En attendant, si nous faisions ensemble une petite promenade virtuelle, illustrée par des photographies de la Venise radieuse de cette fin d'octobr, avec cette lumière si particulière que nous avons ici quans l'hiver approche ? Prenons les chemins de traverse et oublions les hordes revenues envahir la ville.
Soyons indulgents et restons honnêtes, cette foule n'est pas seulement constituée de barbares totalement ignares, même si on en croise, hélas, beaucoup et qu'il vaudrait mieux parfois, se boucher les oreilles pour ne pas avoir envie d'en étrangler quelques uns. Tous ceux qui vivent à Venise les connaissent, ces spécimens particulièrement insupportables dont on se gausse depuis toujours. Ce n'est pas toujours leur faute et Venise qui sait tellement bien putifier a sa part de responsabilité après tout. « No, niente indulgenza per questi stronzi !» (« Non, non, pas d'indulgence pour les cons ! ») vient de me répondre Mario, un ami vénitien, architecte de son état, à qui je viens de lire ces quelques lignes au téléphone. Sa position est rude mais par son métier (il participe à la protection et la restauration de plusieurs palais et églises), il est confronté à la terribvle évidence à laquelle l'Unesco n'avait pas pensé en classant Venise au Patrimoine de l'Humanité : le tourisme de masse directement ou indirectement endommage gravement la cité des doges et le problème est grave de conséquences pour l'avenir de la ville et pour ses habitants si rien n'est entrepris à grande échelle pour changer le mode de gestion touristique...
Mais nous étions décidés à faire cette petite promenade virtuelle le nez au vent. En ces temps perturbés, n'en rajoutons pas, contraintes et inquiétudes sont déjà notre lot. Mieux vaut nous focaliser sur le beau et le joyeux du quotidien de la Sérénissime. Même très fragilisée, Venise demeure une ville unique qui toujours nous surprend et dont le charme agit à toute heure, en tout lieu, de mille manières différentes.
|
Crédit photo : Catherien Hédouin, 2021. |
Il est des endroits dont la banalité cache des richesses. Il ne s'agit ni d'or ni de diamants précieux ; aucun grand artiste n'a laissé là un chef-d'oeuvre qui puisse être considéré comme un trésor pour l'Humanité et l'UNESCO ne s'intéresse pas (pas encore ?) à ces lieux que je souhaite évoquer et que ceux parmi mes lecteurs qui sont familiers de Venise ou, encore mieux, qui y vivent, seront d'accord avcec moi. Prenons par exemple le magasin de la famille Fiore, aux Carmini..., bouchers de leur état près du campo sante Margherita.
Une des dernières vraies macellerie comme on en trouvait partout dans Venise. La devanture est la même depuis des lustres et l'atmosphère des lieux donne envie de s'y attarder même pour ceux qui ne mangent pas de viande. Celle-ci est réputée ici, elle vient des meilleurs élevages de la région et le maître des lieux sait la préparer pour le régal des amateurs. Une simple boucherie de quartier comme nous en connaissons tous. Celle-ci demeure, bien décidée à résister aux super-marchés installés partout dans la ville avec leur rayon - souvent de qualité certes - où on ne peut se faire servir qu'après avoir retiré un ticket comme dans les administrations... Et en plus, ils livrent à domicile !
|
Crédit photo : Catherien Hédouin, 2021.
|
En attendant que notre commande soit prête, allons jeter un coup d'oeil au plus vieux pêcher encore en vie dans Venise. Une variété typique qui donne de magnifiques fruits, gros, à la peau d'un joli jaune velouté et à la chair jaune délicieusement parfumée. Il trône dans le jardin partagé derrière l'église voisine, où s'activent les bénévoles de l'association qui le gère. Souvent, des étudiants s'y installent pour travailler tranquillement, parfois des concerts ou des fêtes ont lieu au milieu des plates-bandes de légumes et de fleurs, les odoriférants peu à peu grossissent et chacun vient mettre la main à la pâte. Un endroit méconnu : l'Orto del campanile.
Situé derrière l'église des Carmini, à deux pas de notre boucherie préférée. C'est un havre de paix. Un petit espace longtemps laissé en friche et qui dépend de la parroisse des carmini. Un mur le sépare du rio voisin. Depuis quelques années, à l'initiative de paroissiens et du curé, le terrain vague est devenu un potager où chacun vient donner un coup de main pour remuer la terre, planter, arroser... Au milieu du jardin pousse un pêcher qui donne à la saison des fruits délicieux comme on n'en trouve guère en France, du moins sur les marchés. De belles pêches juteuses, à la chair généreuse et parfumée. Une vieille variété locale. Il en reste quelques uns dans Venise même et beaucoup dans les îles alentour.
Souvent, le jardin est le décor de fêtes de quartier, des étudiants y viennent travailler dans le silence, au milieu des carrés de légumineuses et d'herbes aromatiques. On y croise des enfants venus arroser les fleurs sous l'oeil attentif d'un des bedeaux de l'église, africain d'origine qui en est le souriant gardien (et le surveillant en chef auto-proclamé). Parfois c'est un concert ou une lecture publique qui y est proposée. Un bel endroit de la Venise dite mineure, celle qui vit vraiment et n'a rien à voir ni à faire avec le tourisme. Un lieu authentique.
