22 mars 2021

Un dimanche comme les autres mais en plus doux

Depuis toujours pour beaucoup d'entre nous, ceux qui ont la chance de vivre dans un monde paisible, où les enfants peuvent jouer dans les jardins loin des guerres et des malheurs, ceux pour qui le dimanche est le premier jour de la semaine en même temps que le huitième. celui que Dieu choisit pour se reposer Un jour différent des autres, avec une lumière particulière, un rythme nouveau, plus lent, plus fluide. Parfois aussi un jour d'ennui et de silence. La voix d'Andreas Scholl qui reprend la belle berceuse que Billy Joël composa pour sa petite fille. Cette idée qu'il faut :
« Rassurer les enfants en leur disant qu'ils ne sont pas seuls et qu'on ne les abandonnera jamais est tellement important pour leur bien-être et leur développement future »... 

J'y pensais en me rendant au milieu du jour chez la mère de mes enfants que je n'avais pas vu depuis Noël. La seconde de mes filles arrivée de Nantes, son mari et leurs deux petits y déjeunaient avant de repartir en Bretagne. J'avais des invités moi aussi, et pris dans la préparation du repas, les courses ce matin tôt, me dépêchant pour que tout soit prêt, les plats au four, les vins ouverts, la table mise et l'appartement rafraîchi et dépoussiéré, je n'avais pas eu le temps de prévenir que je ne resterai que le temps de saluer mon gendre et mes adorables petits-enfants. En quelques minutes, le tram m'avait déposé à deux pas de la maison. Un arrêt chez le pâtissier pour ne pas arriver les mains vides et trouver une gourmandise qui plairait à tous, et j'étais en bas de la maison. La place était inondée de soleil. 

Les lieux sont chargés d'histoire. Ils occupent le centre du colisée datant de la gallo-romaine Burdigala, appelé par les bordelais Palais Gallien. Il n'en reste plus grand chose, mais les ruines, très romantiques, sont imbriquées comme à Rome dans les immeubles alentour. On a planté des palmiers sur la petite place . Les lettres dorées d'une citation d'Ausone, le poète bordelais qui fut le précepteur de l'empereur Gratien, gravées à l'antique sur le contrefort des marches de pierre, brillaient. Le soleil éclatant semblait vouloir marquer ce premier jour du printemps nouveau... Tout concourait à créer une ambiance méridionale et hors du temps. Soudain, le regret de Venise surgit en moi. Loin de me rendre triste, il stimula mon plaisir. Un jour, bientôt ou plus tard, ce sera, de nouveau dans la cité des doges, mon quotidien retrouvé et cette douce sensation d'être là où je sais que je dois être, là où je me sens vraiment « arrivé à destination »... Mais les aléas entravent depuis tellement longtemps maintenant aspirations et projets, que plus rien ne semble assuré et prévisible, n'est-ce pas ?

Les lecteurs de Tramezzinimag doivent se demander quel rapport il y a dans cette narration d'un dimanche bordelais et les sujets qui nous préoccupent, généralement en rapport avec la vie vénitienne... Je ne sais si cela procède de l'usage des voyages qui sont à chaque fois la promesse d'expériences nouvelles dans un monde nouveau ou la vie recluse dans un univers qu'on pourrait croire de clôture, à la discrétion du père abbé, notre bon Dom Emmanuel Macron. Mais je me gausse, le pauvre homme n'a pas non plus la vie facile depuis son accession à la charge suprême...

Vivre à Venise en ces temps bizarroïdes n'est pas plus facile que pour nous, à Paris, Lyon, Bordeaux, Malaga ou Montréal. Seulement, les vénitiens ont la chance de vivre dans la plus belle ville du monde, un paradis d'harmonie, de lumière et de beauté. Un lieu où le silence est rempli du murmure des siècles jamais étouffé (encore) par la modernité et ses bruits, ses puanteurs. De plus, les hordes de barbares se sont totalement évaporées. Campi et calle appartiennent de nouveau aux vénitiens. Enfants, chiens, mouettes, les chats aussi, tout le monde semble bien plus épanoui que les citadins d'ailleurs, en dépit des masques, des cafés et restaurants fermés. Bientôt Venise sortira de la zone rouge. La vie reprendra le cours presque normal de ces dernières semaines. 

