Voici le 60ème Coup de Cœur de Tramezzinimag ! La toute première livraison de la rubrique date du 20 décembre...2005. (elle est toujours en ligne, pour la lire cliquer ICI). Presque vingt ans et des dizaines de Coups de Cœurs toujours revendiqués. Certaines bonnes adresses ne sont plus, mais livres, disques et films restent disponibles je crois. Aucun remord, aucun regret, nous ne revenons pas sur les choix que nos lecteurs sont nombreux à avoir apprécié.
Dans ce numéro, nous reprenons plusieurs critiques présentées en novembre dernier, après avoir revu et complété leur contenu suite à des échanges avec nos lecteurs.
Prochainement (bientôt !) : une page répertoire détaillé de l'ensemble de nos coups de cœur avec les liens pour faciliter la recherche.
Concertos pour violoncelle
Nicolas Altstaedt et l'Ensemble Arcangelo dirigé par Jonathan Cohen
CD Label Hyperion, 2016
16€
Au chapitre des Concertos pour violoncelle de Carl Philipp Emanuel Bach je croyais la messe dite. L’archet aventureux d’Anner Bylsma s’y équilibrait avec la direction solaire de Gustav Leonhardt, un rien trop classique. Puis vint Ophélie Gaillard qui y mettait une fantaisie débridée, merveille qui pourtant ne me détournait pas tout à fait de Bylsma et de son Gofriller. Cette fois, je crois bien que le nouveau venu éloigne la référence qui régnait sur ce triptyque depuis bientôt trente ans. D’abord par la fusion impeccable des discours du violoncelle et de l’orchestre, ensuite par la connivence à la fois fantasque et poétique qui anime Nicolas Altstaedt et Jonathan Cohen. Ils entendent tout de ces musiques qui sont les témoins de l’Empfindsamkeit, de leurs pouvoirs expressifs, de leurs bizarreries mais aussi de leur lyrisme si singulier lors des mouvements lents où la fuite du temps s’abstrait.
Ensemble ils ont composés des cadences qui de style, de ton se fondent dans la langue si novatrice de Carl Philipp Emmanuel, sinon pour le Concerto si bémol où celle du compositeur s’impose. Ensemble ils règlent des jeux d’archets savants, où tout parle, faisant de la matière concertante de petits opéras. Quel théâtre, que d’imagination, quelle fougue puis que de rêves. Venant de celui qui avait éloigné les Concertos de Haydn du classicisme où on les endort habituellement, cela n’est pas pour m’étonner. Venez entendre ici à quel point l’avenir envahit ces partitions trop longtemps oubliées par les grands violoncellistes (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé).
Duello d'Archi a Venezia Veracini,Locatelli, Tartini,Vivaldi Chouchane Siranossian,
Venice Baroque Orchestra
dirigé par Andrea Marcon
Alpha Classics, 2023
19€
Reçu ce flamboyant CD que j'écoute en boucle depuis quelques jours. L'idée, comme nous l'expliquent la virtuose arménienne Chouchane Siranossian et Andrea Marcon, était de lancer « un duel imaginaire à coups d’archets à Venise entre les quatre mousquetaires du violon de la
première moitié du XVIIIème siècle : Vivaldi, Veracini, Tartini et Locatelli ». Corelli meurt en 1713, cédant le flambeau à ses héritiers.Venise devient alors le théâtre d’une rivalité sans merci… «Le violon endosse le rôle d’arme idéale pour démontrer sa virtuosité et ses prouesses. Le but ultime étant d’étonner l’auditeur et de démontrer, parfois même en exaltant certains penchants narcissiques, sa propre bravoure. » Chouchane Siranossian, dont la virtuosité a était qualifiée
de « diabolique » par The Sunday Times était l’interprète idéale de ces concertos à haut risque, avec la complicité éclairée et renouvelée d’Andrea Marcon et de son pétulant ensemble vénitien. Une bonne idée pour vos étrennes vraiment ! Pour vous en convaincre, écoutez le podcast de France-Musique (01/06/2023) : ICI.
