Un lecteur me demande ce que je pense des hypothèses émises par un auteur américain, John Berendt, dans son dernier ouvrage "The City of falling angels", sur les vraies raisons de l'incendie de la Fenice... Cela me donne l'occasion d'aborder ce sujet. J'ai vécu dans ce théatre, dans la salle, dans les foyers, dans les loges, de nombreux moments de ma vie vénitienne et c'est un lieu que j'ai beaucoup aimé. Il n'a pas retrouvé, en dépit de sa nouvelle splendeur toute viscontienne, l'âme qui le caractérisait. L'uniforme des ouvreurs a changé, le phénix de bois doré qui ornait les panneaux d'afficage a disparu et tout y trop neuf, trop poli. Trop américain. Mais laissons le temps faire son ouvrage et gageons que bientôt les étudiants se donneront à nouveau rendez-vous le soir tard sur les marches pour boire un dernier verre et fumer une cigarette si Monsieur Berlusconi n'impose pas son couvre-feu...
A Venise, finalement, on aime peu Cacciari. C’est un intellectuel. Un penseur. Un philosophe qui cite Saint Augustin, Wittgenstein ou Simone Weil. Un spécialiste de la pensée négative, anti-dialectique. De plus, il est de gauche et se pose naturellement en résistant au fascisme rampant de la clique Berlusconi comme à la triviale perfidie de la gauche traditionnelle italienne. C’est un homme de cœur aussi. Et de convictions. Il n’y en a plus beaucoup en Italie, pas plus qu’ailleurs en Europe.
Lorsque en 1996, la Fenice a brûlé, les rumeurs ont circulé, plus rapides que les flammes et les nuages de cendre qui se sont répandues sur la ville pendant plusieurs jours. Ceux qui étaient à Venise à ce moment là s’en souviennent encore.
L’incendie arrivait fort à propos. La ville avait perdu depuis longtemps son opéra et les spectacles de qualité se faisaient rares. Cette inévitable décadence liée au coût devenu démesuré du fonctionnement artistique et technique de l’opéra devait être enrayée. Cet incendie allait permettre non seulement de rénover la Fenice de fonds en comble et bien plus rapidement que ce qui était initialement prévu (coût total : plus de 85 millions d’euros !). Le monde allait s’émouvoir une fois de plus et on se battrait pour participer à la sauvegarde de Venise. Les millions afflueraient de partout… On prétendit alors, surtout - curieusement - dans les milieux opposés à l’administration Cacciari, que cet incendie était une grande chance pour le maire… Quelle aubaine : de l’argent, de la publicité... De quoi reconstruire vite et avec de grands moyens.
L’incendie arrivait fort à propos. La ville avait perdu depuis longtemps son opéra et les spectacles de qualité se faisaient rares. Cette inévitable décadence liée au coût devenu démesuré du fonctionnement artistique et technique de l’opéra devait être enrayée. Cet incendie allait permettre non seulement de rénover la Fenice de fonds en comble et bien plus rapidement que ce qui était initialement prévu (coût total : plus de 85 millions d’euros !). Le monde allait s’émouvoir une fois de plus et on se battrait pour participer à la sauvegarde de Venise. Les millions afflueraient de partout… On prétendit alors, surtout - curieusement - dans les milieux opposés à l’administration Cacciari, que cet incendie était une grande chance pour le maire… Quelle aubaine : de l’argent, de la publicité... De quoi reconstruire vite et avec de grands moyens.
“Everybody is acting in Venice” disait John Berendt dans une interview à une radio de New York. C’est le romancier qui parle. Certes la renaissance de la Fenice – pour la deuxième fois – est une gageure pour la ville. Un opéra de renommée internationale dans une ville que l’on dit mourante mais qui n’est que vieillissante est un outil important. L’auteur a saisi cet enjeu. Il a saisi aussi les bavardages des chauffeurs de taxi et des vénitiens qu’il a approché. Certains de ses personnages sont attachants comme le proche voisin de la Fenice, le Signor Archimede Seguso, Maître-Verrier dont la maison n’est séparée de la Fenice que par un étroit canal et qui regarde dans le livre le théâtre brûlé toute la nuit avant de se rendre à son usine de Murano pour créer une ligne de verrerie pleine de ces couleurs uniques que l’on discerne dans les flammes d’un incendie et qu’il baptisa Fenice… La comtesse Marcello, belle-fille de celle dont je vous ai parlé à plusieurs reprises, et qui fait le lien à Venise avec cette association américaine bien-pensante et luxuriante la "Save Venice inc." genre d'Internationale ultra mondaine de la bienfaisance, qui veut faire le bien de Venise comme autrefois les gentils colons prétendaient faire le bonheur des colonies qu’ils pillaient. Tout ce petit monde pour qui Bush Jr. est un grand homme et Berlusconi le héros sauveur de l’Italie reconnaissante, ne pouvait que déverser des torrents de médisance sur une administration qui fait ce qu’elle peut pour maintenir la vie à Venise en dépit des hordes de touristes. Car comme Berendt a su l’écrire, là est le problème de la Cité des doges : maintenir la vie quotidienne, les épiceries, les boucheries, les bureaux de tabacs, les écoles, les salles de sport, les foyers d’anciens parmi les pizzerias et les boutiques de souvenirs fabriqués par tonnes à Taïwan…
Non, il n’y a pas eu d’autre complot à Venise que la mauvaise décision de deux ouvriers en retard sur leur chantier qui ont cru camoufler leur incompétence devant l’ampleur du travail confié, par un petit sinistre vite oublié. Ils ont gagné la prison pour de nombreuses années. Ludovico de Luigi aura trouvé des sources d’inspiration nouvelles pour son art vieillissant. Les Marcello continueront de défendre leur patrie avec leurs moyens. La ville continuera d’essayer de subsister et les barbares, sans fin poursuivront, inconscients, leur minutieux travail de destruction, à coup de canettes de coca, de papiers gras et de mauvais goût. L’odeur de cendre que John Berendt a respiré au lendemain de l’incendie se répand dans ses pages comme un parfum de mystère et d’obscurité. Un excellent ouvrage écrit par un très bon investigator mais un ouvrage très W.A.S.P. (White Anglo Saxon Protestant) : entre ses lignes, ne lit-on pas finalement"we are so superior"... et arrogants...
Le site d'un verrier parent d'Archimède et qui commercialise - très cher - une collection de pièces à l'imitation des verreries du XVIIIe pour la Save Venice inc. : http://seguso.com/. Le site d'Archimede se limite sauf erreur à son adresse et ses lignes téléphoniques: http://aseguso.com/en
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer, en guise de conclusion, un mot d'humour qui courut au Conservatoire Benedetto Marcello, le lendemain de l'incendie. Au-delà de la dérision, tous les jeunes artistes vénitiens furent très émus, choqués parfois jusqu'aux larmes par l'évènement. Mais, l'humour potache prend toujours le dessus : Cela se passait pendant le cours de quartetto, le lendemain matin :"Lo sai che ieri alla Fenice c'è stato un barbecue?" (vous saviez que hier à la Fenice ils ont fait un barbecue)...
L'essentiel maintenant, c'est que la Fenice, à nouveau, soit sortie de ses cendres.