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17 mai 2024

Il y a dix ans...

En relisant des commentaires anciens, j'ai retrouvé cet article d'octobre 2014 publié suite à l'envoi d'un courriel d'un lecteur, JiPé dont je ne sais s'il suit toujours Tramezzinimag mais qui a été un des plus fidèles soutiens du site. Je vous invite à aller y jeter un coup d’œil. JiPé m'avait adressé les photos qui illustrent le billet. Il était question d'architecture et de pastiche : «Venise, c'est contagieux !»

Je proposais alors que ceux d'entre vous qui ont connaissance de bâtiments du même acabit nous envoient des photos pour les publier et dresser ainsi, en dilettante, une cartographie des pastiches d'architecture vénitienne à travers le monde. Je renouvelle la demande. N'hésitez-pas,  nous publierons vos envois dans Tramezzinimag. 

Bonne fin de semaine et Joyeuse fête de Pentecôte.


16 mai 2024

Venise vue par le commissaire Brunetti

Donna Leon ©Gaëtan Bally, 2022 - Tous Droits Réservés. 
 
Publié en 2012 par Argoul(*) sur son site (ICI), ce texte est le meilleur jamais trouvé consacré aux aventures de l'inénarrable commissaire Brunetti, le héros inventé par l'helveto-américaine Donna Leon, qui fêtera ses 82 ans le 28 septembre prochain. Traduits dans pratiquement toutes les langues, à l’exclusion de l'italien (sur la demande expresse de l'auteur elle-même). Les versions françaises sont dues à Gabriela Zimmermann, qui vit à Venise et a longtemps côtoyé l'auteur - elle fut longtemps sa voisine(**). Voici l'intégralité du texte, ceux qui lisent Donna Leon comprendront mon enthousiasme pour cet article et pour ceux d'entre vous qui n'avaient encore jamais ouvert un de ses livres, je suis certain qu'ils vous donneront envie de les découvrir :

