06 décembre 2007

Sollers et la "Première semaine de Venise à Bordeaux"

Puisque parler de Sollers soulève toujours autant de polémiques parmi mes lecteurs comme parmi mes amis bordelais, je vais vous raconter une anecdote que je continue de trouver peu flatteuse pour le maître plus de vingt ans après. 

Nous étions en 1985. Je travaillais alors chez Ferruzzi, dans sa galerie de San Vio devenue aujourd'hui la billetterie et la boutique de la Guggenheim. C'était en avril ou peut-être avant. Le projet d'une "Première Semaine de Venise à Bordeaux" prenait figure et les contacts se multipliaient tant à Venise qu'à Bordeaux. Tous étaient emballés par le projet et la petite association que j'avais montée en France était en effervescence. Avec l'aide du consul, Christian Calvy, de nombreuses portes s'ouvraient à double battant : Augusto Salvadori, déjà maire adjoint, était d'accord pour participer au voyage. Beaucoup d'artistes, musiciens, plasticiens, s'inscrivaient. 

A Bordeaux, Alexandre de Lur-Saluces et Micheline Chaban-Delmas soutenaient le projet. Le ministère de la culture venait d'offrir son parrainage après une intervention d'Anna Barbnabo... Bref, que de bons auspices. La matinée s'était passée en rangements, appeles téléphoniques, visites de touristes. J'étais assis à ma table de travail quand un homme rentra dans la galerie. J'ai oublié son nom, mais c'est mieux ainsi et c'est plus charitable. C'était un médecin je crois ou un avocat. En tout cas il me dit être un intime de Philippe Sollers et son fondé de pouvoir... Je ne sais plus s'il vint à la galerie par hasard et que je lui découvris le projet ou bien s'il vint me voir parce qu'on lui en avait parlé. Toujours est-il qu'il trouva excellente l'idée d'inviter l'écrivain (bordelais) à venir parler de Venise, de sa passion pour elle lors de la manifestation. Il promit de faire le lien et de nous communiquer rapidement les possibilités de son ami. Il me fallait arrêter le programme et les dates des évènements prévus. Fort de cet engagement, je rédigeais rapidement dépliants et dossier de presse qu'il fallait vite confier à la Tipografia Armena pour que tout soit prêt à temps. 

Vous imaginez la fièvre qui s'était emparée de tous, à Venise comme à Bordeaux. les affiches étaient splendides, le programme de qualité (c'est à cette occasion que je fis la connaissance de Claudio Ronco, mon ami violoncelliste et des Madrigalisti di Venezia), les œuvres choisies représentatives de la création contemporaine vénitienne : Silvana Scarpa, Bobbo Ferruzzi, Barrufaldi. Du côté français : les gouaches de carnaval d'Opole et les reflets photographiés par Odile Lurton. Peintures, gravures, musique, vidéos, il y en avait pour tous les goûts. Sur le dépliant, il avait fallu indiquer une date et un lieu pour la conférence de Philippe Sollers. Un couple de cinéastes avait sorti un film assez original sur la cité des doges. J'avais pensé qu'il serait intéressant de le visionner en compagnie de l'auteur du Dictionnaire amoureux de Venise - que certes il n'avait pas encore publié - et de lui permettre de s'exprimer ensuite. Nous avions choisi les salons de la Chambre de Commerce, magnifiques salles du XVIIIe flamboyant qui convenaient à merveille au sujet. Mon équipe à Bordeaux se chargeait des billets de train et de la chambre pour le loger. 