Mais nombreux sommes-nous à ne pouvoir rentrer, maugréant devant cette injustice. Imaginez : avoir eu la chance, depuis un an maintenant, de découvrir Venise comme jamais personne n'avait pu la voir : les eaux limpides et impollues comme au premier jour, les canards, les pigeons, les mouettes errant comme surpris du silence et les habitants eux-mêmes abasourdis par les parfums dans l'air, les sons purifiés autant qu'amplifiés. Beaucoup de mes amis me disent avoir eu cette impression très forte, celle d'être environné d'un vrai silence, comme en montagne ou dans le désert : aucun bruit mécanique, aucun moteur. Les sons de la vie urbaine sans la folie des temps modernes. Le bruit des pas sur les dalles des rues, les cloches qui se répondent, les cris des enfants, les rires, la musique qui surgit d'une fenêtre entrouverte, le chant des oiseaux, le clapotis des eaux... Oui, en gravissant les quelques marches qui mènent jusqu'à la porte de la maison où je suis attendu, je réalise combien ce dimanche ordinaire déjà si doux et heureux, doit l'être encore davantage à Venise, du côté de San Samuele, de San Zanipolo ou dans Dorsoduro...

14 mars 2021

L'aventure de Cool Cousin se termine mais le carnet d'adresses de Tramezzinimag demeure !

Les brillants inventeurs du concept de Cool Cousin ont décidé de mettre un terme à l'aventure. Tous les cousins du monde ont pu faire l'expérience de contacts formidables et pour ce qui est de Venise, nous étions cinq à avoir été contactés qui avaient accepté de mettre à disposition, comme on le fait pour des parents venus nous visiter, ce que les jeunes appellent des "spots", donner à voir des lieux méconnus sans crier sur les toits les bonnes adresses et les heureuses trouvailles. La philosophie était simple, joyeuse et intelligente. Quelques milliers de bitcoins plus tard, les ingénieux fondateurs sont passés à autre chose. Ce n'est pas un véritable abandon, beaucoup d'entre nous y ont gagné des amis et avons pu bénéficier de l'exponentielle croissance du Cuz, la crypto-monnaie inventée en même temps que la startup, en 2016... 
 
Mais pour ceux d'entre nos lecteurs qui n'avaient pas suivi, revenons aux débuts. Cool Cousin est une start-up financée par capital-risque (venture backed companies) fondée pour révolutionner la façon dont les gens voyagent. Au départ, une étude sur les nouvelles manières de voyager montrant que le tourisme avait contribué pour la seule année 2016 pour 7,6 billions de dollars à l'économie mondiale, ce qui représentait 10,6% du PIB total mondial, soit un emploi sur 10 sur la planète ! La fameuse génération Y, connue pour son pouvoir d'achat accru, est une force motrice considérable de cette industrie florissante. Les membres de cette génération, aujourd'hui considérée comme la plus grande génération vivante de la planète, dépensent en moyenne 4.500 $ pour en moyenne 35 jours de voyage chaque année. 
 
 
Depuis son lancement en juin 2016, jusqu'à ces derniers mois plusieurs millions de voyageurs ont ainsi utilisé Cool Cousin qui permettait d'explorer d'une autre manière près de 70 villes tout autour de la planète. Pour ce faire, un millier de guides, tous choisis pour inspirer confiance et dénommés les Cousins ont offert leur assistance, donnant des adresses, des conseils, répondant aux questions des cousins vivant sur place. Couronné par le New York Times, le L.A Times, The Guardian et National Geographic comme une « application devenue incontournable pour les voyageurs », Cool Cousin s'est parfaitement positionnée pour devenir le lieu où les voyageurs grand public adoptent la crypto-monnaie.  
« Rechercher des informations de voyage pertinentes en ligne est devenu une tâche impossible. Le modèle commercial qui maintient Internet gratuit a noyé nos flux d'informations non pertinentes, créant une surcharge et des boucles de rétroaction auxquelles nous ne pouvons pas échapper. Les voyageurs chevronnés sont conscients des manipulations en ligne, mais ont encore du mal à éviter les faux-avis, les arnaques et les contenus biaisés stimulés par les budgets marketing des entreprises et les moteurs de recherches ultra-puissants qui modifient sans cesse leurs pages de recherche. En conséquence, une grande partie du temps de vacances d'un voyageur (et d'argent donc) est gaspillée sur des expériences médiocres qui ne correspondent pas à ses goûts, à l'ambiance dont il avait rêvé...»
Les inventeurs de CC l'ont vite compris : la meilleure source d'informations sur un lieu surtout quand il est éminemment touristique, reste un ami sur place, un parent. Un initié de confiance qui connaît vos goûts et peut vous diriger vers des endroits qui vous conviennent. Cool Cousin a voulu être ce qui se rapproche le plus d'avoir un ami de confiance dans toutes les villes du monde.
« Fondé comme un antidote à la frustration croissante des services de voyage en ligne, CC relie directement les voyageurs à des habitants partageant les mêmes idées - alias Cousins - pour un échange ouvert et impartial de connaissances et de services locaux. À l'aide de l'application, les voyageurs peuvent rechercher dans une liste de cousins dans leur destination, explorer leur guide personnel de la ville et obtenir des conseils et des services personnalisés. Les voyageurs utilisant Cool Cousin se connectent en moyenne à 4 cousins et se renseignent sur l'hébergement, le calendrier de leur visite, les problèmes de trajet, les événements actuels et d'autres intérêts logistiques et personnels - exactement ce pour quoi les gens se tournent vers les agents de voyages.» 
Et cela a fonctionné. Comme mes acolytes, je recevais pas mal de messages dont le contenu était parfois surprenant, comme cette jeune femme qui voulait offrir à ses deux mamans un séjour inoubliable à Venise et me demanda de leur trouver un hôtel avec spa dont la chambre ouvrirait directement dans l'eau et leur permettrait de sortir en jetski... Toutes les demandes n'étaient pas aussi caricaturales, loin s'en faut. Et combien de messages de remerciements après, confirmant le plus souvent mes commentaires sur les lieux que je recommandais. Certains sont même revenus et nous nous sommes rencontrés autour d'un café ou d'un prosecco.
 
