27 décembre 2012

A Venise aussi, la misère pour certains...




Le temps de Noël est pour la grande majorité d'entre nous un temps de joie et d'allégresse. On met les petits plats dans les grands, les yeux des enfants s'écarquillent devant les décorations et les lumières. le sapin, les cadeaux joliment enveloppés, les chants, les bonnes odeurs et partout la profusion. Partout ? Hélas non, chez certains ce temps est le plus triste de l'année. C'est cette jeune femme sans un sou qui a été surprise en train de voler dans un supermarché. Sous son manteau, elle cachait un paquet de pâtes et un pot de sauce tomate, pour nourrir ses deux enfants le jour de Noël. C'est aussi ce drame poignant que nous ne devrions plus trouver que dans les romans du XIXe siècle. La mort en plein centre historique d'un jeune clochard qui s'était réfugié pour la nuit dans un bancomat de la Banco di San Marco.
Il a fait tellement froid le jour de Noël à Venise. L'homme, apparemment à peine âgé de trente ans, a été retrouvé à l'intérieur d'un de ces guichets automatiques où il s'était réfugié pour la nuit. C'est un vigile qui l'a découvert hier au petit matin  Près du corps une couverture et les restes d'un repas. L'information a beaucoup choqué la population. S'il est vrai que depuis des années de nombreux mendiants ont fait leur apparition redonnant à la ville cet aspect triste du temps où la misère était partout et que la richesse de la Sérénissime attirait des pauvres de partout. Il y a toujours eu des clochards à Venise mais jamais personne n'avait été laissé ainsi à l'abandon jusqu'à mourir de froid, seul et abandonné, et puis ce vieux monsieur de 80 ans retrouvé mort aux Giardini reale, à deux pas des cafés et des restaurants remplis de monde de San Marco. Il s'était construit un abri de fortune pour se protéger du froid... Comme ce jeune homme, le soir de Noël... 
Un passant a déposé un lumignon à l'entrée du Bancomat. D'autres ont porté des fleurs. Jolis gestes qui ne peuvent effacer le sentiment d'injustice et de responsabilité devant un tel évènement. Comment sommes-nous aussi aveuglés par notre bien-être quand tout près de nous des tas de gens souffrent dans leur corps comme dans leur cœur ? Bien sur, aucun d'entre nous n'est directement responsable de la mort de ces hommes et nous ne pouvons porter toute la misère du monde. Mais la compassion suffit-elle ?

Sandro Simonato, maire-adjoint, a trouvé les mots justes quand il rappelle que ce décès "démontre combien la crise aggrave la situation des gens dans la rue, qui sont de plus en plus nombreux". Les employés municipaux affectés à l'action sociale d'urgence interviennent en moyenne 60 fois chaque nuit pour le seul centre historique ! S'il faut noter que la plupart des interventions sont liées à l'abus d'alcool, on ne peut oublier que si ces pauvres hères boivent c'est pour se prémunir du froid et de la faim. L'euphorie qu'ils recherchent les coupent au moins pendant un temps de la conscience qu'ils ont de leur misère et les éloignent du désespoir... Cette misère est inacceptable, bouleversante et nous pourrions tous un jour y être confrontés... Cette population démunie qui grossit de mois en mois vient de l'est de l'Europe. Souvent ces femmes et ces hommes ont un métier, un savoir-faire et seulement le désir de vivre décemment là où ils pensent pouvoir trouver un toit et un travail. Dans les centres urbains il est en général relativement facile de secourir toutes ces personnes. Le Samu social s'est généralisé dans tout l'occident. A Venise la topographie de la ville rend les choses plus délicates. Si personne ne l'aperçoit, un SDF peut rester des jours dans une ruelle retirée, dans un cortile abandonné et le risque est grand quand, comme en ce moment, le froid fait rage au milieu de la nuit. Il est impossible aux équipes de circuler partout tant il y a de ruelles et de campielli éloignés. On a même trouvé des gens installés dans des barques, sous les bâches de plastique. C'est pourquoi la solidarité de tous est nécessaire. Un bol de soupe chaude, un sandwich, du lait, une pomme, une couverture, de la compagnie, et un sourire en attendant qu'interviennent les services municipaux. A Venise, le numéro d'intervention d'urgence - 24 h sur 24 - est le 041 927 471.
Quand on sait que dans le sud-ouest de la France - mais les journaux parisiens n'en parlent pas - des espagnols affluent, tout comme dans les années 30, entassant dans leur voiture tout ce qu'ils avaient de valeur et s'arrêtent lorsqu'ils n'ont plus d'argent pour acheter de l'essence. Des familles entières vivent ainsi dans leur voiture, aidés par les services sociaux qui tentent de leur trouver des logements temporaires et les nourrissent. Une assistante sociale des environs de Bordeaux nous racontait l'autre jour en pleurant, son impuissance à les aider. "Des espagnols affamés, dans toute ma longue carrière, je n'avais jamais vu ça ! " Citoyens européens, venant d'un pays a priori riche et évolué, ils n'ont plus rien. 
 
Je connais un jeune infirmier passionné par son métier qui a traversé les Pyrénées pour trouver du travail en France. Il ne trouve rien en dépit d'un excellent CV et d'une belle expérience professionnelle. Chaque jour, il voit son petit pécule diminuer. Peut-être pourra-t-il se faire embaucher pour faire la plonge... Comment en sommes-nous arrivés là ? Et le temps de Noël se déploie, les enfants ravis s'amusent avec leurs jouets, partout les églises ont fait le plein pour la traditionnelle messe de minuit. La journée de Noël pour la majeure partie d'entre nous a été un moment de bonheur et de joie. Pendant que nous étions en train de digérer, un homme seul mourait de froid à deux pas de la plus belle place du monde. C'est hélas ce dont je me souviendrai en premier de ce Noël 2012. Si la mauvaise conscience - diabolique - ne sert de rien, rappeler ces tristes évènements et les raisons qui président à cette situation de plus en plus poignante pour trop de gens m'a paru important en ce temps où il nous est donné à nous, les nantis, joie et bonheur à profusion.