Il pleut sur le Cotentin. De passage à Agon-Coutainville où Constance doit faire une promenade sur Joyeuse, son poney préféré, j'en profite pour faire une halte au cyber-café du coin. Pas d'internet dans notre village, cela repose certes, mais l'accoutumance est là... La tentation est bien trop grande de reprendre le fil de nos conversations et d'ajouter sur TraMezziniMag un nouveau billet, en attendant la reprise de mes "activités pseudo-littéraires"..."Venise est un poisson. Regarde-la sur une carte géographique. Elle ressemble à une sole colossale allongée sur le fond. Comment se fait-il que cet animal prodigieux ait remonté l'Adriatique et soit venu se terrer précisément ici ? Il pouvait se balader encore, faire escale un peu partout selon son humeur, migrer, voyager, s'amuser comme bon lui semble : une fin de semaine en Dalmatie, après-demain à Istanbul, l'été prochain à Chypre. S'il s'est ancré dans ces parages, il doit bien y avoir une raison. Les saumons s'épuisent à contre-courant, escaladent les cascades pour aller faire l'amour en montagne. Les baleines, les sirènes et les figures de proue vont mourir dans la mer des sargasses.Les autres livres souriraient de ce que je suis en train de te dire. Ils te racontent comment la ville est née du néant, son trépidant succès commercial et militaire, sa décadence : des contes de fées. Il n'en est rien, crois-moi. Venise a toujours existé comme tu la vois ou presque. C'est depuis la nuit des temps qu'elle navigue. Elle a touché tous les ports, s'est frottée à tous les rivages, les quais, les embarcadères : sur ses écailles sont restées attachées des ancres du Moyen-Orient, des sables phéniciens transparents, des mollusques grecs, des algues byzantines. Un jour, cependant, elle a senti tout le poids de ses squames, ces graines et ces éclats accumulés sur sa peau petit à petit, elle s'est rendue compte des incrustations qu'elle trimballait sur elle. Ses nageoires sont devenues trop lourdes pour se glisser entre les courants. Elle a décidé de remonter une fois pour toutes dans une de ces baies les plus au nord de la Méditerranée, la plus tranquille, la plus abritée, et de reposer là.Sur la carte géographique, le pont qui la réunit à la terre ferme ressemble à une canne à pêche : on dirait que Venise a mordu à l'hameçon. Elle est étroitement liée par des rails d'acier et des bouts d'asphalte, mais cela est arrivé après, il n'y a qu'une centaine d'années. Nous avons craint que Venise, un jour, puisse changer d'avis et repartir. Nous l'avons attachée à la lagune pour qu'il ne lui vienne pas en tête de prendre le large à nouveau et de s'en aller loin, cette fois pour toujours. Aux autres, nous disons que nous l'avons fait pour la protéger, parce que, après toutes ces années de mouillage, elle n'est plus habituée à nager : on la capturerait tout de suite, elle finirait sûrement à bord d'une baleinière japonaise, on l'exposerait dans un aquarium à Disneyland. La vérité, c'est que nous ne pouvons plus nous passer d'elle."
Découvert dans"Venise est un poisson"de Tiziano Scarpa
(Editions Bourgois, 2002)
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3 commentaires :
- venise est une grosse morue
- Encore un (ou une) qui n'aime pas le poisson ! Venise est une carpe quand elle garde jalousement des secrets, une truite quand elle se faufile dans le cœur des amoureux, une pieuvre quand elle veut dominer le monde mais elle n'est pas ce que vous insinuez !
- et pourtant !!

Bien
sur les inventions, les techniques modernes peuvent apporter des
solutions durables aux problèmes de restauration, mais doit-on laisser
les adeptes du progrès jouer aux apprentis-sorciers et prendre le risque
de laisser détruire inexorablement les trésors préservés du passé ?
Bref, vous aurez compris que ce sont des idées qu'on pourrait croire
farfelues qui se répandent en ce moment à Venise et sont prises très au
sérieux ! Le président de la région, potentat ultra-libéral aux
ambitions aussi titanesques que ses idées sur la Venise du XXIème siècle
et suivants (s'il y en a), a décidé qu'un métro était
nécessaire pour améliorer les déplacements des vénitiens. Pour qu'ils
aillent plus vite ! Non seulement tout le monde est d'accord pour dire
que faire des trous et autres excavations dans le sous-sol argileux de
la lagune serait prendre un risque démesuré pour l'équilibre de
l'éco-système lagunaire déjà bien mal en point, mais imaginez-vous des
stations souterraines qui déboucheraient place Saint-Marc comme
Si
ces monuments restent debout après de tels travaux, qu'est ce que
Venise aura gagné avec un métro ? Davantage de touristes, qui
circuleront sous terre et s'ajouteront à ceux qui arpentent les ruelles
et les campi. Et puis mettre 30 minutes pour aller d'un point à un autre
en vaporetto restera toujours pour le vénitien qui se rend à son
travail plus appréciable que 5 minutes dans une rame de métro
souterraine, vous ne trouvez pas ? Mais imaginez un peu : 250 millions
d'euros de travaux pour 15 millions de voyageurs par an de Tessera (l'aéroport à l'Arsenal en passant par Murano)
à 9 euros pour les touristes et 3 euros pour le vénitiens, si je ne
m'abuse cela fait 135 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Amortissement des travaux en 24 mois, puis le pactole pour l'ACTV (la société des transports en commun de Venise)
qui en profiterait pour supprimer la liaison en autobus par le pont de
la Liberté et quelques lignes de vaporetti de plus en plus obsolètes (sic).
Le progrès, mes amis, le progrès ! Le climat change et le ciel en ce
début d'été est pourri, l'eau manque et quand elle coule encore dans nos
rivières, elle est polluée, chque jour les sculptures en pierre
d'Istrie des façades vénitiennes se transforment en talc, la lagune
monte et les poissons morts flottent le ventre en l'air partout dans la
lagune, au milieu des algues radio-actives mais vive le progrès et la
fuite en avant du modernisme !

Heureusement,
la protection de l'environnement a de plus en plus d'adeptes, et un
tunnel de plus de huit kilomètres dans la couche d'argile qui forme
l'immédiat sous-sol de la lagune et de la cité des doges (et qui est en contact direct avec la nappe phréatique) représente un frein aux ambitions du Président 