Sergio Pascolo
Venezia Secolo Ventuno
Visioni e strategie per une rinascimento sostenibile
Anteferma edizioni,
Venezia.2020
ISBN : 978-8832050509
17€
L'ouvrage est sorti il y a trois ans. Il demeure cependant d'actualité et permet aussi de faire connaître aux lecteurs de Tramezzinimag (qui lisent l'italien) la maison d'édition qui l'a publié dont le catalogue est plein de trésors sur lesquels nous reviendrons. L'auteur, architecte de son état, nous livre un constat très clair du vivre à Venise au XXIe siècle. Comme le dit la notice, il aborde le destin de Venise, l'urbanisation globale et le destin de la planète. «Des thèmes apparemment éloignés mais qui se rejoignent. Universellement reconnue comme l'une des plus belles villes du monde, Venise est aujourd'hui menacée par la crue des eaux et la monoculture touristique ». Elle se dépeuple, elle se meurt. Comment accepter sa disparition, voire la planifier ? «Dans le scénario mondial du 21e siècle, Venise pourrait être l'une des villes les plus attrayantes de la planète car, en raison de sa durabilité intrinsèque, elle est un exemple paradigmatique de la ville du futur.» Nous n'avons jamais tenu un autre discours dans ce blog : «Une ville compacte à taille humaine, un port d'idées, un carrefour de connaissances et de savoir-faire, un pont entre l'Orient et l'Occident, où la vie est associée à la beauté, à l'harmonie et à la durabilité.»
Ce livre propose d'«imaginer et de tracer concrètement une renaissance durable, avec une large réflexion sur l'idée de la ville insérée dans une perspective globale qui concerne l'ensemble de la planète.» Passionnant et revigorant. Venise peut-être sauvée même avec les hordes, la gabelle imposée par la junte municipale et seulement seulement 49.000 habitants là où il y en eut plus de 150.000 pendant des siècles...
Charles Simmons
Les locataires de l'été
Traduit de l'américain par Eric Chedaille
Libretto Poche, 2022
153pages. ISBN 978-2-36914-668-1
8,30€
Une belle découverte. On m'avait beaucoup parlé de l'américain Charles Simmons, romancier et journaliste récemment disparu (2017). Ce petit roman qui date de 1997 est un pur régal. Texte court (152 pages), à l’écriture vive et légère. L'histoire est assez simple : été 1968, un adolescent de quinze ans, fils unique, est en vacances, comme avec ses parents dans leur maison sur une presque-île de la Côte Atlantique des États-Unis. Passionnés par la navigation et par la mer, le garçon et Peter son père passent beaucoup de temps sur leur bateau, un petit voilier en bois, l'Angela. Mais les événements vont se compliquer avec l'arrivée dans le pavillon voisin de la fantasque Madame Mertz et de sa fille, Zina, âgée de vingt ans, apprentie photographe et, surtout, d'une éblouissante beauté. Michael, foudroyé par cette belle jeune femme, découvre l'amour, ses rêves, sa réalité, ses douleurs. C'est Michael qui raconte cet été-là, celui de ses quinze ans et de son passage précipité et douloureux vers l'âge adulte.
Sous l'apparente gaieté de ce roman solaire coulent en filigrane une note mélancolique et une certaine amertume. Charles Simmons aborde dans la plus grande des libertés les grands thèmes qui composent la vie : l'amour, le désir, le mariage, la recherche de soi, le temps qui passe et les illusions qui tombent... Il traite son sujet en y apportant toutes les nuances et la profondeur qu'exigent ses personnages et leurs sentiments. À lire ce roman, on songe inévitablement à Tourgueniev et à son Premier Amour, dont ce livre se veut une réécriture, mais le lecteur pensera aussi aux nouvelles de Francis Scott Fitzgerald et bien entendu à L'Attrape-Cœur de Salinger ou encore à Carson McCullers par la grande liberté de ton. La préface de Jérôme Chantreau, le traducteur met l'eau à la bouche dès la première page. Je m'y retrouve quand il explique que :« Depuis que j'avais lu "Le Bonheur des tristes" de Luc Dietrich et que j'avais appris qu'un grabd roman peut[aussi] tenir en peu de mots, je savais qu'il en existait, je les cherchais partout». Pour lui, le roman de Simmons est « un grand livre de chevet, un chef-d'œuvre de poche. Pourquoi grand ? Parce qu'il dit l'essentiel, et même un peu plus. pourquoi petit ? Parce qu'on pourrait passer devant sans le voir. Une esquisse. Un pastel. Il y a peu de livres aussi épurés [...] Et voici entre mes mains Les Locataires de l'été qui semblaient avoir été écrits avec de l'eau, sur du sable. Un récit scintillant comme le bord de la vague, à la tombée du soir. Une aquarelle qui peint l'été radieux, les premières amours et les errements du coeur. Rien de très original, avouons-le. Mais le coup de génie de Simmons, c'est d'avoir ouvert l'été en deux, et d'avoir regardé à l'intérieur. Qu'à-t-il vu ? Que personne ne prend la jeunesse au sérieux. Que la nonchalance est un crime. Que l'été finit mal.»