«Vous connaissez probablement Venise, ses palais mirant leurs façades dans les eaux du Grand Canal, ses musées emplis d’œuvres d’art, ses restaurants de pâtes et poisson. Vous ignorez sans doute comment vivent les Vénitiens. Je me souviens de mon philosophique « étonnement », à 20 ans, lorsque j’avais vu un employé en costume cravate parcourir les rues animées d’une fin août touristique, le porte-documents à la main. Il y avait donc des « habitants » à Venise ? Des gens qui vaquaient à leurs affaires comme dans toute ville moderne, habillés et non pas en short et polo de touriste ? J’ai lu avec plaisir, dans les années 1990, la plupart des romans policiers qu’écrivit Donna Leon. Cette américaine vit à Venise depuis la fin des années 80. Elle enseigne la littérature dans une base OTAN de l’armée américaine.
Son commissaire de police, Guido Brunetti, est particulièrement réussi. Brunetti sort du petit peuple vénitien, il a suivi des études d’histoire puis de droit grâce à la démocratie d’après-guerre avant d’entrer dans la police. Il a eu la chance d’épouser par amour la fille d’un comte, Paola, professeur de littérature anglaise à l’université, qui lui a donné deux enfants : Raffaele alias Raffi, 15 ans dans le premier volume, et Chiara, 12 ans. Très humainement, ces enfants grandissent de volume en volume, passant par les phases de l’adolescence révoltée, des études prenantes et des ami(e)s pour la vie. Paola l’universitaire, comme les enfants lycéens, sont un pôle de stabilité pour Brunetti : ils assoient concrètement son idée de la vérité, de la justice et du bon vivre social. Car, en bon Italien, Brunetti aime sa famille, les bons repas et la justice ; en bon vénitien, il se méfie des apparences, des produits pollués et de l’incompétence administrative.
Donna Leon fait bien ressortir ce qu’il y a d’humaniste dans le métier de policier à Venise. Chaque volume aborde un thème différent, typiquement vénitien, mais documenté à l’américaine. Mort à la Fenice (1992) se situe dans le monde de l’opéra, Mort en terre étrangère (1993) analyse les échanges mafieux entre industriels peu soucieux d’environnement et militaires américains de la base de Vicence, Un Vénitien anonyme (1994) aborde le milieu des travestis et du porno, Le prix de la chair (1995) s’intéresse à la prostitution venue de l’Est, Entre deux eaux (1996) trempe dans le monde de l’art et des faux, Péchés mortels (1997) parmi les institutions religieuses, Noblesse oblige (1998) dans l’aristocratie vénitienne, L’affaire Paola (1999) autour de la pédophilie, Des amis haut placés (2000) dans le monde des usuriers, Mortes-eaux (2001) chez les pêcheurs de la lagune. Il y aura encore Une question d’honneur (2002) sur le trafic d’œuvres d’art, Le meilleur de nos fils (2003) dans une académie militaire, Dissimulation de preuves (2004) et les filières d’immigration clandestines, De sang et d’ébène (2005) sur les vendeurs de rue africains, Requiem pour une cité de verre (2006) à propos de pollution industrielle, Le cantique des innocents (2007) et le trafic d’enfants, La petite fille de ses rêves (2008) à propos des Roms, La femme au masque de chair (2009) sur les ravages de la chirurgie esthétique, Les joyaux du paradis (2010) sur la corruption. Plus deux autres pas encore traduits en français.
Des téléfilms ont été tirés des enquêtes, diffusés en Italie, en Allemagne et en France. Venise, la ville et l'État italien en prennent pour leur grade, surtout vus d’Amérique. Mais l’auteur a un faible pour les Vénitiens particuliers, qui sont loin d’être « tous pourris », même si nombre d’entre eux sont ambitieux, hypocrites et cupides. N’est-ce pas le comte Falier, beau-père de Brunetti, qui déclare : « Nous sommes une nation d’égocentriques. C’est notre gloire mais ce sera aussi notre perte, car pas un seul de nous n’est capable de se vouer corps et âme au bien commun. Les meilleurs d’entre nous parviennent à se sentir responsables de leurs familles mais, en tant que nation, nous sommes incapables d’en faire davantage. » (Mort en terre étrangère, p.255) Il faut dire que, lorsque l’État est faible, prolifère la bureaucratie. La France devrait s’en souvenir, la IVème République n’est pas si loin. Et quand je pense que certains à gauche souhaitent la proportionnelle et le retour au parlementarisme d’hier, devenu « italien » quand Rome l’a imité en 1946, je ne peux que leur conseiller de lire Donna Leon ! Le « pouvoir des bureaux », faute d’Exécutif ferme et durable, fait régresser la politique aux relations claniques et incitent les citoyens à ignorer la loi. La clé de la survie, dans ce genre d’État faiblard, est de « faire confiance » à des personnes réelles, pas au droit ni aux fonctionnaires : « telle était la réalité, malléable, docile : il suffisait de s’ouvrir un chemin à la force du poignet, de pousser un peu dans la bonne direction, pour rendre les choses conformes à la vision qu’on en avait. Ou alors, si la réalité se révélait intraitable, on sortait l’artillerie lourde des relations et de l’argent, et on ouvrait le feu. Rien de plus simple, rien de plus facile » (Des amis haut placés, p.185). « Combinazione » et « conoscienze » – les arrangements et le réseau -, ces outils du survivre en anomie, ont été inventés en Italie. Les idéaux de 1968 qu’avaient Paola et Guido durant leur jeunesse ont fait naufrage sous les vagues des scandales politiques, de la corruption mafieuse et des mainmises d’intérêts économiques. Guido à la questure comme Paola à l’université sont confrontés à la prévarication, au favoritisme, à l’égoïsme de leurs contemporains : « toi, tu as affaire au déclin moral, déclare Paola. Moi, à celui de l’esprit » (Des amis haut placés, p.169).
Venise badaude, la crédulité y est reine, tout comme le quant à soi. Un peuple sans esprit critique avale tout ce qu’il lit dans les feuilles à scandales, croit tout ce qu’on lui dit ; l’apparence se doit d’être sauve. Quant à la morale romaine des vieux livres de chevet, elle a sombré avec les siècles. Un dicton vénitien dit cependant : « tout s’écroule mais rien ne s’écroule ». Ce qui signifie : on se débrouille toujours et la vie va. Car il reste Venise, l’architecture magnifique, son ‘ombra’ bu au comptoir, ses ‘vongole’ délicieux dans les spaghettis – et le printemps, qui est un ravissement. Les gens y sont beaux plus qu’ailleurs. Le sens de la relation humaine est porté à un art inégalé. Donna Leon a capté cette sensibilité quasi religieuse du peuple italien : Luciano, 16 ans, a plongé en simple jean coupé pour reconnaître un bateau coulé ; lorsqu’il ressort de l’eau, secouant la tête d’où des gouttes jaillissent, « le soleil émergeait des eaux de l’Adriatique. Ses premiers rayons, s’élevant au-dessus des digues de protection et de la langue de sable de la petite péninsule, tombèrent sur Luciano lorsqu’il s’immobilisa en haut de l’échelle, métamorphosant le fils du pêcheur en une apparition divine surgie des eaux, ruisselante. Il y eût un grand soupir collectif, comme en présence d’un prodige » (Mortes-eaux, p.20). La beauté de l’adolescent nu fait passer un frisson de sacré sur le peuple, comme il y a deux mille ans. Ou encore : Brunetti « se dit qu’il avait la chance de vivre dans un pays où les jolies filles abondaient et où les très belles femmes n’étaient rien d’exceptionnel » (Des amis haut placés, p.207).
Le commissaire est constamment ému de voir ses enfants grandir, il aime le havre de paix du dîner où tout le monde est réuni, il apprécie le stimulant d’une conversation sérieuse avec sa femme. Il aime à lire Gibbons, Sénèque ou Xénophon et à rencontrer ses amis d’hier, Vénitiens comme lui, qui lui apportent des informations sur les rouages sociaux et les tempéraments. Il n’y a pas de secrets dans cette île-ville où tout le monde se connaît. Brunetti cherche à compenser ce que l’existence peut avoir d’injuste pour les uns ou pour les autres par l’application du droit. Il n’est pas un cow-boy comme certains détectives américains, il n’est pas la Justice en personne malgré les tentations qui lui viennent souvent devant l’impéritie officielle ou la bêtise de son supérieur, le servile et vaniteux Patta. Il veut rester digne du devoir moral qu’il s’est donné jeune et qui prolonge la tradition romaine. Il vise à protéger les faibles et les enfants, à empêcher vautours et prédateurs de nuire en toute impunité. Vaste travail, chaque jour recommencé, mais qui est déjà beaucoup. En lisant ces romans policiers, de psychologie plus que d’action, vous pourrez pénétrer, touristes, dans l’intimité vénitienne, dans l’état d’esprit du peuple vénitien, bien mieux que par les visites guidées de palais morts.»
Argoul
Texte paru le 15/12/2012.
[https://argoul.com/2012/09/15/venise-vue-par-le-commissaire-brunetti/]
Remerciements à l'auteur.
 
 
©Tramezzinimag- 2015

 

____________________

Notes : 

*   Nous suivons depuis plus de dix ans le blog d'Argoul, «voyageur curieux du monde, des gens et des idées» comme il se définit lui-même. Très vite une communauté de pensée et de goût est apparue. Ce qu'il écrit sur l'Italie, l'art, les livres qu'il choisit de présenter à ses lecteurs est toujours en adéquation avec l'esprit de Tramezzinimag. [https://argoul.com/a-propos/]

** Gabriella Zimmermann, vit et travaille depuis plus de trente ans à Venise, auteure, traductrice, conférencière et délicieuse amie sans qui la Venise francophone ne serait pas la même. [https://gabriellazimmermann.com/]

17 avril 2024

Le regard d'Inge Morath sur Venise

Le monde photographie Venise. Depuis le XIXe siècle combien de photographes sont venus tirer le portrait à la Sérénissime. Parmi eux, la grande Inge Morath.

