pas si longtemps) serait prochainement ( 2009 ou 2010, je ne sais plus) opérationnel. Ce ne serait donc pas vrai?

Lorenzo a dit…

Il a fallu quelques mois aux vénitiens du XVe siècle pour construire le pont du Rialto, près de dix ans à la technique moderne pour en finir avec le pont Calatravà ! Le projet MOSE s'il voit le jour fêtera ses 45 ans à sa naissance. Viva la bureaucratie !

23 novembre 2008

COUPS DE CŒUR N°31

John Blow
Venus & Adonis
dirigé par René Jacobs
Clare College Chapel Choir dirigé par Timothy Brown
Orchestra of the Age of Enlightnment
HMG501684 - Coll. HM Gold, Harmonia Mundi. (enregistré en 199) - 2008.
Il y a parfois des mystères inexplicables. On rentre chez le disquaire parce qu'on a quelques minutes devant soi et on est accueilli par une musique magnifique, pleine et profonde. Pas le temps de se renseigner pour savoir ce que c'est. Quelques jours plus tard, invité chez un ami, on découvre de quoi il s'agit et c'est le bonheur. Comme les livres, les disques arrivent dans notre vie le plus souvent par hasard et marquent un évènement, répondent à un besoin ou illustrent une pensée. C'est le cas de ce disque pour moi. Un enregistrement de toute beauté dirigé par René Jacobs, paru en 1999 et repris dans la belle collection hmGold. De très belles voix, élégantes et impliquées, (la soprano Rosemary Joshua dans le rôle de Vénus et le baryton Gerard Finley dans celui d'Adonis, le contre ténor Robin Blaze pour Cupidon notamment) des instruments anciens parfaitement maîtrisés. Ce "masque pour le divertissement du Roi" Charles II, composé en 1680, par le musicien de la cour John Blow. Ce compositeur est encore méconnu, pourtant il composa des centaines d'hymnes, de nombreuses odes et de nombreuses songs dont certaines sont de nos jours encore très populaires. Elève de Gibbons, sa renommé commença enfant, grâce à sa voix de soprano tellement réputée que sa mue en 1664, fut présentée, par les gazettes de l'époque, comme une catastrophe . Rentré comme claveciniste du roi à la restauration (on est dans les années noires qui virent la décapitation du pauvre Charles Ier, le règne de l'infâme dictateur néo-républicain Cromwell), il fut l'organiste de l'Abbaye de Westminster. Mais il est resté dans l'histoire avant tout comme le professeur du jeune Purcell choriste.
Mais pour revenir à cet opéra (le premier opéra anglais entièrement chanté) , les amateurs de musique ancienne - et les autres certainement - ne pourront rester indifférents à l'originalité, la maîtrise et la beauté de la musique. Il y a notamment un passage merveilleux, à l'acte III, quand Vénus pleure la mort prochaine d'Adonis. qui va expirer à ses pieds. La scène finale est somptueuse : Vénus crie sa douleur et son désespoir, puis conduisant somptueusement le deuil du demi-dieu, elle emmène le choeur dans une déploration finale qui fait frisonner l'auditeur. Il y a dans cette musique anglaise quelque chose de la somptuosité picturale vénitienne. En écoutant cette oeuvre, j'ai sans cesse devant les yeux des toiles du Tintoret et du Titien.
 
Antonio Vivaldi
Nisi Dominus et Stabat Mater
Marie-Nicole Lemieux, Philippe Jaroussky,
Ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi
Label Naïve, 2008 - OP 30453.
Comme l'a écrit un critique, ce disque est d'une grande émotion. "Il y a deux manières d'aborder le Stabat : on peut rechercher la représentation d'une douleur stylisée, qui peut engendrer l'écoute musicale et la prière; on peut aussi vraiment incarner la douleur de la mère. Marie-Nicole a chanté le Stabat Mater comme une mère, cette mère qui pleure la chose la plus terrible qu'il y ait au monde - la perte d'un enfant. Elle incarne et vit directement les mots. Lorsqu'elle chante « dum pendebat filius", En dépit de la gravité des paroles, on a l'impression qu'il s'agit d'une berceuse, que la mère berce une dernière fois son enfant. Splendide. Le contre ténor parvient à égaler James Bowman, qui reste cependant pour moi le meilleur interprète de ces oeuvres de Vivaldi malheureusement peu connues du grand public. Le névralgique et si fameux "Cum dederit" du "Nisi Dominus". Jean-Christophe Spinosi exprime avec justesse la sensation qui prend l'auditeur en écoutant cet air extraordinaire : "Le Cum dederit utilise un principe que j'appelle "mouvement immobile", que je trouve très vénitien. À Venise, sur les canaux, le soir, quand il n'y a plus aucun mouvements, quand on pousse une barque, elle avance mais on a l'impression qu'il n'y aucun mouvement tant l'onde est calme. Il y a une composante à la fois onirique et aquatique. Pour atteindre ce mouvement immobile, j'ai pensé à la dernière minute qu'il fallait ralentir encore plus. Et ce qui est extraordinaire, c'est que Philippe aurait pu dire : Ce n'est pas comme cela qu'on fait d'habitude. Au contraire, il a adhéré au tempo immédiatement. Ce genre de moment, c'est grand ! ». Un très beau disque, sorti il y a un an qui fera un très beau cadeau de Noël à faire (et à se faire !). 
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Wlodzimierz Odojewski
Une saison à Venise
Rivages, Editions Payot. 2008
Les souvenirs d’enfance sont bien les plus beaux et les plus intenses que l’on conserve au cours d’une vie. Ce petit roman réveillera certainement en chacun de vous les émerveillements d’antan, entre rêve, illusion et réalité.
Marek, neuf ans, attend avec impatience ses premières vacances à Venise, lieu de villégiature familiale. Or nous sommes en Pologne en 1939, et le pays commence à être envahi par l’Allemagne nazie. A défaut de Venise, c’est dans la maison de tante Weronika, située en pleine campagne, que le petit garçon passera ses vacances d’été. Le foyer recueillera rapidement le reste de la famille. Cependant, la joie de retrouver ses proches ne résistera pas longtemps à la déception de devoir différer l’accomplissement de son rêve. Un jour, alors que les bombardements se font plus que jamais menaçants, une source miraculeuse - à moins qu’il ne s’agisse d’une canalisation déficiente - va inonder la cave. Alors que tante Weronika percevra les vertus thérapeutiques de cette eau lustrale, et émettra l’idée de créer des thermes, tante Natacha, de son côté, va imaginer de réinventer Venise. Les planches à repasser et les tables de ping-pong serviront de terrasses, les baquets de la buanderie feront de très convaincantes gondoles et le violon et le vieux piano seront parfaits pour les concerts du soir. Ainsi, tandis que les obus déchirent le sol et que les soldats meurent par milliers, les enfants sont protégés des affres de la guerre grâce à l’univers onirique qu’ils ont créé dans leur cave...
Avec ce court texte, Wlodzimierz Odojewski, né en 1930 en Pologne, nous offre un véritable petit bijou de sensibilité, de grâce et de délicatesse. "Il y a du Grand Meaulnes dans ce roman" comme l'écrit Dominique Aussenac dans le Matricule des Anges. Une saison à Venise fait partie de ces textes qu’on lit d’une traite, mais qui nous berce encore longtemps de sa douce mélodie. Il nous signifie ainsi que nos jeux d’enfant sont décidément inoubliables. (Remerciements à la librairie Mollat).
 
