08 mars 2021

La joie revient et la vie à Venise reprend couleur...

© Catherine Hédouin - février 2021
 
24/02/2021
Le printemps n'est plus très loin. Il approche. Déjà les mimosas répandent leur senteur joyeuse et éclairent de milliers de petits soleils le regard des passants. Celui qui irrigue de lumière et de joie la Fondamenta de  la Toletta dont l'image envoyée par mon amie Catherine nourrit ma nostalgie autant que l'espoir de pouvoir rentrer bientôt. Voilà un an et un mois que je me suis éloigné. A quelques jours près, j'aurai connu moi aussi la délirante situation imposée par la pandémie et goûté au bonheur de découvrir Venise vide à chaque heure du jour comme elle l'est en pleine nuit. Le silence qui se répandait partout, laissant aux oiseaux et aux cloches le soin de rythmer les jours. 
 
Jamais un homme vivant n'avait été ainsi confronté à cette vacuité imposée par la crainte d'un virus venu d'on ne sait où et qui se répandit partout, se faufilant dans les calle et les campi mais aussi dans les esprits, en y déposant des peurs et des croyances toxiques comme un parfum mauvais, comme un regret ou une trahison. Le bonheur d'être débarrassé de la foule des touristes, ces hordes devenues insupportables qui souvent nous gâchaient l'ordinaire des jours, s'infiltrant dans tous les interstices du quotidien des vénitiens, les forçant à faire de tous les lieux secrets et charmants envahis plusieurs fois par jour et chaque jour de la semaine des clôtures jalousement préservées pour l'usage de leurs habitants. Combien de  et courettes (corte e cortile) sont désormais protégées par une grille voire un portail de fer empêchant de rien voir des trésors qu'elles recèlent. Est-ce un bien ? Est-ce regrettable ? Y répondre est un autre sujet. Faut-il s'en réjouir ou s'en attrister ? J'avoue ne pas vraiment savoir de quel côté penche mon cœur... 
 
 
Comme tout le monde, j'ai tellement souvent pesté contre cette invasion permanente, ces flux de barbares assoiffés de pittoresque et trop souvent incultes, pressés et dévastateurs...Plus d'un an a passé. La crise est derrière nous pour le plus grave, derrière nous les hésitations et les prises de position déroutantes, les pas en avant, les pas en arrière des gouvernants, les inepties déversées à la chaîne par les médias, la peur et l'angoisse de beaucoup, la colère de quelques uns ; la sidération devenue une sorte de précipité général répandu à la vitesse de l'air qu'on ne respire plus qu'à travers un bout de chiffon qui n'a pas l'élégance des masques de la tradition... Tout cela bouleverse l'entendement. Mais Venise, vide ou presque, autant que lorsqu'elle était trop pleine d'admirateurs, a repris sa respiration. jamais elle n'a été aussi vide sauf peut-être dans les jours qui suivirent la fin de la grande peste, partie comme elle était arrivée... Coup de vent re-créateur de vie et de joie. Jamais elle n'aura été aussi belle et jamais elle ne se sera donnée, offerte, à ses enfants émus par tant de beauté de nouveau remarquée. Et c'est bien. On parle de réappropriation après la confiscation. Jeux de mots et d'idées, mélange qui sied si bien à la Sérénissime, brouille les pistes et entrouvre mille possibles. Si seulement... "Hope and pray" disait ma grand-mère.
 
 
 
Déjà la junte au pouvoir régurgite ses sempiternels démons et montre qu'elle n'a rien compris, rien retenu de la crise sanitaire. Les édiles aux manettes ne peuvent plus cacher leur objectif, obsessif : refaire venir les touristes en masse, accentuer la disneylandisation de Venise, attirer les hordes à nouveau pour que jaillissent à nouveau les devises qui serviront à acheter les voix des électeurs de la Terraferma, de Mestre et de Marghera, bien plus nombreux que les vénitiens véritables, ceux de la cité des doges et bien plus souples et compréhensifs. Ceux qui veulent des services et des prestations urbaines identiques à celles proposées partout ailleurs, dans les centres urbains «normaux», les satisfaire c'est s'assurer des années au pouvoir et les prébendes qui vont avec. Tant pis si la Venise historique meure, ses ruines rapporteront peut-être davantage que ces sestiere bourrés de trésors et de charme mais tellement compliqués à maintenir et à adapter au (mauvais) goût des hordes...


Mais nous nous préoccupons depuis trop longtemps - plus d'un an maintenant - de cette situation délirante qui nous a pris par surprise, traitreusement, et que les petits maîtres qui prétendent savoir et gouvernent le monde cherchent désespérément à maîtriser sans y parvenir vraiment. Arrêtons d'avoir peur, de douter et de croire n'importe quel beau parleur dont La vie, le beau et le bon finissent toujours par reprendre la main et les dieux, leur colère apaisée, retournent à leur bienveillance et l'homme à sa vie sociale. 
 
Hélas, rien n'est gagné. Tout peut recommencer, se poursuivre, se prolonger. Ce temps de carême n'est-il pas propice à la méditation, à l'introspection. Une sorte de confinement intérieur pour chasser les toxines qui empoisonnent notre mental, apprivoisent notre ego pour nous rendre imperméable à l'autre, préoccupé de nous-même. Pire encore, elles drainent en nous la peur. Peur de la maladie, peur de la mort, peur d'être rejeté, pestiféré... Peur de l'autre... Il nous faut résister au désespoir, au découragement. Venise est l'endroit idéal pour nous battre avec nos démons intérieurs. Sa beauté, sa lumière, son silence, tout est mis à notre disposition pour nous imprégner de pensées positives et recouvrer ainsi la paix intérieure et espérer...




 7 mars.
J'apprends que Venise passera lundi prochain en zone orange. Régression. Plus de glacier, de cafés, de bars ni de restaurants ouverts. Plus de musées non plus. « Cela pourrait être pire » me disait une amie vénitienne. Oui, mais cela pourrait aussi être mieux. Quand retrouverons-nous nos libertés et le rythme d'avant ? Quand oserons-nous défier cette épidémie qui tue peu à peu notre enthousiasme et nos joies ? 

Espérons qu'avec l'été, tout reprendra les couleurs d'avant... Dieu voulant.