Rembrandt, Allégorie de la Musique. |
Réveillé ce matin avec les Boréades de Rameau, et plus précisément L'Entrée Pour Les Muses,Les Zéphyres, Les Saisons, Les Heures Et Les Arts,de l'acte IV de cette tragédie lyrique sous la direction du russe Teodor Currentzis. La plénitude et l’ampleur de cette musique, rien de tel pour commencer la journée. L'iconoclaste jeune chef - il est né en 1972 - qui affirmait pour je ne sais plus quel journal français qu'il ne voulait pas d'un Mozart de Novotel. (Et pan dans les dents de l’hôtellerie néo-classieuse sans âme et des musicaillons de Radio Classique), offre une interprétation qui n'a rien d'iconoclaste. Au contraire. Mais elle est tellement précise et articulée, qu'elle en devient totalement vivante et proche. Parfait pour ouvrir les yeux un dimanche matin, vraiment.
Dehors le brouillard a tout recouvert d'un voile épais et par la fenêtre ouverte pénètrent les senteurs qu'il dépose sur la ville qui n'ont rien de la pestilence qui enfume Paris et Lyon ces derniers jours. Un mélange d'humus et de bois brûlé, de feuilles mortes et d'herbe coupée. Le chat qui a ouvert un œil, a reniflé ces odeurs automnales, puis s'est rendormi, lové contre la vieille peluche qu'il affectionne. Ce sera un petit-déjeuner à l'ancienne, plateau d'argent et napperon, thé chaud, œuf à la coque, toastes beurrés, confiture de figues maison et bon beurre frais moulé dans une ferme des environs.
Délicieusement out of fashion (ou terriblement bobo snob pour les esprits chagrins). Totalement récessif comme il sied en cette saison où les plaids et les édredons bien épais refont leur apparition sur les canapés et les lits. tout ce qu'il me faut pour écrire. Il y a tant à dire encore sur ce terrain qui est le mien depuis tant d'années maintenant, cette Venise que nous verrons peut-être sombrer. Qui sombre déjà sous une forme d'alluvion que nos prédécesseurs n'avaient pu envisager, ce tourisme de masse, ces hordes du low-cost qui se ruent sur la Sérénissime et se répandent dans ses rues comme un sang vicié chargé de poison se répand dans un corps. A quoi bon dire et redire combien l'avenir est sombre ?
L'espoir d'inverser les courants porteurs d'images sinistres pour un demain que personne ne souhaite mais que tous nous laissons se mettre en place, demeure n'est-ce pas ? Il fait gris sur le monde mais n'en a-t-il pas déjà été ainsi depuis toujours. Ces périodes terriblement sombres où tout semble irrémédiablement perdu mais d'où surgissent un jour des flux virulents d'espoir et de joie. De mémoire humaine on n'a jamais vu triompher longtemps le mal et la haine, la barbarie finit toujours par s'effacer chez les barbares et la beauté, l'esthétique, l'art renaissent toujours des cendres du passé. Il ne reste bientôt plus que le souvenir du mal absolu, de ceux qui l'ont nourri et entretenu, de ceux aussi - les plus nombreux - qui n'ont rien fait pour l'empêcher de se répandre et ont baissé les yeux. Mais laissons-là ces pensées trop sérieuses.
C'est dimanche. le premier jour de la semaine. Celui où l'on se repose de toute la semaine passée. Le rappel du jour où le Créateur, satisfait de sa création, a pris du repos. Le ciel ne se dégagera pas. toujours de bon augure ici car cela veut dire que le froid va rester et l'humidité diminuer. Cela ne se transformera pas en pluie. Du moins jusqu'à la prochaine marée. Les marronniers de l'avenue sont nus ou presque. Cet automne a été beau, la transformation de la nature est plus lente en ville. Il y fait tellement plus chaud. les oiseaux ne s'y trompent pas qui viennent ici trouver un peu plus de chaleur. Le soir et au petit matin, les arbres bruissent du pépiement permanent des passereaux qui semblent toujours avoir tellement à se raconter.
A la musique de Rameau a succédé Monteverdi par Jordi Savall. Venise me manque. En ce moment, avec la nouvelle lune qui s'apprête, les coefficients des marées sont au plus bas. Le spectacle doit être édifiant si on s'attarde devant les dégâts que l'inanité des autorités laisse s'aggraver, fondations rongées par le moto ondoso, débarcadères écroulés, bois pourris qu'on laisse s'enfoncer dans l'eau de la lagune...
Mais c'est aussi l'occasion de voir la partie cachée de la Sérénissime ; un peu comme les enfants d'autrefois se régalaient, moqueurs, quand par le hasard d'un coup de vent, ils apercevaient, fortuitement, les jupons et les jarretières des belles dames. Et puis c'est le temps des brumes épaisses et des ciels qui se dégageant soudain, révèlent le fonds du décor de la lagune, ces montagnes qui apparaissent, magiques et qu'on croirait pouvoir toucher tellement elles semblent proches...Bon dimanche à vous, mes chers lecteurs.