Patrick Barbier
La Venise de Vivaldi, Musique et fêtes baroques
Editions Grasset. 2002.
La République de Venise vit somptueusement ses dernières heures de gloire. Nous sommes au XVIIIe siècle. Jamais on ne s'est autant diverti, jamais la fête et la musique n'ont occupé une telle place dans la vie quotidienne. Le carnaval (qui dure entre cinq et six mois), les fêtes d'Etat, le jeu, mais aussi les concerts, les nombreuses cérémonies religieuses et l'opéra provoquent l'admiration et l'envie des visiteurs du monde entier qui font de Venise la destination favorite de l'élite internationale... Vivaldi, dont le nom est inséparable de Venise, écrit ses concertos pour les jeunes filles des Hospices et ce religieux, se comporte au théâtre en homme d'affaires, aussi doué que rusé. Du carnaval aux réceptions dans les ambassades, de la basilique Saint-Marc aux grands théâtres d'opéra, des barcarolles sur les canaux à la musique des cloîtres, l'auteur, à partir de textes et de correspondances de l'époque du prêtre roux, mais aussi grâce à de savoureuses anecdotes transmises à venise depuis cette époque, ressuscite parfaitement la vie musicale de cette ville incomparable.
Patrick Barbier, italianiste de formation, est professeur de musique à l'Université Catholique d'Angers. Il est l'auteur, entre autres, d'un très intéressant essai sur les castrats italiens à la Cour de Versailles, "La Maison Des Italiens" paru en 1999 chez Grasset, dont je vous reparlerai.
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B&B La Madonetta
San Polo 1440
30125 Venezia
39 041 5287880
Il fallait que je vous parle de ce Bed & Breakfast de charme, situé non loin du campo San Polo, facilement accessible à pied ou par le vaporetto, et qui, pour 90 euros par jour en hiver, propose des chambres pour deux très agréablement meublées, propres et confortables. La maison est accueillante, le salon très convivial permet de se relaxer quand on a les pieds endoloris par des heures de marche à travers la ville. On peut y bouquiner dans le calme, surfer sur internet avec l'ordinateur de la maison ou avec le sien. Le petit déjeuner est copieux et fait devant vous dans la grande cuisine de la maison. Pour les amateurs du thé de cinq heures, tout le matériel pour se concocter une bonne théière - ou une cafetière - est à disposition. Une des meilleures adresses dans cette gamme de prix (100 euros la chambre pour deux avec un lit supplémentaire possible, en pleine saison). Bien sûr, ce n'est pas la meilleure solution quand on veut séjourner en hiver à Venise, l'idéal demeurant l'appartement qui permet pour une somme souvent raisonnable de se sentir chez soi et de tenter de vivre vraiment à la vénitienne, en faisant ses emplettes, en cuisinant les produits du cru et en organisant sa journée au rythme de ses envies. Mais c'est souvent bien mieux que l'hôtel impersonnel et toujours très cher. Quel plaisir a-t-on après une journée fatigante, de se retrouver dans une chambre exigue et impersonnelle ? Et puis comment satisfaire l'envie d'un verre de lait à deux heures du matin ou d'une pastaciutta quand dehors tout est fermé ? A moins de loger au Gritti ou au Cipriani, aucun room-service ne vous sera proposé dans les auberges au tarif abordable !

