Quand
peu à peu, les vénitiens et les amoureux de Venise ont compris le
danger de la prolifération sans cesse grandissante des navires de
croisière qui traversent quasiment chaque jour les eaux de la lagune, on
a senti qu'un mouvement de fond fait de mécontentement profond, de
rogne et de ras-le-bol risquait de s'emparer tôt ou tard de la cité des
doges. Ils étaient plus d'une centaine dans la tribune du public au
conseil municipal et pratiquement autant dans le hall de la Ca Fasrsetti
(la mairie), à l'appel du Comitato No Grandi Navi. La mobilisation a dépassé les calculs les plus optimistes, ce qui rendait le groupe des membres du comité “Cruise Venice" l'influent et déterminé lobby
pro-croisière ridicule. Atmosphère tendue parce que le sujet est vital
pour la sauvegarde et la protection de la lagune et de son écosystème,
mais aussi pour la défense de Venise et de ses habitants.
La
tension était telle que l'on pouvait craindre que ça dégénère à tout moment et quand un peuple est
en colère, les règles de bienséance sont parfois oubliées. Après
quelques rappels à l'ordre, le conseil municipal a pu commencer. Durant
près de quatre heures, les débats ont été houleux. Les élus devaient
débattre du prochain rendez-vous du maire Giorgio Orsoni, le 25 juillet à Rome, pour participer à une importante réunion avec le ministre des infrastructures, Maurizio Lupi et celui de l'environnement, Andrea Orlando. Au centre des débats, l'application effective du décret Clini et Passera,
du nom des ministres qui en sont à l'origine, et qui prévoit
l'interdiction absolue du passage dans le Bassin de San Marco et sur le
canal de la Giudecca, des navires d'une jauge supérieure à 40.000
tonneaux.
La
décision jamais encore appliquée, a été littéralement congelée depuis
mars 2012 dans l'attente d'une proposition alternative de transit de la
part des Autorités Maritimes. Mais aussi parce que le lobby
pro-croisières a été très actif, bien organisé et surtout doté de moyens
financiers importants. Ils ont gagné du temps. La seule bonne volonté
des vénitiens qui militent pour ce contournement vers des lieux moins
fragiles.
"Le débat sur le passage des grands navires doit être traité de suite. Venise réclame l'application immédiate du décret Clini-Passera et demande que la loi soit respectée et appliquée sans retard" a dit le maire en guise d'introduction à l'ouverture de séance. "Nous serions dans l'erreur, a poursuivi Giorgio Orsoni, si nous envisagions de renoncer à ce que les activités de fret comme de passagers, nous apporte aujourd'hui. Ce sont des activités économiques qui composent notre ADN et nous devons réfléchir aux meilleurs moyens de les développer, de la manière la plus compatible avec la structure de notre ville. La compatibilité - dit-il - n'est pas seulement le problème des citoyens, mais c'est c'est en premier lieu celui des autorités portuaires et des entreprises en lien avec les activités portuaires. Si celles-ci veulent vraiment jouer leur rôle, elles doivent se projeter dans le temps, ne pas se contenter d'un fonctionnement et d'un système acquis, mais anticiper des solutions nouvelles, envisager un modèle qui puisse évoluer dans l'avenir. Le problème n'est pas seulement d'apporter un remède à une situation devenue insoutenable, mais de trouver des solutions, même transitoires voire temporaires, dans la perspective d'un développement compatible avec Venise."
Giorgio Orsoni
a expliqué ensuite que l'idée d'utiliser Porto Marghera pour développer
le port de passagers figurait déjà dans le programme électoral sur
lequel s'est construite la majorité :
" Tout y était déjà écrit." a souligné le maire, "Nous avions bien à l'esprit que la Gare Maritime est une ressource qui viendra à saturation et que le développement de la future zone métropolitaine ne peut que se recentrer vers la terre-ferme, vers Porto-Marghera. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas nécessairement à abandonner la Maritima, qui va profiter des investissements déjà réalisés, cependant les navires doivent arriver dans un lieu où on puisse les accueillir sans risquer d'endommager l'écosystème lagunaire. L'accès à Marghera, a-t-il rappelé au Conseil, peut se faire par le canal des pétroliers, dans des lieux non encore dévolus à ce jour aux activités portuaires et dont le développement serait parallèle aux activités de fret sans risque pour celles-ci, en se servant des chenaux existants sans avoir à passer par San Marco."
Cette
possibilité qu'évoquait le maire éviterait d'avoir à creuser de
nouveaux canaux qui causeraient certainement des dommages importants au
système hydraulique de la Lagune.
"Le creusement du Canal de contournement Sant'Angelo, est une perspective qui doit être abandonnée !" a-t-il martelé."parce que le développement logique devra se faire du côté de Marghera et pas ailleurs ! "
A la satisfaction du Comitato No Grandi Navi, le maire a ajouté:
"Bien que l'exclusion définitive des grands navires dans la Lagune doit être une perspective envisageable à long terme, il est nécessaire d'étudier toutes les propositions alternatives qui permettront de réduire les risques liés à ce trafic. Nous devons aborder ces questions avec une grande sérénité, mais en ne perdant pas de vue la priorité que sont la protection de l'environnement naturel de la Lagune et la santé des citoyens. N'ayons pas d'avis préconçus."
Le maire a ensuite rappelé qu'il n'accepterait jamais de s'asseoir à la même table que "des
interlocuteurs qui prétendraient qu'on ne doit pas toucher à la gare
Maritime et que les Maxi Navi doivent à tout prix y accoster", reprenant ainsi la polémique récente avec le président de l'Autorité Portuaire, l'ancien maire Paolo Costa.