Comment dire mieux ce roman qu'avec les mots de son traducteur ? Sa préface donne donner envie de lire séance tenante ce court roman (152 pages). Simmons nous rappelle combien vivre et aimer sont choses dangereuses et que les jours heureux filent comme les nuages... Les deux derniers paragraphes - et surtout les deux dernières lignes - pourraient s'entendre comme un constat d'échec, une grande désolation. Il n'en est rien, le constat fait par Michael parvenu à l'âge qu'avait son père cet été-là, s'il est lucide, n'en est pas moins l'évidence d'un bonheur. Celui de devenir enfin jeune quand, vieilli, la lucidité nous confirme qu'on met longtemps, longtemps, à à y parvenir. N'est-ce pas cela la vraie joie après laquelle nous courons toute notre vie ; cette « Quête de Joie » si bien décrite par Patrice de la Tour du Pin...
Le Roitelet
Editions Québec Amérique, 2023
144 pages.
ISBN :
978-2764442555
16€
Il arrive parfois que le hasard nous mette entre les mains un livre inattendu qui nous bouleverse et nous remplit d'une vraie joie. C'est le cas de ce court récit qui nous vient du Québec. Dès sa sortie, il a enthousiasmé bien des lecteurs, critiques, auteurs ou simples amateurs de lecture. J'en suis à 100%. Je ne résiste pas à vous raconter l'anecdote, car c'est bien de cela qu'il s'agit dans ma rencontre avec l'ouvrage. Une terrasse au soleil, premiers soleils après des jours de bourrasque et de ciels bas et tristes. Une jeune femme qui lit à la table à côté. Je ne distingue pas bien le titre de son livre. Ce que je vois c'est une couverture verte à l'aspect usagé, fané, un oiseau aux ailes déployées occupe presque tout l'espace. Je pense à un bouquin d'occasion. Soudain, la jeune femme le pose, ouvert contre la table et se lève. se tournant vers moi, elle me demande si je peux veiller sur ses affaires un instant. J'acquiesce évidemment. En tendant le bras pour désigner la table, elle fait tomber le livre. Je me penche pour le ramasser, elle aussi. S'en suit un cafouillage, fou-rire de part et d'autre. Une scène à la Christophe Honoré. Finalement, je me relève le livre entre les mains, la jeune femme aussi.Elle me remercie en me gratifiant d'un très joli sourire. A son retour, nous évoquons le livre que j'ai rapidement feuilleté. Elle m'en parle avec enthousiasme, me conseille vivement de le lire. Voilà l'histoire. Revenu chez moi, j'ai recherché ce qu'on en disait sur le net. «Magnifique récit poétique, Le roitelet de Jean-François Beauchemin donne envie de vivre, d’aimer et d’admirer la lumière qui tombe le soir, avec ceux que l’on aime» écrit Gabrielle Napoli dans la revue en attendant Nadeau (ICI) .
Un homme vit paisiblement à la campagne avec sa femme Livia, son chien Pablo et le chat Lennon. Pour cet écrivain parvenu à l’aube de la vieillesse, l’essentiel n’est plus tant dans ses actions que dans sa façon d’habiter le monde, et plus précisément dans la nécessité de l’amour. À intervalles réguliers, il reçoit la visite de son frère malheureux, éprouvé par la schizophrénie. Ici se révèlent, avec une indicible pudeur, les moments forts d’une relation fraternelle marquée par la peine, la solitude et l’inquiétude, mais sans cesse raffermie par la tendresse, la sollicitude.
« À ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.»
La lecture du Roitelet appelle au partage. Les mots qui disent «cette poésie de l’instant» (Gabrielle Napoli) : « le sentiment tragique de la déchirante douceur du monde », qui nous enveloppe entièrement, de la fraternité et de la beauté, « seule grammaire qui vaille ». Réflexion sur
l’amour qui nous lie tout autant que sur l’art, sur le temps qui passe et les leçons de la vie :«Je
me réjouis en tout cas de m’être débarrassé de tout ce qui dans la
jeunesse m’avait encombré : la méconnaissance de l’âme, la pauvreté de
la pensée, la brièveté de l’amour, la vitesse ». C'est paraphraser Gabrielle Napoli que d'affirmaer que Le Roitelet est un de ces livres qu’on a envie de partager, un véritable trésor qu'il faut faire connaître. C'est aussi un texte qu'on «garde précieusement au fond de soi, tout en le partageant comme
un cadeau unique». Gallimard vient d'éditer le livre dans la collection Folio (N°7304),192 pages, 7,80€
Recette gourmande : la Gallina Ubriaca
Traditionnellement, les Coups de Cœur de Tramezzinimag finissent par une recette culinaire vénitienne ou inspirée de la cuisine du Veneto mais pas seulement Celle qui vous est proposée aujourd'hui est liée à une petite anecdote familiale...
