01 février 2008

Pauvres dans un monde de riches

Il y a dans les rues de Venise, des voyageurs pas comme les autres. Arrivés on ne sait comment de leurs pays en proie à la guerre ou à la misère, ils errent dans les rues sans but précis. Au début, on ne les remarque pas. Sauf les tenues des femmes qui se repèrent vite : robes trop longues souvent en tissu synthétique à grosses fleurs, fichus de laine sur la tête, ballots... Peu à peu, quand ils n'ont pas trouvé où aller, on les voit comme une apparition qui dérange. Hommes mal rasés, tous portent des vêtements élimés et leur pas moins sur que les autres passants. La plupart finissent par mendier. Certains basculent dans la petite délinquance. 
 
 
 
 
Tous sont marqués par une terrible misère qui n'est pas que matérielle. Partout dans nos villes d'Europe on en voit. Ils suscitent la rogne, le mépris parfois. Certains vont se mettre à chanter des mélopées sucrées qu'ils répètent à satiété contre trois sous. D'autres proposent de curieux remugles de marchandises le plus souvent avariées. Ils cherchent à sur-vivre
 
A Venise, parmi les flots des touristes, ils dénotent encore davantage qu'à Paris ou à Londres. Du temps de la Sérénissime, les mendiants étaient suivis par les ordres religieux, lavés, habillés et nourris. Le plus souvent, ils rentraient dans le système par une voie ou une autre : la marine, l'arsenal, les manufactures et les ateliers. Les étrangers ne s'aventuraient pas à mendier. La prison (parfois la potence) était pour les récidivistes, les malandrins qui prétextaient leur pauvreté pour piller et voler le passant la nuit...
 
Ceux qui restaient et qu'on croisait parfois (je parle du temps de la Sérénissime pas de l'occupation autrichienne) canne et sébille à la main sur les marchés ou devant le porche des églises, étaient des attardés mentaux, des aveugles ou de grands infirmes. Ils faisaient partie du paysage urbain et si les enfants parfois les chahutaient, ils étaient respectés par la population. 
 
Aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux, venus des côtes dalmates, de plus loin encore, attirés par les lumières de notre occident plantureux. Ils ne cherchent pas à s'intégrer. Ils veulent juste manger. Survivre. Cette régression qui nous renvoie à des époques barbares me choque beaucoup mais qu'y pouvons-nous dans le fond ? Le système est ainsi fait qui broie les faibles et les laissés pour compte. Les forts ont trop peur de la contagion. L'égoïsme de nos pays bien nourris n'est qu'une forme d'auto-protection mais comment cela va-t-il finir ?

Le constat le plus terrible est de se dire que rien n'a vraiment changé : On a cru dans les belles années d'après-guerre en avoir fini avec la misère. Mais regardez bien cet homme. Il me rappelle les images des malheureux qu'on déplaçait pendant les horribles conflits qui ont embrasé par deux fois le monde au XXe siècle, sans parler de ceux qui montèrent dans des wagons plombés... Il ressemble aussi à ces migrants entassés dans les soutes et sur les ponts des cargos qui partaient pour l'Amérique, ces pauvres qui erraient dans les rues de Moscou après la guerre de 14 quand tout s'était écroulé en Russie... La photo a pourtant été prise il y a peu de temps, à Venise... Elle donne envie de pleurer.
 

4 commentaires:

anita a dit…

...bouleversante la photo de l'homme sans âge ... sans foyer ... sans pain
oui , les riches de plus en plus nantis , les pauvres de plus en plus démunis et des milliards d'euros qui s'envolent ...
Oui l'Abbé on meurt toujours de faim et de froid en 2008

Gérard a dit…

En voilà une vraie question de fond !
Et des tréfonds .
Qui nous remue des tréfonds .
Sauver un homme , c'est déjà beaucoup : faut déjà pouvoir le faire . C'est pas donné à tout l'monde .
Mais comme l'abbé Pierre , en sauver des milliers et des milliers , alors là , je l'avoue , je m'incline complètement .
Et très bas .
Il a réussi à redonner l'espérance et de la tenue à tous ces perdus .
Quelle puissance que cet homme !
J'en suis totalement incapable .
Immense respect .
Je crois qu'aujourd'hui on a tous un peu peur de nos propres révolutions .
Celles que l'on doit faire sur nous .
Etrange impuissance !
Peut-être que Venise , au coeur de son immense grandeur , comme une Vierge non effarouchée , comme une Sand de 1848 , n'en avait pas totalement peur . Ce qui ne fait que renforcer l'idée que je me fais de la Principauté des Mers .
Etrange mystère !
Les Idées en marche ne poussent que sur des landes vierges , ces océans nus .
L'avenir est à nous .

Anonyme a dit…

Beaux portraits traités avec délicatesse sans sensiblerie.
Sur ce sujet, je vous renvoie à quelqu'uns des portaits d'Ariane Mounckine dans son dernier spectacle " Les Ephémères" ou à Agnès Varda et et ses "glaneurs"...

leyloula a dit…

Patrick Declerck , Les naufragés ... a lire

une très belle photo qui capte un regard tres parlant