1 commentaire:

Michelaise a dit…

oui oui bien sûr la solution c'est l'appart, d'autant que le choix est de plus en plus vaste, et surtout que cela permet de "tester" les quartiers de Venise, la vie n'est pas la même partout !
Mais merci pour cette maison d'hôte, la formule est parfois très agréable

21 novembre 2008

Quand le froid arrive, viennent aussi des envies de cuisine

L'hiver à Venise peut-être rude. Qu'il s'agisse de ce brouillard tellement dense qu'on en perd son chemin et qui vous glace les os, de cette pluie fine comme en pleine mer accompagnée d'un vent glacé ou de la neige qui tombe parfois en abondance. Il est agréable ces jours-là, quand rien ne nous contraint à sortir, de se mettre aux fourneaux. La cuisine vénitienne dispose de toute une série de plats roboratifs, faciles à réaliser et drôlement bons à déguster. Laissez donc votre quotidien belge, canadien, suisse ou français et rejoignez-moi dans une cuisine de Venise.
 

Mon premier geste est de mettre de la musique. Avec internet, il est facile d'avoir à tout moment le programme que l'on désire. Pour ma part, je cuisine en compagnie de Otto's baroque radio, une radio américaine qui diffuse 24 heures sur 24 de la musique ancienne. Vivaldi et Bach y sont à l'honneur. Mise à part la minute de publicité réservée aux sponsors de la radio (je baisse toujours le son à ce moment-là, en mauvais consommateur que je suis). Mais si vous n'avez pas d'informatique sous la main, un bon disque fera l'affaire. Un éclairage chaleureux (bannissez ces horribles puits de lumière clinique balancée par les plafonniers et optez pour des points de lumières indirectes), une tasse de thé ou un verre de vin posés à côté de vous pour entretenir vos forces, et au travail. Produits frais du marché achetés le matin même au Rialto ou chez un des commerçants chez qui vous vous servez depuis toujours. Aujourd'hui dans le panier : ricotta et mascarpone, amandes et pignons, haricots blancs, persil, ail et oignons, coques de toutes sortes, bigoli (pâtes typiquement vénitiennes à la farine de sarrasin), pour réaliser la pasta fagioli, des bigoli cassopipa et des fritelle della nonna.

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Pasta Fagioli
Voilà un plat que vous connaissez tous certainement. J'en donne ici la recette la plus authentique que je viens de retrouver dans un très vieux carnet de cuisine de famille (daté de 1863 !). C'est un mets d'origine paysanne qui s'est diffusé au fur des années jusqu'à la table du doge. 
Il faut des haricots blancs frais, à Venise on choisit des fagioli di Lamon ou des borlottini (les meilleurs sont les "baete" de San Erasmo qu'on s'arrache au marché quand les mareyeurs en apportent). Sans haricots à peine glanés, on en utilise des secs mais pas de ces machins industriels. On en trouve de très bons dans les boutiques bio. Il faut les mettre à tremper une nuit dans de l'eau mêlée de bicarbonate de soude. 
Faire revenir deux gros oignons, une carotte, du céleri, une branche de romarin, du laurier dans de l'huile d'olive. Quand les ingrédients commencent à cuire, ajouter les haricots avec un os de jambon. Couvrir avec de l'eau. Ajouter du gros sel, et laisser bouillir environ quarante minutes. 

Quand le mélange est cuit, mettre de côté environ 1/3 des haricots et passer au chinois le reste. Ajouter les haricots mis de côté. Ajouter à la soupe obtenue une petite quantité de pâtes, de préférence des subiotini (sortes de petites tagliatelles) mais du vermicelle épais peut faire l'affaire et remettre à cuire.

Servir chaud après avoir ajouter un peu de poivre et de l'huile. 

Certains ajoutent du parmesan mais c'est une entorse à l'usage. Pourtant, il est vrai que c'est délicieux avec alors au diable les usages ! Pour ma part, j'ajoute à la fin un hachis d'ail et de persil.
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Bigoli in cassopipa
Bon là un peu de précision. Les coquillages c'est du sérieux. Chaque fois que je vais au marché en acheter je me pose la même question : avec la pollution des mers, est-ce que ces délicieux mollusques sont sains ou sont ils imprégnés de mercure, d'uranium et de pétrole ? Mais ne nous décourageons pas et c'est tellement bon ! 
Il vous faut 3 kilos de coques à votre discrétion (moules, bulots, palourdes, coques, etc...) ,
1 gros oignon, 4 gousses d'ail, 500 g de spaghetti Bigoli (à la farine de sarrasin) ou à défaut des spaghetti à la farine entière, de l'huile d'olive, du poivre et du bouillon de poisson ou à défaut un bouillon de légumes, quelques anchois.

Dans un faitout en fonte (cassopipa en dialecte vénitien), verser directement l'oignon haché, l'ail, l'huile et les coquillages que vous aurez trouvé sur le marché. Cuire à feu doux (les vénitiens disent "pipare") jusqu'à ce que les coquillages s'ouvrent. Enlever la chair des coquilles, ajouter de l'huile à discrétion, du poivre et un peu d'anchois salées en morceaux, jusqu'à l'obtention d'une sauce suffisamment parfumée que vous tiendrez bien au chaud jusqu'à la cuisson des pâtes. Quand celles-ci sont prêtes et égouttées, mélanger la sauce avec les coquillages, du persil et de l'ail cru hachés et un peu d'huile d'olive, si vous avez peur que cela soit sec. C'est succulent !
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Fritelle della nonna
Il vous faut 450g de ricotta, 150g mascarpone, 150 g de farine de riz et 100 g de pignons autant d'amandes effilées, de l'huile de friture.
 