 
















 

02 mars 2024

Les années passent, l'essentiel demeure

© Yves Bauchy -2012 - Tous Droits Réservés.

Republié à sa date d'origine, «Le Gardien du pont» (30/09/2012) un billet de fantaisie comme les appelait un vieil ami vénitien aujourd'hui disparu. En relisant ce petit texte léger et sans prétention, j'ai revu la scène originale qui donna ces lignes, près de douze ans plus tôt. Encouragé par les 452 lecteurs (dix fois plus que d'habitude !)du précédent article qui évoquait la médiocrité et l'imposture, je ne résiste pas au plaisir de vous en donner le lien, car il n'est pas évident qu'en passant par nos pages, le visiteur ait l'idée, l'envie ou le temps d'aller voir dans les années passées...

Pourtant, on ne peut que constater que rien n'a vraiment changé. Les images que nous donnions à voir alors de Venise sont pour la plupart semblable à la Venise d'aujourd'hui. Un peu plus de monde, des tensions plus prégnantes qu'avant, d'autres disparues ou soignées. Venise montre qu'elle demeure bien vivante.

Sur Instagram, l'amie Ilona, pianiste et vénitienne d'adoption dans son @quiviviamobene poursuit cet état d'esprit positif que l'on retrouvait dans tous les blogs consacrés à Venise. Dans ses publications,
je retrouve depuis toujours une certaine familiarité de coeur et d'esprit. Je vous les recommande, si vous ne les connaissez pas encore.

Pou l'occasion, Tramezzinimag a invité dans ses pages un ravissant matou bordelais de  nos relations, qui a bien voulu accepter de prendre la pause et d'avoir son élégance posture publiée dans nos pages.

Bonnes lectures et bon dimanche ! 

Venezianamente

23 février 2024

« Produire la civilisation en masse, comme la betterave... »

Pour Antoine, 
en souvenir de nos échanges, de nos idées, nos rires et nos débats,
de nos voyages d'autrefois et de ceux qu'il nous reste encore à faire.

Retrouvé ce texte de Lévi-Strauss. L'extrait m'avait été envoyé par mon ami Antoine, journaliste et grand reporter, homme de radio et de passions. Parmi tout les messages que je recevais qui, pour la plupart, concernaient Venise mes publications sur Tramezzinimag, Antoine a fait partie, avec deux ou trois autres amis très chers, de ces correspondants dont on attend toujours avec impatience le courrier. Nos échanges épistolaires, avant d'être «dématérialisés» sur Hotmail, Yahoo ou Gmail, avaient la forme tant aimée de feuillets de papiers glissés dans une enveloppe aux jolis timbres dont l'oblitération portaient la date d'envoi. Toujours une surprise, un bonheur réveillé à chaque fois, A chaque missive, c'était comme un peu de soleil qui arrivait.

Qui prend désormais le temps d'écrire à la main ? On dit que les plus jeunes ne savent pas comment remplir une adresse ni où coller le timbre sur une enveloppe. On cherche les boites à lettres et les bureaux de poste se font rares, presque tous devenus des bazars où on peut acheter tout. Propos de ringards, je sais. J'assume cette nostalgie. L'attente du facteur qui passait deux fois par jour, le regret des lettres en papier pelure et leurs enveloppes encadrées d'une bande tricolore réservés aux envois «Par Avion», les cartes postales postées tôt dès la première levée et qui parvenaient à leur destinataire le soir-même, les télégrammes qu'on recevait en mains propres, porteurs de sinistres nouvelles ou de joyeuses annonces. Je pourrais paraphraser  Gainsbourg, Je me «souviens des jours anciens» et «je pleure»... mes «sanglots longs ne pourront rien y changer». 

Était-ce de l'aveuglement ou un trait de mon caractère naturellement porté vers la joie et l'optimisme, mais cela me semble un vrai bonheur que d'avoir connu cette époque où notre civilisation se déployait, les guerres n'étaient que des souvenirs, vivre semblait ne pouvoir être que joyeux. On se moquait des postes italiennes, espagnoles et des pays qu'on disait moins civilisés. On se moquait aussi de leurs trains toujours en retard. Puis notre époque moderne a laissé s'emballer la technique, le progrès est devenu une fin en soi, l'argent aussi. On nous enseignait que ce n'étaient que des outils qui allaient faciliter la vie de tous, façonner l'égalité et par ricochet la fraternité. On sait aujourd'hui combien progrès, technique, communication et pognon grignotent jour  après jour nos libertés, La Liberté. Et c'est la voix de Léo Ferré que j'entends dans ma tête en tapant ces lignes « Avec le temps, va, tout s'en va... tout s'évanouit...» 

Antoine donc, dans un courriel m'avait adressé cet extrait de l'ouvrage célèbre de l'anthropologue Claude Levi-Strauss. Je ne sais plus à quel propos. C'est en le lisant que j'ai pensé à cette notion du « Spirito del Viaggiatore » qui est devenu un libellé du blog et sera bientôt je l'espère, le titre d'une collection des Éditions Deltae.

Ceux d'aujourd'hui n'ont rien connu de cette époque. C'était déjà la fin de ce monde porté par nos grands-parents, ceux qui ne voulaient plus de guerre, plus de misère, plus d'injustice. Un réalisateur disait sa surprise en tournant un film se déroulant dans les années 80, de voir ses jeunes acteurs de vingt ans ne pas savoir comment utiliser le cadran d'un téléphone pour y faire un numéro pris dans un annuaire en papier... La mélancolie ne doit pas tourner à l'aigreur ni aux regrets. Les premières automobiles étaient réservées à une élite, n'importe qui aujourd'hui possède une voiture et les voyages sont plus rapides, les distances abolies... 

