par Giulio Macchi,
responsable des Regards comparés sur Venise.
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Chaque bon musulman doit aller au moins une fois à la Mecque dans sa vie. Chaque habitant de la planète rêve de débarquer à Venise. Qu'y a-t-il derrière ce mirage lagunaire ? Il y a Venise toute entière: celle des voyages solitaires d'intellectuels venus du monde entier, celle des couples d'amoureux, celle des troupeaux de touristes agglutinés derrière leur appareil photo…
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Chacun cherche quelque chose dans cette ville dont les pierres sont chargées de mémoire. L'artiste espère rencontrer le Titien au coin d'une ruelle. Le musicien est persuadé que Vivaldi ne joue que pour lui. Le touriste fera des photos-cartes postales semblables à celles qu'il portait dans sa tête avant de s'embarquer pour le grand voyage. Derrière ces démarches, il y a, cachée, la recherche de soi dans un contexte différent du contexte quotidien.
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Chacun se hasarde à interpréter les signes infinis d'une très ancienne mémoire enfermée dans un espace urbain relativement restreint. Cette petite ville est semblable à de grandes archives vivantes où n'importe qui peut pénétrer dans les lacis d'un immense labyrinthe s'ouvrant sur d'innombrables campi pleins de lumière et de surprises.
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Si l'on s'arrête dans un grand bâtiment proche des Frari, on se retrouve plongé dans d'autres archives, des archives "papier" parmi les plus riches d'Italie : les Archives d’État où des historiens et des scientifiques de toutes disciplines peaufinent leurs recherches sur l'histoire de cette ville ou sur le reste du monde, car la petite Venise avait ses ambassadeurs diligents qui transcrivaient, en bon vénitien ou en codes secrets, ce qui se passait dans les pays voisins ou les contées lointaines.
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D'autres archives manquent pourtant à Venise, des archives que les autorités locales devraient constituer : ces archives audiovisuelles qui assembleraient l'infinie richesse d'une iconographie constituée de films, d'émissions de télévisions, de reportages photographiques … Tant d'interprétations diverses, dans des registres si variés, de capteurs d'images qui "découvrent", "déchiffrent", "raillent" la ville. De Luchino Visconti, avec Senso et Mort à Venise, jusqu'à l'hyperbole 007 From Russia with Love.
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Cette Iconothèque aiderait certainement à mieux saisir le rapport entre la ville et ses visiteurs modernes. L'accumulation d'Histoire et d'histoires, qui se déroulent légères devant les murs anciens des palais et des églises, contraste avec le manque de signes relatifs à notre époque. On a refusé les projets architecturaux de Le Corbusier, de Louis Khan, de Frank Lloyd Wright. Que restera-t-il pour témoigner de la créativité moderne ? Certainement pas les palais entièrement vidés et transformés en élégantes surfaces de vente des grandes marques à la mode, certainement pas non plus les petites boutiques d'artisans transformées en magasins de souvenirs. Le danger que Venise devienne une grande Fontaine de Trévi, où chacun viendrait jeter une pièce de monnaie pour réaliser ses vœux secrets, menace la ville. Il faut s'en défendre.