Dans une grande jatte, mélanger doucement à la cuillère, la ricotta, la farine et le mascarpone. La pâte doit être consistante sans être sèche et ne pas coller aux doigts. 


Former des petites boulettes en introduisant au milieu des pignons et des amandes. Aplatir ensuite les boulettes de façon à obtenir des sortes de frites plates d'environ 2 cm de large sur 5 cm de long. 

Faire cuire dans un poêlon avec de l'huile chaude. Égoutter sur un linge ou un papier absorbant, sucrer. 

On peut aussi varier le goût en nappant les fritelle della nonna de miel qu'on aura pris soin de faire chauffer afin qu'il caramélise un peu et les enveloppe bien. Je les sers avec la crème à la vénitienne ou mieux avec un sabayon.
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Illustration : Marcela Brusegan
("Libro per Cuocho". Manuscrit anonyme vénitien du XIVe siècle).


1 commentaire:



Anonyme a dit…
Merci encore et toujours pour ces coups de coeur qui me donnent envie de filer chez mon disquaire et mon libraire. Bonne semaine à vous, Lorenzo!
Vichka

19 octobre 2008

La Parmigiana di melanzane

Alors cette fameuse parmigiana. Il y a autant de recettes que de maitres-queue en Italie. Juste pour l'information, les italiens du sud, notamment ceux de Sicile, prétendent que la vraie recette ne comportait pas de parmesan, mais du cacciacavallo (délicieux fromage au demeurant), d'autres n'y mettent que de la mozzarella. certains en font uniquement un antipasti, d'autres un plat de résistance en développant le côté gratin. à vous de choisir. Il y en a même qui utilisent des tranchez d'aubergines préalablement grillées. Dernière chose : à Venise, on ne met pas d'ail. Trop rustique pour les palais vénitiens. Mais personnellement, faire la cuisine sans ail me perturbe ! 

Pour réaliser ce plat, il vous faudra 1 ou 2 belles aubergines, 1 gros oignon, 1 belle tomate cœur de bœuf mûre à point, du parmesan frais, un flacon de passata di pomodoro (celle que je préfère depuis que nous n'en faisons plus nous-même est celle de la marque Giaguaro), de l'huile d'olive, du basilic frais, de la coriandre, de l'ail, du sel et du poivre, de la mozzarella fraîche (de la vraie faite avec du lait de bufflesse bien entendu). 

Faire chauffer l'huile dans une sauteuse. J'en mets une assez large quantité car les aubergines absorbent vite la matière graisse. Y jeter les oignons hachés finement. Quand ils deviennent transparents, ajouter les aubergines coupés en tranches les plus fines possibles et non pelées, puis ajouter de l'ail haché et du sel (je mets du gros sel par habitude). Couvrir et laisser cuire à feu doux en remuant de temps à autre pour éviter que les aubergines n'attachent. Si besoin est, ne pas hésiter à ajouter de l'huile. Les légumes ne doivent pas brunir mais s'imbiber peu à peu de d'huile et du parfum des oignons et de l'ail. 

Quand l'appareil vous semble suffisamment cuit, ajouter les tomates en tranches fines et la passata di pomodoro. Bien mélanger et laisser réduire. Ma grand-mère ajoutait un morceau de sucre pour lutter contre l'acidité des tomates. Quand le mélange est onctueux comme crémeux, ajouter poivre et coriandre, le basilic et le parmesan. Si vous servez cette préparation avec des pâtes (je prends des penne rigate) qui auront cuit pendant la préparation de la parmigiana avec seulement un cube de bouillon aux herbes et un gros morceau d'ail, il faut mélanger la sauce obtenue avec les pâtes et ajouter au dernier moment la mozzarella en tranche. Il peut être nécessaire de rajouter un filet d'huile d'olive. 

Si la parmigiana est un plat unique ou destiné à accompagner une viande ou une volaille (c'est délicieux avec une écrasée de pommes de terre ou de la polenta en purée), mettre une partie de la préparation dans un plat allant au four, puis une couche de mozzarella, puis encore du parmesan (n'hésitez-pas, plus il y en a meilleur c'est), puis encore des légumes et finir par le reste de mozzarella et du parmesan, un filet d'huile d'olive et mettre au four jusqu'à ce que le dessus soit gratiné. Servir tout de suite. C'est délicieusement délicieux ! 

Photo empruntée à Bolli's Kitchen que je remercie. 


2 commentaires:

Lena a dit…
Exactement ce qu'on souhaite en ce moment, un plat délicieusement fondant, riche et parfumé...et une recette authentique! Je dis oui, trois fois oui!
Elsa a dit…
Demain j'achète des aubergines.

03 octobre 2008

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 4) : Sous le figuier, la poésie de la vie...