On peut voir les choses ainsi et penser qu'en dépit de ce que nous avons perdu, oublié ou sacrifié du passé, tout est pour le mieux ; qu'il suffit de quelques ajustements, quelques recadrages pour qu'enfin le monde vive un nouvel âge d'or... Et pourtant, combien les signaux se font de plus en plus voyants ! Partout la démocratie recule, mise en cause par ceux-là même qui devraient la défendre, partout les égoïsmes prennent le dessus sur la solidarité, l'empathie, le partage. La fraternité est devenue communautariste, les esprits ne connaissent plus les nuances, il y a ce qui est blanc et il y a ce qui est noir... C'est là-dedans que nos enfants grandissent. 

Vettore Zanetti. Coll. Part.

Venise - Tramezzinimag a toujours défendu cette idée - est un laboratoire. On peut y observer à la fois les pires choses, les choix les plus imbéciles, les comportements les plus détestables qui à un moment ou à un autre se reproduisent ailleurs. On peut y retrouver des idées, des techniques et des systèmes spécifiques qui peuvent être implantés ailleurs. C'est l'exemple de la protection des eaux que dès le Moyen-Âge la Sérénissime sut mettre en place, celui de la gestion des communications et des infrastructures qui fascina Le Corbusier et inspira l'architecture des villes nouvelles, etc. Aujourd'hui la Venise contemporaine doit affronter, comme ailleurs, la déliquescence de ses élites qui, à de rares exceptions, travaillent pour leur propre intérêt et semblent n'avoir pour devise que le triste "après nous le déluge"* qu'on attribue à tort à l'un de nos rois. 

« Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.

« Aujourd'hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l'Asie tout entière prend le visage d'une zone maladive, où les bidonvilles rongent l'Afrique, où l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n'a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s'élaborent des architectures d'une complexité inconnue, l'ordre et l'harmonie de l'occident exigent l'élimination d'une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est infectée. Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité.« Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l'illusion de ce qui n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l'accablante évidence que vingt-mille ans d'histoire sont joués. Il n'y a plus rien à faire : la civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on préservait, qu'on développait à grand peine dans quelques coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur diversité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comporte plus que ce plat. »

Claude Levi-Strauss(**)

____________
 
Notes
 
(*) : « Après moi, le déluge. Ce doux et sociable proverbe est déjà le plus commun de tous parmi nous » disait en 1756 le père de Mirabeau. C'est la Pompadour qui aurait dit cette petite phrase au roi Louis XV après une bataille perdue par les armées du roi contre les prussiens. Le roi l'aurait repris au sujet de son petit-fils, le futur Louis XVI. Mais rien n'est moins sûr. Ce qui est sûr c'est que l'expression était très en vogue à la fin du XVIIIe, caractéristique de l'esprit de légèreté et d'inconscience qui régnait chez les élites de l'époque. Ne peut-on y voir une ressemblance avec notre époque ?
 
(**) : C.Levi-Strauss, "Tristes Tropiques"(1955). Plon, Collection 10/18, page 25-26 .


02 janvier 2024

Les Voeux de Tramezzinimag à nos fidèles lecteurs

 

Bon Ano Novo ! 

Buon Anno a Tutti ! 

Happy New Year ! 

Bonne Année à tous ! 

Godt nytår til alle !

Καλή χρονιά σε όλους !

¡ Feliz Año Nuevo a todos !

שנה טובה לכולם

Новым годом вас всех!

新年明けましておめでとう!

Hyvää uutta vuotta teille kaikille! 

 سال خوبی داشته باشید
 
Et nous vous invitons à redécouvrir les billets anciens (entre 2008 et 2011) que nous avons retrouvés. Notamment cet article du 7 décembre 2010, consacré au «Bal du Siècle» donné par Charles de Beistegui au Palazzo Labia pour mille cinq cents invités : ICI

30 décembre 2023

Une douce paix violette sur le sentier du soir. Journal retrouvé

Un carnet égaré que je croyais perdu et qui a refait surface. J'y avais noté des extraits de mes lectures, quelques adresses, des choses à faire et quelques réflexions au quotidien. Rien qui avait vocation d'être publié sur Tramezzinimag. Pourtant l'entrée du 18 février est en pleine résonance avec les derniers billets publiés récemment et d'autres en élaboration. Je les livre aux lecteurs, conscient de leur imperfections, d'un petit quelque chose d'inachevé, de pas assez travaillé, implorant l'indulgence du lecteur.

 
Samedi 18 février 2023
Ce matin, un début de journée qui ressemble presque à un jour d'avril ou de mai tant le temps est doux, avec en fonds sonore ma chère Radio 2 qui diffuse Do You want To Know A Secret des Beatles, j'avais décidé de ranger les livres qui envahissent sournoisement le moindre recoin de ma domus bordelaise. J'en profite aussi pour trier et ranger des papiers. D'une liasse vient de s'échapper une carte déjà ancienne d'une amie américano-italienne.
 
L'amie qui a quitté depuis plus de vingt ans l'Italie et n'y revient qu'un été sur deux pour retrouver sa famille, a été une des  personnes les plus actives parmi mes amis à soutenir mon projet de m'installer enfin définitivement à Venise. Quand on sait combien il est difficile de s'expatrier - mot mal adapté à ma situation puisque j'ai légalement deux patries, la France et l'Italie - pourtant, en 2019, la décision était quasiment prise. J'arrivais au bout de ce parcours du combattant qu'a été le règlement de ma retraite et tout était en bonne voie pour le 1er octobre 2020. C'est du moins ce qu'on me disait quand je parvenais à avoir quelqu'un au téléphone. Les questions fondamentales semblaient devoir trouver leur réponse : logement, déménagement-emménagement, etc. La machine était en marche : «Venezia, sto arrivando» avais-je sans cesse envie de crier !
 