Je voyais aussi dans ce rôle qu'il m'avait été demandé d'endosser le moyen de diffuser un message sur la fragilité de Venise, la nécessité de se comporter respectueusement avec la Sérénissime, rappelant chaque fois que cela était possible, de respecter quelques règles, de faire autant que possible comme les vénitiens, de chercher à s'adapter... Bref, tous les conseils que les guides devraient - la plupart le font - asséner aux touristes dont ils ont la charge. J'espère que j'aurai ainsi pendant ces années Cool Cousin, modestement contribué à la Défense de Venise ! L'avenir dira si cette idée de la fragilité de Venise, ville vivante et unique, modèle universel dans bien des domaines, se sera répandue suffisamment pour que chaque visiteur aie à cœur, réellement, de la respecter et de la faire respecter...

Avec « La Venise de Lorenzo », qui a reçu depuis les débuts de l'application plusieurs centaines de milliers de visiteurs, les city-guides
Cool Cousin, de Taipei, Melbourne, Londres, Tokyo, Montréal, Vancouver, Dublin, Sao Paulo, etc., ne seront donc bientôt plus visibles en ligne (le 31 mars sera le dernier jour !). 
 
Il faudra désormais passer par Google Maps, en cliquant sur le lien ICI. C'est moins esthétique et largement plus du tout convivial mais «pratique et fonctionnel», à l'image de notre époque pressée et efficace... Tramezzinimag continue de vous recommander ces adresses, beaucoup d'entre vous les connaissent et les apprécient aussi. Nous essaierons autant que faire se peut de tenir cette carte à jour et de l'améliorer. cela rejoint un projet qui nous a longtemps tenu à coeur avec Antoine Lalanne-Desmet d'une carte interactive de la Sérénissime, sonore autant que visuelle, regroupant les lieux préférés de Tramezzinimag, mais aussi des œuvres d'art méconnues ou célèbres, des textes d'auteurs italiens ou français, de la musique, des vidéos... Un gros boulot, mais quand on aime Venise et qu'on veut la montrer dans sa vraie réalité, on ne compte pas n'est-ce pas ?


08 mars 2021

La joie revient et la vie à Venise reprend couleur...

© Catherine Hédouin - février 2021
 
24/02/2021
Le printemps n'est plus très loin. Il approche. Déjà les mimosas répandent leur senteur joyeuse et éclairent de milliers de petits soleils le regard des passants. Celui qui irrigue de lumière et de joie la Fondamenta de  la Toletta dont l'image envoyée par mon amie Catherine nourrit ma nostalgie autant que l'espoir de pouvoir rentrer bientôt. Voilà un an et un mois que je me suis éloigné. A quelques jours près, j'aurai connu moi aussi la délirante situation imposée par la pandémie et goûté au bonheur de découvrir Venise vide à chaque heure du jour comme elle l'est en pleine nuit. Le silence qui se répandait partout, laissant aux oiseaux et aux cloches le soin de rythmer les jours. 
 
Jamais un homme vivant n'avait été ainsi confronté à cette vacuité imposée par la crainte d'un virus venu d'on ne sait où et qui se répandit partout, se faufilant dans les calle et les campi mais aussi dans les esprits, en y déposant des peurs et des croyances toxiques comme un parfum mauvais, comme un regret ou une trahison. Le bonheur d'être débarrassé de la foule des touristes, ces hordes devenues insupportables qui souvent nous gâchaient l'ordinaire des jours, s'infiltrant dans tous les interstices du quotidien des vénitiens, les forçant à faire de tous les lieux secrets et charmants envahis plusieurs fois par jour et chaque jour de la semaine des clôtures jalousement préservées pour l'usage de leurs habitants. Combien de  et courettes (corte e cortile) sont désormais protégées par une grille voire un portail de fer empêchant de rien voir des trésors qu'elles recèlent. Est-ce un bien ? Est-ce regrettable ? Y répondre est un autre sujet. Faut-il s'en réjouir ou s'en attrister ? J'avoue ne pas vraiment savoir de quel côté penche mon cœur... 
 