Je viens de découvrir un blog que je vous recommande. C'est une belle découverte. Il traite de littérature et de bonnes choses. rédigé avec beaucoup de sensibilité et de fantaisie, il peut entrer sans aucun doute dans notre "club des amateurs de petits riens qui font les grands bonheurs" ! : Sous le figuier. découvert par hasard en cherchant une photographie de Henry de Régnier, j'ai lu ce court article que je me permets de retranscrire ici : 
 

"Les carnets de voyage sont de jolies lectures pour les contemplatifs, des voyages intérieurs qui éblouissent l'âme.
Peu importe, vicissitudes de l'existence ou agaceries du quotidien, ouvrir un carnet, c'est s'élever au delà des contingences...
L'écrivain est un compagnon de voyage merveilleux.
Henri de Régnier nous dévoile une Venise intime, lumineuse et magique comme il l'a vécue."Venise est peut-être la ville où l'on a le moins besoin d'amour.
Les plus belles aventures que l'on puisse y avoir, on les a avec soi-même".
Lire quelques pages et s'endormir sur de belles images... "

Léna parle dans ce post du livre de Henry de Régnier, "Récits vénitiens" (Collection l'Écrivain Voyageur , Ed. La Bibliothèque). Dans un autre de ses textes elle mentionne le Venise exquise de Jean Clauzel dont je vous ai moi aussi souvent parlé en me léchant les babines à chaque fois. Nous avons les mêmes valeurs et je puis vous affirmer que son moelleux aux pommes vient de faire des heureux à l'heure du thé dans notre maisonnée !

01 octobre 2008

L'art décoratif à Venise

L'art à Venise aujourd'hui est le plus souvent dans l'esprit des gens lié à son passé. Sans parler des trésors que contiennent ses musées, ses palais et ses églises, il y a partout, chez les quelques antiquaires qui restent, dans les galeries ou les boutiques, des objets d'autrefois ou inspirés par le passé, cette période où la Sérénissime rayonnait dans le monde par la magnificence de ses tissus, de ses décors, de sa production typographique manutienne qui fait aujourd'hui les délices des bibliophiles avertis. Mais l'art décoratif, comme la peinture ou la sculpture ne sont pas figés dans l'hier de la cité des doges. Il existe de nombreux artistes qui créent des choses nouvelles, souvent hasardeuses, parfois de très bon niveau. je pense aux tissus de Norelène dont je vous ai déjà parlé, des peintures et des gravures de certains artistes. Il faudrait tout un article pour les mentionner en en dressant la liste. Mais je voudrais insister sur les artisans qui perpétuent ou renouent la tradition décorative de la Sérénissime. J'ai une prédilection pour les tissus, de velours ou de soie, le plus souvent brodés et très colorés qui servaient autrefois à vêtir hommes et femmes et à orner les riches intérieurs. Symboles d'un art de vivre aujourd'hui disparu, ils incarnent un sens du beau, de l'esthétique qui rend vite un intérieur quelconque, chaleureux et vivant. Aux tissus, s'ajoutent les verreries (toujours fabriquées selon les méthodes d'antan mais rarement aussi fines et délicates qu'au XVIIIe siècle) et l'art du stuc et du staff, celui de la dorure, le goût des patines et de la couleur. En ce début d'automne, rien de plus agréable que de se plonger dans les revues de décoration où les velours de Mariano Fortuny, les brocarts et les cristaux de Venise gardent une place prépondérante dans les styles retravaillés par les professionnels. Au delà des modes, l'art décoratif vénitien demeure un symbole de confort et de chaleur. Rien à voir avec le show-room de Philippe Starck à Moscou, comble du mauvais goût et de l'art nouveau riche pour maffieux incultes ! 

Il existe un livre, plus très récent mais réédité en 2005, qui donne une assez bonne idée du goût des vénitiens, écrit par Doretta Davanzo Poli, la grande spécialiste du tissu ancien en Italie, avec de très belles photographies de Mark E. Smith, américain vivant à Venise depuis de nombreuses années : "L'art décoratif à Venise : Luxe et volupté" (Édition Place des Victoires). 

Je citerai aussi l'excellent "Demeures discrètes de Venise" de Elisabeth Vedrenne, avec des photographies de André Martin , (paru chez Albin Michel en 1990). Il y en a d'autres, très agréables à feuilleter mais aussi vraiment remplis d'informations passionnantes pour qui s'intéresse à ces arts mineurs dont je suis personnellement assez féru. Ne forment-ils pas un tout avec les autres arts pour constituer une civilisation, un art de vivre. L'art tout court. Je pense aux excellents ouvrages de Clara Santini : "L'oro di Venezia" (Artioli Editore, 2005), et le très documenté "Le lacche di Venezia" (même éditeur, 2003).

2 commentaires (publiés lors de la parution du billet sur le blog originel) :


anita a dit
...oui Philippe Starck a acheté à prix d'or souvent par snobisme , aime beaucoup sa toute petite maison de Burano ... ceci le "rachète" un peu . A mon avis , étant dans un système , il en profite au maximum ...
Anita
Lorenzo a dit
Il faut signaler le magnifique travail des brodeuses de Rochefort de l'atelier du Bégonia d'or, des mains magiques : Ces fées ont travaillé pendant plusieurs mois sur une broderie au fil d'or en forme de châle en trompe-l’œil de dentelle sur le cuir d'un grand canapé du show-room. Il faut rendre hommage à cet atelier incroyable où travaillent les meilleures brodeuses du monde dans une grande discrétion et un secret bien gardé !

18 septembre 2008

COUPS DE CŒUR N°30

La Sérénissime et la Sublime Porte
Musique baroque de Venise à Istanbul
Ensembles La Turchesta et Cevher i musiki dirigés par Chimène Seymen.
Label Calliope, 2007.

