Archives du blog Tramezzinimag I : article paru le 20 août 2013.
Il y a quelques jours, dans une atmosphère digne des films d'Indiana Jones, un archéologue inconnu présentait à un parterre de journalistes et de spécialistes médusés des images de ce que le mystérieux personnage décrit comme la plus extraordinaire découverte archéologique depuis la découverte du tombeau de Toutankhamon. Quelque part en Jordanie, il aurait découvert rien moins que le tombeau d'Alexandre Le Grand. Des photos un peu floues et sombres montraient au public des objets brillants, des formes, des sculptures. Il s'agirait du trésor de Ptolémée qui aurait conservé là outre de mirifiques œuvres d'art, le catafalque contenant la dépouille du grand empereur mort en 323 avant notre ère à Babylone. Aucune autre précision pour conforter ses dires mais des propos mystérieux, la découverte protégée par une société secrète depuis toujours, la protection des lieux confiée au roi de Jordanie... De quoi ranimer les polémiques qui existent depuis l'invasion des musulmans, au VIIe siècle puisque c'est à peu près à cette époque que l'on perd la trace de l'empereur et de sa sépulture.
..Adolescent, d'Alexandre, la vie et l'histoire me fascinait. Son génie, son intelligence, les conquêtes de des armées, sa vision du monde qui dépassait largement la mentalité de son époque, le renouveau de l'art grec et son ambition, tout ce qui lui était attaché occupait mes rêveries, guidait mes lectures, se traduisait dans mes dessins, les poèmes que j'écrivais. Sans l'épopée d'Alexandre, l'enfant rêveur que j'étais n'aurait jamais découvert les auteurs grecs et latins, les arts et l'architecture, tout ce qui nous vient de l'antiquité hellénique puis romaine. Cette assimilation au héros macédonien a construit ma personnalité et ma culture. Lorsque le journal pour lequel je travaillais me demanda d'interviewer Hugo Pratt à l'occasion d'une grande exposition organisée Piazza San Marco, notre échange porta à un moment donné sur l'influence de la culture gréco-latine sur le monde moderne. Le père de Corto Maltese se pencha vers moi et me dit comme une confidence "Il y en a qui disent qu'il est ici !" Je pris ces propos comme une fantaisie supplémentaire, liée à tout ce qu'il m'avait dit au nom de Corto, sur les mystères de Venise, sa passion pour les celtes, la magie et sa propension géniale à transporter son interlocuteur dans des mondes parallèles et fantastiques. Je notais cet échange et n'en fit pas mention dans mon article. Aujourd'hui, trente ans après, j'ai voulu en savoir un peu plus.
..Ils sont nombreux les grands témoins qui ont pu voir la dépouille de l'empereur dans son tombeau d'Alexandrie. Plusieurs récits font foi. Hélas de tremblements de terre en tsunami, de guerres en invasions, la mémoire des lieux s'est perdue. On sait seulement que le mausolée dont on possède plusieurs descriptions certainement exactes, a été ruiné par les catastrophes naturelles qui se sont abattues sur Alexandrie. On sait aussi que le tombeau de l'empereur a été souvent pillé, non pas par des bandits mais par les rois et les reines qui lui succédèrent quand ils manquaient d'argent. Longtemps les empereurs romains venaient s'incliner et se recueillir devant la dépouille. Ce rite fut interrompu sous le règne de Constantin. La dernière visite importante est celle de l'empereur Caracalla en 215, qui n'hésita pas à s'approprier la tunique, la bague et la ceinture du Macédonien, la cuirasse, quant à elle, ayant probablement déjà été volée par Caligula... Sous prétexte de piété et de respect, on s'emparait de ce qui était demeuré en contact avec la dépouille du grand empereur et puis, il n'était plus là pour réagir...
Le christianisme s'imposa peu à peu sur le monde et, si Alexandre demeurait respecté par tous, il ne pouvait être question de laisser ses restes sans sépulture. Or pour les chrétiens de cette époque, le corps devait être enseveli dans la terre. Nombre d'historiens et d'archéologues pensent que suite à une émeute chrétienne, sous le règne de Théodosius, le corps d'Alexandre fut porté en terre, certainement avec tous les égards dus à la considération du peuple pour son ancien maître. Le seul cimetière chrétien qui existait à l'époque est celui de Terra Santa, situé à l'extérieur du téménos (l'espace sacré ou Sanctuaire chez les anciens). C'est là qu'en 1906, des archéologues découvrirent un somptueux catafalque d'albâtre richement sculpté et décoré mais vide. Mais pourquoi était-il vide quand nombre des sépultures alentour abritaient encore au moment des fouilles, les restes des défunts qui y avaient été déposés ?
..Une rumeur devint une idée, après tout fort plausible : et si ce tombeau d'albâtre, de fameux tombeau de verre qui remplaça le tombeau d'origine qui était en or massif , était bien celui du Sôma, le monument funèbre dressé au beau milieu de la grande cité, la sépulture d'Alexandre le Grand ? A ce jour, on n'a trouvé aucun tombeau de cette qualité nulle part dans les fouilles pourtant nombreuses depuis le début du XIXe siècle.
..Après la stabilisation du christianisme qui se fit peu à peu et en douceur après avoir été imposée sous la contrainte et la violence, Alexandrie et tout l'empire d'Orient connut de nouveau des vagues d'intransigeance religieuse. Tout ce qui rappelait les anciennes croyances devait être détruit sans une seule considération pour leur qualité artistique. La barbarie succédait à la civilisation. C'est à ce moment-là que des marchands vénitiens ramenèrent le corps présumé de l'évangéliste Saint-Marc, volé au nez et à la barbe des arabes qui occupaient Alexandrie. Et si ce cadavre momifié qu'ils transportèrent sous de la viande de porc séchée n'était pas celui du saint mais bien plutôt la momie d'Alexandre ? Curieux hasard : le corps d'Alexandre disparait quand celui de Saint-Marc apparait...
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