Il y a deux ans, dans ce blog dédié à Venise et donc à la beauté (excusez ce raccourci ampoulé, il est certainement dû à l'âge), je rendais compte d'un merveilleux concert passé hélas presque inaperçu, que donna Olivier Baumont, dans les Foyers de l'Opéra de Bordeaux. Jeudi dernier - par un heureux hasard, le jour anniversaire de la naissance de Gustav Leonhardt - Aurélien Delage donnait un récital au Temple du Hâ.
Ce jeune homme d'origine charentaise, qui n'a pas trente ans, enseigne le clavecin au Conservatoire de Bordeaux et la flûte à Lisieux. Passionné de pédagogie, il a su fasciner un grand nombre de jeunes musiciens qui découvrent à ses côtés le bonheur que peut procurer la musique ancienne. Aurélien Delage vient de sortir un livre-disque, magnifique album travaillé jusque dans le moindre détail et consacré aux clavecinistes de Louis XIV et baptisé "L'Entretien des Dieux" : Chambonnières, d'Anglebert et Couperin. Je vous en reparlerai dans mes Coups de Coeur du mois.
L'entretien des Dieux, c'était l'essentiel du programme de ce concert qui se déroulait l'autre soir, dans un lieu austère
(le temple du Hâ est une ancienne église du XVIIème siècle qui abritait
la communauté fondée par Jeanne de Lestonnac, nièce de Montaigne)
réchauffé par une mise en lumière sublime de chaleur et de douceur, le
clavecin noir et or, réplique d'un instrument français de 1667, conservé
à Boston et réalisée par Guillaume Rebinguet-Sudre, lui aussi professeur au Conservatoire (il y enseigne le violon baroque) et admirable facteur de clavecin.
Le
public enthousiaste - un peu plus d'une centaine de personnes, dans un
lieu qui peut recevoir près de 400 - eut beaucoup de mal à se
lever tant le charme avait agi. Les agapes proposées après le concert lui permirent de rencontrer l'artiste. Parmi les spectateurs, de nombreux musiciens, mais aussi des jeunes gens qui entendaient
pour le première fois du clavecin.
Un
merveilleux concert vraiment, où le jeu tout en retenue et en
délicatesse de l'artiste convenait à merveille aux pièces présentées.
Cette manière de jouer très intérieure, très spirituelle, pénétra vite
l'assistance qu'on sentait tout d'abord attentive, puis peu à peu
transportée. L'élégance de ce jeu, les qualités sonores de l'instrument
étaient complétées par une mise en lumière simple et raffinée. En effet,
l'éclairage, dû au talent de Jérôme Verghade, le talentueux directeur des Chants de la Dore (ce petit festival qui monte et qui monte au point d'être devenu le deuxième festival d'Auvergne) et producteur
du disque, rendait les lieux et la musique encore plus magiques.
Semblable à un éclairage à la bougie au début de la soirée quand le
soleil éclairait encore les vitraux du temple, la lumière s'épanouit peu
à peu dans une palette de bleus. Le soleil s'atténuant, la surprise fut
grande après l'entracte de voir surgir, derrière le clavecin une
gigantesque forme qui rappelait la silhouette imposante d'un homme. De
là à y voir l'ombre de Louis XIV
en majesté, il n'y avait qu'un pas que les spectateurs franchirent
allègrement. A droite du public, les jaunes mordorés pouvaient
symboliser le soleil couchant, Couperin accompagnant la fin de la grande époque du roi-soleil
et, à la gauche du public, la lumière plus crue, plus blanche,
irradiait les étoiles montantes : le concertiste évidemment, mais aussi
les jeunes musiciens venus l'écouter...
Un grand moment en vérité grâce
une interprétation qui n'était pas sans rappeler le brillantissime Scott Ross ! Le
deuxième bis, clin d'oeil à la communauté protestante qui offrait ce
soir-là son temple à la musique du temps de la Révocation de l'Edit de
Nantes : le choral "In Dulci Jubilo" de Jean Sébastien Bach qui s'achève sur cette phrase "Alpha este O(mega)".
La boucle était bouclée.
L'ombre tutélaire du vieux roi pouvait
doucement s'éteindre et on entendait déjà, dans la salle à côté, le
tintement des verres et des bouteilles du cocktail qui suivit.
P.S.
: Bordeaux est ville-candidate au statut de capitale européenne de la
culture en 2013. Après des lustres d'un doux assoupissement, la belle
s'est réveillée. La foule de touristes ne trompe pas : elle est redevenue belle,
accueillante, et mille projets foisonnent. Autour de cette jeune équipe
du conservatoire, autour de ces ensembles, ces groupes, ces
associations, Bordeaux se découvre amateur de musique et la qualité est
vraiment au rendez-vous.
Pourtant les édiles ne semblent pas avoir
encore pris la mesure de cette révolution : Bordeaux qui n'a jamais
abandonné son goût ni sa passion pour les arts plastiques, redécouvre la
(grande) musique et il ne se passe pas un soir sans qu'un spectacle le
plus souvent de bon niveau ne soit offert au public bordelais. Je n'ai
vécu ce bouillonnement qu'à Venise ou à Florence !
Photographies Bernard Delage - Tous droits réservés.
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1 commentaire:
Qui a dit qu'il ne se passait jamais rien à Bordeaux ? A vous lire et bien que je ne connais pas beaucoup cette ville, il me semble au contraire que ça bouge sacrément chez vous !