Le 29 mai 1453, en fin d'après-midi, vers la Porte Saint-Romain rebaptisée ensuite Porte du Canon (Topkapi en turc), les troupes du jeune sultan Mehmet III envahissent Constantinople après un long siège de deux mois. C'est un monde qui s'écroule. Sainte-Sophie devient une mosquée, le sultan fait construire le palais de Topkapi sur une colline au dessus du Bosphore. Les meours vont vite changer. C'est l'Orient qui succède à l'Occident. Mais qu'en est-il de la musique ? Ce disque apporte la réponse. On y entend des pièces turques et européennes du XVIIème siècle qui furent jouées dans les salons somptueux du sérail du sultan, au milieu des ors byzantins et des céramiques polychromes ottomanes.
Chimène Seymen, musicologue et soprano, se consacre à l'étude des musiques européennes et ottomanes au XVIIème siècle, à leurs relations et influences réciproques. Ce disque original, qui n'est pas sans rappeler dans son esprit les initiatives de Jean-Christophe Frisch sur la musique dans la Cité interdite, se veut un échantillon des musiques jouées à la Sublime Porte. Celles-ci sont entre autres connues grâce au travail d' Ali Ufkî : Remarquable linguiste, familier de la notation musicale européenne, et doté d'une extraordinaire mémoire musicale, ce joueur de psaltérion, musicien de la chambre, compila un recueil de près d'un millier de pièces instrumentale et vocale. A une époque où la musique ottomane ne se transmettait que par voie orale, son initiative est très précieuse. Dans la version préparatoire de cet ouvrage, aujourd'hui conservée à Paris, se trouvent également des pièces européennes diverses qui soulignent le dialogue musical entre les cultures. Le Sultan et ses odalisques ne furent donc pas insensibles de l'art de Landi ou Barbara Strozzi...
Le programme du disque joue sur cette dualité, et panache allégrement musique ottomane et vénitienne, confiant chaque répertoire à un ensemble différent, intégrant même un santur (sorte de psaltérion) aux pièces vénitiennes, et quelques instruments européens dans les morceaux ottomans. Il doit être noté que la démarche d'interprétation sur instruments authentiques est tout à fait novatrice dans la Turquie actuelle : le groupe Cëvher i musiki est ainsi constitué de professeurs du conservatoire national de musique traditionnelle d'Egée, dont le département de lutherie a spécialement reconstitué les instruments d'époque (sehrud, rebab, santur, tanbur...). Le lien historique entre Constantinople et Venise mérite ce genre d'extension.
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Tomaso Albinoni
12 Sonates à trois pour violon, violoncelle et basse continue, Opus 1
Ensemble Parnassi Musici
Label Cpo Records
Tomaso Giovanni Albinoni (1671-1751), exact contemporain de Antonio Vivaldi, vénitien comme lui, n'est pas l'auteur du faleux adagio mis à toutes les sauces. Il a laissé suffisamment d'oeuvres pour ne pas s'acharner à l'associer à cet opus : des concerti pour hautbois, mais surtout plus de cinquante opéras et des pièces instrumentales. Neuf opus ! Parmi celles-ci se trouvent les douze sonates en trio de l'Opus 1, dédiées en 1704 au Cardinal Ottoboni, pour qui travaillait Corelli. D'un style très corellien, toutes coulées dans le moule de la sonata da chiesa en quatre mouvements. Johann Sebastian Bach utilisa dans plusieurs de ses fugues pour clavier des thèmes tirés de mouvements de ces sonates. Magnifiquement articulées, avec des réalisations souvent imaginatives de la ligne de continuo et des improvisations introductrices ajoutées avec goût. Les instrumentistes de l'ensemble Parnassi Musici ont su parfaitement capter la profonde gravité des mouvements lents, très doux (comme chez Corelli), articuler cette musique qui mérite d'être mieux connue. Le second mouvement de la sixième sonate offre un bon exemple de la qualité de l'interprétation. Les instruments sont tous clairement et parfaitement reproduits, le son est net et brillant, dans une acoustique naturelle qui donne l'impression d'être aux musiciens. Un régal.
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Un si tendre abandon
Jean-Pierre Guyomard
Livres de Poche, 2008
Il est des livres comme des conquêtes amoureuses. Quand on les cherche, rien de bien ne vient mais quand on s'abandonne au hasard des rencontres, c'est là que tout arrive. J'avais acheté pendant les vacances tout un tas de livres en prévision des longues journées de farniente, qu'il fasse beau ou qu'il pleuve, j'étais paré. Parmi ces livres un peu achetés au hasard - un joli titre, une belle couverture, quelques lignes glanées en feuilletant l'ouvrage - ce roman ne semblait pas devoir marquer mes journées. Pourtant quelle surprise. Dans une écriture extraordinairement coulante, limpide mais précise et acérée, l'auteur nous fait vivre une aventure peu ordinaire : un homme arrivé à la cinquantaine, père de Marc et Eric, deux garçons beaux et géniaux, marié avec Marie, la mère de son troisième enfant, une petite Camille pétulante, décide un jour de disparaître. Cet abandon qui n'en est pas un va provoquer un raz de marée dans la famille mais la fratrie qui se resserre autour de Marc, l'aîné des enfants, hypersensible et très affectif, va s'en sortir plutôt bien. Seule Marie gardera plus que du vague à l'âme. L'histoire est racontée à la première personne par les protagonistes "conscients" du drame : Marc, Marie et le père. Les années vont passer ainsi. Jusqu'au coup de théâtre qui n'en est pas vraiment un mais qui surprend au détour d'une page... Mais je ne vous en raconte pas davantage. Eléonore de La Grandière écrivait dans le Nouvel Observateur en 2006 (date de la sortie du roman) : "Ce premier roman est une véritable ode à la tendre enfance. [...] on a envie de faire partie de ce cocon familial, plein d'amour, de mots d'enfants et de simplicité". Rare d'avoir les larmes aux yeux au détour des môts dans un livre aujourd'hui. Une seule réserve pour ma part : mon côté prude et janséniste m'a fait regretter deux scènes un peu trop longues et réalistes, où l'auteur nous détaille - sous la dictée de Marc, puis de Marie - des scènes disons "intimes" et je crois qu'on pouvait se passer de ces détails assez crus... C'est parait-il au goût du jour (et des éditeurs), et puis c'est très bien écrit, alors...