Nos pas nous portent vers le soleil des Zattere où l'envie d'une glace ou d'un spritz attire tout le monde. Une visite à l'église des Carmini, puis la fondamenta pour jeter un coup d'oeil aux salons du palazzo Zenobio, l'ancien collège arménien Moorat Raphaël et ses jardins. J'ai connu les lieux grouillants de vie, quand des garçons de la diaspora arménienne venaient du monde entier faire leurs humanités. C'est aujourd'hui un lieu vide, utilisé pour des expositions le temps de la Biennale et un hôtel. Le jardin n'est plus tellement entretenu ou du moins avec moins de rigueur que du temps des frères arméniens. C'est un lieu paisible où il fait bon lire à l'ombre des beaux arbres centenaires.
La fondamenta San Sebastiano de nouveau vers la calle del vento. Avec une pensée émue pour Franco Libri qui vendait là, a l'aperto des livres d'occasion. Disparu en 2018, ses dernières années avaient été assombries par l'acharnement de l'administration à son égard. Non seulement l'homme était «différent» pour l'administration, trop rebelle à la vindicte bureaucratique. Il n'avait pas de patente officielle pour pouvoir vendre dans la rue... Il a fini par gagner, soutenu par les vénitiens. Sa mort a laissé un vide sur le petit campo San Basegio. Ses livres, il les donnait souvent et on y dénichait parfois des trésors. Je me souviens d'un autre bouquiniste ambulant, du côté des Santi apostoli lui. Une mine. J'ai découvert chez lui un fort volume de l'anthologie palatine en italien qui avait appartenu à un professeur émérite qui l'avait rempli d'annotations au crayon. Ouvrage subtilisé par une colocataire fatiguée de s'occuper de Rosa, ma délicieuse petite chatte grise, à un moment où il m'avait fallu retourner en France et y rester plus longtemps que prévu. Digression inutile au lecteur mais qui me fait du bien. Il ne faut jamais garder un ressentiment mal digéré !
Calle del Vento. En été, cet air qui s'engouffre toujours est un délice. En hiver, c'est la rue la plus froide de Venise quand le vent s'y engouffre en rafale, surtout les jours de grand brouillard et de neige. Mais au bout, la délivrance : la lumière jaillit avec le débouché sur les Zattere, avec juste en face les Mulini Stucky, minoterie devenue un hôtel américain sans autre charme que l'architecture de ces anciens bâtiments industriels et la vue qu'on y a de la ville, notamment depuis les terrasses. Au passage, recommandons à nos lecteurs la lecture du très beau livre du poète Diego Valeri :
Il y a toujours ici un peu de vent
A n’importe quelle heure, à chaque saison :
Un souffle au moins, comme on respire.
C’est là que je suis depuis tant d’années, j’y vis.
Et jour après jour j’écris
Mon nom sur le vent.
Un supermarché, un brocanteur, quelques terrasses, l'ancien consulat général de France (le palais Clari) maintes fois décrit dans ces colonnes, le kiosque, meeting-point favori des étudiants (il y a plusieurs sections de la Ca'Foscari sur les Zattere), où on sert un excellent spritz et de délicieux macchiati. En déguster un le matin avec le Gazzettino (en pestant comme toujours qu'il n'y a vraiment rien d'intéressant dans ce quotidien), assis face à la Giudecca et en plein soleil est un de mes petits bonheurs préférés.
Un pont, défiguré en permanence par le plan incliné qui recouvre ses marches comme dans de plus en plus de lieux où passe le marathon et qu'on ne démonte plus ce qui permet à des touristes ignares de circuler parfois avec leur vélo et tout leur fourbis (ce qui est formellement interdit à Venise : nul n'est autorisé à circuler en vélo, patinette ou autres cycles s'il a plus de dix ans ! Jusques à quand ?...).
Que serait Venise sans les marches de ses ponts ? Certes, elles servent de siège pour les touristes aux pieds gonflés, on y bivouaque et on y empêche les passants de circuler... Mais les pans inclinés... Bonne conscience de certains qui parlent de faciliter la circulation des fauteuils roulants... Mais est-ce que cela ne présente pas un risque de revenir à l'idée de l'Attila moderne - je veux parler du petit corse - cet usurpateur prétentieux qui voulait assécher tous les canaux ou les recouvrir pour permettre la circulation des véhicules à roue et porte comme Hitler et staline, la responsabilité de millions de morts... Un élu un jour déciderait d'autoriser les vélos, les planches, les patins à roulettes, les patinettes, puis les scooters, les motos et un jour les automobiles. Dieu merci, la montée des eaux aura certainement englouti Venise avant que cela soit, mais on ne sait jamais. La bêtise des édiles qui ont des dollars dans les yeux comme l'oncle Picsou (il s'agirait davantage des Rapetou si on parle des élus locaux) dans les dessins animés.
Mais ne voyons pas le mal partout et allons nous installer sur la terrasse rénovée du glacier Nico, et commandons un Gianduioto. Le seul authentique de toute la ville, (Voir Tramezzinimag du 04/IX/2006) et régalons nous de cette fabuleuse montagne de crème légère et de ce bloc de glace unique, face au canal de la Giudecca, avec les mille bruits qui remplissent l'air, les cloches qui se répondent, les cris des mouettes, le cliquetis des vagues sous la terrasse, et cette lumière toujours magnifique, le scintillement de l'eau, l'alignement des façades de l'autre rive avec toutes ses couleurs qui s'harmonisent, et la façade austère du redentore... Encore du bonheur, un petit bonheur qui s'ajoute à d'autres quand on sait aller au rythme qui convient à la ville...
à suivre...