La
position du maire s'est traduite par un ordre du jour qui a été adopté à
la majorité, bien que le gouvernement municipal soit composé de
sensibilités très diverses. Le conseiller vert Beppe Caccia a exprimé son désaccord avec le maire quant à l'évidence de la "localisation du port de passagers à Marghera comme stratégie à long terme." Selon lui, le gigantisme
naval, tant pour le trafic industriel et commercial, que pour le
transport de passagers, est structurellement incompatible avec le milieu
ambiant lagunaire et la ville de Venise.
L'avenir selon Beppe Caccia, ne peut résider ailleurs que dans l'éloignement maximum du terminal à l'extérieur de la Lagune. "Cependant", a-t-il précisé, la proposition du maire a le mérite d'aborder la question selon le meilleur angle possible actuellement. Toutes les alternatives structurelles au transit actuel des monstres marins doivent être envisagées sérieusement. En attendant, l'application du décret Clini-Passera doit être mise en œuvre au plus vite. Aucun nouveau creusement de canaux ne doit être autorisé dans la Lagune et dans cette optique, Marghera peut s'avérer une solution transitoire efficace."
L'avenir selon Beppe Caccia, ne peut résider ailleurs que dans l'éloignement maximum du terminal à l'extérieur de la Lagune. "Cependant", a-t-il précisé, la proposition du maire a le mérite d'aborder la question selon le meilleur angle possible actuellement. Toutes les alternatives structurelles au transit actuel des monstres marins doivent être envisagées sérieusement. En attendant, l'application du décret Clini-Passera doit être mise en œuvre au plus vite. Aucun nouveau creusement de canaux ne doit être autorisé dans la Lagune et dans cette optique, Marghera peut s'avérer une solution transitoire efficace."
De
leur côté, les membres de l'opposition de droite (à laquelle se
joignaient quelques membres du PD et de l'Udc) se sont fermement
retranchés en compagnie des conseillers PDL et de la Ligue du Nord, dans
un soutien sans faille à la position de l'Autorité Portuaire et de Venezia Terminal Passeggeri,
la société mixte qui recueille les profits dérivés de l'activité
croisiériste. Pour eux, les Maxi Navi doivent rester définitivement à la
Gare Maritime, même si cela présente une menace permanente au coeur
même de la cité historique ! (sic) C'est de gros sous dont il s'agit et fi du danger écologique pour ces gens-là.
Tommaso
Cacciari, du Comitato No Grandi Navi, a exprimé la satisfaction du comité à l'issue du conseil : " Seule la mobilisation populaire, et notamment les récentes initiatives de blocus du port et du canal de la Giudecca le 9 juin dernier, ont permis de faire prendre conscience à tous les acteurs concernés, de la gravité de la situation et la nécessité qu'il y a de trouver au plus vite des solutions de rechange viables. Dès le début, nous avons contesté le décret Clini-Passera, parce qu'il limite l'interdiction au bassin de San Marco et pas à l'ensemble de la Lagune, repoussant ainsi sa complète exécution aux calendes grecques. Le transfert à Marghera que propose le maire ne nous convainc pas :Ce n'est pas à la ville ni à l'écosystème de la Lagune, de s'adapter à la taille monstrueuse des navires. C'est à ce système économique de pillage qu'est le trafic croisiériste de s'adapter. La sanctuarisation de la Giudecca et de San Marco n'est que la première étape et elle doit être appliquée de toute urgence. Mais nous continuerons à nous battre jusqu'à l'éloignement définitif de ces navires de la Lagune !"
Le dernier mot appartient désormais au sommet de Rome, le 25 juillet, où s'affronteront les défenseurs des droits de toute une communauté et les représentants du lobby des croisières.
Si le choix pour une protection maximale de l'écosystème lagunaire et
de la population vénitienne paraitrait évident à un enfant de cinq ans
tant il est vital pour l'avenir de ceux qui viendront après nous, la
puissance des intérêts financiers et politiques en jeu, qui privilégient
comme il sied dans le système ultra-libéral une vision à court terme
uniquement basée sur la croissance
et le profit, demeure préoccupante. Il y aura encore beaucoup de
manifestations, beaucoup de luttes et d'interventions avant que soit
éloigné définitivement le risque permanent que représentent ces Maxi Navi.
Tramezzinimag se joint aux vénitiens et continuera d'apporter un soutien inconditionnel au Comitato No Maxi Navi.
Comme la plupart des personnes ayant pris position contre le passage de
ces monstres dans les eaux de la Lagune, et qui frôlant des fonds
marins fragilisés et un habitat historique lui aussi fragile,
constituent un danger avéré pour ces lieux uniques, nous n'avons rien
contre ces croisières et encore moins contre ceux qui y participent.
Bordeaux, port en milieu urbain, où tout le monde se réjouit de la
fréquence des escales des paquebots, développe depuis quelques années
avec le Port Autonome, la Chambre de Commerce et des sociétés
croisiéristes, le tonnage de son port de passagers. La particularité du
fleuve, large, profond, proche de l'estuaire et donc de l'océan, permet
d'accueillir en toute sérénité ces immenses navires qui ne dénotent pas
autant que sur la Lagune. Mais les schéma n'est pas le même et la
Garonne n'est pas le Bassin de San Marco (voir les clichés à gauche et
ci-dessous)