04 septembre 2008

COUPS DE CŒUR N°29

Ardidos Coffee
 
Fondamenta S.Fosca
Cannaregio, 2282 
Tél.: 041 894 61 83 
ouvert tous les jours (parfois fermeture de 16h à 18h).
Rare à Venise, un lieu où on propose de nombreuses variétés de cafés du monde entier à déguster sur place ou à emporter chez soi. Les croissants sont délicieux servis nature mais qui peuvent être accompagnés d'une des nombreuses confitures vendues sur place. Jus de fruits pressés et centrifugés, charcuteries et fromages excellents de très bonne provenance. On y sert aussi des salades garnies originales, des encas à base de poisson ou de viande et même des plats végétariens. Grand choix de vins etd e bières. Bref, vous l'aurez deviné, Tramezzinimag recommande l'Ardidos Coffee. Un nouveau local (en tout cas nouveau pour nous), vraiment unique à Venise. Le cadre est raffiné, sobre et de bon goût avec une décoration élégante où se mêle objets anciens et contemporains. Très cosy. En plus, concept de plus en plus répandu, si quelque chose dans le décor vous plait, il est possible de l'acquérir et de partir avec. Plein d'animations (expositions de peinture, de photographies, conférences, débats, concerts, dégustations de vin) et un petit plus qui m'a beaucoup plu : une table est installée près de l'entrée d'eau et donne sur un charmant canal. Agréable de bouquiner là, en dégustant un café d'Ethiopie ou un mélange amérindien...
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Frulalà
Cannaregio 5620
Campiello Riccardo Selvatico
(entre le pont des Giocattoli et le Campo Santi Apostoli)
Tel.:320 318 00 05
http://www.frulala.com
Le mouvement Venezia Location (deux jeunes restaurateurs et un designer) a ouvert cet autre local dans le cadre de son projet ambitieux de créations à léchelle internationale. L'idée est de rassembler alimentation naturelle d'origine bio au design et à la technique de pointe. Frulala se dit le premier bar à fruit de Venise. Ce qui est faux puisque dans les années 80, sur la Salizzasa san Lio, derrière le campo San Bartolomeo, juste en face de Rati le droguiste-quincailler aujourd'hui disparu, un bar proposait une carte très riche à base de jus de fruits et légumes frais préparés devant le client. Mais ne chipotons pas, Frulalà est le premier de son genre au XXIe siècle (...). Fruits frais pressés, mixés, en salade, en tranche, en cocktail, en compote... Le tout préparé devant vos yeux, servi dans un local au top du design d'aujourd'hui entièrement dédié au bien-être et à la santé. A voir pour dire que Venise ce n'est pas que le carnaval et le Florian. Le dossier de presse invitait le public à venir y découvrir une nouvelle manière de concevoir le spritz et l'après-dîner : "couleurs (naturelles), musique (branchée), fruits frais, accueil zen et bien-être. J'ai aimé ce jeu de mot en anglais : "Frulalà juiced for you" (à la place de "just for you" vous l'aurez compris !). Pour les amateurs de produits bio, de sels minéraux et de bonnes vitamines. Recommandé donc pour l'apéritif version new-age. Un lieu à la mode en tout cas, j'y ai croisé plein de jeunes vénitiens.
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I TESORI DELLA RUSSIA,
Maestri dell'arte Russa 1800 - 1900
Scuola Grande San Giovanni Evangelista
San Polo, 2454
Entrée Libre.
de 10h.30 à 18.00, fermé le lundi
041 718234
www.scuolasangiovanni.it
On inaugurait l'autre jour cette exposition de portée internationale consacrée à la peinture russe du XIXe siècle, présentant un ensemble de toiles appartenant à des collections privées de Moscou et de Saint Petersbourg. Un éventail très large pour découvrir l'évolution de cette peinture qui traversa les guerres de Napoléon à Nicolas II, pour exploser durant la tourmente révolutionnaire puis renaître sous haute surveillance après l'arrivée des bolchéviques. L'avant-garde russe, honnie et pourchassée par Lénine et Staline, est très représentée: Malevich, Tatlin, Christoljubov, Rudakov, Lebedev, Tereshenko et d'autres. A voir.
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Ensemble Currende & Concerto Palatino
dirigé par Erik von Nevel
Musique Vénitienne pour double choeur: Adrian Willaert & Giovanni Gabrielli.
Label Accent, 2008.
Un très beau disque de musique religieuse vénitienne eregistré par cet ensemble rigoureux : deux psaumes de Adrian Willaert et la très ample et profonde musique des Sacrae Symphoniae de Giovanni Gabrielli. Un régal que j'ai dégusté cet été sur la plage ou en me promenant dans la campagne normande. Musique certes un peu ampoulée, tout sauf superficielle où souffle pourtant le tempérament vénitien fait d'ampleur et de légèreté.