 
Comme tout le monde, j'ai tellement souvent pesté contre cette invasion permanente, ces flux de barbares assoiffés de pittoresque et trop souvent incultes, pressés et dévastateurs...Plus d'un an a passé. La crise est derrière nous pour le plus grave, derrière nous les hésitations et les prises de position déroutantes, les pas en avant, les pas en arrière des gouvernants, les inepties déversées à la chaîne par les médias, la peur et l'angoisse de beaucoup, la colère de quelques uns ; la sidération devenue une sorte de précipité général répandu à la vitesse de l'air qu'on ne respire plus qu'à travers un bout de chiffon qui n'a pas l'élégance des masques de la tradition... Tout cela bouleverse l'entendement. Mais Venise, vide ou presque, autant que lorsqu'elle était trop pleine d'admirateurs, a repris sa respiration. jamais elle n'a été aussi vide sauf peut-être dans les jours qui suivirent la fin de la grande peste, partie comme elle était arrivée... Coup de vent re-créateur de vie et de joie. Jamais elle n'aura été aussi belle et jamais elle ne se sera donnée, offerte, à ses enfants émus par tant de beauté de nouveau remarquée. Et c'est bien. On parle de réappropriation après la confiscation. Jeux de mots et d'idées, mélange qui sied si bien à la Sérénissime, brouille les pistes et entrouvre mille possibles. Si seulement... "Hope and pray" disait ma grand-mère.
 
 
 
Déjà la junte au pouvoir régurgite ses sempiternels démons et montre qu'elle n'a rien compris, rien retenu de la crise sanitaire. Les édiles aux manettes ne peuvent plus cacher leur objectif, obsessif : refaire venir les touristes en masse, accentuer la disneylandisation de Venise, attirer les hordes à nouveau pour que jaillissent à nouveau les devises qui serviront à acheter les voix des électeurs de la Terraferma, de Mestre et de Marghera, bien plus nombreux que les vénitiens véritables, ceux de la cité des doges et bien plus souples et compréhensifs. Ceux qui veulent des services et des prestations urbaines identiques à celles proposées partout ailleurs, dans les centres urbains «normaux», les satisfaire c'est s'assurer des années au pouvoir et les prébendes qui vont avec. Tant pis si la Venise historique meure, ses ruines rapporteront peut-être davantage que ces sestiere bourrés de trésors et de charme mais tellement compliqués à maintenir et à adapter au (mauvais) goût des hordes...


Mais nous nous préoccupons depuis trop longtemps - plus d'un an maintenant - de cette situation délirante qui nous a pris par surprise, traitreusement, et que les petits maîtres qui prétendent savoir et gouvernent le monde cherchent désespérément à maîtriser sans y parvenir vraiment. Arrêtons d'avoir peur, de douter et de croire n'importe quel beau parleur dont La vie, le beau et le bon finissent toujours par reprendre la main et les dieux, leur colère apaisée, retournent à leur bienveillance et l'homme à sa vie sociale. 
 
Hélas, rien n'est gagné. Tout peut recommencer, se poursuivre, se prolonger. Ce temps de carême n'est-il pas propice à la méditation, à l'introspection. Une sorte de confinement intérieur pour chasser les toxines qui empoisonnent notre mental, apprivoisent notre ego pour nous rendre imperméable à l'autre, préoccupé de nous-même. Pire encore, elles drainent en nous la peur. Peur de la maladie, peur de la mort, peur d'être rejeté, pestiféré... Peur de l'autre... Il nous faut résister au désespoir, au découragement. Venise est l'endroit idéal pour nous battre avec nos démons intérieurs. Sa beauté, sa lumière, son silence, tout est mis à notre disposition pour nous imprégner de pensées positives et recouvrer ainsi la paix intérieure et espérer...




 7 mars.
J'apprends que Venise passera lundi prochain en zone orange. Régression. Plus de glacier, de cafés, de bars ni de restaurants ouverts. Plus de musées non plus. « Cela pourrait être pire » me disait une amie vénitienne. Oui, mais cela pourrait aussi être mieux. Quand retrouverons-nous nos libertés et le rythme d'avant ? Quand oserons-nous défier cette épidémie qui tue peu à peu notre enthousiasme et nos joies ? 

Espérons qu'avec l'été, tout reprendra les couleurs d'avant... Dieu voulant.