Pluie de messages et de commentaires sur la première partie de ce billet consacré aux malheurs de Venise et à cette jeune femme passionnée qui cherche de toute son énergie comment aider les vénitiens au mieux et tenter ainsi, comme la plupart d'entre nous, de renverser la vapeur. Écrites sur une table d'un café de Milan, entre deux trains, il est vrai que ces lignes respirent un certain pessimisme. Trop vite mis en ligne avant de monter dans le train qui allait me ramener en France où je n'avais vraiment pas envie de retourner, le texte aurait mérité d'être revu et adouci. Mea culpa donc, chers lecteurs.
Il s'agissait d'introduire l'entretien informel que j'ai eu avec cette sympathique et charmante parisienne dont tout le monde parle. Isabelle Khana, dont le combat pour Venise a attiré l'attention des médias italiens et par ricochet des réseaux sociaux. Introduit par un ami, la dame qui était encore quelques jours à Venise avait un peu de temps pour que nous puissions faire connaissance. Rendez-vous fut pris sur le campo Santo Stefano pour un café. Elle m'avait fait comprendre que ce serait entre deux rendez-vous. Cela tombait bien, j'avais aussi d'autres engagements dans l'après-midi.
Le soleil brillait sur la ville. Nous nous sommes retrouvés aux pied du Cagalibri, sur le campo envahi par les jolies petites échoppes en bois fraîchement peintes en blanc du marché de Noël
qui s'apprêtait. Une rencontre sans protocole ni chichis, entre passionnés de
Venise, qui ne devait durer que le temps d'un café mais mais qui s'est poursuivie
tout l'après-midi, caminando par les rues de la ville. Petit passage sur la Piazza où les étudiants recevaient leur diplôme en grand pompe puis vers Castello où la fondatrice de l'association Les Ailes de Venise avait rendez-vous avec le ferramento dont j'oublie toujours le nom, qui fournit en produits de nettoyage et peintures une autre association, vénitienne celle-là, Masegni e Nizioletti fondée par Alberto Alberti et Fabio Zambon.
Impossible de ne pas être
sous le charme d'Isabelle. Son enthousiasme et sa détermination d'abord.
Derrière un sourire plein de bienveillance et d'empathie, se cache un caractère
trempé. L'action entreprise avec son association est évidente pour elle. Son
amour pour Venise en est la source. Comme beaucoup d'entre nous, elle est
tombée dans ce merveilleux puits sans fond qui nous rend complètement
inconditionnel de la Sérénissime sans qu'on s'y soit attendu. Elle y a plongé
avec joie et bonheur. Non, cela n'était pas dû à un quelconque retour de bâton,
genre divorce ou rupture, pas d'échec professionnel (Isabelle Khana travaille
pour une compagnie d'assurances). Aucun pathos ; ni fuite, ni échappatoire ;
son combat pour Venise lui vient du cœur. Simplement. Mari et enfants la
soutiennent tout en gardant une certaine distance pour cet engouement qui
pourrait sembler démesuré à d'autres. Elle me confie que ses enfants sont
amusés et fiers de voir leur maman dans la presse (article dans le Corriere della Sera, dans le Gazzettino...).
Ils apprennent l'italien. Il n'y a pas de hasard.
Le combat est légitime, les moyens mis en œuvre conséquents : une association au joli nom, une pétition, et plein de projets comme autant de work in progress qu'il ne revient pas à TraMeZziniMag de dévoiler. Bref, cette jeune femme, rayonnante et solaire, a des ressources, elle déborde d'idées. Et puis, derrière sa réflexion, les stratégies qu'elle élabore, les objectifs qu'elle poursuit, il y a une belle âme. La regarder parler de sa famille, après avoir parlé de son amour pour Venise, puis de revenir à ce dernier, ne laisse pas de place au doute. Isabelle Khana est sincère et amoureuse. De la beauté, de l'art, de Venise mais pas comme une esthète, un pur esprit. Mère de famille, femme de son temps, elle sait bien que la beauté d'une ville, ses trésors et son histoire ne suffisent pas pour qu'elle passe l'épreuve du temps. Il lui faut la vie au quotidien, l'intendance et l'organisation d'une vie semblable à ce qui fait vivre tous les centres urbains du monde. Or, Isabelle l'a vite perçu, l'intendance ne suit pas vraiment à Venise.