La crise sanitaire et l'hystérie qui s'empara du monde ont fait retomber le soufflé. Plus d'appartement à louer non meublé en vue qui soit suffisamment vaste pour être partagé, clair, agréable, avec une terrasse ou un jardin, plus de local pour y installer la librairie-galerie-café dont je rêve, etc, etc. Mon installation à Venise n'est toujours qu'un vœu pieux, un doux rêve dont je ne sais plus s'il est réaliste, réalisable et souhaitable. « Me so trovà all’aguasso»*

Datant de la période avant-Covid, la carte de mon amie accompagnait l'envoi du livre de Marlena De Blasi, «A thousand days in Venice», paru il y a une vingtaine d'années (publié en Français par le Mercure de France). J'en avais fait le commentaire en 2009, dans un des Coups de Cœur (N°33) de Tramezzinimag
 
19 février.
Les années passent, mais le désir et le manque de Venise sont toujours là, en dépit de la vie quotidienne, de mes activités. Je suis souvent à Venise, j'y bâtis des projets, participe à des évènements, présent mes idées, rencontre des gens, revois mes amis. Dès que je pose le pied sur le quai de la gare ou sur le tarmac de l'aéroport, je me sens chez moi, à ma place, là d'où je viens. Mais je finis toujours par repartir. C'est un sentiment de trahison, un délit d'abandon... Cette pensée me renvoie à une phrase de Francesco Rapazzini qu'il prononçait souvent et que j'ai retrouvé dans le roman biographique qu'il a consacré à la Venise de sa jeunesse, celle de notre temps :
«Trahi.[...] Comme par quiconque vient ici à Venise puis repart.Comme par quiconque reste ici une semaine, deux semaines, un mois ou six ou un an. Et puis s'en va, retourne à la maison. Chez lui. Trahit Venise, me trahit. Oui, me trahit parce qu(il m'abandonne comme on abandonne u Pour souffrir encore plus, parce que ln amoureux qui finit par se trouver invivable parce que sale, parce qu'ennuyeux, parce que dépassé. Un amoureux sans colonne vertébrale parce que prêt- et il le fait à chaque fois en tout état de cause - à accueillir avec un sourire aimable chaque retour. Si retour il y a. Il l'espère. Parfois en vain, d'autres fois, le débarquement advient à coup sûr. Pour souffrir encore plus parce que la séparation se répètera encore et encore. Et il le sait. « Mais quand reviens-tu ?» : j'en ai assez d'entendre répondre «Bientôt». Parce que«bientôt», c'est quand ? **

Lorsque Francesco m'adressa les épreuves de son récit qu'allait publier Bartillat, je savais de quoi il parlait. Je comprenais très bien ce sentiment puisque moi aussi, après un bien bel été, non pas cela lui du livre, mais un autre, quelques années plus tard, que nous avons partagé, je suis parti sans jamais vraiment revenir. Parti en laissant calle Navarro, Rosa ma mignonne petite chatte grise, mes livres, mes vêtements et ma théière... Je pensais revenir vite, mais je fis comme tous les autres dont il parle.  Je ne suis pas revenu. 
 
Entre temps pour rembourser les frais de cette fameuse Première semaine de Venise à Bordeaux (il n'y en a pas eu d'autres, du moins de cette ampleur...), j'avais repris le petit cabinet de conseil en communication et création d'évènementiels, je m'étais marié... Une dernière fois, juste avant mon mariage, La rédaction de sud-Ouest m'avait demandé de couvrir la 43e Mostra, grand millésime, avec le Lion d'Or au Rayon Vert de Rohmer, Storia d'Amore qui me permit de connaître Valeria Golino, de Room With a View de James Ivory, L'Apiculteur de Theo Angelopoulos, La Puritaine de Doillon, Autour de minuit de Bertrand Tavernier... J'y restais une petite semaine avec mon ami Christophe Airaud comme photographe. Incapable de rien produire de bon, tellement j'étais partagé entre mes engagements en France et mon désir viscéral de reprendre ma vie vénitienne, l'obligation de vider ma chambre dans l'appartement ou j'étais en sous-location à Dorsoduro. et la perspective de mon mariage certes souhaité mais dont je ressentais par avance la déflagration qu'il allait produire sur ma vie d'avant... 
 
Ce fut Venise avec Francesco comme timide ambassadeur, qui vint à moi, trois ans après mon départ. Nous nous étions beaucoup écrit, régulièrement, puis notre correspondance s'échelonna, se ralentit peu à peu, et ce fut le silence. Presque l'oubli... Un matin de janvier 1988, Il frappa à ma porte, comme dans un film. Lui faisait son service militaire quelque part en Savoie et ,profitant d'une permission, il avait sauté dans un train de nuit pour me voir quelques heures.  Je m'apprêtais à partir pour Antibes, retrouver ma jeune épouse et notre fille Margot. C'était quelques semaines après sa naissance. Retrouvailles fleuries et joyeuses, mais trop brèves. Avec son seul sourire, il m'avait apporté l'air, l'atmosphère, les senteurs de Venise. Une joli cadeau, inattendu. Bouleversant de nostalgie aussi. 
 
Nous sommes repartis ensemble dans ce même train de nuit par lequel il était venu quelques jours plus tôt et qui chaque jour allait jusqu'à Trieste et la Yougoslavie, via Marseille, Vintimille, Milan et Venise. Ce fut un véritable déchirement de descendre avant lui qui continuait vers l'Italie et ce monde que j'étais conscient de perdre. Un instant, mais un instant seulement, une micro-seconde peut-être, la tentation fut grande de rester dans ce train, de continuer jusqu'à Venise... Mais le souvenir du sourire épuisé de ma femme après la naissance du bébé, cette petite chose incroyable qui dormait dans ses bras et dont la fragilité nous avait ému aux larmes, ces larmes de joie, cette responsabilité nouvelle, voulue, attendue comme une évidence depuis toujours, ces deux êtres d'amour que je ne pouvais pas trahir...  Venise et mes rêves attendraient...