Le temps passa très vite, tout était fin prêt. Je rentrais en France pour accueillir mes invités vénitiens qui débarquèrent à l'aéroport un jour d'octobre. Ils furent logés dans un château des environs gentiment prêté par Lucien Lurton et sa fille Brigitte. Discours, toasts réciproques, mondanités diverses. Tout s'annonçait bien. Le jour même un homme de loi se présenta au bureau de l'association exigeant que le nom de l'écrivain soit biffé des programmes. Le maître n'avait jamais confirmé son accord. Il "n'avait pas l'intention de se commettre dans cette manifestation" organisée sans son accord par des inconnus, sans visibilité politique ou sociale. Jeunes, tétanisés et sans expérience, nous n'osions pas réagir. La nuit suffit à peine pour retirer les programmes déposés dans les hôtels et prêts à être distribués le lendemain dans les salles de spectacle. D'un trait de stylo, la ligne présentant la conférence de Philippe Sollers fut rayée. L'homme de loi -mais n'était-ce pas finalement qu'un "émissaire" de l'écrivain - avait exigé un démenti officiel, un communiqué de presse, que sais-je encore... Nous en sommes restés à ce trait rageur sur les dépliants. Le résultat fut inattendu : ceux qui auraient aimé l'entendre furent bien sûr déçus, mais la plupart critiquèrent avec véhémence cette attitude redondante et pleine de mépris. Sa Hauteur Philippe Sollers  - formule employée par le rédacteur en chef de Sud Ouest à qui l'affaire fut rapportée - ne pouvait daigner participer à notre "Première Semaine de Venise", quand des artistes de renommée internationale comme Regina Reznik, Arbit Blatas, Zoran Music ou Margaret Zimmermann, que leur emploi du temps n'avait pas permis de répondre favorablement à mon invitation, mis au courant de l'anecdote, et certainement pour me consoler, eurent tous la même réaction : "Pour seconde Semaine de Venise à Bordeaux, nous viendrons"... Voilà l'explication de ma réticence quand il s'agit de mon illustre concitoyen. Cependant, comme je l'ai écrit dans mon précédent billet, son amour pour Venise, la manière gourmande qu'il a d'en parler, la beauté des pages qu'il a pu écrire sur elle pardonnent ce comportement que je n'ai pu jamais m'expliquer, n'ayant pas à ce jour eu l'occasion de le rencontrer pour en parler.

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7 commentaires:


Anonyme a dit…
Quel pédant imbuvable et imbu de lui-même que ce Bazin moderne. Quand je le vois je pense à Folcoche et à la moumoutte de son auteur. Au moins à Bordeaux vous avez eu Montaigne, Montesquieu et Mauriac. Sollers vous l'oublierez.
Anonyme a dit…
Vous parlez des "reflets photographiés par Odile Lurton". Photographiés à Venise? ça m'intéresse car j'en ai photographié beaucoup comme vous avez pu le voir. Pourriez-vous en montrer un exemple? Marie G
Gérard a dit…
Ce que je garde de l'article , c'est l'allant général de cette joyeuse bande ainsi constituée . Richement dotée . C'est ça qui compte ! Bravo à tous ! A ces chacuns convergeant qui désirèrent par ce jumelage s'offrir un bel et bref instant de rêve . De bonheur secret . C'est cela qui , finalement , reste précieux . Et c'est ce qui , même au profond du désespoir , m'étonnera toujours chez les êtres . Et puis , chapeau aux artistes plus haut cités ! Aimons les artistes : croyez-moi , ça vaut l'coup !
Anonyme a dit…
Moi ce que j'en garde est que Venise soit un lieu de réconciliation... Bien à vous d'avoir cette grandeur d'âme ! J'aime Sollers vénitien, le dire m'a apporté beaucoup d'inimités de la part de personnes avouant ne l'avoir pas lu, mais n'aimant pas le personnage. Lisez Sollers Vénitien : Casanova l'admirable, La Fête à Venise, le Dictionnaire amoureux... Pour quoi juger un écrivain sur sa personne et non sur ses textes ?
Tietie007 a dit…
J'ai dernièrement vu une émission sur France 5, qui montrait Philippe Sollers faisant visiter son Venise ! C'était très bien ! J'avais vu la même, mais avec cette fois-ci Jean d'Ormesson, autre grand amoureux de la Sérénissime !
Anonyme a dit…
Vive Philippe Sollers! Le plus grand vénitien français!
Lorenzo a dit…
Vive l'écrivain Philippe Sollers lorsqu'il parle de Venise mais pas lorsque ses sbires se comportent comme ils l'ontfait avec notre manifestation... Mais l'a-t-il seulement su ?