Je passais
l’autre jour calle Lunga santa Maria Formosa et, aux pieds de
l’une des énormes façades du palais Ruzzini-Priuli (longtemps abandonné
et dont je vous ai déjà parlé dans un précédent article), je songeais à
la terrible aventure vécue à cet endroit même par le jeune et fringant
Almoro Morisini, une anecdote peu connue. Laissez-moi vous la conter si vous ne la connaissez-pas.
Au
tout début du XVIIIe siècle, un jour où la Sérénissime avait organisé
des festivités, une course de taureaux avait lieu sur le campo Santa Maria Formosa, Almoro Morosini,
qui n'était alors qu'un jeune notable bien de sa personne et
tranquille, avait été accosté par quatre malfrats au visage masqué qui
voulurent s’en prendre à lui.
Le jeune homme se défendit avec une telle
énergie que non seulement il vint à bout des quatre malandrins mais
aussi de leur chien, un molosse dressé à attaquer, qu’il parvint à tuer.
Il mit tellement de force en s’attaquant à la bête qu’il la fendit en
deux avec son épée. Le geste devint fameux et le peuple vénitien en fit
une expression longtemps employée "Gnaca el stoci del Morosini che à
tagià el can per mezo".:" ("Il faudrait le coup d'épée de Morosini, qui
a coupé le chien en deux")...
Depuis le balcon du Palais Ruzzini où il séjournait, le fougueux Prince Eugène de Savoie-Carignan
fut témoin de la rixe et resta émerveillé par la bravoure du jeune homme qu'il se fit présenter. Il s’en fit un ami et lui offrit une belle Vierge peinte par Le Corrège.
Au
même endroit, en 1765 un incendie détruisit plusieurs boutiques et
causa la mort de trois personnes. Des ruines fumantes, on raconte qu’on
vit sortir un chien furieux que personne n’avait jamais vu. Bientôt la
populace raconta dans toute la ville, qu’il s’agissait du chien tué par
le jeune patricien qui revenait pour se venger. On l’avait même
distinctement reconnu : il était coupé en deux et sanguinolent. L'horreur digne d'un film d'épouvante... S'étant
faufilé dans les ruelles voisines, il aurait même dévoré un nouveau-né
dans une bicoque voisine. On dit que le fantôme de la bête rode encore
autour de la calle où il fut battu à mort par le jeune Morosini…
Le
peuple de Venise aimait ces histoires de magie et de sorcellerie que
l’Inquisition avait beaucoup de mal à faire taire. Je tiens ces
histoires d’une de mes vieilles cousines qui jusqu’à sa mort, il y a une quinzaine d’années, vivait calle della Mandorla, près de la Fenice,
dans une maison remplie de livres sur Venise dont j’ai pu récupérer
quelques volumes. Quand elle racontait ces histoires parfois véridiques,
souvent alambiquées et romancées, elle prenait un aspect particulier,
qui la faisait traiter de vieille sorcière par certains des plus jeunes
de mes cousins.
Elle connaissait bien Hugo Pratt
qui discuta souvent avec elle et s'inspira sans aucun doute de ses
histoires. Tous les jours, tant qu’elles purent marcher, avec son amie
la Comtesse Marcello, elles sortaient se promener jusqu’au Florian
et après avoir bu leur verre de vin, elles revenaient, saluées sur leur
chemin par tous les vénitiens qu'elles croisaient sur leur passage. Un
de leurs meilleurs amis portait le même prénom que son vaillant ancêtre.
Il avait une peur panique des chiens...
ça fait quand même froid dans le dos ces histoires ! Vous en savez des choses passionnantes.A quand un livre sur Venise Lorenzo ?
oui un livre d'un vrai amoureux de Venise!!!
Où se situe la calle Lunga de cette histoire?
C'est la rue qui va de la place vers San Lorenzo et la Questure avec à l'angle le bar de l'Horloge, près de la maison du vainqueur de Lépante.
Campo Maria Santa Formosa est un des mes préférés.
L'église est belle et les palais aussi.