 [...]
 
No, non avere pauraQuando vai a dormire solaSe la stanza sembra vuotaE se senti il cuore in golaNon avere pauraMi prenderò cura, io di te
No, non avere pauraQuando a un tratto si fa buioE la luna non è accesaE vorresti una parolaMa hai solo un rossettoMi prenderò cura, io di te...
«Non avere paura, mi prendero cura, io di te»... Ces paroles d'une chanson de Tommaso Paradiso résonnent dans ma tête. Parfaite illustration de ce que j'ai ressenti depuis ce matin sur le quai de la gare d'Antibes, quand le train s'ébranla emportant avec mon ami Francesco, toute la Venise et ma vie d'avant. Prendre soin, aimer contre vents et marées, soutenir, portzer et puis un jour laisser partir ceux qui sont nés de nous, de notre amour, de notre folie...
 
A la nostalgie et aux regrets, succéda l'allégresse, et le bonheur m'envahit : il était temps de retrouver les deux femmes de ma vie, de ma nouvelle vie. Cela n'effaçait rien, ne détruisait rien de l'essentiel. Juste la difficulté d'apprendre à me situer dans un ailleurs pourtant tellement souhaité, tellement rêvé... Allégresse autant que chagrin portaient mes pas ce matin d'hiver, sous la lumière incroyablement pure de ce coin du midi. Ma vie désormais nécessitait un changement de décor, avec au milieu le berceau d'une petite créature dont j'étais tombé fou d'amour dès son apparition, dans une clinique de Cannes, le 5 janvier 1988...

cette photographie est les suivantes sont de Serge Assier - Tous Droits Réservés

Quelques années plus tard, lui aussi est parti. Pour éviter de souffrir du départ de tous ceux qui viennent à Venise et semblent vouloir y rester mais finissent toujours par retourner d'où ils viennent... 

Par une sorte de maléfice, moi qui n'ai jamais rien tant souhaité que de poser un jour et à tout jamais mes malles remplies de livres et de souvenirs sur les dalles de la Sérénissime, je trahis sans cesse mon vœu et ma ville, ne réalisant pas l'un et abandonnant l'autre à chaque fois et pleurant de le faire... Mes enfants peut-être, un jour.




20 février.
Parmi les livres à ranger ramenés de ma bibliothèque désormais encartonnée dans un magazzino de Venise, deux ouvrages de Michel Butor. « le Voyageur à la roue» qu'il m'avait envoyé après son passage à Bordeaux pour me remercier de lui avoir fait visiter la ville - fatigué, il ne se sentait pas bien et le temps était tellement mauvais que nous nous sommes contentés de visiter l'abbatiale Sainte Croix. Ce fut un de ses derniers déplacements avant sa mort. J'ai raconté sa venue à Bordeaux  - et « Le Chevalier morose », récit-scénario paru un an après sa disparition, co-écrit avec Mireille Calle-Gruber (Ed. Hermann, 2017).

Cet ouvrage est un bonheur de lecture. Il est illustré par les photographies de Serge Assier, choisies dans l'ouvrage « Les Coulisses de Venise ». Tramezzinimag en montre quelques unes et je reviendrai sur le rapport intime de Michel Butor, voyageur, avec la Sérénissime. Lorsque Antoine Lalanne-Desmet se rendit chez l'écrivain pour l'enregistrer, j'avais prévu de l'accompagner. Je n'ai pas pu. Nous aurions parlé de Venise comme il m'en parla lors de notre promenade bordelaise. Je retrouve dans le Chevalier morose un peu de la conversation que nous avions eu.

 

Nous avions évoqué devant le tableau médiocre de «Saint Mommolin guérissant un possédé» de Guillaume Cureau, un peintre local de la fin du XVIe siècle, récemment rénové qui venait d'être en partie lacéré par des petits voyous tchétchènes du voisinage, la perception de la beauté au fil des âges, l'usage qu'en firent le christianisme, comme le prolongement de la pensée antique. Le sujet me passionnait. C'est cette thématique que j'avais choisi à San Sebastiano, quand je suivais - trop épisodiquement - les cours d'Histoire des Arts. 

Je voulais mettre en avant des évidences de lien, de transmission, entre l'art païen et l'art chrétien byzantin puis européen... Je m'étais plongé dans la peinture du Trecento, cette période incroyable de l'Ars Nova, univers féérique pour le petit étudiant français mal dégrossi que j'étais. Ce quatorzième siècle qui semblait tellement éloigné des temps antiques, grossier, mal débourré que la plupart des intellectuels concevaient comme affadie en comparaison de toutes les somptuosités de la Renaissance à venir. Je me souviens d'une conversation qui portait sur la peinture vénitienne, lors d'un dîner au Palais Polignac. La maîtresse des lieux, l'incomparable duchesse Solange, m'interrogeait sur mes préférences dans l'art ancien.  Je parlais de ce XIVe siècle que je découvrais avec passion. Elle me fit répéter, « vous voulez dire le quattrocento, Laurent ?», « - Non, non Madame la duchesse, le trecento, avec ses ors et ses visages figés qui pourtant s'animent et semblent venir de bien plus loin que les temps précédents, comme un pont entre l'art antique et nous». Et je citais Paolo et Lorenzo Veneziano, Jacobo Del Fiore, m'agitais tellement que j'en faisais tomber ma serviette et failli renverser mon verre que je secouais trop vivement. On n'en voulu pas trop de cet éclat, puisque je fus par la suite souvent convié au Palais. On eut l'indulgence de ne pas me tenir rigueur de m'être emporté. Une simple conversation de courtoisie autour de la table ducale se devait de ne rien bousculer des usages et de la bienséance...