J'étais récemment chez une vieille dame, grande amie de la famille et l'une des dernières survivantes de la génération de mes parents chez qui elle avait longtemps servi. Elle m'a raconté une anecdote que j'avais oublié et qui mériterait un plus grand développement. Nous habitions à la campagne où mon père était médecin. La maison était grande et souvent pleine d'amis et de parents qui en appréciaient l'accueil et le confort. On y mangeait bien. Un jour d'été, mon père ramena un groupe d'amis quelques heures avant le déjeuner. Ma mère aurait préféré avoir le temps d'organiser leur visite mais comme à son habitude, elle se contenta de soupirer, sachant pertinemment qu'il était inutile de rappeler combien il est nécessaire de prévenir en cuisine assez tôt pour que tous s'organisent.
Mon père était déjà reparti visiter ses malades, laissant ma mère et la maisonnée déjà bien pleine, s'occuper de tout. Pour nourrir tout ce monde, les deux volailles déjà apprêtées ne suffiraient pas. Il fallait bien en ajouter deux autres. La cuisinière, ma grand-mère, ma mère, mes tantes et notre bonne se rendirent à l'évidence : il allait falloir tuer ces pauvres bêtes. Ce fut ma tante danoise qui suggéra de les faire boire jusqu'à les saouler. Il serait alors plus facile de leur trancher la gorge. Mais pour ce faire, il fallait les attraper, les tenir et les forcer à ingurgiter le cognac - ou l'armagnac, nous sommes en Périgord - et attendre qu'ivres, elles tombent quasiment mortes. J'imagine la tension des femmes de la maison et le petit bonhomme que j'étais alors assistant au spectacle sans comprendre de quoi il ressortait.
Imaginez la course après les volatiles. La vieille dame ne savait plus s'il s'agissait de pintades ou de poulets. Toujours est-il qu'après maints efforts, cris et fous-rires, les cinq femmes arrivèrent à leur fin. Les bêtes totalement ivres furent égorgées, plumées et farcies et tout le monde se régala. Après ma visite, je suis allé jeter un coup d’œil dans les carnets conservés de cette époque pour tenter de retrouver une trace de l'évènement. Dans l'un des grands cahiers de recettes de la famille, j'ai retrouvé un feuillet maculé de tâches, certainement du gras, couvert d'une écriture déliée mais hésitante. C'était en italien. Le titre : «Gallina ubriaca». C'est certainement cette recette traditionnelle de la campagne vénitienne qui donna l'idée aux femmes de la maison d'enivrer ces pauvres bêtes, poules ou pintades...
Il vous faut : une belle poule ou un gros poulet bien en chair, un litre de vin rouge (un merlot ou cabernet sauvignon de qualité), 1/4 litre de cognac, 150 gr de praiatoli (champignons de couche), 100g de farine ou maïzena, 150 g de pancetta fraîche, 1 gros oignon, 1 gousse d'ail, romarin, persil, un peu de thym frais, 100 g de beurre, 1 cs d'huile d'olive, sel et poivre frais moulu, grains de poivre.Découper la volaille en six ou huit morceaux, les fariner et les disposer dans une marmite en fonte (ou autre mais à fond épais), les faire dorer à feu vif dans l'huile en remuant souvent pour éviter que la viande attache. Quand les morceaux sont dorés, ajouter le cognac en une fois et le vin, sel, poivre et le persil finement haché.Porter à ébullition pour réduire le jus puis cuire à feu doux pendant environ deux heures.
Pour la sauce : dans une casserole à fond épais, faites fondre le beurre, y ajouter la pancetta taillée en lardons, les champignons égouttés et coupés en julienne avec l'oignon, puis la branche de romarin. Faire cuire à feu doux pendant une quinzaine de minutes. Verser la sauce obtenue sur la volaille et continuer à faire cuire.
Servir les morceaux très chauds nappés de la sauce, traditionnellement accompagnés de polenta (en purée ou en losanges préalablement passés au grill). On peut aussi choisir un accompagnement de haricots verts frais, de gnocchis au romarin ou de purée de pommes de terre. Bon appétit.