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Luca Marenzio
Nono Libro de madrigali
Ensemble La Venexiana dirigé par Claudio Cavina
Label Glossa (ref.920906008)
Là on tient un monument comme le label Glossa sait nous en régaler. L'enregistrement date de 1999 mais il a été revu pour ce retirage et ça en vaut la pein. La Venexiana est un ensemble que j'aime beaucoup avec Claudio Cavina (contre-ténor), Rossana Bertini (soprano), Marina De Liso (mezzo-soprano), Sandro Naglia (ténor), Giuseppe Maletto (ténor), Daniele Carnovich (basse), Gabriele Palomba (luth), Franco Pavan (luth), Fabio Bonizzoni (clavecin). Rien à redire, tout est parfait si ce n'est le livret relativement mal imprimé comme souvent chez Glossa qui soigne peu la qualité du papier et de l'impression. Question de prix de revient sûrement.

21 août 2008

Le Foie de veau à la vénitienne d'Emilio Baldi

L'Antico Martini est un restaurant fameux dans le monde entier. J'ai déjà parlé dans ces colonnes d'Emilio Baldi, son directeur. Lorsque je travaillais à la galerie Graziussi, située juste en face, j'ai eu de nombreuses fois le bonheur de m'entretenir avec lui et mes incursions dans les cuisines comme dans celles du bar-restaurant voisin, Al teatro, m'ont appris beaucoup de tours de mains que j'utilise souvent dans mes péripéties culinaires.


Créé en 1820, le restaurant continue d'attirer les amateurs du monde entier et sa réputation est méritée. Les prix sont certes presque trop en accord avec cette réputation, mais il faut y aller au moins une fois lors d'un séjour à Venise. La vedette de la carte en est depuis longtemps le fameux fegato alla veneziana, plat traditionnel devenu avec la maestria du maître des lieux une icône. Comme l'écrit un critique gastronomique américain au sujet de ce plat, "ne confondez pas authentique avec traditionnel". Car il y a mille manières de préparer le foie de veau à la vénitienne. Celle de l'Antico Martini est devenue une référence. C'est en cela qu'elle est authentique en dépit de l'utilisation d'un ingrédient qui n'a rien de vénitien ! Sauf à l'assimiler à l'histoire (récente) de Venise au temps de la Dolce Vita, quand Hemingway prenait ses cuites historiques à coup de double scotch au Harry's Bar... 

C'est un plat que l'on préparait déjà dans l'antiquité. Les romains utilisaient des figues bien sucrées pour adoucir l'âpreté de la viande. Les oignons à Venise ont peu à peu remplacer le fruit. D'autant que la variété traditionnelle qui est utilisée par les ménagères vénitiennes depuis toujours est bien plus sucrée que les variétés d'oignons qu'on trouve couramment sur nos marchés. Mais je tourne autour du pot : quel est donc l'ingrédient mystère que les cuisiniers du signor Baldi utilisent pour la préparation du divin fegato dell'Antico Martini ? Et bien, c'est... du whisky ! Sans trahir les secrets du maître, voici la recette :

Il va vous falloir pour quatre personnes 500 à 600 grammes de foie de veau bien frais, 4 beaux oignons blancs (au moins 500 grammes en tout), de l'huile d'olive, du beurre frais, du sel, du persil, du vinaigre balsamique - du vrai, onctueux et presque noir - et du bon whisky (la plupart des recettes utilisent seulement du vinaigre balsamique ou du vin blanc). En fait c'est tout simple mais demande de bons ustensiles, et un feu de qualité (le gaz étant le meilleur combustible), car tout dépend de la cuisson et de la poêle qui doit être à fond épais.


Détailler les oignons en très fines rondelles (le plus finement possible) et couper le foie en tranches fines dans le sens de la largeur (elles ne doivent pas être trop longues). Faites sauter les oignons dans un mélange d'huile et de beurre à feu doux, en couvrant. Ils doivent prendre cette jolie transparence crémeuse sans brunir. Pour cela dès qu'ils changent de texture, il faut remuer attentivement et en permanence. Sortir ensuite le poêlon du feu et laisser refroidir un peu. Ajouter la viande et remettre à feu moyen. Au bout de deux à trois minutes, remuer de nouveau les oignons et ajouter une bonne rasade de whisky et le vinaigre. Laisser cuire pendant quelques minutes supplémentaires (pas trop sinon la viande durcit et c'est immangeable). Ajouter du sel si besoin et enfin le persil haché menu. Servir aussitôt avec un accompagnement de polenta grillée. La viande est tendre, bien chaude, parfumée, avec une jolie couleur foncée, la sauce onctueuse, crémeuse oscillant entre le pourpre et le marron foncé. Régalez-vous !

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2 commentaires:

VEB a dit…
Bonjour Lorenzo
Cette recette que je fais souvent est mise aujourd'hui à l'honneur sur monblog. Merci d'avoir partagé l'histoire de ce plat. J'aime beaucoup votre blog avec ses articles éclectiques fouillés et qui donnent une autre perspective à Venise. Comme quoi il n'y a pas que les gondoles. Bien cordialement
Lorenzo a dit…
Merci pour la citation. Mais sauf erreur, vous n'indiquez-pas si vos convives ont aimé !