Nous eûmes l'occasion de poursuivre le débat, j'expliquais à la duchesse combien je trouvais fascinante cette peinture, à la fois hiératique et naïve, pompeuse et rustique, mais remplie d'une fougue contenue, d'une modernité en train de mûrir surgie du monde byzantin qui m'a toujours fasciné... 

«Lors de mon premier voyage à Venise, il y a plus de cinquante ans,il y avait au Palais des Doges, sous l'invocation de Marco Polo, une magnifique exposition sur la Chine.Venise m'apparaissait déjà comme une charnière, comme un hublot par lequel épier un monde dans l'autre, le trou de serrure...»***

Mes propos amusèrent Butor. Il évoqua l'art asiatique et me parla de cette fameuse exposition de 1954 au Palais des doges qui l'avait beaucoup marqué et montrait à l'évidence le rôle fondemental de Venise dans l'art et la propagation des idées. 

Je jubilais : cette idée de Venise-laboratoire, lieu d'innovation, d'invention dont la connaissance ne peut qu'aider le reste du monde dans ses réflexions, ses problèmes... Dans tous les domaines, Venise montre l'exemple, qu'il soit bon et à suivre, ou mauvais et à éviter. 

Les religions, l'art, la beauté...Vastes sujets. Je n'avais que vaguement entendu parler de l'exposition qu'il évoquait, mais je me souviens de celle qui fut organisé par les Présidents Sandro Pertini et François Mitterrand en 1983, «7000 ans de Chine à Venise». Près de quarante après, cette somptueuse exposition prolongeait celle qui fascina Butor et qu'il évoque dans le petit texte introduisant le Récit-Scénario évoqué plus haut.***

 

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Notes :


*   Traduction : Je suis à la rue, sans domicile. (Mode de dire en dialecte.)

**  Francesco Rapazzini, «Un été vénitien»,(Bartillat, Paris 2018), p.181

*** Michel Butor, Le Chevalier morose, (Hermann,Editeurs,2017), p.18

23 décembre 2023

En dépit de tout, que la joie de Noël illumine nos jours !

Brouillard à Venise. ©Alexandra E Rust. 2023.
 
On trouvait le mois de décembre long à démarrer et les Fêtes paraissaient encore très loin. Mais non, nous y sommes. Venise est une ville où le Temps de Noël prend vraiment sa signification, comme ailleurs en Autriche, en Suisse, dans les pays germaniques, scandinaves et bien sûr chez les britanniques.

Depuis plusieurs années le marché de Noël concurrence ceux qu'on trouve depuis des lustres dans ces pays. La lumière se fait presque monochrome et il y a dans l'air quelque chose d'encore plus magique. Babbo Natale est en bon terme avec la Befana et Saint Nicolas est aussi dans les parages...

Je n'ai pas souvent fêté Noël à Venise - la Befana oui, de nombreuses fois - Mais la messe de minuit, les cadeaux sous le sapin, le lait et les biscuits sur la cheminée pour le Père Noël, grand amateur de Digestive Mc Vities.

Un raté dans mon existence. Le rêve ancien (il date de mon adolescence) de voir naître et grandir mes enfants à Venise ne s'est pas réalisé. Dans une autre vie peut-être, mais encore faut il croire que nous en avons plusieurs... Voir grandir ses enfants dans ce lieu unique, hors du monde et pourtant au centre de tout, et donc d'y vivre ce moment magique avec eux n'a encore jamais pu se réaliser. Les enfants grandissent et s'en vont, rien de plus naturel. 

Organiser des retrouvailles pour fêter la naissance du Christ et la joie d'être ensemble, de former une famille, devient plus difficile avec les années. Il y a les conjoints et compagnons dont les familles souhaitent aussi la présence. La plupart du temps, un système d'alternance se met en place. Quand on a la chance de tous vivre non loin les uns des autres, on s'entend pour que la veille de Noël se déroule à tour de rôle chez les parents de l'un et le jour de Noël chez ceux de l'autre. Ou bien, ceux qui ne peuvent se déplacer, qui ne viennent pas, sont là pour la Saint-Sylvestre. Combien cela doit être compliqué pour les familles recomposées quand les enfants se marient, et qu'ils ont à leur tour des enfants... Nous sommes nombreux à connaître cela.


Il y aurait bien une autre solution puisque nous venons de traditions plurielles : Fêter ces moments uniques dans l'année à des dates différentes, celles les plus commodes pour chacun : pour la Saint-Nicolas, le 6 décembre, les 24 et 25 décembre comme nous le faisons depuis toujours, mais aussi le 5 janvier, pour la Befana, qui est aussi le jour des Rois... 

Trois fêtes merveilleuses, trois dates cohérentes pour les enfants qui, vivant naturellement les moments joyeux en famille n'en perçoivent pas la rareté et l'impermanence. Joie de l'enfance innocente qui ne peut concevoir que rien jamais ne dure et que tout cesse un jour. Mais pour parvenir à se réunir ainsi, il faut une volonté active de la part de tous les concernés. Et ce n'est pas évident.

Les temps changent et nous changeons aussi, parce que nous vieillissons, parce nous y sommes contraints, que les mentalités évoluent face à un noyau familial qui est activement ou passivement remis en cause. On ne voit plus que ce qu'il peut produire de terrible et de négatif.  

Mais peu importe ce que nous aimerions, il nous faut vivre sans nostalgie ni regret, dans l'espérance et la joie. Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes là, alors Carpe Diem, jouissons en simplicité de ce qui nous est offert. Le mieux étant l'ennemi du bien, réjouissons-nous devant les yeux émerveillés des enfants, devant leur plaisir, sous le regard bienveillant et ému de leurs parents, tout comme nous quand ces parents n'étaient encore que nos enfants.

Bonne Fête de Noël à tous nos lecteurs !