Le combat est légitime, les moyens mis en œuvre conséquents : une association au joli nom, une pétition, et plein de projets comme autant de work in progress qu'il ne revient pas à TraMeZziniMag de dévoiler. Bref, cette jeune femme, rayonnante et solaire, a des ressources, elle déborde d'idées. Et puis, derrière sa réflexion, les stratégies qu'elle élabore, les objectifs qu'elle poursuit, il y a une belle âme. La regarder parler de sa famille, après avoir parlé de son amour pour Venise, puis de revenir à ce dernier, ne laisse pas de place au doute. Isabelle Khana est sincère et amoureuse. De la beauté, de l'art, de Venise mais pas comme une esthète, un pur esprit. Mère de famille, femme de son temps, elle sait bien que la beauté d'une ville, ses trésors et son histoire ne suffisent pas pour qu'elle passe l'épreuve du temps. Il lui faut la vie au quotidien, l'intendance et l'organisation d'une vie semblable à ce qui fait vivre tous les centres urbains du monde. Or, Isabelle l'a vite perçu, l'intendance ne suit pas vraiment à Venise.
Manifestation à la Visconti l'autre jour à la Fenice pour protester contre la confiscation de l'immobilier du centre historique au profit d'hôtels et au détriment de l'habitat. |
D'instinct, elle sait qu'il
ne sert à rien de vouloir s'imposer. Les gros sabots ne remplaceront jamais les
bottes et les cuissardes vénitiennes, même avec la meilleur volonté du monde.
En se rapprochant des associations existantes à Venise qui défendent la survie
de la ville, cherchent à freiner l'exode de ses habitants ( à peine un peu plus
de 53.000 habitants aujourd'hui quand nous étions près de 90.000 il y a trente
ans - et près de 200.000 avant la chute de la République !) à défaut d'assurer
son repeuplement, Isabelle s'est faite le porte-drapeau de tous ceux qui
partagent le combat des vénitiens : contre le moto ondoso, les Maxi Navi,
la confiscation des espaces et bâtiments publics privatisés pour devenir
d'énièmes hôtels de luxe, la disparition des commerces de proximité et le
vandalisme (les tags et autres graffitis souillent la ville). Comment ne pas
souscrire à son discours. On m'avait brossé le portrait d'une sorte
d'aventurière là où je vois une passionaria (sans le côté désespéré et excessif
qu'on associe trop souvent à ce terme). Rien de politique, aucun narcissisme
exacerbé, aucune course à la médiatisation, bien au contraire. La dame s'en
serait passée mais elle a vite compris combien cela pouvait devenir un atout et
donner à ses projets une plus grande lisibilité. Si elle connait ses capacités,
elle sait aussi ses limites. Elle ne cache ni ses faiblesses ni ses doutes :
Isabelle Khana est modeste. En plus de ça, elle aime la poésie et elle se
risque à me dire qu'elle écrit un peu. Pas assez à son gré et, toujours selon
elle, rien qui ne mérite qu'on s'y attarde. Là, je ne l'ai pas crue.
Les membres de l'association Masegni e Nizioletti au travail du côté de San Bartoloméo en novembre dernier. © |
J'étais tellement pris par
notre échange que je l'emmenai par un grand détour du côté de Rosa Salva à San
Giovanni e Paolo au lieu de la conduire directement du côté de la Salizzada
della Gatte où elle devait se rendre... Nous nous sommes quittés là, après un
dernier sourire et un chaleureux au-revoir devant la devanture du marchand de
couleurs, bien décidés à reparler de nos combats pour la Sérénissime.
Une amie italienne que je
n'avais pas croisé depuis longtemps sortait d'une boutique voisine. Quand je
lui expliquai ce que je faisais par là et avec qui, cette commère me lança : "Mon pauvre ami, tout cela sent le
calcul et l'ambition. Pourquoi fait-elle tout cela sinon ?" Ah ! les bonnes langues bourgeoises... "Si cela lui donne des ailes et que ces
ailes aident Venise à reprendre son envol, alors tant mieux !" ai-je
répondu sans réfléchir, l''esprit rempli encore de tout ce dont nous avions
échangé en chemin, Isabelle Khana et moi. J'avais loupé un rendez-vous, passé
l'après-midi à arpenter les rues de Venise et la nuit allait tomber. Pourtant,
je me sentais ravi. De cet échange imprévu.
Ravi aussi d'avoir cloué le bec à cette vénitienne presque jamais à
Venise, qui n'a encore jamais relevé les manches de son manteau de vison pour
aller effacer les graffitis qui enlaidissent les murs de la cité des doges! Le
bref échange avec ma vieille amie revêche eut pour décor la calle où se trouve
le Laboratorio autogestito Morion. Tout un symbole.