Éclairage du sapin 2023 sur la Piazza par le maire Brugnaro

Le Campo San Luca et ses illuminations





18 décembre 2023

Des nouvelles de Tramezzinimag

Trop peu actif et peut-être passé de mode quand la mode est aux choses courtes et vite lues, Tramezzinimag n'a plus l'importance qu'il avait avant la disparition de sa première version dont nous avons renoncé à savoir la cause ou la raison. Pas de complotisme à la rédaction qui elle aussi s'est réduite à votre serviteur, son fondateur et à des intervenants ponctuels, qui le plus souvent spontanément proposent des images ou des textes. Mais ceci posé, l'énergie demeure et l'envie de poursuivre aussi !

Si l'objectif n'est pas de reconquérir un lectorat conséquent comme ce fut le cas jusqu'en 2016, avec plus de 2000 visiteurs quotidiens et les Il ne sont plus que 72 en 2023, mais on ne va pas pleurer, ces abonnés sont fidèles et nous les en remercions. Le bonheur d'écrire sur Venise, de montrer la ville telle que nous la vivons, de contribuer à donner des informations avérées, vécues quand la plupart des médias répandent de l'à-peu-près et le plaisir aussi de raconter ce lien très fort qui nous unit à la cité des doges. 

Il y a aussi la satisfaction d'avoir été des précurseurs. Parmi les instigateurs d'une nouvelle vision de la Sérénissime, à une époque ou l'opinion générale véhiculée par la presse n'envisageait que les pigeons de la Piazza, l'enfoncement inexorable de la ville, l'acqua alta, le carnaval et la puanteur des canaux... Fierté donc, d'avoir été les premiers à montrer une Venise vivante, dynamique, jeune, de parler de la Movida estudiantine, et de dire la nécessité de s'intéresser à la lagune et à son fonctionnement, sa flore et sa faune avant de pérorer sur les moyens et les outils pour une vraie sauvegarde de la ville; fierté d'avoir été les premiers à alerter les amoureux de Venise sur les dangers du tourisme de masse et de son inutilité même pour les vénitiens, à relayer les voix qui s'élevaient devant le danger des grands navires, etc. RTS, RFI, France Télévision, Canal Plus, mais aussi France Inter et France Culture ont utilisé nos publications, pris nos conseils et nous ont sollicité pour des émissions et des entretiens.

Premier blog sur Venise, présenté depuis l'origine (mai 2005) comme la première Revue en ligne des fous de Venise, Tramezzinimag a ouvert la route à tous les autres, et il y en a eu des sites splendides animés par des vénitiens de coeur ou de sang, tous devenus des amis au fil du temps. Certains nous ont quitté, d'autres ont arrêté, quelques uns résistent. 

«Qui Viviamo Bene», Venezia, Santa Marta, septembre 2016 - ©quiviviamobene

La machine était lancée, déployant tous des informations vraies sur les problèmes de Venise et sur le fait qu'«à Venise on vit bien» *

Pourtant on entend partout que les lecteurs se détournent désormais des textes longs, détaillés, documentés. il faut de l'évènement qui frappe, resplendit en quelques lignes et si possibles du visuel qui marque les esprits...  Alors, les blogs composés de longs billets qui il y a encore quelques années faisaient le bonheur des enseignants et que suivaient leurs élèves, nous interrogeant souvent avant un voyage, un exposé ou même un projet de documentaire, doivent-ils disparaître et nous mettre tous à faire du pré-digéré, simples annexes de l'univers Wiki-Google ? 

« Si nous devions en parler aujourd'hui avec un membre de la génération Z, il nous désignerait probablement comme des "boomers", quelqu'un qui s'est attaché à quelque chose de déjà "vieux", un peu comme nos parents lorsqu'ils racontaient avec fierté les appels téléphoniques à pièces dans les cabines téléphoniques.» lit-on sur un site italien, leader dans la création et le design des outils de développement de marques. Celui qui a écrit ces lignes n'a pas trente ans.

Dont acte. Tramezzinimag poursuit ses publications, continue de solliciter des plumes et des illustrateurs, dessinateurs, photographes, pour égayer nos pages et présenter Venise autrement. Nous poursuivons aussi, laborieusement, le repêchage des billets perdus avec la disparition soudaine du blog en 2016. Depuis quelques semaines, de nouvelles sources ont permis de rajouter une trentaine de billets des premières années. Nous nous attaquons maintenant à remplir les manques des années 2008 à 2011. Quand ce travail de fourmi sera achevé, nous publierons un sommaire détaillé de toutes les pages publiées depuis 2005.

Autre grande joie : nous avons pu republier l'ensemble des commentaires de l'époque que les premiers forages dans les profondeurs du Net n'avaient pas permis de mettre à jour. De même pour les illustrations originales, le fonds iconographique est en voie de récupération totale.

Vos contributions sont toutes les bienvenues : idées d'articles, dessins, photographies, suggestions, compte-rendus de films ou de disques en rapport avec Venise. Et puis vos dons pour permettre d'éditer les publications en cours de préparation et couvrir les frais de recherches et de remise en état des archives repêchées. Nous reviendrons sur les éditions Tramezzinimag devenues officiellement les Edizione Deltae, dont le siège est à Venise.


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Notes

* Clin d’œil au très documenté, dynamique et joyeux blog et site Instagram, @Quiviviamobene baptisé suite à l'apparition d'un tag joyeux un jour sur la paroi d'un immeuble du côté de Santa Marta. Animés par la très solaire Ilona Gault, pianiste et traductrice et son père, Philippe Gault, ancien dirigeant de radios, tous les deux devenus de vrais vénitiens au quotidien, qui diffusent d'excellents podcasts toujours bien documentés et basés sur des données vérifiées (ce qui est rarement le cas dans les (im-)média(-ts) d'aujourd'hui et publient aussi des vidéos et des photos de qualité. Ces deux-là ont l’œil, sans flagornerie aucune. Nous ne partageons pas toujours leur position mais leur travail est remarquable. Et joyeux.